Le cours de la connerie vient de s’effondrer !
La situation devient critique.
C’est ça, rigolez !
J’aimerais bien vous y voir moi : bosser sous le regard sévère de l’Inquisiteur de service : mon chat !
Derrière son air snob, cet enfoiré cache des penchants sérieux pour la déviance, il me regarde en effet avec une indicible pesanteur, avec un faux air de déférence condescendante, dans un silence fasciste, un silence où l’on entend le bruit sourd du voisin qui me guette, un silence où j’attends, angoissé, la rythmique mécanique et lointaine des bottes de la mort…
Peut-être que je noircis un peu le tableau.
En parlant de fasciste et de bottes, il faut que je vous raconte une de mes pérégrinations que seul le climat malsain de certaines villes tentaculaires peut offrir.
On devait être samedi.
À vue de défonce on était samedi, en tout cas.
Je dirais que ça se passait quelques heures après le lever du soleil.
J’ouvrais les yeux sur l’endroit qui, apparemment, m’avait servi d’abri pour la nuit et à vue de nez et de cadavres, j’avais passé une partie de la soirée dans cet endroit.
Le sol n’était qu’ampoules éclatées, cendriers retournés, coussins, assiettes de pâtes gélatineuses et cadavres de chair et de verre…
Habituellement je me serais rendormi, mais pas là.
J’ai fui.
Inutile de chercher d’éventuelles affaires, de toute façon, si je suis venu avec….
Je ne m’en souviens plus.
Inutile de chercher d’éventuelles raisons.
Si j’étais venu chercher dehors calme et sérénité, pour le coup, je m’étais gouré.
Je fais abstraction.
Une main dans la poche arrière pour vérifier que j’avais bien un bouquin et j’ai plongé dans le métro que je ne fréquente jamais, et ce, comme on jaillit à la surface de l’eau pour respirer.
Deuxième erreur.
Tripodes infernaux, couloirs interminables, bondés et contrôleurs.
Je n’écoute même pas, je continue mon chemin.
Mais mon bras reste en arrière.
Ce con de l’agence de répression me l’a attrapé.
Ma première réaction est de dégoût, mais elle passe vite, le type avec son costume caractéristique de paramilitaire urbain (le camouflage pour lui c’est important, mine de rien ; ça peut jouer du tout au tout pour faire du chiffre dans une journée ; et ça pour lui c’est important ; pourquoi les contrôleurs ne serait pas également soumis à résultat ?), le type, disais-je, me fixe avec un regard vide, incroyablement faux.
Je crois qu’il essaye de faire montre d’un minimum de supériorité mais il a dû oublier l’option théâtre.
C’est ce moment précis que choisis une cohorte noire de flics pour débouler comme des hyènes sur un cadavre d’éléphant.
Mode survie.
Le métro me semblait le théâtre terrible d’opérations lointaines, comme une guerre atroce proférée dans un pays dont je ne connaîtrais même pas la capitale, relayée en direct sur CNN.
Je me trouvais en plein milieu d’un champ de bataille, ça j’en étais sûr.
Pourtant Paris n’avait pas fait l’objet d’une menace de guerre récemment.
Ils en auraient parlé sur France Inter quand même.
À bien y regarder je commençais à me demander s’il s’agissait effectivement d’un conflit armé.
Les soldats omniprésents étaient habillés communément, comme vous et moi mais en plus soignés, et avec plus de mauvais goût.
Leurs armes étaient soigneusement dissimulées dans des sacs du type commun qu’on trouve dans les commerces classiques.
J’en concluais qu’en définitive, je me trouvais en bordure d’une bataille annoncée, dans l’antichambre de la guerre.
Car leurs visages tendus portaient les traces d’une fatigue impressionnante, leurs postures étaient celles de grognards en fin de journée, ces masses hâves portaient sans aucun doute les affres d’une âpre journée de combat sanglant, de celles qui changent le plus véhément des bout-en-train en observateur amer et taciturne.
Et soudain, je compris tout…
Mon Dieu ! Fuir, et vite !
Du coup, j’ai oublié le pourquoi…
Je me demande (et je pense que je me le demanderai longtemps encore) ce qui peut bien pousser ces hordes impies à s’entasser dans ces bouges grouillant de misère humaine, qui affichent non sans cynisme des enseignes lumineuses d’un goût douteux et plastique.
Je suppose qu’il y a une récompense énorme à la clef.
Remarquez, c’est vrai qu’après ça, on rentre chez soi, on se cale devant Drucker pour regarder, béat, Bruel chanter : “Y a d’la joie“…, et on peut dire qu’on accède alors à un repos mérité et harmonieux.
Ils sont nerveux, acérés, leur œil surentrainé se pose sur tout, ils se déplacent furtivement, rapidement, comme dans les reportages sur le Vietnam.
L’air, empli de parfum bon marché, de sueur, d’haleine fétide (le stress certainement) est proprement nauséabond.
À un moment, j’ai, bien malgré moi (vous imaginez à quel point je rasais les murs), été confronté à un groupe de ces zombies.
Un bref coup d’œil derrière moi : je m’interposais fortuitement entre eux et une ouverture sur le néant…
Le truc con : je me suis figé et, dans ma tête, s’est imprimé violemment la photo de cet étudiant face à des chars sur la place Tian’Anmen.
Au dernier moment, j’ai sauté sur le côté, in extremis.
Les gens me glacent le sang.
Le phénomène de masse aidant, le pire c’est qu’ils se croient toujours dans leur bon droit.
Si on leur disait que tout ce qu’ils font ne sert à rien, je pense qu’on assisterait à une vague de suicides.
Une bande de fous idolâtres des choses inutiles qui passent leur vie à s’emmerder les uns les autres et inversement…, qui a fait voler en éclat les derniers remparts du savoir-vivre.
Un beau paroxysme pour notre société.
Ah ça oui, nous sommes en crise.
Le cours de la connerie vient de s’effondrer !