Naissance du cynisme…
Tout est parti d’un rien et d’un seul homme. Nous sommes dans les environs de 500 avant notre J.C. Superstar. Les sept leaders de la sagesse (à savoir que les 7 sages sont vingt-deux : Thalès, Pittacos, Bias, Solon, Cleobule, Chilon, Periandre, Myson, Aristodème, Epiménide, Léophante, Pythagore, Anacharsis, Epicharme, Acousilée, Orphée, Pisistrate, Phérécide, Hermionée, Lasos, Pamphile et Anaxagore), un jour, se sont donné rendez-vous à Delphes, chez l’Oracle d’Apollon, et une fois arrivés sur les lieux, ils ont été reçus avec tout les honneurs par le prêtre le plus agé. Celui-ci, voyant assemblé autour de lui la fine fleur de la sagesse grecque, en profita tout de suite pour demander à chacun de graver une maxime sur les murs du temple.
Le premier à accepter cette invitation fut Chilon de Sparte qui, s’étant fait donné une echelle, écrivit, juste sur le fronton d’entrée, la fameuse sentence : “Connais-toi toi-même“. L’un après l’autre, tous les Sages l’imitèrent. Cléobule et Périandre, le premier à droite, le deuxième à gauche du portail, gravèrent leurs célèbre devises : “Excellente est la mesure” et “La tranquilité est la plus belle chose du monde“.
Solon, en signe de modestie, choisit un petit coin obscur du prostyle et écrivit : “Apprends à obéir et tu apprendras à commander“. Thalès laissa son témoignage sur les murs extérieurs du temple, de façon que tous les pélerins venant de la voie Sacrée puissent avoir devant eux l’inscription : “Souviens-toi de tes amis!“… Pittacos, excentrique comme toujours, s’agenouilla devant le trépied de la pythie et grava sur le sol un incompréhensible “Restitue ta caution“. En bon dernier, Bias de Prème, à la grande surprise de toute l’assistance, commença par dire qu’en vérité, ce jour-là, il n’avait de courage pour rien et qu’en somme… il ne savait pas quoi écrire.
Tous les autres l’entourèrent alors, et chacun tenta de lui suggérer une phrase choc ; mais malgré les encouragements de ses collègues, Bias semblaient indifférent et inflexible. Plus ceux-là disaient : “Hardi, Bias, fils de Teutamos, toi qui de nous tous est le plus sage, laisse aux futurs visiteurs de ce temple une trace de ta lumière!” et plus il se dérobait en objectant : “Mes amis, écoutez-moi : il vaut mieux pour tout le monde que je n’écrive rien“.
A un moment donné, après bien des tergiversions, on insista tant que le pauvre vieux sage ne put manquer d’écrire quelque chose. Ce fut alors que d’une main tremblante, il prit un petit ciseau et écrivit : “La majorité des hommes est méchante“…
A la lire rapidement, on dirait une petite phrase de rien du tout, et pourtant, cette maxime de Bias constitue le verdict le plus dramatique qui fut exprimé par la philosophie grecque. “La majorité des hommes est méchante” est une bombe succeptible de détruire n’importe quelle idéologie. C’est comme entrer dans un supermaché et enlever d’une énorme pyramide de pots de confiture l’un des pots de la base : tout s’éffondre, le principe de la démocratie, le suffrage universel, le marxisme, le christianisme et toute autre doctrine fondée sur l’amour du prochain. C’est Jean-Jacques Rousseau, le défenseur de la théorie de l’homme “bon par nature” qui perd la partie et c’est Thomas Hobbes qui l’emporte avec son slogan : “L’homme est un loup pour l’homme“. Le français, le plus cynique des terriens, se nourrira de cette substance filandreuse pour en faire une vraie culture, le monde entier se dotera de l’humour noir à quelque degré que ce soit, le 3ème amendement se verra souvent bafoué ou listigé par la force et la puissance de cette notion maintenant aussi ancrée dans l’esprit humain qu’un chewing-gum sur le bitume.
Et tout cela grâce à un seul homme, une seule phrase, une seule pensée.