Le manuscrit du singe lubrique !
Je soulevai la pierre tombale lentement…, très lentement…
Une brume diffuse émanait des entrailles de la terre, comme si tous les damnés qui gisaient en son sein voulaient se manifester.
Je descendis lentement au centre de l’abime universel, le puits sans fond de la connerie humaine !
Je dirigeai le faisceau de ma torche sur chacune des antres mortuaires et sur les autels.
Depuis fort longtemps, un enchevêtrement de ronces avait recouvert certaines tombes, où jadis des noms avaient été gravés.
Plus loin, une statue à l’effigie d’un Orang-outan gigantesque dominait les lieux de sa taille impressionnante, la légende racontait qu’il avait été le roi, mais plus personne ne se souvenait de quoi…
C’était pour CETTE statue que j’étais venu ici, dans le tombeau des secrets interdits…
Ici et là, bien d’autres personnages familiers de sinistre réputation étaient représentés.
Le bruit grinçant et lancinant des rongeurs aux alentours, troublait le silence profond de ce lieu et me rendait nerveux.
Des yeux de jade, perçants, luisaient par cette nuit sans lune.
Les bruissements d’ailes d’un hibou aux ululements macabres, rendaient l’atmosphère encore plus pesante, peut-être en souvenir pensai-je, d’un événement qui avait eu lieu dans ce tombeau hors du temps, qu’une civilisation lointaine avait déserté à jamais…
Etait-ce le fruit de mon imagination, ou bien tout simplement un jeu d’ombres extraordinaire me donnait-il l’illusion d’avoir vu les statues se déplacer, jusqu’à former un large cercle ?…
Je me sentais observé.
Il y avait quelque chose d’insolite dans cet endroit.
Etait-ce l’absence totale du moindre souffle de vent, ou le ciel nébuleux recouvrant de son large tapis noir et dense les étoiles, avares de lumière en ce mois ?
Auprès des statues, sur la base desquelles étaient gravés des caractères s’apparentant à des signes cabalistiques non répertoriés, étaient éparpillées dans un désordre indescriptible, des fragments d’os humains dont certains étaient broyés, laissant supposer d’atroces mutilations.
Et les yeux des statues…, pourquoi me fixaient-ils ainsi ?
Leurs regards, résumé à deux entailles très fines situées au-dessous de ce qui pouvait être des sourcils, étaient menaçant.
Avais-je réveillé un culte oublié depuis des siècles ?
Avais-je ressuscité la colère de quelque entité infernale ?
L’homme qui m’avait envoyé ici avait disparu mystérieusement de chez lui.
C’était mon pire ami, il se faisait pseudo nommer Orang-outan, le singe lubrique du web !
On ne retrouva sa trace que plus tard dans un hôpital psychiatrique, plongé dans un délire total.
Ses mémoires sous forme d’un manuscrit et d’un CD avaient été découverts dans sa chambre à côté de son ordinateur, où des odeurs d’algue et de soufre mêlées à des puanteurs de spermes séchés et de vieux slips pendant au-dessus d’un antique radiateur en fonte, étaient fortement ancrées.
Toute la pièce était sens dessus dessous.
Les murs avaient été lacérés.
D’étranges graffitis ornaient les murs : “Orang pôvre tâche“, “singe lubrik de mes 2“, “t’as le bonjour d’Alfred“, “souviens-toi de moi“, “mort aux cons“…
On pouvait y distinguer à même le sol, entre les débris de verre, des traces huileuses, des papiers écrits de sa propre main, ainsi que des dessins aberrants, représentant une peuplade hybride et déchue à la morphologie difforme, habitant comme le laissait supposer le dessin, une plaine aride que surplombait un soleil noir.
Par les médecins de l’hôpital où il avait été admis, j’appris qu’il était brûlé à 99%, un incendie causé par quelqu’un d’inconnu alors qu’il se cachait dans un sarcophage pour faire une blague à son meilleur ami…!
Il avait une copine qui habitait maintenant dans un petit village situé au Guatemala, elle en avait eu ras-le-bol des folies lubriques de son grand singe, 10 fois par jour c’était trop !
Son frère s’était fait bonze au Tibet, non loin du très mystique plateau de l’Himalaya.
Et sa seconde petite amie, une urologue onaniste, quant à elle, s’était remariée à un très riche armateur grec rencontré à Monaco, décédé depuis peu, qui lui avait légué toute sa fortune, une fortune en diadèmes et en bijoux, vestiges de civilisations passées, mais aussi divers documents compromettants.
Elle avait conservé un visage angélique.
Une longue chevelure brune caressait ses joues pâles, et ses yeux bleu-vert avaient les reflets de l’océan. Sa robe laissait deviner le galbe d’un corps aux courbes parfaites.
Un corps qui aurait pu être une source d’inspiration pour de nombreux peintres.
En cet instant même, rien que d’y penser, je me trouvais dans un état de turgescence extrême.
La première partie de son manuscrit en disait déjà beaucoup, à la condition toutefois de savoir lire entre les lignes et d’être un érudit pour, en saisir les termes obscurs qui faisaient allusion à une statue pourvue d’une vie chimérique, douée d’une vie primitive et ancestrale, renfermant les secrets enterrés à jamais de diverses civilisations passées, ayant servi des siècles durant à aviver les légendes.
La deuxième partie du manuscrit faisait état de ses réflexions : « Je viens de faire une découverte extraordinaire, mais je ne peux la dévoiler aux scientifiques, de peur qu’ils me prennent pour un fou. Coucher sur le papier le cheminement de mes recherches m’est difficile. Je vais toutefois tâcher de m’expliquer clairement. Lorsque l’être humain pénètre dans l’univers de Morphée, il parcourt des mondes extraordinaires dans la plus totale inconscience. Le lendemain, il aura oublié ces visions oniriques dans la plupart des cas. Maintenant, si l’on s’efforçait de donner à nos rêves une forme matérielle et concrète grâce au psychisme, si la pensée artificielle devenait réalité, si un sentiment pouvait être touché réellement, si on pouvait respirer l’air des étoiles, si le don d’ubiquité devenait accessible à tous, si le rêve d’Icare n’était plus un rêve, si on croit en l’immortalité et qu’on est prêt à accepter cette théorie, alors on comprendra…. On peut en faire l’expérience en fixant intensément les yeux de la statue d’Orang-outan située dans le tombeau des secrets interdits… C’est un endroit maudit depuis qu’il fut la scène d’un terrible massacre. Cela remonte à la nuit des temps. Afin d’apaiser la colère des dieux, le sorcier du village qui avait pris l’apparence d’un Orang-outan ordonna à la population de se mutiler puis de se tuer. Des os humains furent retrouvés. Certains étaient réduits en poussière, laissant imaginer avec quelle sauvagerie ils s’étaient suicidés. Certains soirs, on entend, aux dires des habitants, d’étranges cris les soirs sans lune. Certains affirment que des esprits damnés hanteraient ce lieu à la recherche de l’âme du sorcier, pour sauver leurs âmes et tout ce qui pourrait l’être »…
Je ne sais si ce fut à la lecture de la troisième et dernière partie du manuscrit, mais mes pensées furent un peu plus confuses, mon esprit embrumé, des silhouettes sombres s’évaporaient en chuchotant dans une langue qui me semblait familière, je ne savais que penser, sauf que c’était horrible !
Aucun être humain ne pouvait concevoir ça…
Seul un fou lubrique avait pu écrire de telles choses, un fou qui avait vu des choses qu’aucun être humain ne pouvait comprendre dans notre monde basé sur la géométrie à trois dimensions.
Il avait suivi la courbe de l’espace, franchi les barrières de l’infini, supplanté les limites de l’inconnu, pénétré l’intimité des morts !…
Et alors il avait vu…
Il avait compris… et il en avait perdu la raison.
Ses écrits étaient dantesques…: « Je pense rester chez moi, pour ma dernière nuit. Ma p’tit meuf pleure tout le temps, elle prétend que je hurle dans mon sommeil. Ainsi que je l’ai exprimé, il est possible de projeter une pensée en une forme matérielle. Eh bien, cette expérience, je l’ai réalisée, je l’ai vécue, et je n’ose en imaginer les conséquences… La statue me fixe. Seule la lune, de sa clarté blafarde, éclaire les lieux. Et l’astre des nuits, ce soir, doit impérativement briller. Les sept étoiles de la constellation de la pléiade sont alignées. Ce phénomène se produit une fois tous les trois cents ans, et nous sommes parvenus précisément en ce jour. Alors à mon tour, je scrute la statue. Au plus profond de mon être, je ne pense qu’à entrer en totale communion avec elle et je prononce les mots magiques… »
Je prononçai alors les mêmes mots tout en fixant intensément les yeux de la statue…
Soudain la pièce bascula, les murs s’effacèrent, la lumière qui m’entourait se fit son, et le son se fit image.
Je réalisai dans quel univers chaotique je me trouvais.
Je n’étais plus moi, j’étais bien plus.
Je devenais un gaz éthéré.
Mieux encore, j’étais devenu à moi seul une entité.
Je vis défiler le passé et le présent…
Je vis Attila et sa horde crasseuse, s’adonner à des actes barbares innommables, je fus témoin de guerres abominables et destructrices qu’aucun livre d’histoire ne relate…, j’assistai au règne sur terre d’un roi unique, assis sur un trône qui flottait au milieu du Pacifique.
Je constatais tout cela, et j’étais impuissant.
Je ne pouvais rien dire ni rien faire.
De plus, je vis la réincarnation de la statue, hideuse, aux formes humaines, se matérialiser devant moi.
Elle me fit signe de venir, avec ses mains aux prolongements griffus, afin que je rejoigne son monde.
Sa silhouette m’était familière sans pourtant que je la reconnaisse, et elle m’appelait d’une voix sifflante par mon deuxième prénom que peu de mes intimes connaissent.
Mais je ne voulais pas lui obéir, car j’avais peur !
J’étais victime de mes recherches, avide d’un savoir de secrets interdits réservés seulement aux dieux.
Soudain, un brouillard glauque vint envahir mon cerveau, laissant place de nouveau au présent auquel j’appartenais.
Les murs réapparurent…
Je me trouvais dans le tombeau, glacial, reprenant péniblement mes esprits.
La statue, figée et insolente, des bruits de reptation dans mon dos, des sifflements venus de nulle part…
Les images bleutées de ces réminiscences se dissipèrent peu à peu pour laisser place au tombeau, qui se présentait méprisant et glacial à mes yeux rougis par les pleurs.
Après avoir ouvert le cercueil, je crois que je tombai évanoui.
J’ai le souvenir des yeux perçants de la statue, puis celui de mon propre regard qui dérivait à l’intérieur de la sépulture.
C’était l’horreur à l’état pur, l’indicible momifié.
J’ai brûlé le manuscrit puis mit le feu au cercueil.
J’ai entendu distinctement : « Piting de piting ! C’tune blague à la con, piting, laissez-moi sortir, au secours, au sec…. », une voix connue, c’était lui, Orang-outan, le singe lubrique….
Ces événements se sont déroulés il y a seize jours…
Et pourtant, dans mon sommeil agité, je ne parviens pas à chasser la vision des yeux exorbités d’Orang-outan derrière son masque, semblables à ceux d’un homme ayant vu une porte ouverte sur le surnaturel.
Et pourquoi le rictus imprimé sur ses lèvres m’évoque-t-il un sourire si familier ?
Pourquoi ?…
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ANNEXE.
Seize jours plus tard.
Mercredi 13 juin 2007 14h34, carnet de bord.
Je m’appelle Latâche. Je n’ai plus revu mon voisin depuis bientôt deux semaines. Hélas… et combien je le déplore.
Deux ans déjà que le site-web des secrets interdits a été effacé, emportant avec lui tous ses secrets interdits, dont les fameux manuscrits et écrits d’Orang-outan. J’entreprends l’écriture d’un livre rapportant ses conneries mais malheureusement, jusqu’ici je n’ai pas retrouvé sa trace. Pas plus que je n’ai pu localiser celui qui en fut l’éditeur. Je dois me résoudre à penser que tout a été manigancé pour effacer à tout jamais la trace des découvertes de cette personnalité hors du commun…
Il était écrit dans la dernière partie de son manuscrit, que la silhouette à l’apparence humaine de la statue réincarnée lui était familière. Il mentionnait aussi que la chose l’avait appelé par son deuxième prénom. Mais comment pouvait-elle le connaître, à moins d’être l’une de ses proches connaissances ?…
Après de multiples recherches, je viens de comprendre une infime partie de ce qu’il a pu vivre à travers ses expériences. En revanche, je sais à présent et de manière précise, qui est la réincarnation se cachant derrière la statue, appartenant à un monde souterrain et différent du nôtre. Orang-outan a dérangé des êtres monstrueux plongés en état de léthargie depuis des siècles, et réveillé leur instinct de domination en ouvrant une brèche sur notre univers. L’approfondissement de mes études a déclenché en moi le syndrome qui le perdit. Coïncidences ou symptôme paranoïaque, j’entends à mon tour d’étranges grognements…
Mes cauchemars ont recommencé. Les silhouettes qui avaient disparu hantent de nouveau mes nuits. Et cela devient de plus en plus fréquent, à tel point que j’ai peur de dormir. J’essaye de rester éveillé le plus longtemps possible mais la pression du sommeil se fait trop intense et je tombe dans un sommeil lourd et profond. C’est sans doute à ce moment-là qu’elles se manifestent.
Je crois percevoir que ces choses habillées de capes noires ont un rapport avec mon histoire. Mais je n’arrive pas réellement à décrypter leurs chuchotements inquiétants. Je me refuse à croire ce qu’elles veulent me faire admettre entre deux sifflements hideux. Mais hélas ! Ce que je ne devrais pas entendre, je le comprends désormais. Ces bribes de phrases qui n’auraient jamais dû être écoutées me révèlent froidement mon lien de sang avec elles !
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Mercredi 13 juin 2007, 15h12, hôpital psychiatrique de Sainte-Anne.
– Que se passe-t-il, mademoiselle ?
– C’est le patient de la chambre 24, docteur. Il est en proie à des hallucinations de plus en plus rapprochées… Il parle constamment d’une statue ainsi que de monstres aquatiques surgis du passé. Il prétend que ces choses l’interpellent, et qu’elles se manifestent à lui par légions durant son sommeil. Il affirme aussi que le chef de ces hordes imaginaires a un nom, qu’il marmonne sans cesse comme “Quelqu’un”, je crois…, et une phrase qui revient sans arrèt : “Piting de piting, c’était juste pour me marrer”…
– Vous croyez qu’on pourra le sauver ?
– Sauf ses testicules et son pénis, trop gravement brûlés, on a amputé, tout coupé à la base et placé un tuyau en plastique…