Le Seigneur de l’univers…
Le grand nuage, à droite de la voix lactée, pavoisait, sombre et menaçant.
C’était jour de procès dans la Maison Dieu.
Toute une armée d’avocats s’activait fébrilement, époussetait les tenues, relisait les notes.
A l’intérieur du tribunal régnait une ambiance retenue, quasi religieuse.
Le public prenait place peu à peu sur les bancs.
Ça se bousculait bien un peu pour, vite, vite, trouver le meilleur angle de vue, s’asseoir là où rien ne pourrait échapper des plaidoiries et autres envolées.
Les journalistes tentaient de se faufiler dans la salle, mais il était strictement interdit de filmer les débats et ces derniers étaient impitoyablement refoulés par les angéliques gardiens de ce temple là.
Enfin arriva l’heure du procès.
Le Président entra, en majesté.
Tout le monde l’appelait “Seigneur”…, il était impressionnant de calme… et de froideur aussi, probablement incapable de la moindre émotion.
Il incarnait la justice, qui, comme chacun sait, n’est ni bien, ni mal, mais “est”, tout simplement.
De son marteau, il frappa sur l’autel où il trônait.
Immédiatement, un religieux silence s’installa.
A sa droite, siégeait un barbu famélique, c’était l’avocat commis d’office à la défense.
A sa gauche, l’avocat du Diable, un homme séduisant, diaphane et d’une belle carnation, souriait et semblait bien sûr de son fait.
Il représentait l’accusation et serait chargé des réquisitoires.
Ce jour là, il y avait trois cas à étudier, ce qui était peu, par rapport à la charge habituelle.
Mais le troisième procès était supposé, en principe, s’éterniser et demander de longs temps de polémique, c’est pourquoi le programme n’avait pas été trop rempli.
La première planète mise en jugement ne posait pas de problème particulier.
C’était un cas connu, c’était une planète en gestation qui venait de démarrer son cycle de vie.
Elle était sortie de l’état fœtal et commençait à se couvrir de grandes forêts primaires et luxuriantes.
Quelques créatures avaient cependant eu le culot de vouloir évoluer trop vite et un semblant d’intelligence tentait de prendre le pouvoir.
C’était bien trop tôt.
L’avocat du Diable, comme à son habitude, demanda la destruction.
Le Famélique plaida pour une semonce sérieuse…, il obtint gain de cause et l’envoi d’une météorite géante fut le verdict émis, aussitôt exécutoire, par le Seigneur.
Le deuxième procès concernait un astre évoluant autour d’une géante gazeuse.
Il essayait, en douce, de se donner une atmosphère et un embryon de protozoaire s’agitait dans les lacs de méthanol qui le couvraient.
Les astres n’étant pas autorisés par le règlement à changer de destination, il fut purement et simplement anéanti, sur requête de l’accusation.
Le Famélique ne tenta pas de défendre le renégat, c’était une cause perdue d’avance.
Un frisson parcourut la salle.
On allait enfin parler de la troisième planète : Terre…
C’était pour elle que les notables du coin avaient patienté des heures.
C’était pour elle que ces dames avaient sorti leurs plus jolis chapeaux.
Le tribunal se donnait des airs de cocktail très prout-prout, comme chaque fois qu’on vernissait un nouvel artiste tout juste débarqué de sa précédente vie.
Un assesseur résuma la situation et les griefs qui étaient faits à ladite planète.
– Il est reproché à la Planète Terre, d’avoir versé dans la superstition, d’honorer la magie et de se vautrer dans le stupre et le lucre une fois l’an, lors d’une fête appelée Halloween. Planète Terre devient chaque année plus audacieuse dans la célébration de ce jour là, au point que, dans le monde des ombres, on s’agite, on s’affole, on espère que cette activité va enfin libérer les âmes perdues de leurs limbes. La situation devient préoccupante…
Il y eut un long défilé de témoins.
Furent appelés à la barre les religieuses afin qu’elles relatent le laisser aller des mœurs.
On entendit les parjures, les sans foi, les blasphémateurs, pour l’occasion tirés de leur enfer, conter, avec délectation, leurs débordements.
Les innocents dirent les méchancetés qu’ils avaient à subir.
Les témoins à charge ne manquaient certes pas.
Il fut plus difficile de trouver des témoins de la défense.
Un pauvre homme vint expliquer que l’existence était bien dure sur la Terre… et que cette nuit là permettait juste de défouler les angoisses, de rire à se faire peur et de distribuer des bonbons aux enfants.
Un autre vint décrire ce qu’il avait vu.
Mais au bout d’un moment, on se rendit compte que le bonhomme s’était trompé de procès.
Il parlait du Diable Vauvert.
Il fut renvoyé sur son cumulus manu militari.
Et puis vint le moment du réquisitoire de l’accusateur public et de la plaidoirie de la défense.
L’assemblée frissonnait d’une espèce de plaisir un peu sadique.
Beaucoup des présents avaient connus une existence, qui misérable, qui opulente, sur Planète Terre…
Certains avaient encore des attaches sentimentales là en bas.
Ceux là, d’ailleurs, ne s’amusaient pas vraiment.
Comme à son habitude, l’avocat du Diable demanda la destruction pure et simple de la Planète Terre.
D’ailleurs, il avait des arguments, le bougre.
La cacophonie incessante qui montait de cette terre là, jusqu’aux nuages, devenait chaque jour plus insupportable.
Les âmes arrivaient délabrées et les infirmiers se faisaient affecter à d’autres clients dès qu’ils avaient l’ancienneté requise.
Et que dire de l’Enfer, l’enfer refusait certains délits, qu’il considérait mineurs, n’ayant plus ni place ni tortionnaires à affecter aux damnés originaires de la Planète Terre.
Le Famélique, comme à son habitude, défendit la Planète Terre, arguant du fait qu’il y avait longtemps qu’elle avait été abandonnée, oubliée.
Seigneur ne lui avait pas envoyé de prophète depuis plus de cinq cents ans.
C’était assez normal qu’elle versât dans la superstition et le spiritisme.
Il évoqua, avec des larmes dans la voix, toutes les beautés de la Planète Terre et la bonté qui émanait de certains êtres.
Il supplia d’épargner l’accusée.
Il faut dire qu’elle lui tenait particulièrement à cœur, cette planète.
Il avait eu l’occasion de faire un court séjour en ces lieux, il y a une paire de millénaires.
La cour, c’est à dire Seigneur, se retira dans son temple.
Il était temps de casser une petite graine, les débats avaient traîné.
Quand ce Juge suprême revint, reposé et repu, un bouillonnement fébrile attendait le verdict.
Planète Terre fut lourdement condamnée.
La prochaine fois qu’elle oserait fêter halloween, les sept cavaliers de l’apocalypse avaient pour mission de prendre les fêtards au mot.
Ils auraient des sorcières à foison, des vampires à chaque coin de rue, des fantômes dans chaque lit.
Ah ! ils voulaient de la peur, de la terreur, ils en auraient.
Foi de Seigneur.
Déjà, les squelettes lustraient leurs ossements.
Les gnomes inventaient des tours pendables, gloussant par avance.
Les zombies prenaient l’apéro en grignotant des rats.
Le verdict paru clément aux acharnés de la destruction… et particulièrement sévère à ceux qui regardaient avec tendresse ce monde là s’agiter.
Mais tous, ils se précipitèrent pour rejoindre le théâtre des planètes.
C’est là que les informations les plus importantes étaient envoyées sur grand écran.
C’est là que les incidents des planètes étaient montrés en direct-live.
Sur la Planète Terre, un jour nouveau se levait…
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