Lorsque Quelqu’un meurt…
L’année de mes quatre-vingt-quinze ans, pourrais-je encore m’offrir une dernière folle nuit d’amour ?
Je dirais en préambule à une de mes plus assidues lectrices de mon web-site et de mes magazines qui à l’époque m’envoyait des billets doux que je n’ai jamais plus succombé depuis longtemps…
“La morale aussi est une affaire de temps”, lui dirais-je avec un sourire malicieux…
Je ne sais rien de quiconque, alors d’elle, encore moins… depuis tant d’années qu’elle aurait pu aussi bien être morte.
Au premier Allô c’est sûrement une voix chevrotante quasi sépulcrale qui sera au bout du fil et je déclarerai sans préambule : “Aujourd’hui, oui !”…
“Ah, mon pauvre vieux”, va-t-elle sans doute soupirer… “Tu disparais pendant trente-trois ans et tu reviens que pour proposer l’impossible”…
Retrouvant aussitôt la maîtrise de ses esprits, elle me fera une demi-douzaine de propositions délicieuses.
Je lui dirais non, que ce devait être pour le soir même.
Inquiète, elle va demander : “Vieux fou ! Que veux-tu te prouver, toi ?”…
“Rien”, répondrais-je…, “Je sais très bien ce que je peux et ce que je ne peux pas”.
Impassible, elle répliquera que les vieux savent tout, sauf ce qu’ils ne savent pas : “Pourquoi ne m’as-tu pas dit cela trente-trois ans plus tôt ?”…
“L’inspiration ne prévient pas”, répondrais-je.
“Mais elle attend peut-être”, va-t-elle rétorquer, plus avisée que moi… en demandant un temps de réflexion.
Très sérieux, je déclarerai que dans une affaire comme celle-ci, à mon âge, chaque heure est une année.
“Alors c’est impossible”, dira-t-elle sans l’ombre d’une hésitation…, “Mais peu importe, c’est plus excitant comme ça. Ciaooooo vieux croûton”…
Inutile de le dire, car on le voit à des kilomètres : je suis anachronique.
Mais à force de ne pas vouloir le reconnaître, j’ai fini par simuler tout le contraire.
Jusqu’à aujourd’hui, où j’ai décidé de ma propre volonté de me livrer tel que je suis, ne serait-ce que pour soulager ma conscience.
J’ai commencé par ce coup de téléphone, parce qu’avec le recul je vois bien à présent qu’il a marqué le début d’une nouvelle vie, à un âge où la plupart des mortels sont morts.
J’habite maintenant quelque part où j’ai l’intention de mourir, seul et un jour que je voudrais lointain et indolore.
A soixante-deux ans, quand je suis resté seul, je me suis installé là, avec le gain de 185.000.000 de l’euromillion.
J’ai commencé à vendre à l’encan tout ce qui ne m’était pas indispensable pour mieux vivre, c’est-à-dire presque tout, surtout mes voitures de collection qui me fatiguaient de leur inutilité…
Pendant trente-trois ans, j’ai continué d’écrire des textes déjantés et des commentaires politiquement incorrects dans GatsbyOnline, qui est resté quasi le seul web-site de ce style après la grande déglingue planétaire.
Mes chroniques quotidiennes que j’écris sans relâche depuis plus d’un tiers de siècle… je n’ai jamais plus rien fait d’autre… et si je me suis embarqué dans cette entreprise c’est parce que je remets sans cesse à la lumière, tout ce que j’ai vécu dans ma vie.
Je me suis réveillé à sept heures du matin, à l’aube, tous les symptômes s’étaient ligués pour m’empêcher d’être heureux : les os de mes genoux me faisaient mal depuis le milieu de la nuit, j’avais le cul en feu et des roulements de tonnerre annonçaient un orage après trois mois de sécheresse.
Je me suis rasé et lavé pendant que le café passait sur une vieille machine qui avait fait la fortune d’un acteur maintenant disparu… j’en ai bu une tasse, sucré, accompagné d’un cake… et j’ai enfilé mon habituel training noir que je porte chez moi.
Le sujet de l’article de ce jour-là était, bien sûr, mes futurs quatre-vingt-quinze ans.
Je n’ai jamais songé à l’âge comme à l’eau qui goutte d’un toit et nous indique le temps qu’il nous reste à vivre.
Dès ma plus tendre enfance j’ai entendu dire que, lorsque quelqu’un meurt, ses souvenirs s’enfuient, terrorisés…
Ce qui signifie, me dis-je à présent, que ne resteront que les écrits.
Depuis plusieurs mois, j’avais prévu que ma chronique à propos de mon anniversaire ne serait pas les lamentations de rigueur sur les années enfuies, mais tout le contraire : une glorification de la vieillesse.
J’ai commencé par me demander quand j’avais eu conscience d’être vieux… et il m’a semblé que c’était tout simplement aujourd’hui, en écrivant ce texte…
Mon corps, on ne l’a jamais retrouvé.
Jeté dans un lac ?
Brûlé dans un bois ?
Mangé par des fourmis ?
Dévoré par des jaloux ?
Ravi par une secte ?
Veillé et emporté par une amante ?
Enseveli en cachette puis oublié comme un vieil ours dans sa tannière ?
Un autre, à ma place, se lamenterait.
Privé de sépulture !
Abandonné, condamné à errer dans les limbes, avec les pécheurs privés de rédemption !
Moi, au contraire, je m’estime fortuné, de n’avoir ni tombeau ni dalle funéraire.
Il me plaît d’échapper aux pèlerinages et aux anniversaires.
Je ne veux pas de commémorations posthumes, après avoir été honni et persécuté de mon vivant.
Ce fatras d’hommages, gardez-le pour ceux que la renommée publique, les honneurs, la réussite mondaine ont favorisés.
Ma mort n’ayant pas été moins mystérieuse que ma vie, l’énigme de ma destinée reste entière…
Que d’inexactitudes, de fantaisies, de sottes conjectures ou de mensonges ai-je lus sur mon compte !
Ma mort surtout a enflammé les spéculations et donné lieu à des erreurs grossières.
Reprenons les choses dans un semblant d’ordre…
Après mes articles anti-Ferrari et ma condamnation à mort par les descendants d’Enzo : fuite vers le néant.
Au bout de quatre années d’errances, certaines personnes influentes intriguent auprès du fantôme du Commendatore pour obtenir ma grâce.
Et là, tandis que j’attends le décret qui me permettra de revivre, le destin dispose de moi autrement.
Première hypothèse : La fièvre…
Je serais mort, trois jours après, terrassé par la Ferraria aigüe…
Imaginez en plein été, sous le soleil de Satan, une route nue, sinistre comme un désert.
A bord d’une Ferrari, après 50 km, on s’emmerde à mourir…
Tout est dit…
Deuxième hypothèse : Le meurtre sur ordre…
Après l’affaire Ferrari, j’ai commis l’erreur d’écrire un livre nommé “Les Protocoles”…
Jérusalem a décidé ma perte.
Les Rabbins lancés à ma poursuite sur l’ordre du Grand Maître me retrouvent dans une auberge Espagnole, mais ne réussissent qu’à me blesser l’âme.
Ils se remettent en chasse, me rejoignent… et, cette fois, contre un homme sans défense, exécutent leur contrat en me coupant le phymosis… sans col roulé, dans le froid de la solitude, c’est la mort assurée…
Variante : Le meurtre déguisé en suicide…
On peut juger invraisemblable que je sois remonté dans le nord, si loin, abandonnant un bout de ma virilité en de si mauvaises mains…
N’eût-il pas été plus naturel, et plus judicieux, de choisir, pour y attendre ma fin… une cicatrisation en un endroit situé ailleurs ?
D’où la troisième hypothèse : Le décret de grâce…
Il était déjà signé, devait être publié d’un jour à l’autre.
Je pensais n’être nulle part mieux à l’abri que chez moi.
Mauvais calcul.
Des tueurs, fous de customizing, anciens lecteurs aigris de mes magazines Chromes&Flammes qui m’en voulaient de les avoir abandonnés en cause de leurs concentrations dans des terrains de camping… se sont temporairement alliés aux tueurs tifosi et sont parvenu à s’introduire chez moi.
Après un “channeling” et un “top-chopping”, je suis “tuné” pour l’éternité…
Ils emportent ensuite mon corps et le déposent dans une Synagogue pour brouiller les pistes…
Quatrième hypothèse : Vengeance ecclésiastique…
Le seul fait d’avoir été dans une école Jésuite puis d’avoir écrit que toutes les religions devraient être interdites, me désigne à la vindicte papale.
Je suis excommunié… puis la Sainte Inquisition (fiscale) me passe à “la question”… et me sodomise bien profond…
Cinquième hypothèse : Une rixe avec des amateurs de Country-Music qui aurait mal tourné…
Vous savez comment j’ai vécu… avouez que vous n’avez prêté foi à aucune des quatre premières hypothèses (plus la variante)… et que vous avez pensé d’emblée à la dernière.
Pardi !
L’effronté (moi) s’est mis à railler, selon son (mon) habitude, un de ces chanteurs-gratouilleurs de guitare, bien bâtis, genre plébéiens-canailles, à demi nus et bronzés sous leurs vestes western à franges indiennes…
Pas de chance pour moi !
L’honneur de la Country est sacré !
Le son a monté, une guitare traînait, me voilà assommé, je tombe sans connaissance, on m’achève à coups de pied, puis, épouvanté de leur crime, ils balancent mon corps dans le coffre d’une Cadillac destinée à la casse…
Fin spectaculaire, à la fois grandiose et sordide, conforme à l’idée que vous vous êtes faite d’un écrivain non moins célèbre par ses scandales que par ses textes.
Tragédie des bas-fonds, qui a l’avantage, pour vous, de combiner deux mythes.
D’abord le mythe de l’artiste maudit.
La situation dont jouissent mes confrères, je n’en veux pas.
Je n’ai pas rompu avec la tradition, mis sens dessus dessous l’écriture, inventé à neuf les sous-entendus, pour imiter Titien et mourir, comme lui, vieux, couvert de lauriers et riche à millions.
Risquer ma peau dans des aventures pendables, voilà mon genre !
Reconnaissez que je suis parfait dans ma catégorie.
La justice toujours à mes trousses…, les spadassins toujours aux aguets.
Regardez ce que j’ai fait de ma vie !
Un précipice, une course vers la mort, je ne suis à l’aise que dans l’excès, la démesure.
Pas d’accomplissement en dehors du crime, ni d’autre apothéose que dans la folie.
Quel décor, quel théâtre de tragédie que ma vie, abandonné des hommes, rejeté des dieux !
Sodoma ?
De ses mœurs, confirmées par son surnom, on ne voit trace dans son œuvre.
Botticelli ?
De Madones suaves en délicats androgynes, d’anges asexués en Vénus pâles, comme il vous a mystifiés, démentant, par son idéal artistique, sa dépravation quotidienne !
Signorelli ?
Pour rester en paix avec sa conscience et ne pas dégarnir son carnet de commandes, il entassait dans l’enfer, en leur donnant la figure de damnés, ceux qu’il traitait plus tendrement en privé.
Leonardo ?
L’acte de l’accouplement et les membres qui y sont employés ont une telle laideur, prétendait-il, que, sans la beauté des visages, la nature perdrait l’espèce humaine.
Michelangelo ?
Le pire de tous, soucieux de conserver la faveur des papes, il s’efforçait de convaincre, textes de Platon à l’appui, que l’amour spirituel était seul à l’occuper : “Si je dessine le rapt de Ganymède”, disait-il, “Ce n’est pas que je croie que Zeus ait enlevé le jeune prince pour en faire ses délices, qu’allez-vous imaginer ? Il ne s’agit que d’une métaphore ! En Ganymède, ne voyez que le pur Intellect, saisi par la fureur de connaître, furor cognitionis. Le bel éphèbe ne demande à l’aigle que de l’arracher à la terre et de le soulever dans le ciel des idées ; et cet oiseau, que vous preniez pour un rapace luxurieux, n’est que l’auxiliaire de la Philosophie, muni d’ailes qui enlèvent l’écolier dans les hauteurs éthérées du cosmos, eximiae mundi partes”.
Voilà comment le jésuitisme et le porte-monnaie ont déformé un fait divers sexuel en fable humaniste.
Fourberies, tous lâches, tous courtisans et intéressés !
Je suis l’unique, entre cette foule de sodomites clandestins, de bardaches honteux, de crypto-bougres, l’unique à m’être dit et proclamé ce que je suis, des pieds à la tête, dans mes œuvres comme dans ma vie.
Une vraie réclame, comme vous me représenterez désormais, l’emblème de la noble cause, l’ange des maudits, une sorte d’icône, le pape du customizing, la pieuse et glorieuse réunion du héros et du martyr incompris.
Convient-il de verser des larmes de deuil sur un homme (moi) qui court au-devant du sacrifice dans les circonstances exactes qu’il a lui-même prédites ?
Si j’ai écrit la répétition générale de ma propre mort, est-ce pour qu’on se désole de ce qui m’arrive aujourd’hui ?
Bof !
Il n’y a que le temps qui manque au temps… l’humain ne manque qu’à lui-même…
Vous courrez trop vite, trop loin, pour que la poésie du temps vous imprègne…
Elle ne fait que passer, venant de rien, n’allant que vers des chimères…
Juste pour qu’on sache que tout est éphémère.
Tout heureux d’avoir pu vous offrir quelques moments d’éternité…
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