Le sexe des anges… Une chambre d’hôtel inconfortable, pas dans le côté de l’Europe qui vit douillettement, mais à quelques centaines de kilomètres de là, ou un malheur de sang rôde toujours.
Notre Europe-Autruche qui n’a toujours pas compris qu’elle, aussi, un jour, à force de chômages, d’injustices sociales, d’éducation qui se dégrade, de manque de courage politique et de grands hommes d’état, pourrait, elle aussi, voir arriver une vilaine faucheuse avec des farces tragiques dans les mains.
Champs de bataille.
C’est l’un de ces lendemains de fête, où tout est encore dans le brouillard, dans un silence feutré, où tout a un goût de gerbe.
Des vestiges de soirée trônent ici et là, des bouteilles, des chips égarés, un verre de vodka à moitié plein…, des gens déambulent à pas sourds, je ne distingue plus qui est qui, du moins, j’ai du mal.
J’ai récolté un bleu énorme sur le nez et un autre sur la cuisse, mes yeux sont collés, et mes cheveux ont sans doute trempé dans le vomi, vu leur aspect.
J’ai des photos louches sur mon mobile, je suis dans un état proche du coma.
Une fille est en train de cloper à la fenêtre, une autre est couchée par terre…, Guy qui veut finir son verre, trébuche sur un pied nu non identifié.
Tout est lent, difficile… et tout semble hésitant.
Dirty Trip…
Je viens de me lever, je suis encore un peu dans le brouillard, et je tente de me souvenir de ce qui fut la nuit dernière… en buvant deux tasses de thé, d’abord celui au jasmin, puis un thé vert assez spécial, que je bois affalé comme un pacha dans mon fauteuil , face à la fenêtre.
Je lis consciencieusement un article dans un magazine de névroses auquel Guy est abonné : “Science & Avenir”, un truc un peu trop bobo-qui-se-la-joue-écolo, si vous voulez mon avis, pas rigolo, genre, le truc que je ne le lirais que si je n’avais absolument rien d’autre à f…, en temps normal…., le genre qui expose habituellement des enquêtes relativement inutiles et inintéressantes du style : “le chien remue-t-il vraiment la queue lorsqu’il est content?”…, enfin, vous avez une petite idée de la chose, quoi…
Et nom d’une moule pédophile, cette fois-ci, un article de trois pages est consacré à un sujet certes attractif, amen, mais fichtrement mal venu : “Le cerveau des femmes décrypté”.
“L’évènement mondial”, qu’ils titrent.
Rien que le titre me hérisse les poils, et youpi tralala, voilà qui ne présage rien de très peace&love, je peux vous l’assurer… et même vous le jurer sur la tête des lecteurs et lectrices de GatsbyOnline.com.
Ce magazine doit impérativement être gardé hors de la vue des bobos et autres beaufs, qui, le connaissant, si ils le lisaient, croiraient sur parole chaque affirmation s’y trouvant, aussi absurde soient-elles…
Entre alors la bosniaque au physique de poètesse-rock star, le genre de femme à vivre sur ses nerfs et à faire semblant qu’elle est en paix avec elle-même… avec qui je me souviens vaguement avoir discuté la veille, du sexe des anges…
– Tu es un dandy grunge en pantoufles de baroudeur…, me dit-elle en riant…, tu rêves éveillé, pas étonnant que tu mets tant d’énergie kitsch dans tes textes, n’est-ce pas parce que tu veux échapper au temps qui passe en faisant la nique aux paons d’honneur ?
– L’énergie…, que je réponds…, l’énergie, le grand bordel…
On discute immédiatement de ce mot.
– On comprend comment un savant fabrique l’énergie d’une centrale…., mais que fait un artiste pour qu’elle naisse ?
– L’énergie a la violence désemparée d’un jongleur remplaçant ses boules de bois par des grenades dégoupillées !
– Quel est ton secret pour que les personnes qui te lisent, reçoivent les sens et double-sens avec la force d’un baril de poudre qui explose ?
– Je regarde, encore et encore. Je me pose des questions… et elles ne sont pas inutiles, puisque je travaille aussi avec des images…
– Pourquoi leurs artefacts, qui n’ont pas la parole, me parlent tant et avec une telle énergie ?
– Le drame est que l’énergie que lisent les lecteurs et lectrices de GatsbyOnline sur leur écran d’ordinateur, ne reflète pas toujours exactement l’énergie que je cherche à exprimer, celle que je possède en moi et que je veux donner.
– Souvent, on rencontre des gens qui, dans leur vie, sont très énergétiques, qui ont des points de vue aiguisés… mais leurs textes sont faiblards. Pourquoi ?
– Parce qu’ils n’osent pas suffisamment libérer leurs émotions…
– Il est vrai que libérer sincèrement ses émotions sur le Web met ceux qui l’osent, en danger !
– J’en sais quelque chose ! Croyez-moi : certains digèrent mal l’intellectualisme, par contre, beaucoup de gens avalent avec gourmandise les vibrations des âmes… Je tente de m’impliquer avec violence dans mes articles, je m’en obsède, je m’en délire pour que le courant passe bien. En fait, le secret consiste à réussir à transmettre ce qui bouillonne…
– Si, comme moi, tu étais né à Sarajevo, tu pourrais encore mieux jouer avec les images et les mots en les faisant danser sur la musique de jazz typique de Sarajevo et pas sur le swing des rues de New York…
– Pour donner de l’énergie à des images et des mots, on doit avoir le contrôle du bruit de son sang.
– Et l’utopie, bordel ! L’homme n’est-il pas confronté avec ce terrible dilemme : il ne peut vivre sans utopie et, quand il en a une, elle s’écroule et ses briques lui tombent sur la tête…
– L’utopie est un rêve et l’utopie est un cauchemar.
– Que faire, vingt dieux ! D’autant que la manipulation et les manipulateurs ne sont pas confinés dans les pays de l’Est, mais, aussi, bien présents dans l’Europe occidentale où les puissants nous mentent, nous roulent, nous transforment en fumier qui fera pousser des billets de banque sur leurs champs !
– Vous avez raison. Et c’est dur à supporter… Je vous fais une métaphore. Comment ne pas attraper le cancer ? D’abord en ne fumant pas. Ensuite, en ne s’exposant pas au soleil. Mais tout notre siècle nous a reliés aux industries, telles celles de la cigarette et il y en a de pires, qui nous empoisonnent et qui, en même temps, fournissent du travail aux gens. Et comment échapper au soleil ! Le soleil n’est-il pas le plus merveilleux don de la nature ? Que faire… Personne n’a de solutions. La vie est si complexe. Alors, acceptons l’utopie, elle fait rêver, elle gonfle l’âme, c’est déjà ça, même si elle peut être dangereuse. Quant à la manipulation… Nous la pratiquons tous. Nous nous tuons les uns les autres avec elle ! Il faudrait réorganiser la société avec des sources d’informations fiables pour que nous soyons capables de juger ce qui est bon ou mauvais pour notre destin.
– Là, Quelqu’un…, tu retombes dans l’utopie ! Car les puissants se servent des fausses informations sur le monde pour nous perdre dans un labyrinthe à la Kafka et pour que nous ne puissions plus rien décider par nous-mêmes.
– Mes mots ont parfois un parfum marxiste, je sais. Pourtant, je ne suis pas marxiste, croyez-moi. Ma philosophie sur l’existence est naturelle, instinctive, émotionnelle. Beaucoup d’articles de presse et de livres publiés aux USA et traduits pour alimenter les presses européennes sont de la propagande… Le cinéma s’empare ensuite de ces inventions pour créer des films présentés comme des évènements cinématographiques et des oeuvres du septième art, alors que c’est de la propagande Hollywoodienne et qui, de plus en plus vite, transforme notre façon de vivre par ses modèles ! Hollywood a inventé le ciné de propagande et montré aux nations comment le diffuser au mieux avec des messages mensongers qui entrent fort dans les esprits… Et Hollywood envahit de plus en plus la planète : je hurle contre ce septième art obligatoire et unique, comme il y a la pensée unique. Lorsque je quitte l’univers de GatsbyOnline et que j’ose dire ces mêmes faits en public, les gens me regardent avec le même dégoût que si je faisais caca devant-eux.
– Souvent tes textes mélangent plusieurs fils, dégagent un maximum de vibrations et m’apprennent ce qu’est vraiment la société : Je te donnes une définition plus simple : ils me poussent à m’engager émotionnellement, voilà !
– Il y a deux manières de réaliser un article, tout comme un texte : la première comme les journaleux, écrire un texte qui ne pose aucune question sur le monde…, la seconde, c’est la mienne, mettre ses joies, ses colères, ses haines, ses amours, ses folies. Remplir d’émotions… Et ne pas résister à y dire des choses cyniques enrobées d’un déjantââââge calculé… et saupoudrées d’humour avec quantités de subtilités…, on ne va loin qu’en prenant des risques. Je ne me distancie jamais de mes sujets, j’y combats.
– Voilà pourquoi certains t’attaquent…, ne supportant pas tes rythmes vrais de la réalité dans son désordre.
– Et vous ?
– Je suis un prototype unique et sans précédent, je me situe à mi-chemin entre une existence où règne la débauche… et l’âge post-adulte, que je redoute, que chacun redoute. Je me situe entre la gare d’ici, et une gare inconnue. Je regrette tout un tas de choses, tout le temps. J’ai également la capacité de changer d’humeur d’une minute à une autre…, et pourtant, je n’ai aucun problème psy : cherche l’erreur, Quelqu’un… Sinon, j’aime le sexe, les drogues, l’alcool, et la bonne musique. Proportionnellement, je mange trop de pâtes par rapport à la quantité d’alcool que j’ingurgite quand l’occasion se présente. Et ça me pourrit la vie. Ouais ! Et mes cheveux sont faux, et mes seins ont l’air refaits. Et je dois admettre que l’abus m’a longtemps démangé. Cela dit, aujourd’hui, il me bouffe, me dévore à pleine dents, me saigne à blanc et me frappe avec un gant, tant qu’à faire… et pour la rime. Je vis dans l’excès, l’abus, appelle ça comme tu voudras… Je passe ma vie dans des bains moussants à la pomme. Ma religion est le clochardisme chic.
– Soit. Bienvenue…
– Je me sens assez bien. J’aimerais être moins flippante. J’aimerais faire tout un tas de voyages. J’aimerais avoir un arbre à fric. Je lis pour l’instant un vieux bouquin, le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Je fume trop, et n’importe quoi. J’espère sortir très vite de cet hiver de vie. Je joue dans un groupe d’enfoirés. Je suis en manque de de sommeil, d’argent et de confiance… Je suis amoureuse…, infiniment, cependant…, bof !
– Quoi : Bof !?!?
– J’achète tout ce qui peut contribuer à assouvir mon obsession pour les lunettes et les chaussures. Je pleure trop souvent à mon goût devant des séries à l’eau de rose. Et parce qu’on me prend souvent pour une abrutie aussi. Je ris très fort, très bizarrement… et pour rien. J’aime Dita Von Teese. Je hais les Don Juan, les fins de mois difficiles, le théâtre théorique, qu’on me mente, je déteste Arielle Dombasle…
– Ca tombe bien parce que…
– J’ai lu…, c’est bien…, c’est une pouffe ! Elle me rend mal à l’aise. J’aime l’amour passionnel, fougueux, extravagant, tout le temps et partout. Mes amis finissent par se faire rare, à force de me voir mourir. J’aimerais rencontrer tout un tas de gens morts ou imaginaires. J’aimerais préciser que je ne suis pas née avec des lobes élargis comme Arielle Dombasle. J’admire l’oeuvre de Kevin Shields. J’admire la musique de My Bloody Valentine, Bowie, Pink Floyd, Led Zep, In Flames, Duke Ellington… et une tonne d’autres. Je photographie des trucs sans intêret, avec un Holga pourri et des pellicules de 120…
– Ah oui, cool… Il ne manquerait plus qu’un flash au magnésium !
– Je peins… peignais. Je dessine des choses immondes. Je chante dès qu’il y a de la musique, dans la rue, sous la douche, en dormant. Mon corps me plaît comme ça. Mon nez est typé croate, je te passe les détails… J’ai de la peinture plein les bras, les doigts en couleur acrylique qui s’enlève en mordant un peu dedans. Des petits morceaux, comme des miettes de plastique, qui se coincent entre mes dents. Un goût de métal mou ! Peut être bien qu’un jour, le plomb me tuera…
– J’écrirai vous concernant dans un prochain article : Cette petite est morte parce qu’elle vivait dans des matières toxiques…
– Tu sais, Quelqu’un…, être artiste c’est savoir qu’on va finir dans un lit d’hôpital avec trois cancers. Ah oui, oui oui…
– Et dire qu’on vit dans une époque dite civilisée !
– Je lis, dessine et peint beaucoup parce que je suis très angoissée et que tout est aspiré quand je ne pense plus qu’aux couleurs, aux mots. Je me nourris exclusivement de soupe à la tomate, de whisky, de café noir, pour me tenir éveillée dans mon délire insomniaque, coûte que coûte. Je te lis parce que j’ai parfois lu du mal de toi alors qu’en fait j’ai beaucoup de mal à fourrer mon nez dans un bouquin parce que tout le monde en parle, ça bloque mon envie. J’ai peur que mon opinion soit façonnée…
– C’est peut être un genre de réaction snob et élitiste. La dimension du rêve contre celle du temps, le vrai…
– En lisant tes textes, souvent, je reconstitue les images, comme un film. Je relis. Ça tremble. Je veux être sincère avec moi même pour prendre du recul après, quand je te relis. Le recul, j’en ai pris, ça oui. Je me sens un peu perdue. C’est comme une fin alternative. Je m’étais tellement persuadée de quelque chose que la réalité me semble absurde et me déboussole. C’est pas que je sois seule, pas vraiment, c’est que je ne suis pas avec toi…
– Oui, mais ça, c’est idiot…
– Je m’en rends compte, évidemment. Je me prends à chercher des signaux, des mots dans tes textes qui me seraient adressés et j’en vois partout. Mais l’instant d’après, j’ai un peu honte. Juste un peu parce qu’au fond c’est mignon, non ? Non, évidemment, c’est idiot. Et illusoire. Je finis par oublier le reste, le travail, le temps, le sommeil. Je me remets difficilement aux habitudes. Pire, aux mécanismes !
– C’est une admiration secrète ?
– En quelque sorte, j’aime les secrets partagés entre amis, les bribes de conversations subrepticement capturées, celles qui font penser que tout va si bien. Celles aussi qui font vivre bien.
– C’est délectable. J’aurais presque envie de parler de cercle vicieux, sans vouloir tomber dans le lieu commun.
– Oui, bon, je suis toujours dans le lieu commun. En tout cas, complètement… Il faut croire que c’est un cas clinique chez moi, de m’intéresser à la vie trépidante de Quelqu’un et d’en faire tout un pataquès.
– Merci…
– Bof ! Tout ça m’a foutu en rogne de bon matin. Et puis d’ailleurs, j’ai autre chose à faire, je vais me droguer puis devenir schizophrène, et enfin jouer à un jeu vidéo violent où l’on tue Quelqu’un, ce qui me fera sans doute possible atteindre un stade d’agressivité extrême… et pourquoi pas me destiner à une carrière de serial killeuse, for sure ! Allez, à plus…
– Un fil évident vous lie à la vie dans ce qu’elle a de lumineux et de tempétueux. Et vous ne semblez pas picorer la vie, vous l’engloutissez avec une gourmandise désarmante, n’hésitant pas à accentuer votre appétit des gens et de l’art en mettant en évidence votre part de comédienne qui sait qu’elle fait rire pour aimer, être aimée et chasser les mélancolies d’enfer qui s’abattent.
– Et toi, Quelqu’un, tu es un peu comme Estragon, l’Auguste perdu d’En attendant Godot, mais en plus rabelaisien et avec la volonté de mettre en évidence que la douceur existe à côté du malheur… Pour illustrer cela, une image, la dernière que je garde de toi. C’était à la fin de l’été, dans un resto où tu as tes habitudes. Tu discutais littérature avec deux jeunes femmes. Bavardages animés, drôles, avec des rêves d’étoiles. Soudain, tu t’es levé, a montré du doigt la terrasse du café inondée d’un soleil beau et étrange. De ton pas dansé d’ours jamais domestiqué, tu as marché lentement jusqu’à la terrasse, t’y es planté, jambes écartées pour bien sentir le sol et tu t’y es inondé de lumière et d’éphémère pour, finalement, tendre ton verre de Mojito vers le dernier soleil chaleureux d’avant l’automne… Je me suis dit : Cet homme-là, sa vie est son chef-d’oeuvre.
– Curieux de tout, je ne suis pas un mondain mais un moteur qui explose dans un désordre provocant, tout ce que j’ai vu, adoré ou détesté avec, parfois, une poésie d’une mauvaise foi grandiose ! Je suis un découvreur, un harceleur de médiocres, un homme qui fait en toute conscience des songes trop grands pour ne jamais penser petit !
– En n’habillant jamais tes opinions de gants blancs. Tu prends parti, parfois parti pris, aimé ou haï par ceux sur qui s’abattent sur tes lignes féroces, humoristiques, gargantuesques…
– J’enfonce profond le couteau ! Je suis un écrivain en voie de disparition ! Journalistiquement, je libère le vocabulaire, appelant un chat un chat, un sexe un sexe et un con un con.
– Ce qui malheureusement, dans le politiquement correct, est un handicap…
– Je pense être un catalyseur d’énergie, un chasseur de bêtises ! Je voudrais dédier mon destin à l’âme et au sublime. Mais mon corps me travaille, m’épuise de désirs. Je suis désespéré de comprendre que la quête de l’humain, malgré toute la littérature qui tente de le nier, se réduit à la conquête de quelques centimètres de muqueuses humides ou de quelques centimètres de chair érigée.
– La vie n’est qu’un espace superposé de quelques centimètres, lieu minime et infini qu’on appelle Dieu ou Satan pour oublier qu’il n’est que ça, et que tout nous y pousse, qu’il est la raison de tout : possession de l’argent, hiérarchie de la société, art…
– Un théâtre de quelques centimètres, qui refoule le piètre destin humain et tente de le masquer par l’hystérie de la sublimation. C’est un piège qui isole et étend une abominable frustration au monde qui nous entoure, créant des Hiroshima réels ou mentaux, vidant les espaces qui nous entourent, appelant les hordes des loups bruns et donc nous satisfaire nous-mêmes, donc hurler de déception… L’avenir a été détruit, sera toujours détruit car il est notre illusion ; il n’y a que le passé et ses images obsessionnelles qui peuvent détruire et dont on ne se délivre qu’en poussant un cri primal, celui oublié de l’enfant qu’on était quand tous les possibles s’offraient encore à une vie dont on ne savait pas encore qu’elle se termine un jour et qu’elle se brise peu à peu à coups de déceptions sur les autres et, surtout, sur soi-même : c’est ce qui délivre, passagèrement…
– Cassons tout cela, acceptons de faire le désert en nous pour voir quelles nouvelles plantes pousseront.
– Une révolution nécessaire.
– Et, si nous ne nous prenons pas en main, le monde s’en chargera, avec toute la folie du hasard, terrible telle cette guerre mondiale qui rôde.
– Je me sens parfois comme un prisonnier qui, de retour d’une longue peine, débarque soudain parmi les fracas, les hurlements de la vie. Je suis pris d’une curiosité impossible à réfréner. Je note, j’observe, je regarde partout, tout est irréel, fantastique, effrayant ou ridicule. J’attrape une poussière qui vole dans l’air, c’est peut-être le début d’un texte ou de la dignité. L’écriture doit être libre, éhontée, irresponsable, ressembler à une peau de serpent pleine de fourmis. Le serpent lui-même est mort depuis longtemps, vidé, privé de son venin, mais la peau bouge, pleine d’une vie diligente.
– Un secret mélé à un passé complexe et lours à supporter semble t’habiter, même s’il semble que tu as su le domestiquer et en même temps t’en servir pour nourrir ton œuvre. Tu es hallucinant à lire par l’accumulation d’expériences dont tu truffes tes textes, tu es un écrivain de la tension, de la pulsion, aussi physique que métaphysique. Tes sujets te hantent et occupent ta vie. Que se passerait-il si le Grand Créateur de l’Univers frappait à ta porte et te prouvait que sexe, amour, création, c’est-à-dire le carrousel humain qui fait la ronde autour du pénis que l’homme érige au centre de son destin, y compris artistique, ne sont rien du tout ? Qu’ils sont une quête vaine de l’humain. Qu’il y a autre chose à trouver, à chercher. Serais-tu effondré et triste d’avoir perdu ton temps de vivant pour rien ?
– Si cet Enquiquineur sonnait à ma porte, cela me serait bien égal ! Je ne suis pas homme à regretter le passé. Tant pis si la jouissance amoureuse n’est rien, tant pis si la création est vaine : ça m’a amusé, rendu heureux et malheureux parfois. En tout cas, cela fit bouillonner mon sang et ça m’a occupé ! Le Grand Enquiquineur n’a pas à choisir un chemin que je devrais suivre. De toute façon, Il se trompe si souvent. Et commet des conneries pires que les miennes ! Mais cela m’étonnerait qu’il y ait quelque chose de plus palpitant, d’agréable, d’aussi sérieux que la partie d’échecs qu’est la démarche consistant à persuader une femme de s’envoyer en l’air sur des draps blancs où des humains projettent leurs fantasmes et les transmettent à l’autre. On me fait une réputation de nostalgique.Je suis plutôt un type tourné vers demain. Heureusement car mes hiers sont souvent difficiles !
– Tu joues les modestes !
– Non ! Je suis comme Descartes, le philosophe, qui a écrit : ‘Je doute donc je pense. Donc je suis’… Quand on cite cette maxime fameuse, on oublie toujours que Descartes avait mis ‘Je doute’ au début de son équation de pensées et on réduit son axiome à un trop facile et lâche ‘Je pense donc je suis’ !
– Bon… Imaginons que tu meurs et que les nécrologies des journaux titrent que Quelqu’un s’était gonflé le cou avec sa quête de l’amour, du sexe et de la création, que ses textes, hantés par ces thèmes, sont bons pour la poubelle…
– Honnêtement, je me fous de cette perspective. Si, après mon décès, mes textes sont brûlés avec mon cercueil, dans un incinérateur, je m’en badigeonne le nombril avec le pinceau de l’indifférence… Je m’en fiche parce que je sais que mes pensées sur le sexe et l’amour sont, malgré ce que pensent certains, entrées en alchimie avec les neurones de quelques humains qui, comme moi, se sont peut-être trompés de quêtes et ont galopé derrière quelque chose qui n’existait pas. Si vous avez envie de faire partie de ce clan, soyez bienvenue ! On n’y vit pas dans un bonheur régulier et pépère, mais on y vit avec quelques bons pics !
– Tu me fais une réponse d’artiste. Je repose la question à l’homme, à la bête instinctive qu’est tout homme : ‘Et si le sexe n’était qu’un leurre inventé par le Grand Créateur pour peupler son royaume et nous faire agir à sa guise grâce à la carotte du plaisir ?’…
– J’ignorerais cette théorie si on me la proposait. En criant très fort : Je suis persuadé que, même si on se trompe de plaisir, on ne met pas son destin en danger quand on lui paye un tour de montagnes russes amoureuses ou physiques ! Ma chimie masculine… et créative est fortement catalysée grâce à cette kermesse entre les hommes et les femmes. Dois-je aller contre ma nature ? Cette chimie, masculine ou féminine, je crains, d’ailleurs, qu’un jour elle sera détruite par un de ces types ou une de ces associations qui veulent le bien de tout le monde et passent leur temps à interdire. Ils vont utiliser la haute technologie pour ça. Nous implanter dans le corps des minipuces d’ordinateurs qui nous rendront moins imprévisibles et convenables. Ou nous faire avaler des trucs chimiques qui nous transformeront en gentils légumes domestiqués ne rouspétant jamais. On va vers ça, j’en suis sûr. Un capitaine d’industries a déjà dû mettre des équipes de chercheurs sur cette piste. Quand la société aura réussi à nous jouer ce mauvais tour, on croira que le travail est le plaisir suprême, on rigolera de nos générations qui aimaient marivauder, rire, geindre, contester, baiser, on nous clouera au pilori du ridicule. Et on aura tort car on aura été manipulé pour enrichir des salauds du fric dérangés que leurs employés ne soient pas toujours sur le lieu de travail, bêlant ‘Merci, patron !’, ou en train de penser à leur travail mais, parfois, au creux d’un lit ou dans un musée à se câliner la peau ou le cerveau. Les puces et la chimie médicamenteuses de demain élimineront l’anxiété de l’humain…
– Plus de visites chez les psys ! Plus de problèmes existentiels !
– Un monde comme celui-là ne me semble pas très intéressant… Imaginez que, dans 30 ans, les savants du sans problème se penchent sur Hamlet. Décident de guérir ce personnage de Shakespeare. Son complexe d’OEdipe : une pilule, disparu ! Son ‘Etre ou ne pas être’, une puce dans son oreille et ça deviendra ‘Quel est le plus court trajet pour aller au boulot ?’.. S’il y a encore du boulot… Qu’est-ce qu’on va bâiller en regardant cette pièce ! Etre un vrai humain, finalement, c’est avoir des problèmes, je crois. Ce n’est pas parce que ce monde-là sera ennuyant et aliénant qu’il ne va pas nous tomber sur la tête. Une société formatée sur un modèle d’homme brave et tranquille, sans pulsions, est le rêve absolu de tous les tyrans de courant d’air absolus, et ce genre de tyran c’est bien plus Barak Obama et Mitt Roney que les pauvres bougres qui se font assassiner en Afghanistan, en Iraq, en Palestine et en Libye….
– Jamais, en matière d’art ou d’amour, on ne peut arriver à la perfection.
– C’est ce qui rend leur pratique si passionnante. On va au lit avec une femme, c’est grandiose mais… un quart d’heure plus tard, on pense déjà : ‘Tiens, il doit exister, quelque part, une fille encore mieux. Je veux connaître cette expérience !’… Et on est reparti vers une nouvelle aventure avec l’innocence et la ruse d’un gamin qui se fout d’attraper une claque parce qu’il va mordre dans un nouveau gâteau. Et ce que je dis là pour l’homme vaut aussi bien sûr pour la femme qui est, je crois, encore plus aventureuse, courageuse et curieuse que le mâle.
– En amour, mot qui est, peut-être, le vocable poétique pour sexe, qu’on soit un homme ou une femme, on est tous naïfs comme ces explorateurs qui partent en baskets pour atteindre le centre de la terre !
– Oui… Mais je crois que si cette naïveté se perd, les meilleurs d’entre nous deviennent des morts vivants qui, s’embêtant, se mettent à jouer avec la guerre, le racisme, l’intolérance, l’exploitation des plus faibles. L’humain n’est qu’un grand paquet d’illusions ! Sans elles, c’est le désespoir. Le suicide au moment où l’on sort du ventre de sa mère ! Je continue parce que je m’illusionne sur moi-même et sur la capacité du public d’encore adhérer à autre chose que des spectacles débiles. J’arrête sur ce sujet : la phrase que je viens de dire me plonge dans la dépression !
– A quelques détails près, tous les humains sont semblables.
– La moindre des politesses, pour ne pas ennuyer les autres qui nous ressemblent tant, est de mettre en avant la petite originalité qu’on possède.
– C’est moins facile qu’on ne le croit, il faut du courage pour sortir du troupeau surveillé par les chiens policiers.
– Nous sommes tous des fourmis vivant à ras de terre qui ne pouvons avoir un aperçu du vrai monde qu’en mettant les talons hauts du ‘je’ ! Méfiez-vous des gens qui vous reprochent d’être égotiste, ils disent ‘prétentieux’ pour faire mal et mettre les médiocres de leur côté !. Ceux-là rêvent d’un ‘je’ personnel disproportionné qui leur permettrait de soumettre les hommes autour d’eux. Et, comme ils n’ont pas les moyens intellectuels ou le don d’être différents et d’accéder à un ‘je’ individuel, ils jouent, alors, le ‘jeu’ de l’accession au pouvoir par tous les moyens, y compris les plus médiocres et les moins dignes. C’est parmi eux qu’on côtoie les chefs de bureau, les rancis de l’imaginaire, de la création et de la tolérance. Si un de ces imbéciles me lance : ‘Pour qui te prends-tu ? il n’y a qu’une réponse noble et humble : Je me prends pour moi!