Les texticules normophobes… (Petit traité sommaire d’une texticulation normophobique caustico-amère et déjantée…)
Dans notre société inquiète, voire angoissée, à la recherche du “zéro risque absolu”, la norme colonise tous les secteurs de la sphère publique. Pour chaque question, pour chaque éventualité, pour chaque doute, la réponse est la même : légiférer ou règlementer. L’obligation ou l’interdiction, selon les cas, surgit, tel un réflexe conditionné ; elle s’impose dans son uniformité, sa rigidité et parfois son absurdité aux responsables politiques, où qu’ils soient et quelles que soient les circonstances. La norme s’impose aussi dans ses excès aux citoyens qu’elle est pourtant censée servir et protéger. Au-delà de leurs effets (souvent astronomiques) sur les contribuables, ce sont les organes vitaux de la démocratie que frappent le demi-million de prescriptions techniques aujourd’hui applicables : le droit, ravagé dans sa crédibilité et son autorité, la sécurité juridique victime directe d’une frénésie textuelle devenue chronique ! Sans tomber dans une “normophobie” qui serait tout aussi vide de sens que l’idolâtrie de la règle, il est grand temps de recentrer la norme sur sa raison d’être : pour en finir avec une nouvelle forme de jacobinisme : le centralisme normatif !
Qui sommes-nous ? C’est sans doute la plus vieille question de l’humanité. L’homme, animal doué de raison (de déraison aussi) aime beaucoup s’inquiéter de lui-même. Sans aucune pitié pour nos angoisses, les autres, indifférents, nous balancent en pleine face la question de l’identité et de la différence. Toujours dans l’indifférence… C’est une kermesse de l’atroce banalité et de la banale atrocité. On croise au hasard de la vie, et dans le plus grand désordre (mental aussi), des enfants, des trisomiques, des transsexuels, des femmes qui voudraient être laides, d’autres qui voudraient être belles, des affairistes secoués, des fonctionnaires délateurs de mauvaises idées, des cons, des demis-cons, des plus-que-cons, des génies (souvent méconnus) et quantité d’autres… Beaucoup allument chaque matin un cierge en espérant un miracle. C’est souvent à ce moment de candides bêtises, que les êtres humains deviennent inhumains de cynisme bienveillant d’eux-mêmes, leurs émotions dévoilant leurs failles intérieures. Ils parlent, ils avouent faussement, trahissent et s’offrent, donnent à voir leur corps et leur âme qui n’existe que dans leurs croyances pour s’aider à vivre puis mourir.
Ils donnent à voir les coulisses tortueuses des êtres humains inhumains, et nous nous mirons en eux avec un point de vue vertigineux et confus, dans une dramaturgie ou chacun s’excite dans son personnage. Alors, ces reflets de non-âmes en détresse font virer les relations en conflits, en disputes, ou au contraire en des moments de grâce portés par une musique intérieure… Souvent hélas, ça joue faux. Décalés, vous qui ne vous sentez pas à votre place, frustrés, inadaptés, râleurs, cyniques, désabusés… sachez qu’on est tous jeunes puis moins jeunes avant d’être vieux et de mourir. C’est l’inéluctable de la condition humaine. On est à peine nés qu’on commence à mourir… La pulsion de vie ne s’éteint pas avec l’âge, même si on sait qu’on va mourir dans quelques heures, jours, mois années… Le temps ne fait rien à cette affaire de dupes… Au moment ou votre rein gauche sera encore plus pourri que le droit, que vous agoniserez en vomissant le monde et son cortège de conneries, vous parviendrez encore à répondre à un autre dont les poumons cancérisent de nicotine publicitaire d’illusion qui vous demandera ; “Ça va vous ?”…. “Oui très bien juste un petit calcul au rein, et vous ?“…. “Oh!, juste une angine“… L’art de rebondir…
Avant d’être si loin, il reste la capacité que nous avons de rebondir après (ou pendant) un malheur. J’ai moi-même vécu une grande blessure, des faits tellement intenses que j’ai été déchiré, que je ne pouvais plus comprendre les raisons de la bêtise humaine, la mentalité des fonctionnaires gestapistes, les méthodes inquisitoriales d’une justice déshumanisée. J’étais hébété au point où j’ai même pensé me suicider… Ce ne fut que l’espace d’une nuit… Je me suis dit, toujours lucide, mais devenant déjà amer et caustique ; “Ou bien je me suicide, ou bien je reste dans cet état, et dans ce cas je vais souffrir d’un syndrome psychotraumatique qui va affecter le reste de mes jours… Ou alors je rebondis sur la connerie humaine, sur les institutions héritées du nazisme (nos administrations…, fonctionnaires je vous hais)… et je revis…” Il n’a pas été facile d’inscrire cette déchirure traumatique dans mon histoire, elle vit toujours en moi comme si c’était encore aujourd’hui. Des flashs d’images me reviennent et certaines nuits quand je m’endors, des cauchemars mettent en scène ce que j’ai vécu. Si je restais dans cet état la vie allait perdre son goût, j’allais être prisonnier d’une certaine horreur, j’allais perdre le statut de personne anormalement normale…
J’ai rebondi…Je suis devenu “normophobe”… Les “normopathes” ne croient qu’en eux, ne supportent pas les histoires autres que normales. Les “normopathes” croient en dieu (qu’importe le dieu, le leur est le seul vrai), croient en la justice, saluent les politiciens et sont en extase devant les rois et reines (même de la connerie), princes et barons (même de la drogue), imperators et empereurs (même du crime), pourvu qu’ils peuvent continuer de fonctionner. Les “normopathes” ont une gourmandise sadique de ce qui arrive aux autres (surtout quand c’est de leur faute), les “normopathes” comprennent tout de travers et posent des questions absurdes en suivant leur manuel politiquement correct… Les “normopathes” ont la pitié facile, donnent un cent d’euro pour aider les “pauvres” à vivre en leur disant ; “Avec ce qui vous est arrivé, vous ne pourrez jamais vous en remettre, mais priez, dieu vous viendra en aide“… et sitôt passé le coin de rue, ils vous dénoncent… Inutile donc, pour un “normophobe”, de parler ou d’écrire à de quelconques “normopathes”… Par contre, on peut écrire au monde (pas le journal, quoique…).
En écrivant, on s’adresse au lecteur parfait, à l’ami invisible, celui qui va comprendre. On ne pense pas l’écriture de la même manière que quand on parle. Dans l’écrit on cherche les vrais mots, on les agence pour en faire une représentation, un roman, un texte, un message, un essai, un témoignage…, qu’on adresse à cet ami invisible. Ce travail de la main, tout comme une masturbation, permet petit à petit de donner à son monde bousculé par le traumatisme, une jouissance. J’ai vécu l’extinction de mon psychisme, j’étais mort… Puis je suis revenu à la vie en même temps que la vie revenait en moi. J’ai été contraint de me re-développer avec ce qui restait de vivant en moi : la rêverie, l’amour, l’humour… Tout cela m’a permis de reprendre possession de mon monde. L’art de rebondir sur les choses qui étaient censées me couler. Ce fut un surinvestissement. J’ai repris un développement que je n’aurais pas connu si je n’avais pas été blessé. J’ai recousu en moi ce que le traumatisme kafkaïen de la société avait déchiré en moi. J’ai distingué l’inné et l’acquis, l’intérieur et l’extérieur des gens, je me suis insufflé ma propre altérité. Maintenant on me dit amer alors que je ne suis que clairvoyant, on me qualifie de désabusé alors que je me suis reconstruit d’expériences, on me traite de caustique parce que seul l’humour permet de survivre… Je suis devenu comme j’écris, et si je suis heureux d’être devenu “normophobe”, si je suis devenu “hors-normes” il m’arrive toutefois, seul, la nuit, de cauchemarder que je suis ”normopathe”…
Beaucoup de blessés de la vie surinvestissent l’écriture parce que cela permet de développer un monde intime, un monde de beauté (même de laides beautés c’est quand même beauté…), alors que le réel est ignoble. Vous devriez également écrire, oui, texticulez la “normophobie” qui est en vous. Oui, vous tous qui me lisez peut-être… Car même si vous pensez ne pas savoir écrire, l’acte de l’écriture est un facteur tranquillisant, une trace hors de soi. Une résilience… Comment choisit-on de porter vaillamment son destin alors que d’autres sont, toute leur vie, comme traînés au supplice par leur destin ? Là se trouve la question…