Patés de plage, patés pour chiens…
Tous les jours, depuis bientôt un mois, il se lève à 3 heures, avale un café âcre, se lave longuement dans un seau d’eau froide, comme s’il se voyait déjà sanguignolent, du sang plein les mains, Caïn des jours anciens…
Il enfile un vieux jean’s, un moche T-shirt trop grand pour ses maigres os et un blouson clouté fermé.
Il descend la cage d’escalier puant la pisse de chiens et de jeunes drogués, enfourche son vélo volé et part au boulot.
L’odeur de mort pue à cent mètres au moins avant l’usine !
Arrivé devant, il sent plus qu’il ne voit les centaines de ces oiseaux comestibles qui vont finir dans les assiettes des foyers de france… et il participe au grand oeuvre…, le massacre organisé à la minute…
Lui oh non ! jamais il n’accèdera à la “classe” des tueurs…, trop timide !
On l’a confiné dans la pièce la plus puante et rebutante de l’usine, celle où arrivent les abats, les intestins, les têtes : les yeux grand ouverts sur le vide de la mort violente, les cous tranchés comme le furent ceux des rois de france, bref, tous les rebuts non mangeables pour les humains mais excellents pour le bussiness des chiens et chats…, ça bouffe ces bêtes là !!
De 4 h à 14 h, parfois plus, avec une pause rapide, l’estomac si noué qu’il n’avale qu’un café mauvais, il doit mettre ses mains dans les chairs mortes, pour niveler les caisses qui s’en remplissent, comme plein la panse…, puis il les empile, les range… et ainsi de suite.
A force, il devient aveugle et sourd à tout.
La pièce est assez petite, amoindrie par la présence massive des broyeurs mécaniques, des caisses empilées, les vides et les pleines, les murs sont pisseux de sang ancien et nouveau, de bouts de restes collés dessus…
L’odeur y est insoutenable, la mort est reine de l’endroit et lui, esclave, se sent mourir un peu plus chaque jour…
Au fil du temps il devient sauvage, ne parle plus, ni dedans (il est seul ici), ni dehors, par peur que d’autres ne soient trop dégoutés par ce qu’il fait…, lui le faux tueur, le ramasse reste, l’intouchable de ce lieu de mort…
Souvent son esprit bat la campagne, oh non pas celle où il y a des fermes (rien que d’imaginer ces bestioles picorant librement le rendrait fort méchant), plutôt un lieu où il n’y aurait … : rien…
Si, il rêve d’avant…, la beauté de sa femme dansant la vie et l’amour, son fils jouant sur la plage, faisant des patés de sable…, leurs rires…
Il rêve, il est là-bas le long de la plage immense, avec sa femme Hélène, son fils Thomas et Loup blanc, le vieux chien si fidèle…, morts, tous, il y a deux ans…, ils suivaient les oiseaux du regard, pas vu le Tramway de la Côte du Nord…
Il rêve de vie, se souvient d’une autre vie…, des larmes de désespoir coulent sur ses joues…
Maintenant il n’est plus rien, même si après deux ans de galère à tenter de se noyer dans l’oubli, exangue de moyens, presque clochard…, enfin, il a trouvé un travail, minable, mais un travail pour oublier…
Il rêve qu’il renait, l’espoir d’une nouvelle vie.
Une douleur intense le ramène dans sa pièce…
D’abord il ne comprend pas, puis peu à peu il voit…
Il voit le grand couteau de boucher planté bien droit….
Il lui semble qu’il tombe…, lentement, si lentement…
Il entend ses amis des prairies rire et l’appeler…, il est libre, il va pouvoir les rejoindre, il lui reste juste un mot à dire au grand oiseau noir dessiné sur le mur de la pièce, l’oiseau qui lui est apparu peu à peu ces derniers mois, au fur et à mesure du sang écoulé partout dans l’usine… : “merci, merci de m’avoir permis ce nouveau départ” !
Il était le 12ième en 1 an qui était ainsi mystérieusement retrouvé mort, un couteau planté dans le coeur…
La direction ne s’embarassait pas des corps, elle les faisait transformer en paté pour animaux…
Des clochards pour travail au rabais…, il y en a tellement…, et, juste avant le jour de paie, il n’y a pas de petits profits dans la confection des patés…