Mon concept électrique…
Monsieur Gadonneix, PDG de EDF,
Monsieur, ça fait un mois que je tourne et retourne des mots simples, voire simplifiés pour capter votre attention…
Il se fait, voyez-vous, que j’ai un concept…
Un concept électrique innovant en matière de mobilité électrique, un bazar auquel personne n’a pensé…
Avant d’imaginer cette idée…, ça allait.
C’était avant GDF…
Je me disais que ça allait aller… et c’était peut-être vrai d’ailleurs, quoique je suis venu à en douter après expertise… et rien ne permet honnêtement de l’affirmer encore aujourd’hui avec le recul du temps qui passe.
De temps en temps, il arrive que je me surprenne en flagrant délit de sobriété : clairement, je ne vois qu’une explication satisfaisante : quelqu’un d’autre que moi-même me vole mon temps à intervalles irréguliers et se met à vivre à ma place selon ses propres valeurs.
Quand je reprends le contrôle de la situation, comme ce soir, ou j’écris mes délires quotidiens…, tout reste à faire de nouveau.
Je farfouille dans ma mémoire pour le retrouver, en y repensant intensément, mais c’est trop tard maintenant… et la marche arrière est cassée de toute façon.
Je pratique donc en roue libre.
Le péril me connaît, c’est réciproque, quant à la gloire… je crois que je n’y ai jamais vraiment songé, sauf quand je rêve que je suis poursuivi par le Fisc…, les fonctionnaires me considèrent en effet comme un sociopathe éclairé au modus operandi délibérément autonome, toujours prêt à dégainer un argumentaire saisissant… ou à consoler le Vulgus-Pécum de la perte de sa fortune aimée, avec une philosophie épicurienne mâtinée d’un pragmatisme quasi rural…
Les corps immergés dans le cortex cérébral remontent à un moment ou un autre, même s’il faut toujours qu’ils fassent leurs intéressants pour qu’on s’occupe d’eux, qu’on les prenne en considération au cas où ça servirait à quelque chose.
Je me suis toutefois pas plu, il y a quelques années, en leur compagnie, lorsqu’ils fouillaient mon bureau à la recherche d’éléments compromettants…, pour eux !
Le contraste entre eux et moi, même via quelqu’un d’autre qui s’interposait pour me permettre d’encaisser les chocs, fut appréciable au début, mais rapidement ça n’a plus eu de sens.
Par défi, j’ai d’ailleurs, devant eux, terminé la lecture d’un livre sur les paradis fiscaux, appuyé au mur qui jouxtait la sortie vers la liberté… et les Edens financiers perdus dans des El Dorado de souvenirs.
En abordant la question avec quelques-uns, je me suis aperçu qu’ils préféraient éluder toute réponse pour aller directement déjeuner en terrasse, mais le sixième fut le bon…
Je comptais bien aller au bout de mon idée, mais une poignée de gauchistes a commencé à se dandiner derrière les fenêtres, quelques-uns ont alors mis leurs nez crochus dehors, l’odeur sans doute, les avait alertés.
Ce n’était pas la place d’un éditeur : ça sentait mauvais et il y en avait toujours pour me proposer de tout arranger en contrepartie d’un pot de vin millésimé…
Il suffisait que ces sauvages me voient arriver avec ma tenue coloniale et mes lunettes de soleil… et là, ils se jetaient sur moi comme une horde de hyènes.
Moi je m’en foutais, je n’hésitais pas à marcher sur les plus petits pour leur échapper.
Il faut bien se défendre, sinon on tombe dans le piège de la pitié gratuite et c’est fini…
Alors là, je dis non.
La meilleure technique, c’est de progresser en crabe dans le panier des mêmes (crabes) en donnant des coups de coude pour se dégager ; je vous dis ça si jamais vous êtes cerné en milieu fiscal extrême, un jour.
Par habitude, je guette toujours les infos au cas où une situation de crise nécessitant une modification de mon style de vie se présenterait…, la crise faisant des ravages et les banquiers tombant comme des mouches à cause des épargnants qui les attendent au coin des ruelles sombres avec des coups de poing américains et des canalisations en PVC.
De quoi perdre la foi…, la dépression, en double-sens, n’étant pas loin.
En m’installant ailleurs, je pensais que l’inhumanité fiscale me laisserait enfin en paix et que je pourrais oeuvrer en toute impunité.
De ce côté-là, je n’ai pas vraiment à me plaindre puisque je rivalise d’astuce quand je pratique cette discipline.
Toutefois, depuis que je suis dans le creux de la vague journalistique, je transpire énormément.
Mon corps essaye d’élaborer une couche protectrice aqueuse, c’est sa manière de répondre à la torpeur.
Et là, on voit bien que ce n’est pas tout à fait étudié puisque la rose se défend largement mieux que ça avec les pucerons.
La nature est redoutable défensivement.
L’homme, non.
Bien sûr on peut toujours se neutraliser en se faisant mourir mais ça reste une démarche à produire.
Il faut se saisir d’objets, envisager une approche, écrire des lettres larmoyantes, remettre à demain pour cause de masturbation, puis à dix ans pour cause de pas envie : enfin, un travail pénible…
On ne devrait pas avoir à le faire mais les gens ne laissent pas vraiment le choix aux autres gens.
Enfin si…, on peut les fuir mais ils sont partout, alors celui-là ou un autre, quelle importance.
Je me comprends.
J’ai pris conscience de mon ennui profond dans un tel moment, je me suis dit qu’on ne pouvait avoir confiance en rien, décidément.
Les circonstances m’ont conduit à la conclusion qui s’imposait : ma passion envers les Mojitos avait décidément le dessus et cet amour premier était seul à pouvoir générer le microcosme décalé nécessaire, l’exutoire énergophage provoqué par le manque criant d’intérêt du monde tel que je pouvais l’observer à partir du moment où, provoquer moi-même un conflit d’ampleur pour survivre professionnellement, restait la dernière issue.
Billie Jean de Michael Jackson, le Roi de la Pop, vibrant dans mes oreilles… et je me suis alors mis à gigoter dès les premières notes sur le carrelage de la cuisine en passant mes doigts écartés devant les yeux au cœur d’un frénétique Moonwalk digne de ses plus performantes représentations de music-hall, genou à terre pour le final…
Il me fallait fêter cette nouvelle folie… et j’ai balancé le cadavre de la bouteille de rhum par la fenêtre avant de me plaquer au sol : allez, adjugé, c’était ça ou passer mon temps à mettre le feu à mes neurones.
Et je crois que l’étau s’est, de ce haut fait d’arme, bien resserré autour de mon cerveau… qui a alors élaboré un concept électrique…
En vitesse, j’ai préparé un colis avec le coffret best-of de Michael Jackson, adressé à quelqu’un d’autre.
Ca tomberait forcément sur un type qui se sentirait obligé de faire le malin en transmettant mon message subliminal à son entourage.
Dans mon métier, il faut toujours avoir un coup d’avance et un panorama bien dégagé.
Si j’avais eu un ami, je serais allé l’avertir de mon prochain départ sans oublier de lui laisser les clés pour arroser le palmier nain que j’avais ramené de Nassau par cargo, mais peut-on confier ses clés à un ennemi juré ?
J’ai donc passé un temps considérable à peaufiner mon concept électrique, illuminé et électrisé rien que par l’idée de base…
Une fois au point, le concept bien en tête, je suis parti directement le vendre…
J’avais toutefois flairé une Berezina possible !
Tout le monde ne perçoit pas les illuminations de la même intensité que les illuminés…
Mais Quo vadis ?… me suis-je dit à moi-même en pensant à quelqu’un d’autre…, calé dans le siège de la BMW M535 bleue à bandes grises que mon ami Patrick m’avait prété dans l’espoir avoué que mon salaire potentiel de 50.000 euros nets plus pourcentages et divers ainsi que parachute doré…, me fassent l’engager comme mon bras droit, chauffard et garde de mon corps…
Ca n’avait pas le sens que j’espérais, traduction faite.
Je ne vais pas vous dévoiller mon concept, de peur que vous me le preniez pour en faire quelque chose qui m’échapperait, tout comme vous…
Simplement, pour quand même vous donner une indication, je vous écrit qu’il s’agissait d’un bazar révolutionnaire tournant autour et alentour de la mobilité électrique…
Théoriquement, quiconque quidam pensant mobilité électrique, aurait immédiatement été électrisé, voire illuminé par EDF…
Logique !
Mais pas moi…
Par une circonvolution léthale de mon esprit, j’ai opté pour GDF…
J’ai donc téléphoné pour avoir un rendez-vous directement avec le Big boss, celui qui atomise et empoche plus de 500.000 euros nets par mois plus primes et divers…
– Bonjour, que puis-je pour vous ?
– J’ai un concept qui peut révolutionner votre entreprise…
Ce fut aussi simple que cela…, sauf que ce le fut avec diverses secrétaires de plus en plus “de direction“…, avant d’atteindre le quasi-sommet qui m’a écouté plus de quatre heures…
Après cet échange, suivi de divers émails, on a fixé un rendez-vous physique à Paris…
A peine arrivé, par la grande porte, une réceptionniste m’a dit d’aller m’asseoir et j’ai fait mine de trouver ça normal…, quoique…
Inutile de lui rappeler sa condition et l’intérêt d’avoir l’opportunité de croiser quelqu’un de mon espèce quand on gagne mille cinq cent euros mensuels en répondant au téléphone avec Cosmo sur les genoux.
J’ai un problème avec les gens qui lisent au travail, avec ceux qui ne lisent pas et se contentent de travailler en exposant leur satisfaction également.
Qui a dit que le travail était destiné à ceux qui ne savaient rien faire au départ, déjà ?
Je ne sais plus.
Dans un film, peut-être…
Hum !
– Monsieur.. ? Dernier étage, bureau 1
Ah, tout de même.
J’ai déboulé avec un air très assuré, histoire de montrer à tout le monde que je n’étais pas là pour m’amuser.
Dommage que le distributeur d’eau fraîche ait été le seul à en profiter.
Je m’attendais à un minimum de secrétaires qui font tomber leurs dossiers dans le couloir, croupes en montgolfières…
Et finalement non, il faut croire que la vie n’est pas toujours une série télé.
Pourtant, je trouve que ça y ressemble régulièrement.
Mettons que ce n’est qu’un long ricanement d’otarie.
On bruissait un peu derrière les portes, ça claquait de la feuille.
Moi aussi, je peux mettre un ventilateur à proximité d’un tas de dossiers.
Je n’en fais pas mon métier pour autant.
Mon détecteur de gens intégré, a perçu du mouvement vers le fond, salle de conférence apparemment.
Je me suis assoupli les rotules devant la double porte, montant ma garde avec les poings, expirant bruyamment pour me mettre dans le bain.
Uppercut, jeu de jambes affolant, feinte de corps et crochet.
Pas chassés, petite provocation du doigt, le majeur.
J’étais bon.
– Sacrée technique…
Un fourbe.
Planqué dans le recoin à côté de la machine à café.
Gargamel petit format.
Facile, le sarcasme.
J’ai ouvert les deux battants à la volée, l’effet de surprise en bonus.
Sans compter que je donnais à penser qu’un seul était insuffisant pour ma carrure.
On a tort de sous-estimer ces petites choses ; sur le terrain, elles ne sont pas si dérisoires que ça.
Essayez pour voir.
– Messieurs, j’ai un concept…
Une demi-douzaine de cadres qui se battaient en duel, occupés à parapher des documents en hochant la tête, se sont retournés d’un seul tenant sans l’aboutissant…
Ils n’hochaient plus du chef, mais je suppose que c’était le cas juste avant.
– Alors, c’est quoi votre concept ?
– On a bouleversé les gens avec l’automobile telle qu’on la connait… et maintenant on en est où ? Je vais vous le dire : on en est à se faire lobotomiser, voilà la triste vérité. Elle est tombée bien bas, la légende populaire. On a même atteint la consécration suprême en entrant de plain-pied dans la folie de consommation de pétrole. Vrai ou faux ? Et qui peut prétendre le contraire ? Personne.
– Alors, je répète ma question : c’est quoi votre concept ?
– Voilà mon concept. C’est lui la clé. Les gens ne veulent plus bouffer des lapins roses, on a créé un évènement majeur à l’époque et il est dissipé, c’est entendu. On va donc rebondir en frappant un grand coup. Demain, c’est le grand renouveau. D’ailleurs, tout est prêt. Regardez….
J’ai effacé vigoureusement le tableau blanc et pris le marqueur (c’était un noir et j’ai dû improviser vu que j’avais mentalisé ma performance avec un bleu).
Ma démonstration débutait avec un schéma, ceci dit, ce sont les cases et les grandes flèches qui font tout l’impact visuel d’un projet.
Et toujours finir en frappant d’un coup sec avec la pointe.
Un costard qui entourait un type a levé la main :
– Trop scientifique. La cible ne connaît pas et ne veut pas connaître. On perd le contact, c’est évident…
Son frère siamois a enchaîné :
– Oui, c’est intéressant mais on aurait davantage d’emprise avec un concept moins conceptuel : on garderait l’exotique de votre idée tout en restant à portée du public de base…
Le chef des parapheurs a cru bon d’intervenir à son tour :
– Mais vous êtes qui ?
– Je fais partie de ces gens à la fois étranges et hors du commun qui s’opposent aux manques d’idées d’autrui. Vous allez voir, c’est tout un programme…
Sur le coup, ils m’ont fait une tête de tube.
Ils s’attendaient à pire et je peux le comprendre : moi aussi.
J’ai pris quelques secondes de temps pour développer l’imparable…
Ce fut alors le silence…
Puis un “génial” s’est fait entendre… et en quelques secondes tout le monde m’applaudissait.
C’est alors que le Big boss à 500.000 euros mensuels nets plus les divers et autres, ainsi qu’un parachute doré, a dit : On a fusionné avec Total…
Un “Ahhhhhhhh! oui, c’est vrai“… a fusé de toutes les bouches en coeur…
Le chef en second (à 300.000 euros par mois nets plus les avantages divers), m’a fait dire par son adjoint à 100.000… que mon idée était trop en avance et que les investissements utiles quoique nécessaires devaient être sauvegardés pour d’autres concepts plus en phase électrique avec l’orientation du groupe…
Une impression apparemment partagée puisque je me suis retrouvé dehors très rapidement…, demandant aux passants de signer la pétition “La voiture électrique c’est la mobilité de demain pour aujourd’hui” que j’avais griffonnée dans l’ascenseur entre 4 gardiens de la sécurité.
Je me suis lassé quand un dentiste m’a répondu que les bonbons pour l’haleine ne remplaçaient pas un brossage vigoureux après chaque repas.
Ah c’est sûr, elle n’est pas évidente, la carrière de génie conceptuel !
Je me suis dit qu’il valait mieux rentrer le plus vite possible en attendant la prochaine guerre d’ampleur.
Une dame très légèrement vétue qui faisait les cent pas…, m’a demandé si ça allait comme je voulais, ce à quoi j’ai répondu : Combien ?
Je ne suis pas sûr ne m’être bien fait comprendre, j’ai vomi sur ses cuissardes.
Elle est retournée à la contemplation du trottoir.
On aurait pu s’entendre, pourtant, si jamais elle avait eu la présence d’esprit de rétorquer quelque chose qui nous aurait permis d’engager une discussion amicale.
Mais non, alors tant pis.
Mes efforts basiques pour entretenir mon illusion que la Terre continuait, quoi qu’il arrive, à tourner, n’étaient plus accomplis…
Je me suis raccroché à mon volant en me demandant de quelle manière j’allais pouvoir proposer le même concept à EDF…
J’avais de bonnes raisons de croire que ceux-là se montreraient plus coopératifs, suffisamment responsables.
J’ai couvert la distance Paris/Bruxelles plus rapidement qu’Amstrong en vélo de la terre à la lune…
J’étais en train de me tâter sur la pertinence d’envoyer une ou deux chaises dont je n’avais jamais eu l’utilité quand la vitrine a fini par céder sous l’impact d’un disque dur externe.
Grâce à mes quatre serrures qui s’ouvrent avec de très grosses clés bien épaisses, personne ne s’était introduit chez moi pour subtiliser mes autres concepts.
Un maigre sacrifice au vu de la performance puisque je garde toujours des cds de sauvegarde de mes pornos favoris.
A l’idée d’aller tout de même récupérer le disque dur externe… pour être sûr… : j’ai gloussé.
Mon amante me rappelle souvent que je finirais riche mais très seul, payant toutes mes compagnies et méprisant le monde avec la copieuse réciprocité qui en découle souvent.
Elle n’a pas mon sens de la syntaxe déjantée mais en substance, elle a du bon-sens.
Après la pluie, le beau temps…
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