Le grand roman de ma vie…
ACTE 2
La vie est remarquablement mise en scène. A en faire rougir d’envie le plus chevronné des scénaristes. Les bras m’en tombent. Nos existences s’enchaînent comme d’inlassables fins suivies d’inlassables débuts, nos problématiques personnelles, nos enjeux, rebondissent en actes bien séparés…Et je me demande, aujourd’hui, plutôt ce soir, alors que j’attaque l’acte 2 du grand roman de ma vie, si nous cherchons, en créant, à imiter la vie, ou si c’est la vie, à travers nous, cette fois simples humains, qui cherche à imiter les belles histoires.
Les bras m’en tombent. Tout se débloque. Je remercie par avance le créateur (Grand-père ? Dieu ? Un imposteur mort exilé sur une autre planète ?) qui a donné vie à ses fantasmes dans mon corps. Comme le demandait Borges, le plus moderne de nos auteurs : “De quel livre sommes-nous les héros ? Conte fantastique ou roman réaliste ?“… C’est là toute la question. Nous sommes des personnages… et plus que jamais aujourd’hui. Il suffit d’observer les répercussions des séries hospitalières (de “Docteur House” à “Urgences” en passant par “Scrubs et Grey’s Anatomy“), sur le personnel médical, pour constater que les histoires et les fictions, guident nos pas et nos manières, bien plus que la vie ne guide les histoires. La leçon de tout cela ? Sentons-nous, scénaristes, à chaque instant responsables de nos écrits : ce sont les comportements de demain que nous décrivons. Voyez comment les livres de science-fiction d’Huxley, Bradbury ou Orwell, ont façonné les sociétés contemporaines ! “L’imaginaire, c’est ce qui tend à devenir réel“… (Breton) ! Tant que les auteurs seront pessimistes sur l’humanité, l’humanité dépérira. J’attends la prochaine utopie avec impatience.
La société n’est pas si ingrate, elle finit toujours par remercier ceux qui s’en sont le plus violemment écartés et qui l’ont critiquée avec le plus de virulence.
Les séditieux sont des saints en sommeil. Brûlé vif en 1600 pour avoir défendu l’idée, alors absurde, que la terre tournait autour du soleil, Giordano Bruno est aujourd’hui considéré comme un grand penseur de la Renaissance. Dennis Hopper à sa manière, a défendu en son temps une idée indéfendable : celle que le cinéma doit être un hymne à la liberté, aux grands espaces, un abattement systématique de tous les murs et de toutes les frontières. Je dois dire que Dennis Hopper a longtemps été mon héros depuis que je l’ai découvert dans une salle obscure… ou j’étais allé visionner le film culte “Easy Ridders“…
Créateur fantasque, libéré de toutes les contraintes industrielles, il a côtoyé les plus grand comédiens (Dean, Brando, Walken), les plus grands réalisateurs (Copolla, Wenders, Ferrara), les plus grands artistes (Warhol, Basquiat, Schnabell), capturé dans son appareil photo les inflexions de la contre-culture, su flairer l’air du temps avant tous les autres, sans jamais se dégager de son itinéraire personnel, sans jamais compromettre sa solitude d’artiste.
Un bon écrivain se doit, chaque jour, de consulter le journal. Et pour ainsi dire, même, les journaux, toutes les publications quotidiennes et hebdomadaires, de Charlie à Figaro, du Monde à la gazette spécialisée, du Courrier International au Canard enchaîné en passant par le Monde Diplomatique et Les Echos, mais aussi Le Parisien et Sud Ouest. C’est ainsi. Nous avons pour devoir de sentir chaque jour la grande vibration de l’Histoire, ce carnivore jamais repu… et ce aussi bien à travers les brèves gauchistes que les panégyriques à la libre entreprise, à toutes les échelles, objective et subjective, capitale et régionale, un oeil toujours vers le fait divers croustillant (Par exemple “Katoucha, la princesse peule“, qui lutte contre l’excision en Afrique, disparue après une soirée bien arrosée non loin de sa péniche du Pont Alexandre III) et l’actualité internationale.
En ce qui me concerne, je nourris une passion quasi amoureuse pour les journaux. Je trouve que le rapport au quotidien (ce que le quotidien “a de plus précaire“, comme disait Breton), est même la base de toutes choses. Et pour cette raison, j’affectionne particulièrement les journaux intimes d’écrivains, ces Diaries glaireux et diarrhéiques où s’épanchent leurs corps et leurs humeurs… et parfois, aussi, entre les lignes, leur âme au sens le plus physique qui peut être donné à ce mot. Sur ce dernier point, je recommande particulièrement le “Journal” de Kafka, sublime révélation des clés de l’œuvre de Franz, qu’on sait déjà, sur le Père et le rapport à l’Autorité sous toutes ses formes (bureaucratique mais aussi, surtout, à l’Autorité Suprême de la Mort qu’ont si bien pressentie les kmers rouges plus tard…
Sans cynisme de ma part, je recommande aussi le “Journal d’un séducteur“, de Kierkegaard, prodige de réflexion philosophique sur l’amour au jour le jour. Il existe aussi des publications nauséabondes dans ce sens, héritées de l’auto-fiction, je parle de Bobin et Camus (Renaud, pas Albert), en France, et de toute la Chik Litt américaine qu’on trouve sur les pages web. Ne pas confondre le quotidien et l’ennui. Qu’est-ce en effet qu’un écrivain, sinon l’illusioniste qui transforme l’ennui du quotidien en éternelle joie ?
J’ai vu l’autre jour au zapping un designer londonien exprimer un point de vue très lucide sur le système capitaliste. S’appuyant sur l’exemple du film “La Planète Interdite“, de Fred Wilcox, sorti en 1956, ce dernier compare notre société à une sorte de monstre, non plus réel mais virtuel, qui absorbe toutes les attaques dont il est l’objet et s’en accommode en quelques secondes. Tel est le monde que nous laissent nos pères : une sphère phosphorescente et polymorphe, qui a fait de l’idée de Révolution son principe actif, le moteur de ses transformations… et qui n’offre pas d’autre alternative que le retrait, l’ascèse, ou la lutte armée.
Nous parlons beaucoup, ces temps-ci, j’entends par là depuis le mois de mai, de la Révolution. D’aucuns l’appellent Changement, Rupture, Nouveauté, mais peu importe, c’est toujours le même désir qui est aux commandes, l’envie de tout foutre en l’air. Je veux parler de ceux-là même qui voulaient, à 20 ans, faire la révolution, vers mai 68… et qui sont aujourd’hui bien placés dans de grandes entreprises du secteur tertiaire, du moins ceux qui criaient bien fort derrière les barricades. C’est bien normal : toute idée de Révolution porte en elle une volonté d’hégémonie (pour parler comme les historiens). Il suffit de se référer aux deux grands modèles – la Révolution française (avènement de la Bourgeoisie en Europe) – la Révolution Américaine (naissance du libéralisme outre Atlantique). Je ne dénigre pas les avancées de ces deux Révolutions, bien au contraire, observez que j’y appose la majuscule. Je constate seulement que la Révolution, parfois, s’arrête trop vite sur ses acquis, se repose trop vite sur ses lauriers, et ce pour des raisons qui sont le plus souvent générationnelles (qu’on ne me reproche pas de parler de la Révolution avec des mots d’historien).
Je m’explique. Sur le général, d’abord : les ambitieux prennent le visage des opprimés pour se débarrasser des oppresseurs, dans le seul but de jouir à leur tour des avantages… que dis-je, des privilèges réservés aux oppresseurs (qu’on peut appeler à l’envi puissants, propriétaires, seigneurs, et toute la vulgate marxiste va dans ce sens). Je pose ce principe en prémisse de syllogisme. La mineure, c’est que les petits Parisiens du joli mois de mai se prenaient, eux aussi, pour des opprimés. Ils soutenaient les ouvriers en grève, ils étaient pour la libération des peuples colonisés, contre la guerre, contre les bonnes mœurs. Et répétaient les grandes phrases de Rimbaud “L’imagination au pouvoir” et tutti quanti. Et ils ont réussi ! Leur révolution, mai 68, ils l’ont réussie mais de plus, ils l’ont gagnée ! De Gaulle est parti, Giscard a ouvert les vannes de l’image libre… et nous y voici, mai 68 réalisé : “L’imagination au Pouvoir“, le XIXème aussi a eu ses Lumières, ses Illuminations.
Tant mieux. Les spectacles sont plus attrayants et plus diversifiés aujourd’hui. Et ils rapportent un maximun d’argent aux trotskystes, maoïstes, marxistes, léninistes, situationnistes (plus rares cela dit)…, ils “occupent le terrain“, ils ont combattu ferme pour avoir leur place au chaud et répété une fois de plus le grand Carnaval de la Révolution. Tout ça pour une place au chaud. Mais ont-ils donc oublié “Changer la vie“, “Transformer le monde” ? Ces pensées-là disparaissent-elles du corps partir d’un certain âge ? Le pire, c’est qu’ils pensent qu’à présent, c’est fini, que l’idée de révolution est aujourd’hui dépassée, morte dans l’œuf… et qu’à partir du moment où ils l’ont faite, nul n’a besoin de la faire. Mais ce n’est pas fini ! Loin de là !Les grandes révolutions ont leur lot de martyrs. Refaisons l’Histoire en quelques lignes… et comme Faulkner, imaginons que celle-ci nous est contée par un idiot. Parmi les écrivains du siècle passé, je ne vois que Bukowski, l’immigré allemand, l’ivrogne, le baiseur, le troubadour des bas-fonds et surtout, le théoricien du cauchemar américain, pour donner le ton des années à venir. Buko disait : “Le capitalisme a dévoré le communisme, il ne reste plus au capitalisme qu’à se dévorer lui même“…
1989 : Chute du mur de Berlin, suivie deux ans plus tard du démantèlement de L’Union Soviétique, si bien appelé “Perestroïka“.
Les systèmes de production de l’ancien régime sont bradés à des anciens dissidents, des gangsters, des hommes d’affaires, des agents du KGB…, que du beau linge.
2001 : Assassinat du commandant Massoud en Afghanistan. Assassinat du militant altermondialiste Carlo Giulani lors du sommet de l’OMC à Gênes. Année 0 de la grande révolution du XXI ème siècle. En septembre, une fausse attaque est portée contre le système capitaliste, avec l’effondrement des deux tours du WTC à New York. C’est la première partie de la Stratégie de la peur qui doit permettre à un Nouvel Ordre Mondial de régenter le monde… avec une propagande anti-islamique dans à peu près tous les médias de l’Occident.
2002 : En France, le candidat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen arrive au deuxième tour avec 18% des suffrages et un taux d’abstention record. Les commentateurs de l’époque stigmatisent un désintérêt des citoyens pour les questions politiques. On parle déjà d’une “crise de la démocratie”
2003 : Début de la guerre en Irak. Prise de Bagdad. Attentats à Londres et Madrid. Le nouveau premier ministre espagnol Zapatero ordonne le retrait immédiat des troupes espagnoles en Irak.
2006 : Procès de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein, jugé pour pour crime de guerre et crime contre l’humanité. Saddam Hussein est condamné à mort et pendu à Bagdad. Son exécution est retransmise sur internet et dans les médias du monde entier.
2005 : Suite à la mort de 2 jeunes gens (de type maghrébin) dans un transformateur électrique à Clichy sous Bois, de violentes émeutes éclatent dans les banlieues françaises. Le ministre de l’Intérieur de l’époque propose de vider la banlieue de ses voyous et de “nettoyer les cités au karcher“, une formule qui fait scandale mais qui lui vaut la sympathie des électeurs d’extrême droite.
2007 : Election de Nicolas Sarkozy au poste de président de la République française, face à la candidate socialiste Ségolène Royal. Forte mobilisation dans les urnes. Jean Marie Le Pen ne dépasse pas la barre des 5%. Sa fille Marine déclare “la victoire des idées de Jean-Marie Le Pen“.. Le président annonce de grands changements et surtout, le rétablissement du pouvoir d’achat des Français. Il passe ses vacances dans le ranch du président américain Georges Bush, après avoir séjourné dans le yacht de l’homme d’affaires Vincent Bolloré. D’une manière générale, les journaux de gauche dénoncent une forme de connivence entre le président et les grands patrons, particulièrement des grands groupes de communication. Au mois de décembre, de nouvelles émeutes éclatent à Villiers le Bel, suite à la mort de deux jeunes de 14 ans, percutés par une voiture de police. Nouvelles émeutes. Le président refuse la théorie de la crise sociale, lui préférant une emprise de la “voyoucratie” sur les quartiers. La quasi-totalité des personnes interpelées avait un casier judiciaire vierge.
2008 : En raison d’une conjoncture économique catastrophique (crise des subprimes aux USA, scandale de la Société Générale, croissance au ralenti), mais aussi d’une mauvaise gestion de son image (divorce, pipolisation, instrumentalisation des médias, effets d’annonces, goût pour le luxe), le président est en chute libre dans les sondages. Il annonce un “retour du religieux” dans la société civile, organise des opérations coup de poing dans les banlieues, et multiplie les annonces de réforme pour détourner l’attention.
Cette chronologie est purement subjective. Surtout, elle ne doit pas s’arrêter là. Des gens continuent de lutter pour un Idéal de Justice. Aussi ridicule que cette idée puisse paraître, il existe une frange de la société civile (et ce à l’échelle du monde), qui continue de penser qu’un autre monde est possible.
Un monde meilleur, un monde juste, un monde sans armes et sans guerres, comme une étoile immuable que fixent, depuis la nuit des temps et depuis leur nuit de combat, les révolutionnaires, avec leurs moustaches de chats.
Je laisse la parole aux vieux Charles, s’adressant aux écrivains : “Si vous quittez votre machine à écrire, vous êtes foutus“… J’entends son message. Quand j’écris, j’ai une mitraillette entre les mains. Une mitraillette inoffensive, qui ne tue que les mauvaises idées. Hasta la Victoria Sempre.