Nostalgia, petit tour de l’air du temps suspendu…
Ce n’est plus une tendance, c’est un phénomène rouleau compresseur dont certains aimerait bientôt voir le bout.
Regarder dans le rétroviseur plutôt que de transcender le présent et de fantasmer le futur, c’est l’attitude actuelle.
Dans son ensemble, le monde baigne dans une orgie de nostalgie, bombardé ad nauseam par une promotion au bulldozer…
En marketing, on appelle ça le “down aging”, référence au retour à l’enfance d’une catégorie de consommateurs nostalgiques d’une époque d’insouciance et désireux de trouver dans les produits qu’ils achètent leur madeleine de Proust.
Ce phénomène traverse aujourd’hui toutes les couches de notre quotidien : Média, pubs, mode, gastronomie, design, musique : on nous sert aujourd’hui le vintage à toutes les sauces.
A la télé, les séries font un tabac en ressuscitant les années ’50 et ’60.
Les restaurants lounge et leur style épuré, tellement branchés il y a cinq ans, cèdent désormais la place à des concepts rétro qui restaurent les trentenaires tout en leur faisant faire machine arrière, au milieu des Casimir et Goldorak de leur enfance.
En musique, les groupes de rock ne cessent de se reformer, remisant leurs rhumatismes au placard pour faire tinter une énième fois l’intarissable machine à sous.
Les chanteurs ringards ressortent leurs vieux standards pour divertir des bateaux de croisières en mode nostalgie.
Même la littérature s’y est mise, sur un thème on ne peut plus éculé : sex et rock’n’roll…, aussi rebelle qu’un soldat de l’armée nord-coréenne.
En automobile, la Mini fait le plein de nostalgie, Ferrari en revient à glorifier les moteurs à l’avant et à en tirer fortune… tandis que les Excalibur reviennent nous faire goûter les charmes désuets des années folles…
Bref, c’est la crise comme en ’29… et on fait de la récup’ à tous les étages !
Les boutiques vintages connaissent une période florissante, les soirées rétro de Radio Modern se jouent à guichet fermé avec une formule qui combine les vinyles de swing sur les platines et les socquettes blanches et jupes rétro sur les pistes de danse.
La mode ne jure plus que par les boutiques vintages et les hipsters, ces jeunes adultes au look rétro qui réhabilitent les mocassins, roulent sur des vélos à pignon fixe et sont accros à Instagram, cette application smartphone qui prend des photos au grain suranné, façon polaroïd, donnant un air désuet aux photos.
Alors, valeur refuge en temps de crise ou exaspérant manque d’inspiration et de création ?
C’était mieux avant, vraiment ?
L’esprit humain a décidément la mémoire bien aveugle et sélective !
Un air de déjà-vu, une impression de passé recyclé ad nauseam, comme un remake grandeur nature d’Un jour sans fin avec Bill Murray ou de Retour vers le futur dans lequel YouTube aurait supplanté la DeLorean du Docteur Emmett Brown.
La tendance lourde est à la rétromania : Mode, gastronomie, design, musique, cinéma, télé : on fait désormais de la récup à tous les étages.
Vintage par-ci, nostalgie par-là : notre époque semble préférer regarder dans le rétroviseur plutôt que de transcender le présent et de fantasmer le futur.
Bien sûr, le sentiment de nostalgie a toujours existé.
Depuis la nuit des temps, on se dit que c’était mieux avant.
Platon et Socrate eux-mêmes y sont allés de leur rengaine défaitiste.
Ce qui a changé par contre, c’est le rapport que nous entretenons avec notre passé qui n’a jamais tant inondé le présent, au point d’en être asphyxiant.
Nos années 2000 ne sont guère plus qu’une recomposition des décennies précédentes.
Dans un monde qui n’a que le mot crise à la bouche, à une époque où les jeunes se résignent à un avenir peu engageant, certainement moins reluisant que celui qui s’offrait à leurs aînés, la nostalgie d’un âge d’or idéalisé apparaît comme une échappatoire salutaire, le seul espace où rêver.
Aucun domaine culturel n’échappe à l’obsession des cycles commémoratifs, à la manie des coffrets anniversaires : le business a évidemment flairé le filon depuis belle lurette.
Notre présent est-il en train de boguer ?
Petit tour de l’air du temps suspendu…
Automobile… On organise de plus en plus de rendez-vous de passionnés de la course automobile d’autrefois. On appelle ça du “marketing nostalgique”…, avec des émotions à la clé.
Ne dites pas qu’ils ont de vieilles voitures, que ce sont des dinosaures avec leurs machines techniquement dépassées..
Ils vous répondront que leurs vieux bazars sont des joyaux qu’ils viennent replacer dans leur écrin naturel (Le Mans Classic, le Tour Auto, les Spa Classic au circuit de Francorchamps, le circuit de Monaco, sans oublier Pau, le Castellet, Imola) !
Les plus beaux fleurons de la course d’autrefois sont des bijoux motorisés que l’on porte de temps à autre, avec respect, fierté et un peu de stress quand même.
Il n’est pas conseillé d’envoyer quelques centaines de milliers d’euros dans un rail de sécurité !
Les pilotes, souvent, en sont les propriétaires, et cette forme de “marketing nostalgique” passionne évidemment les Britanniques en grand nombre dans ce genre de manifestation.
L’homme des “Iles” est amateur de sport, d’histoire… et ce parfait gentleman (sic !) ne parle pas d’argent, surtout quand il en a !
L’Angleterre est le cœur du sport automobile, aujourd’hui encore… et c’est bien de l’autre côté du “channel” que des marques à peine connues ici ont fleuri.
D’authentiques Formule 1 de 1966 à 1985 (avant l’époque turbo), des Formule 2 (1967-1978), des Prototypes et GT (réparties en deux catégories : 1966-1974 et 1975-1979), des Sports Protos Groupe C (1982-1993), une catégorie réservée aux voitures italiennes, et même des voitures des “sixties”, disputent des courses d’endurance, copieux menu de divers week-end, sans oublier des sessions de découverte.
Ils participent à deux ou trois meetings par an, la valeur de leur voiture est fonction de ses résultats et c’est pourquoi, ils sont content de terminer devant des voitures autrement plus compétitives que la leur il y a trente ou quarante ans.
Ces voitures peuvent valoir entre presque rien et quelques millions d’euros dans le cas d’une Ferrari 250GTO euros.
La mise en scène a beaucoup d’importance…, des toiles publicitaires effacent les treillis et autres barrières tristement banales… et tous les concurrents sont logés à la même enseigne : souvent des petites tentes blanches accueillent les voitures, les vendeurs, etc.
Appelons ça le charme désuet de la nostalgie.
C’était du temps où le sport automobile était réservé aux “gentlemen”…
Cinéma..
Dans son ensemble, le cinéma le plus célébré aujourd’hui baigne dans une orgie de nostalgie, entre The Artist et son hommage au film muet et Hugo Cabret et son tribut aux pionniers du septième art.
Dans un autre registre, les biopics ne se sont jamais si bien portés : citons entre autres Cloclo, Marilyn Monroe ou Thatcher.
Des films comme Drive ne crachent pas non plus sur un vintage ultrastylisé…, sans compter les sempiternels remakes de vieux films et les non moins redondantes résurrections de superhéros.
Quand on ne les empile pas tous dans le même panier pour mieux faire sonner le tiroir-caisse (The Avengers).
Télévision…
Les séries Mad Men ou Pan Am Girl, pour ne citer qu’elles, font un tabac en ressuscitant les années 50 et 60.
Au rayon des recyclages, on voit la renaissance de séries cultes des années 80 et 90 : Dallas ou Beverly Hills 90210.
Quant aux émissions de variétés, elles se sont fait une spécialité de revisiter les décennies passées : années 80 en tête.
D’autres émissions comme Les enfants de la télé récupèrent aussi sans relâche les moments cultes de votre jeunesse télévore.
Musique…
Les vieux groupes de rock sont devenus des rebelles de salon, à l’image d’un Iggy Pop qui se trémousse désormais sur des publicités pour les Galeries Lafayette.
Les chanteurs ringards ressortent leurs vieux standards pour divertir des bateaux de croisières en mode nostalgie.
Réédition de disques, formation des tribute bands (The Australian Pink Floyd, Letz Zep), résurrection des Rolling Stones ou des Beach Boys : on tourne résolument en boucle.
Même les fils des Beatles flirteraient avec l’idée de reprendre le flambeau.
On ne compte plus les come-back (The Cranberries, Metallica).
Même les nouvelles têtes se raccrochent au passé : Lady Gaga aurait tout piqué à Madonna, Lana Del Rey puise dans une esthétique et un érotisme entre David Lynch et les années 50, tandis que d’autres stars planétaires (Adèle, Amy Winehouse) sont cataloguées dans une soul vintage.
Pendant ce temps-là, le vinyle revient à la mode et les Black Eyed Peas samplent la BO de Dirty Dancing.
Conso…
C’est ce même sentiment délicieux de retour en enfance qui a fait naître la cuisine régressive, tendance qui se répand aujourd’hui comme un coulis de fraise sur une glace vanille : entre autres la folie des cupcakes, ces petits gâteaux ronds et moelleux aux nappages enfantins…, les marshmallow rose bonbon et les Smarties multicolores qui envahissent vitrines et livres de recettes.
Même la technologie se laisse imprégner par la nostalgie, certains concept stores proposent des GSM mythiques comme l’indestructible Nokia 8210, reconditionnés et relookés à grands renforts de couleurs pop…, pour un retour au bon vieux temps où la batterie durait des semaines, et où l’on trouvait partout dans le monde quelqu’un qui avait le même chargeur pour vous dépanner.
C’est paradoxal mais c’est ainsi : avec l’accélération fulgurante des innovations technologiques, le passé a suffoqué le présent.
Avec internet et le MP3, on aurait pu s’attendre à une spectaculaire révolution musicale par exemple, pourtant, c’est surtout l’accès à un vaste patrimoine culturel qui a fait surface.
Avec YouTube et les sites de streaming, tels Deezer ou Spotify, on peut s’offrir d’infinies explorations sur la frise numérique, remonter toutes les époques, se gaver de Bob Dylan ou d’Otis Reding, revoir les concerts mythiques des Doors ou les passages télé de Gainsbourg en quelques clics.
De nos jours, ce qui compte, c’est moins de connaître le dernier courant musical que le dernier produit à la pointe.
Les années 1960-1970 n’ont pas connu tant d’innovations industrielles, cela peut expliquer la grande créativité artistique de cette période.
Aujourd’hui, tout un chacun peut accéder à un volume infini d’archives mondiales.
L’internaute peut retrouver le dessin animé qui a baigné son enfance ou exhumer les archives de la Seconde Guerre mondiale.
Replonger dans sa jeunesse, ou plus loin encore, vers d’autres époques fantasmées, est un jeu d’enfant.
La technologie ressuscite tous azimuts le passé, brouillant désormais les frontières du temps.
L’exemple le plus flagrant ?
Ce concert à Coachella du rappeur américain Snoop Dogg qui a fait apparaître, sous la forme d’un hologramme projeté sur scène, un autre rappeur, Tupac Shakur, décédé il y a 16 ans.
Difficile dans ce duo de dire qui était le plus vivant sur scène !