On nait seul, on vit seul, on meurt seul…
C’est déjà ça, on pourrait n’avoir jamais existé !
Si la mort n’avait que des côtés négatifs, mourir serait un acte impraticable.
Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l’oublier.
La peur de la mort n’est que la projection dans l’avenir d’une peur qui remonte à notre premier instant.
Il nous répugne, c’est certain, de traiter la naissance de ce fléau : ne nous a-t-on pas inculqué qu’elle était le souverain bien, que le pire se situait à la fin et non au début de notre carrière ?
Le mal, le vrai mal est pourtant derrière, non devant nous.
C’est ce qui a échappé aux religions, c’est ce qu’a saisi le Bouddhisme : “Si trois choses n’existaient pas dans le monde, le Parfait n’apparaîtrait pas dans le monde”…
Et, avant la vieillesse et la mort, il place le fait de naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres.
On peut supporter n’importe quelle vérité, si destructrice soit-elle, à condition qu’elle tienne lieu de tout, qu’elle compte autant de vitalité que l’espoir auquel elle s’est substituée.
Je ne fais rien, c’est entendu…, mais je vois les heures passer…, ce qui vaut mieux qu’essayer de les remplir.
Il ne faut pas s’astreindre à une oeuvre, il faut seulement dire quelque chose qui puisse se murmurer à l’oreille d’un ivrogne ou d’un mourant.
À quel point l’humanité est en régression, rien ne le prouve mieux que l’impossibilité de trouver un seul peuple, une seule tribu, où la naissance provoque encore deuil et lamentations.
S’insurger contre l’hérédité c’est s’insurger contre des milliards d’années, contre la première cellule.
La clairvoyance est le seul vice qui rende libre…, libre dans un désert.
Quand on se refuse au lyrisme, noircir une page devient une épreuve : à quoi bon écrire pour dire exactement ce qu’on avait à dire ?
On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne.
Un livre est un suicide différé !
Depuis des âges et des âges que l’on meurt, le vivant a dû attraper le pli de mourir; sans quoi on ne s’expliquerait pas pourquoi un insecte ou un rongeur (et l’homme même), parviennent, après quelques simagrées, à crever si dignement.
Que faire ? où aller ?
Ne faisons rien et n’allons nulle part, tout simplement.
La santé est un bien assurément; mais à ceux qui la possèdent a été refusée la chance de s’en apercevoir, une santé consciente d’elle-même étant une santé compromise ou sur le point de l’être.
Comme nul ne jouit de son absence d’infinités, on peut parler sans exagération aucune, d’une punition juste des bien portants.
C’est le propre de la maladie de veiller quand tout dort, quand tout se repose, même le malade.
Jeune, on prend un certain plaisir aux infirmités, elles semblent si nouvelles, si riches !
Avec l’âge, elles ne surprennent plus, on les connaît trop.
Or, sans un soupçon d’imprévu, elles ne méritent pas d’être endurées.
Dès qu’on fait appel au plus intime de soi et qu’on se met à oeuvrer et à se manifester, on s’attribue des dons, on devient insensible à ses propres lacunes.
Nul n’est à même d’admettre que ce qui surgit de ses profondeurs pourrait ne rien valoir.
L’esprit qui met tout en question en arrive, au bout de mille interrogations, à une veulerie quasi totale, à une situation que le veule précisément connaît d’emblée, par instinct.
Car la veulerie, qu’est-elle sinon une perplexité congénitale ?
Quelle déception qu’Épicure, le sage, dont j’ai le plus besoin, ait écrit plus de trois cents traités!
Et quel soulagement qu’ils se soient perdus !
Mot de mon frère à propos des troubles et des maux qu’endura notre père : ” La vieillesse est l’autocritique de la nature”…
Il faut être ivre ou fou pour bien parler dans les langues connues.
Etre objectif c’est traiter l’autre comme on traite un objet, un macchabée, c’est se comporter à son égard comme un croque-mort.
Les penseurs de première main méditent sur ces choses ; les autres, sur des problèmes.
Il faut vivre face à l’être et non face à l’esprit.
La conscience est bien plus que l’écharde, elle est le poignard dans la chair.
Il est impossible de lire une ligne de Kleist, sans penser qu’il s’est tué.
C’est comme si son suicide avait précédé son oeuvre.
En Orient, les penseurs occidentaux les plus curieux, les plus étranges, n’auraient jamais été pris au sérieux, à cause de leurs contradictions.
Pour nous, c’est là précisément que réside la raison de l’intérêt que nous leur portons.
Nous n’aimons pas une pensée, mais les péripéties, la biographie d’une pensée, les incompatibilités et les aberrations qui s’y trouvent, en somme les esprits qui, ne sachant comment se mettre en règle avec les autres et encore moins avec eux-mêmes, trichent autant par caprice que par fatalité.
Leur marque distinctive ?
Un soupçon de feinte dans le tragique, un rien de jeu jusque dans l’incurable…
Par rapport à n’importe quel acte de la vie, l’esprit joue le rôle de trouble-fête.
Les éléments, fatigués de ressasser un thème éculé, dégoûtés de leurs combinaisons, toujours les mêmes, sans variation ni surprise, on les imagine très bien cherchant quelque divertissement : la vie ne serait qu’une digression, qu’une anecdote, une existence constamment transfigurée par l’échec.
Le sage est celui qui consent à tout, parce qu’il ne s’identifie avec rien.
Je ne connais qu’une vision de la poésie qui soit entièrement satisfaisante : c’est celle d’Emily Dickinson quand elle dit qu’en présence d’un vrai poème elle est saisie d’un tel froid qu’elle a l’impression que plus aucun feu ne pourra la réchauffer.
Le grand tort de la nature est de n’avoir pas su se borner à un seul règne.
À côté du végétal, tout paraît inopportun, mal venu.
Le soleil aurait dû bouder à l’avènement du premier insecte… et déménager à l’irruption du chimpanzé.
Si, à mesure qu’on vieillit, on fouille de plus en plus son propre passé au détriment des “problèmes”, c’est sans doute parce qu’il est plus facile de remuer des souvenirs que des idées.
Les derniers auxquels nous pardonnons leur infidélité à notre égard sont ceux que nous avons déçus.
Ce que les autres font, nous avons toujours l’impression que nous pourrions le faire mieux.
Nous n’avons malheureusement pas le même sentiment à l’égard de ce que nous faisons nous-mêmes.
Un ouvrage est fini quand on ne peut plus l’améliorer, bien qu’on le sache insuffisant et incomplet.
On en est tellement excédé, qu’on n’a plus le courage d’y ajouter une seule virgule, fût-elle indispensable. Ce qui décide du degré d’achèvement d’une œuvre, ce n’est nullement une exigence d’art ou de vérité, c’est la fatigue et, plus encore, le dégoût.
Tant qu’on vit en deçà du terrible, on trouve des mots pour l’exprimer; dès qu’on le connaît du dedans, on n’en trouve plus aucun.
La façon la plus efficace de se soustraire à un abattement motivé ou gratuit, est de prendre un dictionnaire, de préférence d’une langue que l’on connaît à peine… et d’y chercher des mots et des mots, en faisant bien attention qu’ils soient de ceux dont on ne se servira jamais…
Les inconsolations de toute sorte passent, mais le fond dont elles procèdent subsiste toujours… et rien n’a de prise sur lui.
Il est inattaquable et inaltérable.
Il est notre fatum.
Il n’y a pas de chagrin limite…, le paradoxe n’est pas de mise aux enterrements, ni du reste aux mariages ou aux naissances.
Les événements sinistres ou grotesques, exigent le lieu commun, le terrible,comme le pénible, ne s’accommodant que du cliché.
Si détrompé qu’on soit, il est impossible de vivre sans aucun espoir.
On en garde toujours un, à son insu… et cet espoir inconscient compense tous les autres, explicites, qu’on a rejetés ou épuisés.
Plus quelqu’un est chargé d’années, plus il parle de sa disparition comme d’un événement lointain, hautement improbable.
Il a tellement attrapé le pli de la vie, qu’il en est devenu inapte à la mort.
Nous avons perdu en naissant autant que nous perdrons en mourant : Tout.
La pitié est un luxe bizarre, que seul le plus perfide et féroce des êtres pouvait inventer, par besoin de se châtier pour torturer, par férocité encore !
La plupart de nos déboires nous viennent de nos premiers mouvements.
Le moindre élan se paye plus cher qu’un crime.
L’antidote de l’ennui est la peur.
Il faut un remède plus fort que le mal.
Toute pensée dérive d’une sensation contrariée.
En permettant l’homme, la nature a commis plus qu’une erreur de calcul : un attentat contre elle même.
La peur rend conscient, la peur morbide et non la peur naturelle.
Sans quoi, les animaux auraient atteint un degré de conscience supérieur au notre.
Il faut souffrir jusqu’au bout, jusqu’au moment où l’on cesse de croire à la souffrance.
Plus quelqu’un est comblé de dons, moins il avance sur le plan spirituel.
Le talent est un obstacle à la vie intérieure.
On devrait marquer au fronton des cimetières : “Rien n’est tragique, tout est irréel”…
Les nuits ou nous avons dormi sont comme si elles n’avaient jamais été.
Restent seules dans notre mémoire celles où nous n’avons pas fermé l’œil !
J’ai transformé, pour n’avoir pas à les résoudre, toutes mes difficultés pratiques en difficultés théoriques. Face à l’Insoluble, je respire enfin…“Est ce que j’ai la gueule de quelqu’un qui doit faire quelque chose ici-bas ?”…
Voilà ce que j’aurai envie de répondre aux indiscrets qui m’interrogent sur mes activités.
Je supprimai de mon vocabulaire mot après mot.
Le massacre fini, un seul rescapé : Solitude.
Toute amitié est un drame inapparent, une suite de blessures subtiles.
Plus on vit, moins il semble utile d’avoir vécu.
Aucun autocrate n’a disposé d’un pouvoir comparable à celui dont dispose un pauvre bougre qui envisage de se tuer.
Le scepticisme est l’ivresse de l’impasse.
L’homme accepte la mort mais non l’heure de sa mort.
Mourir n’importe quand, sauf quand il faut que l’on meurt !
Sans l’idée d’un univers raté, le spectacle de l’injustice sous tous les régimes conduirait même un aboulique à la camisole de force.
N’a de convictions celui qui n’a rien approfondi.
Avec le recul, plus rien n’est bon, ni mauvais.
L’historien qui se mêle de juger le passé fait du journalisme dans un autre siècle.
Dans deux cents ans (puisqu’il faut être précis !), les survivants des peuples trop chanceux seront parqués dans des réserves… et on ira les voir, les contempler avec dégoût, commisération ou stupeur… et aussi avec une admiration maligne.
Si l’humanité aime tant les sauveurs, forcenés qui croient sans vergogne en eux-mêmes, c’est parce qu’elle se figure que c’est en elle qu’ils croient.
La force d’un chef d’État est d’être chimérique et cynique.
Un rêveur sans scrupules.
Les pires forfaits sont commis par enthousiasme, un état morbide, responsable de presque tous les malheurs publics et privés.
L’avenir, allez-y voir, si cela vous chante.
Je préfère m’en tenir à l’incroyable présent et à l’incroyable passé.
Je vous laisse à vous le soin d’affronter l’incroyable même.
Dans une métropole, comme dans un hameau, ce qu’on aime encore le mieux est d’assister à la chute d’un de ses semblables.
Lorsqu’on a commis la folie de confier un secret à quelqu’un, le seul moyen d’être sûr qu’il le gardera pour lui, est de le tuer sur le champ.
Aucune parole ne peut espérer autre chose que sa propre défaite.
Une condamnation aussi radicale de toute littérature ne pouvait venir que d’un mystique, d’un professionnel de l’Inexprimable.
Dans l’Antiquité, on recourait volontiers, parmi les philosophes surtout, à l’asphyxie volontaire, on retenait son souffle jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Ce mode si élégant… et cependant si pratique d’en finir, a disparu complètement… et il n’est pas du tout sûr qu’il puisse ressusciter un jour.
L’aphorisme ?
Du feu sans flamme.
On comprend que personne ne veuille s’y réchauffer.
Quand, à la suite d’une série de questions sur le désir, le dégoût et la sérénité, on demande au Bouddha : “Quel est le but, le sens dernier du nirvâna ?”…, il ne répond pas…, il sourit.
On a beaucoup épilogué sur ce sourire, au lieu d’y voir une réaction normale devant une question sans objet.
C’est ce que nous faisons devant les pourquoi des enfants.
Nous sourions, parce qu’aucune réponse n’est concevable, parce que la réponse serait encore plus dénuée de sens que la question.
Les enfants n’admettent une limite à rien ; ils veulent toujours regarder au-delà, voir ce qu’il y a après.
Mais il n’y a pas d’après.
Le nirvâna est une limite, la limite.
Il est libération, impasse suprême…
L’existence, c’est certain, pouvait avoir quelque attrait avant l’avènement du bruit, mettons avant le néolithique.
A quand l’homme qui saura nous défaire de tous les hommes ?
L’être idéal ?
Un ange dévasté par l’humour.
On a beau se dire qu’on ne devrait pas dépasser en longévité un mort-né, au lieu de décamper à la première occasion, on s’accroche, avec l’énergie d’un aliéné, à une journée de plus.
La lucidité n’extirpe pas le désir de vivre, tant s’en faut, elle rend seulement impropre à la vie.
L’homme dégage une odeur spéciale : de tous les animaux, lui seul sent le cadavre.
Philosopher par soi-même, cela veut dire être initialement bouleversé par une expérience fondamentale. Toute philosophie n’est que le développement d’une unique pensée.
La philosophie comme métaphysique, c’est-à-dire comme tentative de trouver la vérité au sujet du tout de la réalité, ne peut pas être de la même nature qu’une science.
Elle est de la nature d’un essai, non d’une possession : il y a plusieurs métaphysiques possibles, parce qu’on ne peut trancher quant à ce qui est la vérité au sujet de la façon de concevoir la totalité du réel.
La métaphysique n’est donc pas affaire de démonstration, mais de méditation.
Quand j’élabore une métaphysique, les autres semblent être des possibilités abstraites, théoriques, que je ne peux pas vivre.
Les affirmations métaphysiques expriment non des opinions, mais des convictions vécues.
Les opinions sont changeantes…
Par exemple, mes jugements au sujet des hommes politiques peuvent changer.
Je n’aurais jamais imaginé que Ségolène Royal, prétendument socialiste, ferait l’éloge de Tony Blair, qui s’est rendu coupable d’une guerre d’agression en Irak.
Sceptique, je me méfie des systèmes, des dogmes, des philosophies constituées.
Pendant longtemps, j’ai été très sensible au caractère transitoire de toute chose, au caractère évanouissant des êtres finis.
Je suis alors devenu sceptique…, mon scepticisme consiste à dire que si nous ne pouvons connaître le fond des choses, nous pouvons être certains de la façon dont elles nous apparaissent.
Nous ne pouvons dire que le miel “est”, mais seulement qu’il nous “semble”… doux.
Cette opposition entre l’être et l’apparence, est l’opposition fondamentale de la métaphysique ! notamment En définitive, il n’y a plus d’être.
Nous pensons dans un temps rétréci…, nous ne pensons pas que ce temps présent n’est rien du tout dans le temps immense de la nature.
Quand nous nous voyons les uns les autres, nous ne nous pensons pas comme des mortels, des êtres éphémères qui vont bientôt s’évanouir.
La morale est un absolu.
Certains philosophes ne distinguent pas la morale de l’éthique.
Elles sont à distinguer radicalement.
En venant chez moi, mettons que vous avez vu un blessé sur le bord de la route, c’est un impératif inconditionnel de vous arrêter.
Si un peu plus loin, sur la route, quelqu’un vous invite à un spectacle, vous pouvez décider d’y aller ou non.
Cela n’a rien d’obligatoire.
La recherche du bonheur n’est pas un impératif inconditionnel.
Il y a une éthique du pouvoir, du bonheur, du plaisir.
On choisit d’organiser sa vie en fonction de ce qui nous intéresse.
Mais vous n’avez pas le droit de l’organiser d’une manière qui impliquerait le non-respect de la personne des autres.
La morale limite donc le domaine dans lequel vous pouvez développer votre éthique.
La morale, c’est une sorte de minimum, mais certaines morales abolissent l’éthique.
Je ne tombe pas dans le piège consistant à penser qu’il y aurait des guerres justes, ne pouvant comprendre la différence existant entre des bombes justes et des bombes injustes, j’abolis cette différence.
Pourtant, que se passe-t-il si l’ennemi est à nos frontières ?
Là, je n’ai plus le droit de développer une propagande pacifiste, car elle est universelle.
Lorsque l’ennemi est là, le pacifisme est en contradiction avec lui-même, puisqu’il perd son sens universel en favorisant l’ennemi.
Fondamentalement, pour moi, le rôle de l’homme politique consiste à établir la paix, ce que de Gaulle a très bien compris.
Vouloir réaliser la démocratie en l’exportant par la guerre, comme le fait actuellement Nicolas Sarkozy, comme le fait Barak Obama…, c’est criminel.
La substantialité de la vie est faite des nuances de l’amitié, de l’amour.
Ceux qui vous cataloguent trop rapidement, il faut s’en méfier.
Les hommes vivent en moyenne jusqu’à 77 ans et les femmes jusqu’à 83 ans.
Si je mourais aujourd’hui, je perdrais 16 ans de vie potentielle.
Si j’étais mort à 20 ans, j’aurais perdu presque 41 ans de vie réelle.
La mort ne peut enlever ma vie, la vie, je l’ai eue, je n’appréhende pas le fait d’être mort, la mort n’est rien, puisqu’il n’y a rien après la mort : je disparais, je m’évanouis, la vie s’arrête.
Mais il faut distinguer la mort et le mourir.
On ne sait jamais comment on va mourir, en dormant ou dans des souffrances atroces.
Cela a beaucoup préoccupé Montaigne qui souhaitait mourir sans s’en apercevoir !
Dans le cas où l’euthanasie soit une chose raisonnable (si j’avais perdu toutes mes capacités), pour moi, le véritable ami serait celui qui pourrait m’aider à mourir.
Mais je n’ai aucun ami à qui je pourrais demander cela.
Je n’ai donc pas d’ami parfait…
Les gens n’ont pas peur de ce qui viendra après la mort, ce qui fait peur, c’est de quitter la vie, ce à quoi l’on est le plus attaché !