Néant….
La nuit je ne fais rien, la nuit je ne dors pas et je regarde le plafond tourner autour de moi. Ça pourrait être drôle, mais ça ne l’est pas. Je compte les gorgées de mojito que j’avale et ça me ferait presque rire si mes chers fantômes n’hurlaient pas, parce que oui, décidément, mes pensées sont beaucoup trop fortes pour eux. Je sais que la nuit, je devrais dormir, cela me permettrait sûrement de vivre une certaine normalité. Mais que voulez vous, un jour j’ai décidé d’être insomniaque, d’avoir une vie parallèle passée à rêver et écrire mes cauchemars, mes envies, mes rejets de discuter avec quelques fantômes à qui je dis les mêmes choses pour être bien certain que je les comprends moi-même… Ne me demandez pas le pourquoi du comment, c’est une trop longue histoire, mais c’est dans l’air du temps d’avaler ou débiter, c’est selon, des petites conneries quotidiennement, histoire d’écrire mes folies. Et puis parce que même avec les cheveux gras et pas rasé à deux heures et quatre minutes, j’arrive à vivre. Ça ne devait pas se passer comme ça, et pourtant j’aurais tort de dire le contraire.
J’étais là, gisant, le matin dans ce bar glauque et je ne comprenais vraiment pas ce que je foutais là entre ces deux nanas. Le plafond tournait encore quand j’ai vu cette fille se dresser au dessus de moi et planter son regard dans le mien en me murmurant qu’il fallait que je me barre de cet endroit. Je me suis levé, maladroitement et je l’ai suivie.
Je ne comprenais rien, dehors il n’y avait que des corps allongés et nus, c’était l’aube, elle m’a montré une voiture avec une autre fille dedans, on est monté et elle a démarré à m’en retourner l’estomac. Quand elle a enfin freiné net devant mon immeuble, j’ai ouvert la portière pour faire gicler sur l’asphalte le contenu de mes tripes. J’avais mal à la tête, j’ai avalé un aspégic1000 avec un filet d’eau, j’ai fait couler un bain, et je me suis allongé dans l’eau, mon corps était couvert de bleus, et je ne voulais pas savoir ce qui c’était passé. Je me souviens juste avoir aperçu deux jeunes femmes dans ce bar et qu’à partir de là j’ai enchaîné les verres de mojito qu’on m’offrait, le regard dans le vide, je n’en avais vraiment rien à faire ! Je suis passé devant ta table des nanas et je ne me souviens plus de rien. Juste des rires qui me reviennent, les miens et ceux des autres, et du comptoir avec des cadavres de bouteilles et d’autres choses. Je me suis endormi dans la baignoire. Je préfère cauchemarder que de savoir ce que je fais de mes nuits.
Mes nuits qui ne m’appartiennent plus. J’aurais aimé sentir un souffle amoureux dans mon cou. J’ai regardé le temps défiler devant moi avec torpeur en me haïssant au fil des heures. Je suis sorti de la baignoire, l’eau était froide, je me suis installé devant mon ordinateur et j’ai contemplé des photos dans le noir, comme dedans l’écran, sans bouger. Au bout d’un temps incertain, je me suis levé pour aller me coucher et je suis passé devant mon reflet ! J’aurais pu devenir presque célèbre avec mon record de silence, et ma manière de briser les miroirs d’incertitudes avec mon poing comme dans un vieux clip, mais au lieu de ça j’ai filé un coup de tête dans l’image qui était la mienne et j’ai saigné du nez… et j’ai laissé le sang couler sur mes doigts, dans ma bouche, ça laissait un goût métallique sur ma langue comme si on me défonçait le corps avec une barre de fer. Mon oreiller est plein de sang maintenant, et je contemple amèrement le désastre de ma nuit glauque… Je voudrais que ma migraine cesse, mais elle empire et je n’ai même plus envie de faire des efforts, j’en ai déjà trop fait, ou pas assez… Le bordel autour de moi est le seul témoin de ma dérive ainsi que les textes et livres que j’écris puis que j’entasse, mais que je refuse de relire parce que je suis fatigué du temps qui passe…. Qu’importent les rumeurs, j’ai déjà été si loin en toutes choses que plus rien ne peut m’atteindre.
Je suis las des conneries humaines, des rumeurs, des ragots, même des gens, de toutes les choses, alors je cours, encore et encore et si vite que j’en perds mon souffle. Je sème mes désillusions mâtinées d’amertumes. Je suis un amnésique de la bêtise qui emplit le monde comme un puits sans fond.
Je sens mon corps qui chavire, je ne me suis jamais autant détesté que cette nuit. Je tourne et tourne et tourbillonne dans les mots, mon cœur est brisé, je n’arrive plus à le recoudre car tout mon fil de fer est déjà rouillé, cassé. Un jour j’irai là où je suis si bien, dans un ailleurs doux, tout au fond de ma tête, dans les voltiges de mon esprit. Et le vent souffle.
Ma tête tombera un matin, presque sans s’en apercevoir, amoureuse d’une lame de rasoir. De le savoir, je n’arrête pas de trancher des ruisseaux de détresse aux creux de mes bras. Je sombre la tête la première et les cendres s’envolent… Me voilà noyé dans le fleuve insipide qui fait mourir le ciel. Et sous la caresse du néant, lorsque le jour s’éteint, tremble mon corps épris de romances infernales. Sous la voûte glaciale et le lustre d’argent, les bulles coulent à flot, les macarons viennent fondre sur ma langue, exquise volupté des diamants de la nuit. J’y glisse doucement et j’entends les rires lointains qui viennent du palais des jouissances toujours inassouvies… Ce palais m’appartient, mais tant de tristesse s’y loge, que j’erre silencieux. Dans mon verre de mojito j’essaye de me noyer, de disparaître, avant que Quelqu’un d’autre que moi-même surgisse pour me sortir de l’arrière d’un miroir. Je sens délicieusement le parfum du vent qui fait claquer les fenêtres oubliées. Les murmures des fantômes pénètrent tous les murs et les craquements austères me font frémir juste avant l’étreinte de Morphée, comme un manque désillusionné. Je me sens comme empoisonné, errant sur des ruines où on ne peut plus rien reconstruire. Le monde est en train de mourir dans mes yeux. Je préfère sombrer dans la démence que de contempler ces horreurs. Les gens nous rayent tous et toutes, les uns les autres, les unes aux autres, ils nous suppriment, ils tracent un trait en cliquant sur un bouton, même s’ils nous ont aimé, même si on les aime follement encore, c’est tellement facile en ce siècle d’oublier les souvenirs, les âmes. Je voudrais continuer encore et encore, ne pas savoir, faire semblant. Mais la réalité est si loin qu’elle me brûle. Alors j’entends des mélodies vertigineuses, je sens mon sang qui s’écoule, et mon cœur qui se tord. Je ne dors pas, non pas encore, pas maintenant, si mes yeux se ferment je vais mourir, j’en suis persuadé, je vais disparaître dans mon sommeil, je serais invisible, et là il n’y aura vraiment plus rien. Je me noie, et au lieu de me débattre et de nager, je me laisse couler au fond d’une mer de mélancolie, il n’y aura personne pour venir me sortir de l’eau. Il n’y a plus de poésie, il n’y a que la nuit qui déchire mon corps. Je me lève, me recouche, allume la lumière, puis l’éteint, la rallume. J’ouvre la porte des rêves, et dans la pénombre givrée, je regarde l’enfer de jouissances. J’ai comme ré-ouvert la boîte secrète des désirs fous, pour la deuxième fois de la nuit, je me vois déchiqueter la peau d’une jeune femme avec violence, le fouet vient s’enrouler, comme un serpent captivant sa proie, le long de son corps. Et puis je m’écroule dans le sommeil, mon corps réagit enfin.
Il doit être trois heures trente ou bien peut être quatre. Je suis dans un brouillard total, j’avale un mojito, encore, et je titube dans le noir. La vie est une mascarade, et je m’en vais remettre mon masque. Je rallume mon ordinateur. J’écris. J’écris, j’appelle. Mais il n’y a que du silence comme du vide, comme de la musique sur un répondeur. Elle est jolie, et brune. Elle aime les mojitos et peut être un peu trop, un peu comme moi. Elle habite à des kilomètres de moi.
Mais il y a un point de chute. C’est mon éternelle, depuis, je ne compte plus les années. Elles semblent immortelles. Mais il y a cette autre qui l’interpelle en délires et que je déteste déjà. Oui moi aussi j’ai ma petite jalousie parfois, mais là c’est autrement. Elle lui envoie un bouquet lorsque je lui envoie des fleurs. Elle lui tapotte mensonges, elle tourne tourments… J’écris, j’appelle, ces voyelles et ces consonnes qui sonnent. Je fais le voyage à l’envers dans ma tête. Trop de solitude à vouloir l’impossible. Mes mots s’envolent dans un feu. J’écris des pages sans réponse. J’écris trop de pages sans réponse. Mes textes contiennent trop de secrets interdits différents. De la poussière avec une magie mystérieuse. J’imagine et j’écris la brume sur ses songes, délicatement déposée, comme un baiser, mes lèvres qui effleurent à peine sa bouche. Une morsure dans le cou, une marque rouge de passion. Les effleurements dans les chimères, une chimie qui me déporte, loin de toutes les réalités qui s’offrent à moi, la poésie me brûle, chaque soupir a un goût d’éternel, chaque mot me rapproche silencieusement de l’infini des riens…. Je regarde dans la boîte de Pandorre et il n’y a que des mots cassés, des souvenirs de pacotilles, des poussières de vide. Sans passé. Sans avenir. Juste un néant dans une boîte où flotte la mort. C’est presque effrayant que ça me remonte dans l’œsophage, prèt à éclater sur le sol. Elle est là, mon amertume et ma douleur de l’inachevé. C’est comme un film sans fin, un roman qui ne peut plus s’écrire.
J’ai beau ouvrir les yeux sur le monde, tout se brouille, et je tangue. Mais j’avance en solitude intérieure, imperceptible, planqué derrière un sourire. Je bois trop, je suis déjà dans l’ambulance. Mais là, il n’y a plus personne à appeler, parce qu’ils sont tous partis. Il n’y a plus que des poussières de moi.
Ma nostalgie me tuera, je le sais. J’ai beau me débattre, des liens attachent mes poignets, me clouant au sol. Je brûle, parce que je suis comme du papier que l’on jette au feu comme pour brûler mes textes. J’ai de la mélancolie qui glisse dans mes veines, la toxine de la passion qui détruit toutes mes cellules. Je veux mettre des cadres sur les tableaux de ma vie, mais il n’y en a pas. Alors j’erre, je ne sais plus d’ou je viens, pas où je vais et je préfère ne pas savoir.
L’humanité est une catastrophe. Je veux juste boire un dernier mojito et m’endormir pour ne plus jamais me réveiller dans ce monde qui n’est plus le mien.
J’ai mal dans la glace. Dans le froid. Comme avant. Jusqu’à en crever de douleur, au-delà de tout, en deçà de rien, même après. Je murmure cette folie, toutes les nuits, impossible de m’arrêter. J’épure le tout. Disparaître dans l’opéra des souvenirs. Je ne garde que mes secrets interdits. Non, personne ne sait, ne saura, ne voudra savoir. Le feu de mon cœur où la dague se plante, marquant ma chair. Pour toujours. Les blessures de la douceur. La folie qui se développe la nuit et les lianes de la jungle des sentiments qui me déchirent les bras, m’écartèlent le corps. Silence. Le lit est froid face à la porte. Les murs se rapprochent.
Et les voix se déchaînent. Folie, folie, folie. A l’aube de mon éveil, je racle tout, il me faut consumer les derniers maux pour enfin prendre un nouveau train, ça m’égorge juste dans le vide de mon antre. J’explose dans le noir, je jouis…. Mais j’attache une des jeunes femmes à ma conscience qui extrait de mon inconscient des choses à oublier. Abusée. Déchiquetée. Comme une putain. Nous sommes tous les putains de ce monde. Pantins amorcés dans les trompes de Fallope. Ça strangule tous nos espoirs. Mais l’eau devient le communicateur, et nous plongeons juste avant de revoir le néant. On croit que tout va aller mieux maintenant, mais on ne fait que mentir aux autres, et à nous même. Passivement, les journées passent, lascivement l’espoir se casse. On voudrait bien y croire à ce putain de sourire, mais chaque minute nous l’arrache. On a même plus le goût de faire des efforts. Les secondes deviennent des jours. Quand on essaye de comprendre, on nous explique qu’on n’a plus rien à nous dire. La nostalgie ça n’existe plus. De toute façon, je pourrais bien crever, les gens ne viendraient même pas cracher sur ma tombe, ils ont raison, avec la canicule qui approche, il vaut mieux garder sa salive. Les gens perdent le goût du réel, tout passe par un écran, il n’y a plus rien dans la réalité. Il faut se rendre à l’évidence, quand ça ne passe pas par un écran, ça passe dans l’organisme. C’est peut-être parce que je viens de flanquer mon dernier livre à la poubelle de l’histoire que je suis aussi amer. Mais de toute façon, il vaut mieux jeter les conneries de nos pitoyables existences dans une corbeille que de les envoyer dans une maison d’édition qui de toute manière ne veut que ce qui se vend. Et je ne suis pas virtuel, même si la masturbation intellectuelle prostitue mon âme sur le web… Retour dans l’antre de ma folie. J’ai laissé quelques rêves dans le donjon des jouissances, en m’endormant dans le vide.
Je me réveille dans un lit de Roi, du baroque sous les yeux. Et je cours. Je monte tous les escaliers et je les descends. Je mélange tout, du début à la fin. Les peintures géantes et les plafonds plein de couleurs. Les dorures éclatantes. Le corps fatigué. La nostalgie, la peur, la folie, le vide, et puis un soupir de soulagement, juste en fermant les yeux. Mettre le passé au placard. Juste quelques instants. Et oublier les déchirures. Les fantômes. Mes yeux verts s’épuisent, j’ai des bleus sur tout le corps. Puis j’erre dans mon esprit. A l’aube je m’endors et je me laisse emporter dans des rêves d’autres rêves. Le feu se fige quand il pénètre la glace. Unique souvenir. Je suis hors d’atteinte. Dans le crépuscule de mon ombre, je me regarde construire ma destinée. Demain, mes murs seront rouges laqué, il y aura du blanc et du noir et un nouveau livre sur une étagère avec des kilogrammes en moins, et des rires en plus. Quand tout s’affolera, j’éditerai mes plus beaux textes, j’ai encore des lignes à écrire, avant de mourir. Que l’humanité me supporte, je lui montrerais mon reflet dans les plus belles mers du monde. Les murmures dans la nuit. La folie me submerge. Je me réveille il faut sauter du train, pour en prendre un autre. Lent.Très lent. Je me couche tôt. Je me lève tôt. J’inverse mon rythme. Le temps me réveille. Il m’attrape. Me fait passer de l’asthénie à l’ataraxie. Qu’importe. Plus le temps.
Je ne dois pas le laisser m’échapper… Je regarde un dernier rayon de soleil par la fenêtre, s’éteindre. Les murs sont d’un blanc à donner la nausée. Il y a la mort qui rôde dans tous les couloirs et le cliquetis des os, des chariots sur le sol. Je ferme les yeux, je sens une brise effleurer mon visage. Un souffle. Une caresse.
Ce n’était qu’un rêve, il n’y a personne dans le froid de mon existence. Ils se sont tous enfuis. Je me retourne, il me regarde. Illusion d’un fantôme. La nostalgie construit des remparts devant mes yeux. Je me saccage. Il n’y a plus de lumière, juste le néon au dessus de mon lit. Je regarde la ville et ses lumières. Le crépuscule m’embrasse comme si c’était l’ultime. Trop faible, je m’écroule. Je sens mon cœur se serrer et du sang couler dans ma gorge. Le rideau se baisse.
Néant.