Le grand roman de ma vie…
ACTE 1
L’instant est magique !
“Écrire, c’est passer à côté de la vie“… a écrit Louis Calaferte… Nul doute que je peine à rendre compte ici ou là de mes états d’âme, à créer des personnages de chair et de sang, que je ne résiste jamais aux sirènes de la vraie vie, brute, magnifique de cohérence et de logique, le seul spectacle finalement qui vale la peine d’être vu, lu, interprété, senti, écouté. Seulement voilà : il faut écrire. Il faut faire ce pas de côté et transformer l’essence des choses en mots, j’ignore les raisons de cette nécessité, mais c’est ainsi.
Pour construire un personnage, il existe de nombreuses méthodes. Voyez comment Kundera fait naître son Thomas dans L’Insoutenable… L’écrivain tchèque voit les personnages comme des possibilités existentielles incarnées (toujours la froideur théorique du grand Est…) ! On peut aussi, à la manière d’un Houellebecq, construire ses personnages comme l’expression de grandes variations sociologiques et culturelles (Méthode particulièrement efficace dans les Particules Élémentaires). Ce qui revient toujours à “concurrencer l’état civil“, selon le voeu de Balzac, c’est à dire ajouter des informations autres que la taille, la date et le lieu de naissance… et qu’à la mention “signe particulier“, l’auteur jamais n’appose : “Néant“. Malgré son odeur de soufre… la physiognomonie, vieille science du XIXème, qui établit des liens entre la forme du crâne, la morphologie du visage et le caractère de l’individu, s’avère très utile dans la construction de personnages de comédie, d’essence caricaturale.
Sans parler de la psychanalyse, qui permet de construire l’histoire comme une révélation progressive des motivations inconscientes d’un personnage vu comme cas clinique, dans une atmosphère de film noir des années 50 (Laura et les autres). Plus lacanienne, l’onomastique (science des noms) permet de guider les personnages dans l’antre des mots. Leur nom est leur destinée :
– Madame Bovary n’est-t-elle pas condamnée à la Normandie bovine, mammifère à l’oeil vide ?
– Cette chère Emma n’est-t-elle pas avant tout celle qui “aima“, magnifique passé simple, intransitif… et qui montre si bien la fatalité de ses amours ? Emma qui appelle aussi “émoi“,”aime-moi‘…
Tout est bon à prendre : la caractérologie, les peintres de la Renaissance, les magazines people, les noms de rue, les couleurs primaires, les attributs vestimentaires, les portraits chinois, le questionnaire de Marcel Proust… Il vient un moment où ce n’est plus soi-même qui crée le personnage, mais le personnage qui, en quelque sorte, habite l’écrivain… Vous vous demandez ou je veux en venir ? Très sincèrement, je n’en sais fichtre rien… Cela démontre que l’angoisse de la page blanche ne se limite pas qu’au recto ! Si vous étiez à ma place, face au verso du recto, que feriez-vous ? Pour vous aider, avec l’espoir que se sera réciproque lorsque je devrais remplir la tranche de la feuille… je vais vous donner quelques conseils que je m’efforcerai ensuite d’appliquer…
Tout d’abord, laissez votre esprit vagabonder. Abandonnez-vous à toutes les pensées, stupides et subtiles. Entretenez avec vous-même, un rapport narcissique masochiste, étudiez-vous dans chaque situation, regardez-vous faire et parler. Buvez intelligemment, deux litres de bière par jour minimum (le Mojito est un plus bienvenu réservé aux classes plus aisées) et mangez très gras et très sucré. Pour éiminer ces calories, pratiquez le sexe aussi souvent que possible. En cas d’impossibilité, masturbez-vous.
Ne soyez pas angoissé par la page blanche. Pensez à une mort prochaine… et à votre découvert bancaire qui ne vous laisse pas vraiment le choix.
Ne vous souciez pas trop, du moins au début, des règles de construction. Essayez de prendre des notes. J’ai constaté pour ma part que les transports en commun (train, bus, métro) donnaient souvent lieu à de fameuses idées. Par conséquent, déplacez-vous en transport en commun, muni d’un calepin et d’un crayon, mais aussi d’un ticket validé car la resquille crée une anxiété néfaste pour l’inspiration. Lisez le journal du soir le matin, dans un café un peu glauque, sinon populaire, où s’abreuvent les cas sociaux du quartier. Cela accentuera l’urgence de votre situation.
Ne fréquentez les gens qu’individuellement. Essayez de vous sortir, par tous les moyens, de toute forme de société : entreprise, équipe, bande. Mais entretenez scrupuleusement toutes vos amitiés, car les amis s’avèrent utiles pour lire vos manuscrits et vous dire : “Ouais, c’est pas mal, mais pourquoi tu parles toujours de la même chose ?“… Sur l’amour, sachez que par sa promesse de bonheur, son authenticité et son intuition très développée des enjeux de l’existence, la femme constitue le plus grand ennemi de l’écrivain, qui ne s’intéresse qu’aux malheurs et aux guerres, aux dilemmes moraux et à la toxicité des rapports humains. Ne vous interdisez pas, toutefois, durant la préparation d’un roman, de tomber amoureux… et de souffrir du désamour. Le désamour est le plus beau moteur, il ne fait aucun doute sur cette question. Moi-même parfois en désamour, je me surprends à écrire des textes extraordinairement brillants qui m’illuminent l’âme et m’éclairent sur les réalités improbables…
Vous voici en robe de chambre, une cigarette au bec, dégageant une haleine d’alcool et devant la page word que vous venez d’ouvrir, vous hésitez sur la première phrase. C’est tout à fait normal. Je suis exactement dans le même cas ! Pensez au chiffre 3. Pourquoi le chiffre 3 ? Parce qu’il est sacré. Parce qu’il donne le rythme, parce que le cerbère a trois têtes et qu’un roman n’est qu’une description de l’enfer sur terre ! Parce qu’on frappe trois coups au sol, au théâtre, parce que la dialectique se fait en trois étapes, parce qu’une symphonie est en trois temps. Parce que la Trinité… et parce que : “C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar“…, à titre d’exemple.
Les phrases coulent, à présent. Commencez par des choses triviales, simples… Imaginez le verbiage d’un séducteur, la logorrhée d’un ivrogne, les bavardages d’une concierge : c’est sur ce ton là qu’il faut écrire. Les magnificiences de l’âme, gardez-les pour la fin. Donnez à sentir… et créez une attente. N’oubliez pas que les mots ne vous suffiront jamais. Et qu’un roman n’est que la démonstration désespérée de l’inutilité des mots. Il faut maintenant du style… et pour ce… l’holorime, c’est le vers parfait, la rime intégrale et multimilliardaire, l’écho du sens tapi entre les lignes : “Par les bois du Djinn où s’entasse de l’effroi, Parle, et bois du Gin, ou cent tasses de lait froid”. C’est de Charles Cros (poète inventeur génialissime de la fin du XIXème siècle, qui, dit-on, accueillit Rimbaud en gare de l’Est, lors de son premier voyage à Paris). Il en est d’autres : “Et ma blême araignée, ogre illogique et las, Aimable, aime à régner, au gris logis qu’elle a”. On la doit au vieux Totor, qui excellait dans ces jeux de langage.
L’holorime est proche de la charade, et du rébus. Il s’adresse à l’imaginaire et puise sa source dans l’inconscient, qu’on dit si bien depuis Lacan “structuré comme un langage“. Voici, en exemple, un holorime pour exprimer mes états d’âme : “Assez ! L’amant songe A ses las mensonges”. L’holirime révèle, à la façon d’une contrepèterie, un sous texte, un autre sens, dans la lignée du premier, qui le répète en le pervertissant, le continue et le contourne. C’est l’expression de l’autre monde, de l’autre tout court ! Sur cette pratique salutaire et inutile, digne d’un colloque de Pataphysique, j’ai quand même eu un éclair (certes passager) en pensant aux seins de LO : “Ses lolos rient, mais ça m’agite, ai-je mot dit ? C’est l’holorime et sa magie, tes jeux maudits”…
Tout ça pour vous écrire que c’est peine perdue, je renonce (temporairement) à l’écriture du grand roman de ma vie, car vous ne m’êtes d’aucun secours ! Nous sommes, blafards, terreux, hépathiques ou cyans, tous autant que nous sommes au beau milieu du monde, sous le soleil qui crame, à tour de rôle, nos hémisphères et la vie, sauf exception rare, ne laissera pas d’autre sol à fouler, condamnés à la gravité, aux piafs moqueurs et aux vacances sous terre. Le web nous offre un substitut d’étoile, cieux qu’on zieute en commun d’un tropique à l’autre, malgré les satellites embouteillés et les déchets par tonnes, les pluies acides et le trou de la couche d’ozone, la déforestation, le sida, la peste le choléra, les kamikazes, la théorie du complot, les jeunes qu’on assassine au front, la peur des autres, la fin du monde, la grippe H1N1… etc. C’est pourquoi je vous offre, entre les coins de ma lucarne, un peu de fantaisie : musique, humour en sus pour le même prix, gratuit… il vous suffit de tapoter ! Bon vent.