Existe-t-il aujourd’hui passion plus creuse que les voyages ?
Le voyage de nos jours c’est la consolation du crétin !
D’ailleurs pas un seul jeu télévisé dans lequel, un candidat demeuré ne réponde à la question de l’animateur lui demandant ce qu’il va faire de ces gains inespérés : “Je vais m’offrir un beau voyage”.
Le “beau voyage” est à l’activité culturelle ce que le cinéma est à la littérature, un ersatz, de la bouillie pour imbéciles qui ont trouvé dans l’époque actuelle l’occasion de ne point paraitre trop idiots à peu de frais.
Je suis ravi d’appartenir à une génération qui voyageait peu.
Aujourd’hui tout le monde voyage.
Le voyage est dans l’air du temps.
Brassage des cultures, connaissance de l’autre, tout est là pour que le premier clampin venu aille souiller de ses baskets l’espace vital de quelqu’un qui ne lui a rien demandé.
Au mieux, parce que c’est devenu une activité économique on mettra en place une sorte de théâtre pour ces visiteurs du bout du monde afin de les contenter.
Toute l’année, mais encore plus aux beaux jours, je vois des hordes de touristes arpenter le pavé les yeux grands ouverts en suivant les commentaires qu’un guide aussi laid qu’eux leur propose.
Je me demande à chaque fois combien de ces crétins repartiront de l’endroit en sachant faire la différence entre une façade classique, une haussmannienne ou un immeuble commun du XVIIème siècle.
Et lorsque je les vois agglutinés en grappes inélégantes face à une église devant laquelle se trouve une étrange voiture, combien d’entre eux sauront ce sont l’une et l’autre, si tant est qu’ils aient pris de la peine de connaitre l’histoire.
Combien de ces veaux en maraude sortiront de leur passivité pour avoir envie de lire, de retour chez eux, les homélies de Bourdaloue et les oraisons de Bossuet ?
Quant à ceux qui s’estimant plus malins, voyagent seuls ou en couple, au motif que les groupes seraient pour les crétins, je ne suis pas sur qu’ils soient plus intéressants.
Il suffit, lorsque je déjeune en terrasse, de voir ce qu’ils consomment pour comprendre qu’à part le paysage de carte postale l’aspect culturel stricto sensu ne les passionne guère.
Lorsque l’Europe était encore balbutiante, il fallait des visas.
Quant aux pays de l’Est dans lesquels tout jeune va aujourd’hui, ils étaient encore sous le joug de la défunte URSS et ce n’était pas facile d’y aller.
De toute manière, la misère y régnait et à moins de vouloir bouffer du choux et des saucisses à la sciure sous le regard soupçonneux de la milice locale, on n’avait rien à y faire.
Et que dire du franc, monnaie si faible, qu’elle vous interdisait de voyager dans certains pays les plus riches.
Amusez-vous à regarder la parité franc/dollar et dites vous que les USA étaient à cette époque une destination pour quelques happy fews et non pas le voyage de monsieur tout le monde.
Les billets d’avions étaient hors de prix et les compagnies low-cost n’avaient pas encore pignon sur rue.
Mais les voyages étaient plus agréables.
Je me souviens encore des excellents repas et de la courtoisie du personnel des grandes compagnies aujourd’hui disparues comme TWA ou Pan-Am.
Les gens étaient plus élégants et savaient se tenir.
D’ailleurs un jour que je discutais avec un chef de cabine proche de la retraite, il ne cessa de se plaindre du comportement de cette horde de bœufs qu’embarquent aujourd’hui les compagnies.
En gros chacun restait chez soi et les vaches étaient bien gardées.
Quelques routards fauchés suivant la tradition initiée par la beat generation s’essayaient aux périples low cost et au moins avaient-ils le mérite d’accomplir un exploit.
D’autres, trainaient leur grosse carcasse sur des chantiers pour faire fonctionner des appareillages complexes sous des cieux exotiques en fréquentant les bouges locaux sans avoir l’impression d’être des aventuriers mais simplement d’accomplir un boulot.
Tandis qu’aujourd’hui les amateurs de voyages n’ont qu’à se munir de leur carte d’identité ou passeport de cliquer sur un site quelconque en communiquant le numéro de leur Visa.
Et si les jeunes, cette catégorie stupide et frelatée tant vantée par les médias qui ne se distingue que par son pouvoir d’achat coupé de toute activité de production, existait déjà, au moins leurs activités nuisibles s’exerçaient-elles plus discrètement.
Leurs rébellions stupides se cantonnaient à l’achat de disques vendus par des groupes chevelus les exploitant monstrueusement sous des abords culturels parce que le marchand malin dissimule toujours sa cupidité sous des croisades sociétales.
Aujourd’hui, le jeune se prend pour un grand et pire pour un arpenteur du monde, persuadé que sa sagacité et quelques cours médiocres ingurgités dans une faculté ou une grande école leur permettra d’aborder une culture et un mode de vie qui n’est pas le leur.
C’est ainsi que tels des Monfreid ou des Kessel en herbe alors qu’ils ne sont que des consommateurs et des petits enfants du siècles soumis aux diktats culturels actuels, vous les retrouverez à chaque coin de rue en train de faire ce qu’ils auraient très bien pu faire chez eux : se bourrer la gueule et danser sur de l’électro médiocre dans des boites de nuit qui sont la copie conforme de celles que l’on retrouve dans toutes les grandes capitales.
Bien sur entre deux beuveries, ils n’auront pas manqué de visiter un musée quelconque, tout en ne sachant pas vraiment ce qu’ils ont vu mais en restant persuadés qu’il fallait le voir !
C’est sans doute pour toutes ces raisons, que je vous affirme qu’il faut creuser.
Parce que me semble-t-il, qui que ce soit qui vous dit qu’il aime les voyages fut-il diplômé d’une grande école d’ingénieur, peut se montrer aussi creux à l’usage qu’un garçon coiffeur se passionnant pour les people.
Dans les deux cas, vous aurez le droit à une fake qui joue à être quelqu’un.
Parce que finalement, le voyage est souvent une activité permettant de tuer le temps en se disant que l’on fait tout de même quelque chose en dépensant l’argent que les impôts vous ont laissé.
De toute manière, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Où que l’on aille, les gens naissent, vivent, espèrent et meurent.
Et puis, la connaissance, fut elle embryonnaire des neurosciences, laisse augurer que les tous les cerveaux sont conçus de la même manière.
On peut même envisager que c’est une conscience morale née de nos cerveaux qui engendre les religions et non l’inverse.
Où que l’on aille d’ailleurs le vol et le meurtre sont interdits.
Alors si en fonction des lieux (climat, ressources, etc.) les coutumes changent, le fond humain reste le même.
Et à moins d’être un spécialiste effectuant des recherches pointues sur ces sujets, le clampin moyen ne verra et ne comprendra rien.
Bien entendu, j’ai conscience de la violence de mes propos.
Vous saurez distinguer le vrai du faux, l’essentiel de l’accessoire derrière ma prose enflammée.
Je ne doute pas qu’il y ait encore des voyageurs sincères !
Pour les autres, ces crétins à passeport, je n’ai que commisération.
On disait que les voyages formaient la jeunesse.
C’était sans doute vrai quand le voyage s’accompagnait d’une activité de production (travail, études sérieuses, etc.) qui mettait l’individu face à d’autres modes de vie d’une manière engagée et totale.
Aujourd’hui, tandis que le jeune consomme de l’argent qu’il n’a pas produit, les voyages coutent surtout cher aux parents mais ne forment rien du tout.
Un voyage qui n’est pas basé sur l’échange, de marchandises ou de savoir-faire, n’est que du tourisme, une activité peu engageante et finalement pas plus intelligente que de regarder la télévision le cul sur son canapé.
Je crois que les plus beaux voyages que je fais aujourd’hui sont d’écouter des vieilleries pour remonter le temps (pour pas un rond) afin de me retrouver à une époque que les moins de mon âge ne peuvent pas connaitre !