Les chansonnettes mièvres des cabotin(e)s…
Une émission consacrée à Yves Montand, m’a réveillé de ma torpeur…
Je me suis rendu compte que je haïssais ce cabot en cause de ses engagements ridicules, de ses larmoiements pathétiques, de son égoïsme, de son arrivisme, de ses gesticulations, de son opportunisme, de ses mensonges…, un pas en avant, deux en arrière, un demi tour gauche, un demi tour droite…
Jusqu’au délire médiatique ou cet illettré sans diplômes est venu faire la morale à la France, dogmes éculés repris par les merdias de la droite franchouille dans une opération grandiose de manipulation : Regardez Montand qui avoue que le communisme avait tout faux et qu’il regrette d’y avoir cru…
Ne manquait plus qu’il se lance en politique comme le fera Coluche, singeant Reagan à la manière d’un millionnaire gauchiste…, la meilleure blague du bonhomme…
Etrange de crier : Vive la gauche…, en faisant le tour de la piscine chauffée de son château, dans un costume de Maître-Tailleur de luxe représentant 6 mois de salaire d’un ouvrier en fin de carrière…
Surréaliste de s’indigner que l’URSS mitraille les citoyens de Budapest… et de partir simultanément en tournée grassement payée aux frais des pachacamacs du parti communiste soviétique…, tournée finissant d’ailleurs à Budapest ou Yves Montand ne s’est pas du tout indigné du sort du peuple opprimé…
Un cabot ce type, un salaud, un vrai !
Il chantait guimauve, bien loin de Brel et de Bécaud, même pas à la cheville de Ferré qui lui était authentique…, renvoyant ce saltimbanque de Montand à ses fumisteries…
Il s’est ensuite essayé au cinéma, la bonne soupe…, cela a passé muscade en Franchouille…, pas aux USA ou ses pitreries dans Le Milliardaire (avec Marilyn Monroe qu’il a également abusée et utilisée), ont fait un bide abyssal…
Et s’il était bon acteur sur le tard, c’était du à son expérience des mensonges, un menteur et salaud de talent n’a pas grand mal à sur-jouer dans le même registre en faisant du cinéma…, la preuve en est avec son rôle d’écoeurant Papé Soubyran…, il y était magistralement naturel…
J’aime le silence…, je déteste le bruit… et trop souvent les chansons font du bruit, trop de bruit, y compris en double sens…
Qui plus est, il n’y a aucun art là-dedans, c’est consumériste puissance 1000 et plus, on fait de la zizique pour gagner un max en abrutissant les gens via “la radio” qui en vit aussi, merci… et surtout via “la télé” qui en vit encore mieux, re-merci…, avec les “variétés” qui ne sont que des promos entre-zamis du même bord politique et idéologique…
En exemple : Enrico Macias agent de Tsahal chez l’inamovible Drucker, chantant Enfants de tous pays lors des massacres au Liban et à Gaza, repris en choeur par les autres inamovibles du style, Bruel en tête… qui lui aussi sort des “albums évènements inédits, exclusifs, exceptionnels”..., des films également…, sans oublier sa cause du coeur en faveur du Poker…
Un jour ou l’autre, on en fera un concert en faveur des déshérites des jeux de cartes…
Je ne vais pas m’étendre sur les soupes populaires actuelles, souvent en anglais incompréhensible…, mais me réserver à papoter scripturalement ici, aux vieilles fausses valeurs franchouilles qui ont fait pleurer Margot, nos grands-mères, nos mères et tout autours-alentours…, celles que les nouveaux et nouvelles opportunistes reprennent en faisant croire que ce sont des hommages, alors que c’est parce qu’il n’y a plus de droits d’auteurs à payer…
Le plus miteux exemple actuel étant Patricia Kass écorchant Edith Piaf, sans oublier les autres…
A vomir…
Le monde décrit par les chansonnettes mièvres, même lorsqu’il s’applique à être, un reflet de la société dans laquelle elle est née, est toujours un monde tronqué, amputé de ses éléments les plus triviaux.
On n’y rencontre qu’exceptionnellement les personnages de la vie quotidienne, de l’employé de banque au plombier.
Ou plutôt, s’il arrive de les rencontrer, ils ont acquis certains traits qui les rendent exceptionnellement faux.
L’épicière de Charles Trenet est une sorcière…
Le facteur de Santa-Cruz, que chante Henri Genès, distribue son courrier en Amérique latine…
Le poinçonneur des Lilas de Serge Gainsbourg, apparaît plus comme l’expression de la solitude et du désespoir de l’auteur que comme un véritable employé de la R.A.T.P…
Et si Boris Vian a chanté Les joyeux garçons bouchers, son texte était beaucoup plus une dénonciation sociale qu’une description fidèle de la vie du personnel des boucheries de quartier…
Certes, Yves Montand a paru un moment personnifier l’ouvrier sur scène (gag !)…, mais il s’agissait d’un ouvrier très particulier (sic !), qui rassemblait en lui tous les stéréotypes inspirés par la classe ouvrière : l’ouvrier amoureux de la vie, heureux dans les fêtes populaires (Luna-Park…, Les Grands Boulevards), ou encore l’ouvrier combattant, le militant…, l’engagement politique de Montand s’accordait alors parfaitement avec le personnage qu’il souhaitait dessiner afin d’en tirer un maximum de profits.
Les seules véritables exceptions à cette règle, on les trouve dans quelques chansons qui essaient de décrire des petites vies.
Ainsi, Dimanche à Orly, que chante Gilbert Bécaud : A l’escalier C, bloc 21, j’habite un très chouette appartement que mon père, si tout marche bien, aura payé dans moins de 20 ans. On a le confort au maximum, un ascenseur et une salle de bains, on a la télé, le téléphone et la vue sur Paris au lointain. Le dimanche, ma mère fait du rangement, tandis que mon père, à la télé, regarde les sports religieusement…
Ou encore La montagne et On ne voit pas le temps passer, chansons dues à Jean Ferrat : On se marie tôt, à vingt ans, et on n’attend pas des années, pour faire trois ou quatre enfants qui vous occupent vos journées…
Mais de telles chansons, qui ressemblent à des témoignages recueillis au cours d’enquêtes sociologiques, la vie dans les grands ensembles d’une part, la condition de la ménagère française d’autre part…, restent des cas très isolés.
En général, la chanson baigne dans l’abstrait…
Les personnages ne sont jamais au contact du monde réel, ce sont des personnages ultra-typés, hors de la vie courante, même lorsqu’ils sont censés représenter les êtres les plus communs ; ainsi, on ne cotoie jamais un agriculteur, on rencontre un paysan…
Pour séduire, le héros de chansons mièvres doit soit s’extraire de la faune habituelle à laquelle il appartient, soit… et c’est le cas le plus fréquent, appartenir à une société en marge, hors des lois courantes, une société beaucoup plus romanesque que la nôtre et à laquelle on pardonne les excentricités qui ne seraient pas tolérées par le public dans sa vie quotidienne.
Et, de la même manière que le théâtre traditionnel s’est constitué sa galerie de héros : le jeune Premier, le Père noble, la Confidente, La Duègne, le Valet…, la chanson, généralement comédie, tragédie ou drame à un seul personnage (dont l’interprète se fait le porte-parole), offre elle aussi (quoique c’est cher payé, la zizique à deux balles), la galerie des héros courants rendus exceptionnels (le paysan, le matelot, l’ouvrier), ou des personnages en marge (l’aventurier, la fille des rues, le vagabond), voire des personnages sans attache sociale qui sont censés représenter un trait de caractère (l’amoureux, le charmeur, le volage, le tendre, le misogyne)… la liste n’est pas limitative !
Très fréquemment, les types interfèrent…, le matelot est vagabond et peut être tendre ou misogyne…, il n’en devient pas plus réel pour cela.
Le vagabond est sans doute un des plus caractéristiques parmi ces héros.
Il s’inscrit dans une longue tradition et à travers la chanson moderne, il prend de multiples formes, se métamorphose d’un texte à l’autre.
On a ainsi connu le charmeur mièvre : C’est un vagabond qui est joli garçon ; il chante des chansons qui donnent le frisson ; le vagabond poète : Ta robe est déchirée, je n’ai plus de maison, je n’ai plus que la belle saison ; l’homme qui fuit un secret tourment : Un grand garçon aux yeux de rêve et de mystère et qui semblait venir de loin de très loin, au delà des mers ; son beau regard étrange et doux semblait connaître tout.
Mais quel que soit le visage qu’il a adopté, il garde toujours les mêmes traits essentiels.
II est libre : la société ne pèse pas sur lui.
Il vit sans contrainte, sans problème.
Il n’a pas de problème de logement : il couche sur l’herbe des bois, les nuits y sont toujours tièdes et les mouches ne le piquent pas.
Il n’a aucun problème d’argent : on ignore le plus souvent s’il s’habille et comment il s’habille, s’il mange et comment il mange.
Il ne connaît pas la faim (sauf, à ma connaissance dans un cas, celui du Trenet de Je chante, encore s’agit-il d’une faim très fantaisiste, une faim de poète).
Il ne connaît pas non plus la crasse, cette crasse à gratter au couteau qui ornemente le véritable trimardeur, ni l’odeur qui le fait repérer à cent pas par les gendarmes au puissant flair.
S’il sent quelque chose, ce sont les petites fleurs, le sable chaud ou le parfum salé des embruns.
Les chansons qui décrivent ce fatras d’absurdités appartiennent généralement à deux catégories.
Première catégorie : le vagabond parle, raconte sa vie.
Deuxième catégorie : c’est l’instant privilégié de cette vie, le moment où le vagabond rencontre l’amour.
Le vagabond parle, se raconte : une vie libre, heureuse, sans contrainte…
Les filles lui sourient, l’accueillent, lui accordent leurs faveurs.
Il marche, il mange, il dort, il fait l’amour, il rêve, il philosophe aussi : il a découvert le vrai sens de la vie, retrouvé la clé du bonheur.
Comme un estivant du club Méditerranée, il chante : On couche n’importe oûûûûûûû, dans des chambres à cent soûûûûûûûs… on est les rois.
Même réduit à l’état de clochard, état qu’il adopte rarement, les vrais clochards sont trop connus et trop lamentables…, il se sent bien, affirmant avec la voix langoureuse de Tino Rossi : Mais nous avons nos richesses malgré tout, le vent du Nord, le printemps si doux, tout ça c’est à nous… Ici à la belle étoile on sera toujours heureux, tant qu’il y aura des étoiles sous la voûûûûûûûûte des cieux.
Il affiche parfois un brin de nostalgie.
Il a vu tant de choses tristes, insupportables (sic !)…
Mais vite le sourire revient, l’optimisme reprend le dessus et, il lance des appels (gag !)
De nombreux interprètes, à un moment ou à un autre de leur carrière, ont voulu jouer les vagabonds chantants.
A travers l’évolution de leur style, on voit se transformer le personnage lui-même.
Le premier chanteur contemporain qu’on puisse qualifier de vagabond, c’est assurément Charles Trenet.
C’était en réalité tout le contraire, il était riche, pédant, arrogant et qui plus est affichait des moeurs critiquables de pédophile…, extraordinaire exemple pour la jeunesse franchouille, assurément !
Il promenait à travers ses couplets une manière de héros poète, bondissant et fantaisiste : le fou chantant.
On a, en l’écoutant, l’impression qu’il ne s’enfonce jamais profondément dans le sol, qu’il n’écrase jamais les herbes ni les fleurs…, qu’il flotte, qu’il volette, qu’il glisse plutôt qu’il ne marche.
Il est abstrait, fluide, impalpable : un papillon, un feu follet : je suis léger, léger, chante-t-il.
Irréel autant qu’un interprète peut l’être.
Et pourtant… , ce vagabond était loin d’avoir rompu toute attache avec le monde extérieur.
C’est en effet en 1938 que Trenet est révélé au grand public.
Deux ans après la généralisation des congés payés, de la semaine anglaise (qui a fait écrire Fermé jusqu’à lundi à Mireille et Jean Nohain), des jeunes, par milliers, partent, en tandem, à pied, le sac au dos, vers la nature et ce qu’ils croient être la liberté.
Ils apprennent à dormir à la belle étoile, fréquentent les Auberges de Jeunesse.
La campagne pour eux est une chose neuve, fraîche, délicate, elle possède la douceur des nuits d’été, le goût du brin d’herbe que l’on mâchonne…, aimable, chaude et légère…, attendrissant !
On n’écrase pas les fleurs, on s’émerveille devant elles.
On s’imagine courir à travers champs, en posant à peine les pieds par terre, en ouvrant très fort les poumons pour aspirer de fortes bolées d’air pur.
En vérité cette campagne, telle que la respirent les adolescents d’avant la dernière guerre, n’offre pas que des senteurs et des saveurs proches de celles que l’on goûte en entendant Trenet…, ce faux-poète farfelu, ce fou chantant a trompé toute une génération.
La terre que piétinait Félix Leclerc était nettement plus palpable, épaisse, grasse…, qui colle aux souliers.
Quoique, là : le physique, grand, massif, lourd, lent…, la légende, le bûcheron des forêts du Grand Nord, les musiques et les textes…, forment un ensemble homogène.
Le vagabond Leclerc porte des bottes ou des brodequins pesants, qui s’enfoncent dans le sol, y laissent leur empreinte… et que les pieds ont du mal à supporter.
Ils écrasent les orteils, compriment les chevilles, attachent celui qui les porte à la glèbe, l’empêchent de s’envoler.
Boue, sabots, bicorne…, les étapes de Leclerc sont longues et fatigantes.
Parce qu’il pleut ou qu’il fait froid…, on sent le poids du baluchon sur son épaule, son désir de trouver une chambre bien calfeutrée, abritée du vent… et un bon feu de bois.
Toutes choses solidement accrochées à la réalité, qui feraient presque du personnage inventé par Leclerc un véritable vagabond.
Or, la coupure avec le réel est, contrairement aux apparences, beaucoup plus nette chez lui que chez Trenet.
A cause d’un détail seulement, mais d’un détail essentiel : Félix Leclerc est canadien !
Les chemins, la forêt, les arbres et la boue qu’il décrit sont canadiens.
Véritables, on ne sait…, mais lointains.
Le Canada est pour la France profonde, un pays de légendes : trappeurs, traîneaux à chiens, loups et police montée…, un livre d’images toutes faites… ou plutôt un magazine illustré pour enfants, violemment colorié, accrocheur et aventureux.
Leclerc, robuste bûcheron des grandes forêts, y a place à côté de l’indien de la prairie et du roi de la police montée…
Parce qu’il appartient à l’inaccessible Grand Nord, Leclerc échappe ainsi à la vulgaire réalité.
Son vagabond, quoique plausible, devient purement imaginaire.
La vogue de Leclerc ne durera qu’un instant ; deux ou trois ans à Paris et il retournera conter ses histoires aux Canadiens, plus aptes que les français à les goûter.
Un autre vagabond est alors venu, qui l’a remplacé ; Georges Brassens.
Un vagabond étrange d’ailleurs.
Nulle part dans ses textes, il ne dit : je prends la route… ou : je vais de ferme en château…
Mais on le sent migrateur, errant, souvent solitaire…
Il ne peut être que vagabond car on sent que, d’une chanson à l’autre, ses paysages se modifient, allant de la ville au hameau… et qu’une longue marche sépare les lieux où se déroulent ses aventures.
Quant aux copains qui jalonnent ses itinéraires, qu’ils soient possédés par la bougeotte ou qu’ils demeurent sédentaires, ils font partie de cette frange de déclassés, de demi-cloches, toujours à l’affût d’un abri chauffé, d’un repas et d’un litre de rouge… et prêts à changer de gite pour obtenir de telles richesses.
Un seul élément demeure stable dans le monde de Brassens : ce monde appartient au passé…, un passé mal défini, où les filles portent sabots et les gendarmes bicorne… et qui peut se situer entre le haut Moyen-Age et l’invention de l’automobile…, où l’on marche “à pied”…, ou, si on a de la chance : à cheval (marcher à cheval est typique de Brassens)…, où la fatigue des pieds marque la limite entre deux étapes.
L’anachronisme de Brassens, sensible dans ses musiquettes, ses textes comme dans son vocabulaire, marque tous les personnages qu’il incarne : le rebelle, le tendre aussi bien que le vagabond (pas vraiment tel qu’il était vraiment avec sa compagne de 30 ans de plus que lui, si ce n’est qu’il a gardé le même pull, la même veste, le même pantalon en velour cotelé et la même pipe… toute sa carrière)…
Là est sans doute une cause, parmi d’autres, du grand succès de l’homme à la guitare, le pied sur un tabouret branlant…
On vient à lui pour échapper au présent trop moderne, trop tehnique, trop bien organisé.
Brassens a créé une forme de chanson-refuge.
La chansonnette offre bien d’autres exemples de vagabonds souvent occasionnels : tout chanteur, ou presque, a connu ses trois minutes (durée moyenne d’une chanson consumériste) de vagabondage.
Même le moraliste du yé-yé qu’était Claude François, a raconté ses déplacements : de ville en ville…
Bien sûr, il s’agissait chez lui de voyages de haut luxe, voiture de sport et hôtel quatre étoiles.
Plus intéressant est le texte, dérivé de l’américain, de On est les rois… que chantait Hugues Aufray.
Ses héros se voulaient typiques de la société américaine, empruntant les routes comme les trains (en voyageurs semi clandestins).
Ils formaient un curieux mélange entre deux groupes de déclassés : le tramp, sous-prolétaire perpétuellement en mouvement… et le beatnick, intellectuel ou artiste incapable de se fixer (un des livres-clés de la beat génération, dû à Jack Kerouac, s’appelle Sur la route).
Des personnages discutables…, comme toujours, les rois d’Aufray ont oublié la saleté des vrais tramps et ils sont bien moins révoltés et bien plus optimistes que les beatnicks véritables.
Vient le moment où le vagabond s’arrête.
Il s’arrête, non parce que sa quête perpétuelle d’on ne sait quel absolu est terminée, mais plus simplement parce qu’il a rencontré une fille…, ahhhhhhhhhhh, l’amour !
Amourettes légères, faciles, parfois éclatantes et violentes, rarement profondes (sauf si pénétration, mais jamais anale)…
Amours courtes, comparables aux amours de vacances (d’ailleurs, à leur manière, ce sont des amours de vacances).
Le vagabond ne peut se fixer, se plier aux lois courantes, il doit repartir : il s’enfuit où on le chasse.
Il en souffre, c’est certain, mais surmonte allègrement sa crise.
C’est du pipeau sur un air de pipeau.
Quelquefois, le choc est rude, laisse des traces : Maintenant quand je vois une fontaine ou une fille, je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux.
Le plus souvent l’aventure est effacée avec un soupir narquois, celui de Joel Holmès par exemple : J’ai repris mon chapeau, ma canne et mon pipeau et j’ai sifflé mon chien comme on siffle un copain. C’était le temps des vacances. On était du même âge et du même pays. On parlait mariage : faut pas croire ce qu’on dit…
Vues du côté féminin, ces amourettes perdent de leur allégresse et apparaissent beaucoup plus amères.
La femme est, dans l’univers du vagabond, l’élément fixe, attaché à la maison, au village.
Le piège aussi ; elle ne suit pas l’homme…, elle peut le retenir !
L’horreur absolue !
On ne la voit jamais en errante, en vagabonde…, elle est là, en attente, disponible, dangereuse aussi, bien que le héros s’en tire toujours (sic !)…, par la fuite…
Le vagabond arrive, l’aime, la prend…, puis vient le temps de la rupture (sniff !).
Chassé ou non, l’homme s’en va ; la femme reste, seule, triste, larmoyante, avec un mouflet qu’elle devra élever, seule et pauvre….
Un texte pas génial, celui d’une chanson à succès d’il y a vingt ou trente ans : Sur la route, la grande route, semble résumer toutes ces amours vagabondes : Sur la route … un jeune homme va chantant …, une fille va rêvant … Il a défait son corsage, elle a dit : je t’attendrais, il a défait son corsage puis a dit : que tu me plais… Tandis que sur la grand’route, un jeune homme s’en va chantant, sur la route la grand’ route, une fille va pleurant…
C’est débile, mais c’est un instant de pur bonheur idiot…, des yeux pour pleurer, des regrets éternels…, tel est le sort réservé à la compagne occasionnelle du vagabond.
Brassens y ajoute, pour sa Margot de La tramontane…, un sort pire que la mort, l’hymen avec un triste barbon !
Drame donc, mais qui devient tragédie quand le vagabond se transforme en aventurier.
Il est marin, légionnaire ou simplement bizarre…, des événements indéterminés, mais, semble-t-il, souvent liés à l’amour, l’ont conduit à une incessante fuite.
Il est grand, beau, mystérieux, brûlé par le soleil, avec des rides amères, un front soucieux et des yeux si profonds qu’on n’en voit pas le fond (toutes descriptions extraites de chansons).
Fatalitas !
Comme le vagabond, il vient, il aime, il repart.
Mais cette brève accalmie se termine toujours mal.
Interviennent ici le Destin, la Fatalité : le navire du marin coule…, le gangster est abattu…, le légionnaire meurt au combat….
La femme qui généralement raconte l’histoire n’est que l’ultime étape avant sa mort.
Ici, par un glissement dont la chanson donne de nombreux exemples, le milieu se modifie, l’amoureuse du vagabond était une femme quelconque, sans attaches sociales nettement définies, souvent une paysanne !
L’amoureuse de l’aventurier est, la plupart du temps, une femme des bas quartiers, fille des rues, fille à soldats ou à matelots.
Presque toujours, les couplets la saisissent au moment de sa rencontre avec l’homme.
La chanson est bâtie comme une tragédie classique : unité de lieu, la chambre d’hôtel miteuse…, unité de temps : une nuit…, unité d’action, le conflit entre l’amour et la fuite.
Une logique implacable mène l’action jusqu’à son dénouement tragique, pas question d’y échapper.
Dès le premier vers, le destin du héros est fixé.
Le destin de l’héroïne aussi.
L’homme rencontré et aimé un soir était pour la femme la seule chance d’échapper à la rue, à la déchéance.
Lui disparu, elle continuera à arpenter les trottoirs et à vendre ses charmes.
L’histoire s’offre parfois avec quelques variantes.
La conteuse peut être un témoin : Moi j’essuie les verres au fond du café ; j’ai bien trop à faire pour pouvoir rêver…, l’action peut abandonner la chambre pour le bistrot ou le bal public : Elle écoute la java, mais elle ne la danse pas, elle ne regarde même pas la piste…
Toujours demeurent la fin brutale, la mort ou la disparition.
Le héros de ces mélos chantés est toujours un personnage flou, inconsistant.
Pas beaucoup plus solide, l’héroïne n’existe que par ses sentiments.
On ne doit pas s’attendre, on s’en doute, à voir la chanson traiter de la condition véritable de la putain, de ses rapports avec les clients et le mac.
Seul Brassens a tenu la gageure : Y a des clients, y a des salauds,qui se trempent jamais dans l’eau. Faut pourtant qu’elle les cajole. Parole !
Encore faut-il remarquer que ses couplets valent surtout par leur ton narquois et qu’ils demeurent, comme à l’ordinaire chez lui, parfaitement hors du temps.
En général, la fille de joie de la chanson est un être broyé par le malheur, sans réaction devant lui, ayant admis une fois pour toutes qu’elle ne peut y échapper ; elle courbe la tête, subit les coups du sort, attend le miracle, l’homme qui pourra la sortir de l’impasse (ça me reppelle quelque chose)…
Sans son aide, elle est perdue.
Une fille soumise au vrai sens du mot.
La seule revendication qu’elle ose défendre, c’est son droit à l’amour (gag !)…
Inutile de dire qu’elle ne saurait être satisfaite.
Edith Piaf, qui s’illustra en chantant pendant des années les lugubres romans des putains de bas étages, étalant leurs misères et leurs souffrances… en était arrivée, à la fin de sa carrière, à épuiser complètement le personnage, à en faire une abstraction totale.
Elle n’avait plus besoin de raconter l’histoire trop connue ; elle arrivait, elle chantait… et, à travers sa voix, souffrances, malheurs, misères se révélaient, d’autant plus poignants qu’ils n’étaient pas nettement définis.
Les coups reçus par la chanteuse, la légende d’éternelle condamnée à la maladie, à l’alcool, à la drogue et aux amours lamentables (sic !), ajoutaient encore à l’angoisse du public.
Elle était devenue, multi-millionnaire…, porte-parole de la misère humaine…
A travers elle, toutes les femmes perdues, victimes consentantes de la chanson, hurlaient leur désespoir…
Dans l’univers borné de la chanson réaliste, un seul auteur : Bertold Brecht, a réussi à rompre avec ce style de personnages.
Chez lui les apitoiements, les indulgences complices disparaissent.
Le salopard traditionnel a des excuses : il a aimé et souffert :Johnny Palmer, pour boire un verre, tuerait son père, vendrait sa mère…
Salaud intégral imaginé par Brecht, abattu par le chagrin, révolté…
Et simultanément, la putain brechtienne rêve de voir trancher les têtes de tous les beaux messieurs.
Il est vrai que l’on peut se demander si les textes de Brecht appartiennent à l’univers de la chanson réaliste.
Ce vagabondage pourrait se poursuivre à l’infini, les genres sont beaucoup moins tranchés qu’il ne paraît.
Les personnages s’enchaînent logiquement les uns aux autres et leurs successions se déroulent sans à-coups.
Mais la place me manque, le temps aussi.
Mieux vaut s’arrêter là.
D’autant que les héros que l’on rencontre se situent toujours entre une manière de caricature plausible mais lointaine et une totale illusion.
Rien d’étonnant !
En vérité, que recherche le peuple dans la chanson ?
D’abord une musique, langoureuse ou vive, facile à retenir… et un rythme qui prête à la danse ou à l’abandon.
Ces éléments n’influent que peu sur les textes des couplets et échappent donc à mon propos.
Ensuite un moyen de rompre avec la banalité, la médiocrité de la vie quotidienne.
Par l’évasion, la découverte de nouveaux paysages, de nouveaux milieux, l’évocation de sentiments puissants, par la rencontre de personnages tellement médiocres qu’ils en paraissent hors-série…, excessifs en tout : joies, amours, bonheurs…
La teinte des paysages décrits, l’atmosphère des milieux évoqués, doivent toutefois être uniformes, bleues, grises ou noires… et les personnages doivent être brossés à gros traits, sans nuances.
En trois minutes, il faut nuancer les descriptions sauf à tout embrouiller, à ôter au texte de la chanson sa raison d’être.
Ce qui exclut toute description réaliste.
Pour reprendre quelques exemples donnés plus haut, je ne pense pas que le succès des quelques deux ou trois œuvrettes de sociologie chantée soit dû au contenu des œuvrettes.
Chez Ferrat, La montagne et On ne voit pas le temps passer… tiennent à la fois à la musique, attrayante et à la voix, remarquable, de l’interprète.
Chez Bécaud, plusieurs astuces (que les professionnels appellent des gimmicks), jouent un rôle essentiel (la voix chaude, prometteuse et confidentielle de l’hôtesse de l’aéroport d’Orly par exemple).
Mais, si éloignés de la réalité que peuvent paraître les thèmes de chansons, ils ne mordront que s’ils correspondent à un besoin profond de leurs auditeurs : être rassuré de son état, de son niveau, tout ramener à un état moyen non pas en montant socialement, mais en supprimant “les riches”…
Or s’il y a toujours plus pauvre, il y a toujours plus riche….
J’ai souligné la communauté de sentiments et de réactions entre le vagabond Charles Trenet et les jeunes de son époque.
On trouve toujours, ou presque, des rapports du même ordre entre chaque style de chansons et ses admirateurs.
Un certain public, souvent de milieu social très modeste, goûte fort la chanson réaliste, trouvant dans ces histoires d’aventuriers tragiques et de filles perdues, un aliment à son besoin de romanesque.
Le Destin ne joue qu’un rôle très secondaire dans une existence toute entière partagée entre le travail, la vaisselle, la partie de cartes du dimanche, dans une existence où il ne se passe rien.
D’où ce goût aigu pour ceux qui osent rompre avec la monotonie, si nécessaire par les moyens les plus violents…, les véritables : les voyous, les apaches, les aventuriers, les escrocs, qui possédent leur légende dans les quartiers populaires et les banlieues ouvrières des grandes villes… et les faux : les héros de chansons et de romans à quat-sous.
Le goût pour les voyous s’est maintenant estompé depuis que les chantonneurs sont devenus bien souvent des escrocs…, la chanson réaliste meurt doucement, rien de plus minable que d’entendre l’ancien garçon de café, Florent Pagny, devenu milliardaire, vanter son exil fiscal volontaire dans une ritournelle pathétique qui se moque bien de ceux qui trinquent vraiment la misère…
Ce genre de personnage, même s’il a du talent, est abject et ne mérite que mépris et rejet…
Piaf avait d’ailleurs poussé ce style à sa limite extrême : casquettes, rouflaquettes, javas et surins pour la faire paraître pauvre alors qu’elle vivait dans l’opulence en se moquant bien des autres, alors qu’elle venait des bas-fonds…
Tout cela appartiennent-il désormais à un passé encore trop proche pour ne pas être un peu ridicule ?
Que nenni…, après le cabot Montand…, Renaud à joué à fond l’image du pauv’gars des rues sans le sou, habillé en porc épique (gag !)… et toute la clique des rois du Rock (sauf Presley, devenu poupin guimauve sucré décoré en arbre de Noël permanent), s’affichent en loubards loqueteux et crades, alors qu’ils sont milliardaires, les pires chantant la révolution, la fin des riches et autres fumisteries, alors qu’ils collectionnent les châteaux et les Ferrari…
Par quoi le mélo chanté sera-t-il remplacé ?
Par rien…, c’est un filon…
On ne sait…
Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il sera toujours possible d’expliquer après coup les causes de la future nouvelle vague d’abrutissement collectif…
La Nouvelle Vague n’eut de cesse d’interroger les archétypes du féminin pour déstabiliser l’établi des représentations sociales, la chanson de la même époque mit en scène toutes les potentialités qu’offrait le choix d’une femme pour l’interprétation d’un air.
Serait-elle le sujet libre de cette interprétation ou l’objet manipulé, l’exécutant sans cervelle ?
Entendrait-elle les doubles sens ?
Serait-elle ingénue ou bien cabotine et déniaisée ?
Elle chante, elle chante, mais que comprend-elle à ce qu’elle dit, la Femme ?
Les postures de la femme-enfant, de la femme-objet, de la maîtresse-femme, furent donc utilisées comme autant de masques, miroirs à ricochets, dans le but de décaler l’écoute vers des territoires plus complexes que les codes habituels ne le laissent envisager.
Se glissant dans telle ou telle apparence, la chanteuse peut en effet prendre à rebours une représentation sans avoir à la mettre en discours : la liberté éclot non sur l’étendard politique, mais dans le jeu laissé aux choix de l’interprète.
Contre les leçons de morale des grands sermonneurs de la chanson française dont Jean-Jacques Goldman, Michel Berger, Michel Sardou, Francis Cabrel sont parmi les plus constants représentants…, contre leur impossibilité à être autre chose que ce qu’ils sont…, on se rappellera le jubilatoire exercice de certaines interprètes féminines.
Celles qui se mettent en scène et pratiquent la liberté plutôt que de la mettre en discours.
On se souvient peut-être de la chanson de Cookie Dingler, Femme libérée, proférant avec une assurance militante, que toute femme qui se prétend libre n’est en fait qu’une malheureuse menteuse.
Que répondre à cet apitoiement dégoûtant d’un homme qui plaint la liberté féminine en l’alourdissant de clichés ? : Ne la laisse pas tomber, elle est si fragile. C’est une femme libérée, tu sais c’est pas si facile. Sa première ride lui fait du souci. Le reflet du miroir pèse sur sa vie. Elle rentre son ventre à chaque fois qu’elle sort. Même dans Elle ils disent qu’il faut faire un effort…
Jouer de soi comme d’une poupée pour n’être pas la poupée d’autrui…, toutefois l’interprétation laisse entendre que tout effort féminin est voué à l’échec, rattrapé par la nature qui commande.
Pitoyable !
Les poupées ont encore de beaux jours devant elle.
Le sublime féminin, beau et inutile, est incarné à la frontière entre rébellion et mélancolie, rejetées par un regard qui les condamne, comme Lio qui chante presque tristement : Si belle, si belle et inutile. Mais ce sont vos discours que je trouve puérils…, comme Marie France qui laisse du chagrin au beau milieu d’une chanson pleine d’humour : Les Bagouzes : Car les bagouzes, c’est plus sûr que les sentiments. Oui les bagouzes, en tout cas, ça dure plus longtemps. Alors je peux quitter la terre et aller en enfer pourvu que dedans il y ait des diamants…
Cliché de la femme vénale que la poupée ne contredit pas mais assume, tout en en révélant les joies et la solitude, c’est-à-dire l’humanité.
On les regarde, nos poupées, mais elles dérobent le regard des préjugés, avilissant et puéril, elles se mettent en scène, se jugent, font montre du geste sublime de la maîtrise et du don, elles vont toujours un peu plus loin, là où on ne les attend pas.
Si bien que ce sont des poupées dont on sent le cœur battre, la peau trembler, à condition qu’on ait soi-même un cœur pour écouter…
A suivre ICI : Yves, Simone, Marilyn, Miller et les autres…