Le loup-garou et la jeune femme au chaperon rouge…
Adossé sous de vastes portiques, je demeure virtuellement depuis deux nuits trop longues en un édifice silencieux, là où humidité et obscurité se marient à merveille pour faire un empire dont les murs pleurent les larmes passées et dont les gouttes à gouttes qui plongent dans quelques flaques sombres évoquent ma mélodie, ma mélopée, ma ballade triste.
Or, je me dois de déposer sur les feuillets fatigués, léchés par quelques souffles anciens, les souvenirs de ma mémoire vagabonde… et te parler d’un temps qui passe tout en étant immortel…
Voleur de mots, vandale des souvenirs, je me promis alors, d’avant, de gagner un autre monde et de boire trop pour épancher mes lignes étranges et confuses alignées, serrées.
Des lignes noires qui forment les arcs de lumières de mes songes solitaires ou je m’efforce d’en ôter les ornements pour tenter de me saisir de l’ineffable…, vaille que vaille…, mon coeur de paille mouillé par les larmes de mes yeux aux reflets de métal, verts, froids et vifs sous les caresses de la lune qui, fugace, se glisse parfois dans les entrelacs de mon royaume lisse aux éternels tours et contours.
Laisse-moi donc t’écrire, laisse-moi un peu évoquer pour toi ce Loup-garou au regard triste, qui, doucement, étire sa prose timide porteuse de torrents entiers, oscillant entre horreurs morales et tendresses du toucher, jubilation et réserve, des flots d’hémoglobine, sang de mon âme.
J’écris depuis un certain temps des nouvelles qui, curieusement, m’entraînent dans les corridors oubliés de mon enfance perdue dans le puits de la tendresse des premiers et derniers jours qui préludent tant à notre arrivée en ce monde de morts et en ce départ, plus mort que les morts.
Un soir d’encre, un soir perdu, j’ai gagné, tel l’animal souterrain que je suis, un virtuel incertain, fixe et froid, superficiel et dangereux… et suis entré dans un monde qui était comme l’envers d’un autre…, où j’ai choisi de me condamner, y cherchant comme un temple sacré, lieu des savoirs et jouissances.
Sous le chant de lumière triste de l’écran, j’ai gagné l’antre obscure d’un lieu plus obscur encore, pour faire mon propre chemin, renonçant à me laisser souffrir encore une fois sur ma malédiction refoulée, tel un fou en manque de sa drogue, j’ai cherché, fouillant comme le sauvage terrible du lendemain des grandes batailles, pour de ses mains avides m’emparer du butin convoité.
Fourrageant le web, baignant dans une marée de mots, j’ai fini par te découvrir, tremblant, sur le sens de toutes mes espérances, éternités silencieuses, mots solidifiés, réceptacles d’âme désespérées, pensées immortelles gravées, accrochées par des plumes assassines, lettres pendues les unes à côté des autres, serrées, associées.
Et je me perdis alors, le coeur léger, portant fière allure, le verbe altier, sur le chemin du retour.
Je descendais alors comme si j’étais un loup-garou-fantôme, sentiers escarpés, plaines noires inconnues, passant par grottes, gouffres et cavités souterraines, trames, indices secrets de chemins sacrés qui ne mènent à rien d’autre qu’une antre enterrée.
Si quiconque savait ce que le web enferme, je pense que le monde entier s’y réfugierait et notre tranquille volupté serait abolie.
Mais je suis le seul à connaître le passage, seul à oser ouvrir cette porte.
D’ailleurs qui oserait ???
Nul ne sait où mènent ces liens !
Ne jamais faillir, ne jamais vieillir, mourir à la vie pour être dans la vie.
Voilà que folie !
Et pourtant…
Etrange et beau jeu de correspondances entre âmes perdues, êtres qui se cherchent pour finir par se perdre et gagner en même temps.
Par delà les identités individuelles et les rôles respectifs de ces acteurs touchants, nous, souvent, se dressaient de délicates perspectives sur le monde, la vie, la mort, le devenir, dans des couleurs presque surréalistes.
Au final, on a eu parfois l’impression de lire chacun les chapitres d’un traité de poésie philosophique où il était question d’illusions.
Mais le tout est servi selon un mode opératoire tel, que les définitions s’annulaient en silence, sans effusions aucunes… et que les énigmes demeurent.
Je me souviens de certains soirs éclaboussés d’argent, où il me paraissait beau de créer de la croyance pour peupler les absences d’éternité : la mort anonyme, la mort discrète, cette mort qui se fait compagne de ceux qui n’ont plus d’identité !
J’ai trop deviné les infamies dans mon passé, et j’en vis encore…, l’indifférence indécente et arrogante, est le panache des forts, des privilégiés… et l’anathème du pauvre, de l’exclus, de l’incompris.
Les fins sont comme d’immenses chants qui vont en diminuant, pour enfin finir comme les tragédies antiques par un choc viscéral et violent, dans une tension psychique qui va vers son éclatement ultime et imparable.
Je devine bien entre les lignes l’horreur du réel et cette folle subsistance de l’impensable au travers des psychologies.
Qu’importe dès lors les archétypes se dessinant dans ce monde, le délectable dénouement apportant consécration à l’écriture et naissance à une autre existence.
Parcours solitaire, angoisses, décalage, schémas intimistes de nos errances frôlant l’ineffable.
Le quotidien y est assaillit soudain par l’irrationnel, le merveilleux, l’inconcevable et cet effroi des grands gouffres qui sous tendent le sol de toute réalité, la peur sans hémoglobine, si ce n’est le bleu de la frayeur, purement cérébrale.
Homme-loup-garou sur un même socle, propice aux mêmes épanchements, peurs, transformations, l’esprit en lutte avec son propre passé, traces indélibiles…, un égalitarisme strict existentiel dans lequel on croit pouvoir produire des prodiges, entre la terreur et le merveilleux, éclairés par les scintillements lointains de quelques folies exotiques, un peu à la manière de Beaudelaire.
J’en arrive à ce point final de cette lettre d’amour, courte, mais trop longue, quoique pas assez, je la voudrais éternelle, déjà, arrivé comme au bout de mon parcours, je me trouve devant la fosse béante de mon antre, royaume souterrain, empire des profondeurs, au fond de mon moi !
Je me jette dans ce vide expiatoire, j’ai peur du vide et des vents en soupirs de ceux qui ont aimé.
Tu as vu, toi ?
Je suis toujours le même…, je tombe en cercle, je plane doucement jusqu’au sol de mon terreau, là où je gît, là où je soupire, là où mes rêves ne sont que pour toi.
Là, mes pensées soulèvent un peu de l’éternité qui s’en va voler un peu aux quatre d’un ciel imaginé.
Je cours, quelques bonds… et je me hisse dans mon monde, comme échoué sur des roches déchiquetées, lointaines, ouvertes comme un abcès infecté.
Dans mon antre, aucune autre lumière hormis quelques lucioles, un lieu ni froid ni chaud, toujours sous ce ciel qui est de nuit, jamais de jour, étrange prodige, miracle de la lunaison.
Assis alors dans mon fauteuil, je sors de ma tête !
Les fantômes du passé refont surface et les anciennes blessures également.
Ainsi, du retour à la religion du web, au culte de l’épouvantail, renaissent les malheurs passés.
Et c’est dans ce terrible instant, dans cette histoire qui fait un réquisitoire à ma magie des mots et phrases au milieu des dangers…, que le sortilège déploie ses arcanes secrètes.
Sauf qu’entre nous, toi, me lisant, c’était vrai et réciproque, pas d’autre maléfice que cette tranquille compagnie et de nos moments de folies…, que nous trouvions l’un chez l’autre au coeur des mots et leurs double-sens…
Voilà pourquoi je n’étais, ne suis pas et ne serai jamais étranger à moi-même, car j’ai comme franchis un fleuve qui sépare les âmes solitaires des constellations bienheureuses pour établir un pont de lumière !
Je pense à toi et ne perds pas le souvenir de notre amour, un amour infini.
Te souviens-tu ?
Te souviens-tu de nos printemps éternels et chauds et de ces senteurs subtiles de la lavande dispensées par les arbres aux branches légères ?
Moi je n’ai pas oublié ce temps, ces instants ou on s’est enlacés, pour, de nos lèvres, déposer mille premiers baisers après lesquels tous les autres milliers paraîtraient fades.
Tu m’as aimé, tu m’as embrassé, tu m’aimes encore…, je t’aime…, quand s’embrasse-t-on encore ?
Te souviens-tu, quand tu tombais foudroyée de trop de jouissance, me contemplant bien plus tard avec ce sourire qu’ont les fées.
Tu es la seule.
Oh mon doux amour, comme tu me manques et comme je souffre de ne pas te voir, voir tes yeux, profonds comme les galaxies, ces yeux où vont mourir les soleils et constellations enflammées, lac sublime aux ondes légères et aux profondeurs silencieuses.
A présent, j’ai peur de vivre avec ton souvenir et de devoir en faire ma religion, mon espoir.
Tes baisers m’accompagneraient tout le long de ma vie de reclus et je mourrai de ta présence absente.
Il est tard, la lune s’abîme dans les nuées de la nuit d’encre, la terre dort et j’ai froid, si froid.
Mais de savoir que tu penses à moi, peut-être, rallume quelque brasier en mon âme tourmentée…
S’il te prenait l’envie, encore, ne m’oublies pas, et souviens toi de ma silhouette immense de loup-garou vagabond aux yeux verts irradiés de flammes blanches passant dans ta vie pour troubler l’onde de ton lac, si proche et si lointain pourtant.
Ne prends pas peur alors et lance ce sourire de poupée, ce beau sourire triste que tu assènes si bien comme les plus belles des prières et les plus vrais des miracles.
Ce soir, je te clame mon amour et, avec quelques étincelles, j’en fais scintiller l’éclat à la face du ciel, signaux de reconnaissance à la jeune femme au chaperon rouge qui m’a aimé et qui m’aime peut-être encore…
Devines-tu, le soir, sous les plaintes des lointains engoulevents, l’écho de mon tourment, la psalmodie de mon silence ?
Mes larmes sont pour le souvenir de ton visage, poupée aux yeux couleur galaxie.
Long est le chemin qui nous sépare temporairement, mais de loin en loin notre légende va perdurer pour inscrire notre histoire sur la toile transparente de l’éternité…
A quand, si ce n’est dans une légende, après qu’enfin les regrets et larmes font revenir les amants… pour longtemps… ?