Point-barre !
Ça commence sur une plage tropicale. Une fille est devant moi. Elle est simplement vêtue d’un béret basque. Elle est nue et s’offre à moi mais ce béret me renvoie à l’état fœtal. Je suis congestionné par ce béret qui frôle le ridicule. Apparaît maintenant un oiseau perché sur un arbre mort qui diffère du paysage.
Il se met à battre des ailes et pique sur le béret qu’il arrache avec son bec. Je retrouve d’un coup toutes mes forces. Mes pulsions se réveillent alors que soudainement je prend conscience d’avoir un doigt enfoncé dans le goulot d’une bouteille de vin, et pas n’importe lequel : un Petrus 1949 !
– C’est grave docteur ?
– Arrêtez de boire avant de vous coucher et quittez mon cabinet.
Suite à mes trop longues années de web (30 ans au moins), j’avais craqué, je m’étais retrouvé ailleurs… Mais bon, tout va maintenant pour le mieux, j’ai gagné un passe-droit pour abuser de toutes les situations. De temps à autre je prends mon pied chez une spécialiste de la comédie humaine. J’ai un certificat de bonne vie et mœurs ça m’occupe . J’aime surtout exaspérer, les exaspérer, m’exaspérer. Je me balade chez moi en robe de chambre avec une paire de Ray Ban, ça magnétise mon Blacky, je deviens mon propre acteur. Quand je porte des lunettes noires en tapotant mes textes débiles, j’imagine que les gens qui me lisent ne savent pas dans quelle direction se porte mon regard, ni dans quelle direction vont mes textes, ils ne savent pas, non plus, ou je vais les amener… cela doit les surprendre dans leur malaise, car les bonnes gens ne veulent pas être contaminé par les propos politiquement-incorrects façon “Gonzo”… Aaahhhhh ! Qu’il est bon d’analyser ses contemporain(e)s.
Le monde part en couille depuis des lustres et ce n’est pas nouveau. Mais ce qui heurte ma sensibilité, c’est la détermination des masses à être dans le moule.
Ne pas s’éloigner du chemin. Ne pas être pointé du doigt. Ne surtout pas être mis à l’écart. Restons bien groupé au sein du peloton et regardons jalousement ceux qui s’en détachent faire la « une » des magazines. Voilà ce qui est bon pour les cons. Les vraies personnes sont celles qui vivent dans la télévision. Les autres qui ne sont plus dans la course, ceux de la voiture balai, n’ont rien d’intéressant, il n’y a rien dans leur vie que l’on pourrait adapter en sitcom. Il est inutile de leur faire la causette, ils ne sont pas de bon parti. Gloire, richesse, pouvoir, c’est ce que nous désirons et qui ne dépend pas de notre volonté.
Nous n’aspirons plus à devenir nous désirons être et tout de suite, peu importe la manière. Voilà ce qui pousse certains, certaines, à courir les castings de real TV, prêts à participer à des jeux à la con où il est question d’éliminer le plus faible. Peu importe le moyen, il faut tuer celui qui répare sa roue sur le bord de la route, telle est la conduite à suivre pour faire partie de la race des vainqueurs. Et plus on avance dans le temps et plus il est normal d’écraser les gens. Et comme à la loterie, tout le monde y joue, mais un seul en profite. Rupture totale. Inconsciente merveille, je flotte dans un bain nourrissant. Je ne sais absolument rien sur cet étrange phénomène mais ne m’abandonne à nulle crainte. Aucune angoisse ne me tourmente. Je suis au cœur du dragon d’Orient qui scintille de tout son feu. Au cœur de mes rêveries, il m’éclaircit le plafond, un plafond chargé d’araignées nostalgiques qui tissent et tissent de longs fils. De longs fils de réseaux échappés d’asiles apolitiques et des prisons de cœur. Plus de souffrance, j’ère là sans inquiétude dans un abîme de grâce. Que la terre m’emporte loin vers le soleil de minuit chasser le trèfle à quatre mains qui orne les prairies, et qui donne aux matins, une vile rosée aux brumeuses couleurs de corne ventilée, de souhaits paillards et d’effroi d’abstème. Je nage enroulé sur moi-même dans un méandre de couloirs sans fin. Je brasse à n’en plus finir en ondulant ma chose. Je ne suis plus corps mais esprit circulant d’un bout à l’autre de mon genre. La pieuvre n’a qu’un bras et moi non plus. Mozambique de phalanges et horloges à vapeurs, un nombre d’objets et de sens infiniment communs dansent autour de moi. Ils me communiquent, se livrent et me préservent. Ils se lient à mon esprit de connaissance et ma trompe en un point absorbe chaque nectar. D’amitié je pleure mon crayon trépassé, trop taillé au fil des viles lignes de saisons faibles. Je me réconcilie autour de vieilles pages froissées que des corbeilles agitées se réservent me faisant buvard de leurs émois. Epaulé par mes rêves, les chatouilles de mes amours perdues se livrent à un infini bazar de mots en tout genre. Un souk de paroles s’exécute en fond, sur ma toile, je la mire sirotant mon passé. A présent je consens mon futur dans le présent. Mon genre unanime à la nature se disloque dans le temps, je le sens s’épanouir et grandir !
– Comment vais-je ?
– L’électroencéphalogramme montre un rythme ralenti.
– C’est grave docteur ?
– Votre état risque de se stabiliser ou de s’aggraver au fil des heures, ce n’est plus qu’une question de temps.
– Ça risque d’être long ?
– Quelques jours ou bien des mois, et des années dans le pire des cas, c’est à vous de décider maintenant.
Et voilà que le nain-nonyme de jardin réclame sa part de galette. Et les marteaux piqueurs de journaux au kiosque se désengagent, tournent les pages d’un autre monde aux portes ouvertes et accueillantes taillées d’un souffle de brèche ordinaire. Ma servile télécommande est en quête d’une scène. Il est dimanche, il est 22h. Mon cerveau est ailleurs. J’attends patiemment le sommeil salvateur qui reconstruira les premières lignes tombées par grappes. Je macère dans l’envie de me faire des pâtes mais la sagesse bedonnante m’en dissuade lorsque je m’aperçois dans le coin du miroir. Je suis au point break et flotte sur le monde effondré dans ma banquette. Mon regard se porte sur la télé : « Tu n’es qu’image et tu ne représentes pas du toute la réalité. » Après quoi je me rends à l’évidence que celle-ci n’a pas d’âme et la réponse toute prête qui en découle est : « Cela ne me concerne pas. » Nul ne peut entraver ma route. Rien ne me fait dériver, je poursuis simplement le cours de ma vie. Le téléphone sonne, voilà ma vague.
– Salut c’est Anamary…
– Salut.
Anamary m’appelle toujours quand elle est bourrée. Anamary est mon amante chaloupée en amours déviantes. Analemary est dérangée. Anamary adore baiser, hommes, femmes, transsexuels, je ne veux pas savoir qui et quoi d’autres…
– Ecoute ceci…
Elle me récite un texte et je m’étonne de deviner petit à petit chacun des mots qu’elle prononce. C’est un texte que je lui ai envoyé durant son séjour outre-manche. C’est un coup de gueule, je m’en souviens pour l’avoir écrit.
– Je l’ai retrouvé cet après-midi en rangeant mon bureau, je l’ai fait lire à une copine.
– Ah bon…
– Elle a cru que c’était de moi.
– Ah bon…
– Tu vois comme quoi nous pensons les mêmes choses.
– Ah…
– Oui, pour que ma meilleure amie me dise que ce texte est de moi, c’est que nous avons la même vision.
– T’as bu un verre ?
– Non.
– Cela renforce mon idée que tu es allée au-delà des trois verres.
– C’est dommage d’en être arrivé là.
– Tu sais bien Anamary, que ce n’est pas la destination qui fait l’intérêt du voyage.
– Ouais je sais mais bon, j’ai beau essayé de te détester lorsque je tombe sur des choses comme ça je craque.
– Ah…
– Tu sais, t’as du talent.
– Je ne crois pas au talent, on y arrive quand on travaille, et je ne travaille pas ordinairement pour prétendre écrire.
– Justement crois moi, je traîne au quotidien avec des littéraires, t’as un truc spécial qu’ils n’ont pas.
Et Anamary se lance dans un long monologue farci de compliments et autres louanges disproportionnées. Cette sensation m’est entièrement nouvelle. Le son de sa voix mêlé aux éloges s’imprègne !
– Continue de parler…
– Quoi ?
– T’arrêtes pas !
– Ouais, non mais tu vois…
Elle reprend son discours, prononce une phrase et je me lâche d’un rire symptomatique.
– Pourquoi ris tu ?
– Pour rien.
– T’es avec qui ?
– Je suis seul.
– Alors pourquoi ris tu ?
– J’aime seulement ce que tu dis.
– Merci.
– Merci à toi.
Mon estomac se dénoue petit à petit, mais j’ai toujours envie de me fracasser la gueule contre les murs, et la petite voix censée me rassurer en ajoute une épaisse couche pour mieux se disculper, elle qui la première déserte le champ de bataille, cette poltronne n’a rien à faire dans mes troupes. Pense-t-elle aux escadrons kamikazes qui se sont jetés au feu du Moijto, et toutes mes neurones spermatozomiques tombées en première ligne pour que s’exécute la folie du temps qui passe. Je suis un vieux matador écarlate qui ne contrôle rien, ou bien n’importe quoi. On finira par me retrouver assis sur un trottoir, les pieds dans le caniveau, cirant ma future jambe de bois avec de la laine de verre. Comment se fait-il qu’il je ne me soit pas déjà fait couper l’oreille par un quelconque taureau échappé d’une foire à bestiaux, d’une arène ou d’un vieux labyrinthe. Une énigme qui restera au fond du tiroir pendant des années et peut être qu’un jour un jeune renard y risquera sa fourrure pour épater un corbeau. Quand la nuit cèdera sa place à la merde, un jour nouveau naîtra des cendres du feu de la veille au soir qui aura vu et éclairé pas mal de types aux destins inapaisés et de cette douleur se nourriront les astres qui sauront faire briller leur lumière en plein soleil…, mais qu’est-ce que je raconte, moi. Voilà que je ne me lis même plus. A-t-on mis du détergent dans mon encre, a-t-on violé ma plume et profité de mes écrits à des fins politiquement incorrectes ? Tout cela n’a aucun sens, le trouble de l’inconscient démontre une nouvelle fois qu’entre l’homme que je crois être, celui que je suis et celui que je voudrais être, il y a un vide que je ne saurais combler, même sous l’influence d’une ligne de la plus pure des cocaïnes.
Et je me demande avec quelle suite de mots je vais tenir en haleine les quelques liseurs de bonnes aventures qui se sont échoués sur ce site. Ces âmes fourvoyées au rez-de-chaussée de mon hôtel particulier sans personnel ni fenêtres, méritent une suite digne de leur attention. Je vais passer un bon coup de serpillière, lessiver les murs, pousser les meubles et casser quelques cloisons pour créer un espace ouvert à toute suggestion, et puis je vais y f…. des fenêtres pour aérer tout ça, que l’on puisse également admirer la vue imprenable sur le reste du monde. Je ferai tout ça dès mon retour de Monaco. Pour le moment je déguste un saucisson à l’ail en sirotant des verres de Moijto accompagnés de, dieu sait quoi. Il fait atrocement chaud devant mon ordinateur, je suis habitué à l’air conditionné et dès que la température dépasse 22°C je transpire à grosses gouttes. Je suis trempé mais ma chemise aux motifs fleuris ne laisse rien paraître, j’ai pourtant les tempes ruisselantes et mes cheveux sont bordés de douves comme un château fort. Mettre la climatisation à fond les manettes, mais les doses de cocktail m’enfoncent de plus en plus à la chaise longue. Je suis un innocent condamné à brûler dans l’enfer de mes fantasmes et écorché vif par les réalités… Piting ! Le téléphone sonne encore ! J’ai peur, là, d’un coup…
– Allo, c’est qui ?
– Qu’est ce tu fous bordel, tout le monde t’attend ?
– Ce langage m’est familier mais je ne reconnais pas du tout cette voix qui n’est certainement pas celle d’un autochtone… Je prends un bain de soleil devant l’écran de mon ordinateur.
– Redescends mec, il faut que tu sois là dans cinq minutes, magnes toi le cul, je suis devant la porte de ton putain de garage…
Pourquoi me presser, qui est ce monde qui m’attend et surtout qui est ce connard qui m’attend. Je me verse un verre de moijto pour y méditer.
Personne ne m’a jamais attendu jusqu’à ce jour, même mes parents étaient surpris de me voir, d’ailleurs la plupart du monde est surpris de ma présence.
– Ah, t’es là toi.
– Dès fois, les gens font des découvertes !
– Mais je ne savais pas que tu avais acheté une Thunderbird…
J’ai toujours été discret, malgré mon aptitude à me faire remarquer aux moments inopportuns. Alors pourquoi s’intéresserait-on subitement à moi surtout que je ne désire connaitre personne ici, à part le barman du bar du coin qui sent le whisky mais assure qu’il n’en possède pas. On ne la fait pas à une fine lame qui s’affûte au goulot depuis qu’il a commencé à disjoncter. Je n’ai pas bu mon dernier verre, il a beau avoir de la bouteille, je vais le travailler au corps. Je suis certain qu’il planque sous le comptoir, au fond du placard derrière les produits dont on se sert qu’une fois l’an. C’est une mission qui ne doit s’exécuter qu’après avoir payé son coup en veillant scrupuleusement qu’il ne reste qu’un seul coude posé au bar à la nuit tombée. Le bougre ne risque pas de le sortir en plein jour à la vue de tout le monde. On ne connaît pas la quantité exacte dont il dispose mais à en juger par son haleine il doit bien tourner à une demi bouteille par jour. A ce niveau de dépendance, il ne mettrait pas son entreprise en péril, même pour réanimer une vieille dame à l’agonie. Il va falloir la jouer fine, peser chaque mot et lancer le regard au bon moment comme ce jour où en sortant d’une boîte de nuit, ou je me suis retrouvé invité à prendre le petit déjeuner chez des potes Hell’s Angels. C’est moins risqué mais l’enjeu est le même. Je vais tout de même descendre pour voir de quoi à l’air l’homme qui prétend accuser mon retard. Une fois devant la porte de mon garage je fais un tour d’horizon de la rue et ne remarque rien d’anormal, une pute tortille du croupion pour obtenir mes faveurs, et quelques déguisées lancent des regards aux passants accompagnés ou non de leur femme. Le type a dû s’apercevoir de sa bourde et la corriger hélico. Puisque j’ai le temps et que mon verre est vide autant honorer le bar du coin de ma présence. Histoire de me rafraîchir je commande un Moijto, et à peine ai-je le temps de le boire d’un trait, qu’une vilaine pogne se pose sur mon épaule.
– Putain ça fait vingt minutes que je poirote, il faut qu’on se taille.
– Mais aller où mon brave ?
– Tu le sais bien, aller filons !
Il me tire par l’épaule et le reste de mon corps suit cet inconnu. Je me retrouve dans un Pick-up modèle tout pourri à traverser la ville en direction de je ne sais quoi. A chaque virage nous frôlons l’accident, mes yeux prennent peur et se mettent à pleurer. Evidemment je m’empresse de sécher mes larmes avec la paume de ma main gauche. Le pilote au cuir marron mâche obstinément un énorme chewing-gum qui fait ressortir ses maxillaires. La sueur perle sur son visage. Quelques gouttes viennent s’échouer sur ses yeux de pigeon fou qu’il dissimule derrière une paire de lunettes aux verres fumés. Sans doute celle qu’il portait lorsqu’il s’est vu refuser son permis de conduire. Nous quittons la ville sans dommage et filons droit sur l’horizon. Mon cœur qui s’était relâché quelques instants se resserre de nouveau. Il y a plus d’arbres que de poteaux téléphoniques le long de cette route, et j’ai peur qu’il en percute un. Le pilote me dit vaguement quelque chose, me bombarde de paroles qui se perdent dans la carlingue du véhicule, me demande des nouvelles de mon passé… Je ne connasse ni des lèvres ni des dents… Je vois ses lèvres former des mots mais je n’entends que des voyelles. J’aimerais en savoir plus. En définitive ce n’est pas plus mal, je me contente d’opiner du chef aidé par les ornières qui révèlent la piste. On arrive près d’un aérodrome. Le chauffard, désigne de son gros doigt un hangar. Une hélice de vieux “zing” en dépasse. Un autre mojito ne serait pas superflu. Un type tourne l’hélice pour démarrer le moteur et vient à ma rencontre. De nouveau je ne comprends pas ce qu’il prononce. Le bruit du moteur et l’air que brasse l’hélice absorbe la moitié de ses paroles. Mais sa main passe dans mon dos pour m’inviter à pénétrer dans l’avion. Je suis trop mal en point pour refuser l’invitation. La cabine de pilotage accepte deux pilotes tandis que le reste peut contenir environ quatre personnes. Ahhhhhhhhhh ! … L’aéroplane s’avance sur la piste. Je suis horriblement mal. Il me faut de quoi me rasséréner. Il y a justement un petit réfrigérateur qui jonche sur le sol de mon espace. Je tends mon bras puis tout mon être vers lui dans l’espoir d’y trouver une blonde bien fraîche, ce qui me vaut de quitter mon siège au moment même où l’avion décolle. Je me retrouve brutalement projeté au fond de l’appareil. Je suis à deux doigts de tourner de l’œil. Piting ! Ce que j’ai mal. D’abord au crâne, puis a la hanche qui vient de heurter le coin d’une énorme malle qui se planque sous une toile de jute. Peu m’importe ce qu’elle contient, je veux savoir avant toutes choses s’il y a une blonde fraîche dans ce véhicule volant. Un trou d’air me fait saluer le sol que je baptise instantanément d’une gerbe modèle grand luxe avec grumeaux, sang et tutti chianti. Je commence à être à cran de me faire transporter par un fou. Une seconde tentative vers le frigo se révèle salvatrice. Un pack de blondes fraîches brille comme le soleil. J’en libère une que je décapsule avec les dents et la plaque contre ma joue après avoir bu une longue gorgée. Elle est d’une fraîcheur intense. Elle est bonne. Je l’aime, dommage que le goulot soit si étroit…. Une fois terminée, j’empoigne la banquise éthylique et viens me coller sur le siège vacant du second pilote. Nous survolons le vide de l’existence. Peut-être ai-je gagné un prix de gros ou que je bénéficie d’un tarif de groupe. Cela dit je cesse tout raisonnement. Je risque d’estampiller à tout jamais dans un coin de tête, modèle déposé ou appellation contrôlée.
– Tu as déjà sauté en parachute ?
– Je commence à comprendre mon p’tit gars, enchanté…, hips…, mais il en est hors de question, j’imagine que de votre coté, vous me garantissez la vie sauve ?
– Je n’ai pas le choix, votre vie commerciale en dépend.
– Bon, et bien dites-moi ce qu’il faut que je fasse.
Je suis dans une foutue merde. Je dois sauter d’un avion en parfait état de marche à plus de quatre cent mètres du sol dans un endroit inconnu, et il ne reste plus que deux bières dans la cabine de pilotage. Je les récupère adroitement et scrute l’horizon. Tout est générateur de stress, il me prend l’envie de compter jusqu’à l’infini. Je me surprends dans les airs à pousser un cri démentiel. Mes joues se gonflent d’air et mes yeux alternent vu du ciel et vu du sol. Il y a trop d’air et j’en prends plein la gueule, un peu comme quand on marche dans un couloir du métro et qu’un courant d’air vous choppe de face. Ce courant d’air trop fort qui fait paniquer à biaiser la tête, les yeux plissés en suffoquant, alors qu’on essaye de prendre l’air décontracté ! Je descends à mon tour légèrement en direction de la terre. Elle est toute petite cette terre. Si petite qu’il me prend l’envie de décapsuler la dernière bière pour faire passer le temps. Tout se résume à ça, la relativité des distances, la taille des objets, des villes, des pays, tout dépend du recul nécessaire. Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Et si les kangourous flirtaient avec les gnous, on aurait plus de candidats aux présidentielles. C’est en développant ce genre de théories aussi foireuses qu’un banquet sans vin que je flotte dans les airs bière en main, le regard hilare. J’ai l’impression de tenir compagnie aux Dieux. Pourtant aucun sentiment de supériorité ne s’empare de moi. Cela serait tellement dérisoire à cette distance. Passons, je n’ai bientôt plus de bière et la terre mère m’offre son sein. Je vais prochainement pouvoir lui téter quand mes jambes en flanelles simuleront grossièrement un train d’atterrissage. J’attends mon tour et me remémore une nouvelle du vieux Buk, celle où un type lui confie qu’il a développé le don de voler à sa guise. Je n’ai pas le temps de me souvenir du dénouement que mes chevilles craquent sous mon poids. Je me retrouve gisant au sol avec une cheville endolorie, l’index enfoncé dans le goulot et la gueule entrée dans le sable. Je me relève péniblement en crachant. Quelques grains m’empêchent de voir correctement. Mon moral est au niveau de la mer Méditerranée qui me cerne. Je regrette sincèrement d’avoir quitté mon garage. Ça aurait pu être une bonne journée emplie de défonce, je me serais réveillé au lendemain avec une gueule de bois, au pire un bon coup de trique aurait tout remis en place, mais voilà, il a fallut que mon goût pour l’inconnu empiète sur ma casanière manie de tuer le temps. Une Jeep arrive telle une tornade dans un nuage de poussière, à cinquante mètres de ma personne elle n’a toujours pas changé de régime. Le véhicule ne s’arrêtera jamais à temps pour ne pas m’écraser, et l’étroitesse de la route sableuse sur laquelle je me trouve n’offre guère la possibilité de m’éviter. Dans un élan de survie, ma carcasse roule sur le bas côté. La voiture s’arrête trop tard. J’aperçois la silhouette d’un large type à travers la poussière et les grains de sable collés à mes cils, je grimpe à l’aveuglette dans le véhicule tout terrain et m’empresse d’attacher ma ceinture. Le chauffeur branche l’autoradio. C’est du zouk. Je déteste le zouk. Cette musique n’a d’autre intérêt que de frotter sa cuisse dans l’entrejambe de sa partenaire ou d’une partenaire quelconque. Musique de sauvage quoi. Ça ne vaut pas un tango argentin ou une valse viennoise. Tout juste bon à s’équilibrer avec la salsa, et encore la salsa offre davantage de variantes. Je me souviens du vendredi soir à la gare de Val de Fontenay, en banlieue parisienne. Un défilé de jeunes filles endimanchées arrivait par le train, d’autres par le RER, on eut dit qu’elles sortaient de la bouche de la terre. Elles se postaient devant la gare, et attendaient leur carrosse en riant. Les types qui les récupéraient disposaient de véhicules qui ne passaient pas inaperçu. Phares bleus, vitres teintées par des feuilles plastiques laissant apparaître des bulles d’air, signe de mauvais travail ou de l’ouvrage du temps. Ceux qui avaient la chance de ne pas posséder ce genre de d’équipements rivalisaient avec un klaxon cucaracha. Trop souvent ces voitures frôlaient le mauvais goût. Ceux qui étaient à pieds, bénis soient-ils, demandaient le chemin de La Pointe des Antilles, une boîte antillaise qui égaillait la zone industrielle. Bien que je n’y ait jamais foutu les pieds, je rencardais fréquemment les gens qui s’y rendaient. On les voyait arriver de loin, c’est pourquoi on débutait l’itinéraire avant même qu’ils ne posent la question. Je me remets peu à peu de ma cascade.
– Où est-ce qu’on est ?
– C’est la fin du voyage… Monsieur, si vous voulez me suivre.
Nous entrons dans une demeure. Carrelage à damier noir et blanc. Un grand escalier en marbre et fer forgé grimpe richement à l’étage que j’estime à huit mètres au-dessus de ma tête. C’est vertigineux. Je remarque qu’une toile de maître agrémente l’un des murs de l’entrée. Quelle idée de mettre une toile si précieuse dans une pièce voisinant la sortie.
– Veuillez passer dans le séjour, Monsieur vous y rejoint dans un instant.
Je ne sais pas si c’est son français impeccable, son ton éraillé ou sa carrure d’affranchi, mais ce type est convainquant. Je ne me fais pas prier et emprunte l’une des doubles portes en bois précieux et poignées dorées pour accéder dans la pièce qu’il m’indique. Il referme la porte après mon passage. Toujours dans le même esprit de décoration, je me retrouve dans le séjour qui est aussi grandiose que l’entrée. A la différence celle-ci regorge de mobilier en bois, de tapis d’orient et d’objets prestigieux. Un véritable bazar rangé pour rupin fortuné avares de collection. La multitude des pièces qui s’y trouvent me donne le vertige. J’en connais plus ou moins la valeur car j’ai été architecte autrefois et je ne peux m’empêcher de compter. Une paire de grands pique cierges italiens à balustres du XVIIe siècle qui vont chercher dans les mille cinq cent euros, ils sont faciles à transporter et faciles à reconnaître car ils reposent sur une base pyramidale tripode à volutes, surmontées de balustres hexagonaux moulurés et les bobèches sont en forme de couronne. Un vidrecome sur le thème des bacchanales et de la vigne, une magnifique pièce allemande du XIXe dans le style du XVIIe en vermeil et ivoire sculpté “refourgable” dans les huit mille euros.
A travers des vases à trois mille euros que je ne pourrais dater et des meubles que je ne peux estimer, je remarque entre une paire d’applique à trois bras qui vont compter dans les neuf mille euros, une toile de maître, c’est un Picasso et il surplombe une commode avec un dessus en marbre de forme rectangulaire à côtes incurvés en acajou. En me rapprochant, elle présente une très rare décoration de bronze ciselé et doré tel que trophées et guerrier surmonté d’un casque empanaché, guirlandes de feuilles de chêne, frises de feuilles d’acanthes, rubans, frises d’oves, azurés et griffes de lions. Je n’en crois pas mes yeux, elle est estampillée Linke, on peut ajouter cent cinquante mille euros à la note. Ce sont des hommes de goût qui s’entourent de choses raffinées, ils aiment et vénèrent l’art. Il n’y a pas d’école en la matière, on n’acquiert pas la connaissance des arts dans des institutions renommées, on apprend sur le tas, au fil du temps et des rencontres. Il faut écumer les salles de ventes et les musées, se faire la main sur des quelques particuliers, les grands collectionneurs viennent par la suite. Il faut d’abord connaître les ficelles, se tenir toujours informé des évolutions. Plus vous amassez de belles pièces, plus on vous sollicite, vous faire un nom c’est ce qu’il faut. Flairer le pigeon à la fraîche demande pour un Commissaire-Priseur une certaine pratique, il n’improvise pas sur un coup de tête, il faut savoir s’y prendre, posséder la science du verbe, prendre des cours de théâtre si nécessaire. Se sentir à l’aise pour évoluer dans la peau d’un ouvrier comme dans celle d’un riche antiquaire, être partout et nulle part, savoir apparaître et disparaître au bon moment. Pas mal d’entre-eux se sont fait serrer après la réussite de gros coups, c’est plus fort qu’eux, ils flambent en se pavanant dans des costards sur mesures, achètent de belles voitures et mènent une vie de pacha. Il faut rester tranquille et vivre comme toujours. On peut deviner la vie de Quelqu’un rien qu’en examinant ses chaussures.
– Alors Monsieur De Bruyne, on fait l’inventaire ?
– Ça alors, Maître Machin, mais qu’est-ce que vous faites là ?
– Vous aimez ?
– Bien, oui, mais il fallait me passer un coup de fil. Votre sens de la mise en scène me stupéfiera toujours !
– J’ai d’autres surprises, mais vous êtes mon invité alors faites comme chez vous, ça me fait plaisir de vous avoir avec moi.
Nous empruntons les escaliers situés dans l’entrée. La série de portrait que je n’avais pu examiner tout à l’heure se révèle instructive. Elle reflète remarquablement l’état d’esprit du propriétaire. C’est une drôle succession de personnages célèbres qui lui tiennent à cœur peints avec des styles différents.
Je reconnais le trait de Picasso et découvre Pancho Villa dans un cadre doré, quelle ironie pour ce révolutionnaire mexicain. Lui succède Emiliano Zapata avec ses grandes bacantes et son regard froid, celui-ci est traité par les traits de Schiele. Arrive Einstein la langue rentrée interprété par Modigliani suivit d’Al Capone en costard et chapeau, le style est plus difficile à deviner mais je crois apprécier la patte de Moser. Vient alors le magnifique Marquis de Sade sourire en coin dans un extraordinaire donjon, néanmoins les couleurs de Caravage lui donnent un côté quasi religieux. Je marque une brève pause près du Che Guevara superbement interprété par Warhol. Je reprends mon ascension passant par Mesrine qui lui est peint style Van Gogh. Le dernier portrait est évidement celui du propriétaire. Il doit avoir vingt ans de moins mais est tout aussi impressionnant. L’homme de main m’achemine enfin à bon port. Je découvre mes nouveaux appartements situés dans l’aile sud du bâtiment dont une partie est monté sur pilotis qui surplombe la piscine. C’est la chambre Robinson Crusoé. Il y a beaucoup d’espace mais pas grand-chose, je n’aime pas le superflu, un grand lit à baldaquin surplombé d’une moustiquaire, une table et une chaise voilà tout ce dont j’ai besoin. Bien sûr un coin sanitaire pour assurer mon hygiène et un bar modèle réduit en cas de besoin. C’est grand, c’est beau, c’est brut. Je me désape pour prendre une douche. D’épaisses serviettes sont posées en une pile à même le sol à la limite de la vasque en béton légèrement incurvée pour ne pas tremper le sisal. Je me savonne sous l’eau en admirant le panorama des baies vitrées. On m’offre une vue imprenable sur la mer couvrant la quasi-totalité du paysage. C’est un délice.
Le téléphone sonne ! Il est 20 heures, et moi qui pensais que le jour se levait. Il y a un truc qui m’échappe.
– Ce soir c’est la soirée de présentation de votre Web-site www.GatsbyOnline.com à mes amies et amis de la presse !
Ils et elles s’avèrent être des êtres humains pourvus d’humour et non des machines à dactylographier des communiqués de presse pré-imprimés comme je le croyais… Nous discutons de plein de trucs différents, une jolie me montre des photos d’elle exhibant ses seins. Les perdant(e)s deviennent généralement hystériques dans leur gloire. Je reste muet mais elle insiste
– Je veux juste trinquer !
– C’est incroyable !
– Tu viens de lui faire super plaisir, me lance son pote.
Ce sont ces instants qui marquent un moment, qui forgent une destinée. C’est un moment de poésie, mais il est temps de rentrer. Quitter mon corps, quitter cette planète, voilà à quoi j’aspire. Je n’y vois rien mais je vois le bout du chemin. Le bateau est prêt à prendre le large. Je sombre dans l’obscur, dieu que c’est bon. Confus et désordonné, mon esprit est un énorme chantier. Les discussions qui partent dans toutes les directions et n’aboutissent nulle part me font horreur. Je trouve cela dénué de sens. Cela dit il m’arrive de les pratiquer de temps à autre, toutes les occasions sont bonnes. Le problème c’est que j’aime outrepasser mes limites. Je fini souvent par me prendre pour un philosophe et balbutie des propos incohérents. Je suis la crucifixion du bonheur. Le poids de ma folie pèse alors sur ma conscience. Que vais-je devenir ? Pas de panique. Mis à part quelques coups de fils de détraqué, qui terniront à jamais le peu d’estime qu’ils me portent, d’ici quarante-huit heures tout sera rentré dans l’ordre. Einstein soutient que l’on utilise simplement dix pour cent de notre cerveau. Je suis au service de la science. Je remarque alors qu’une femme se tient de profil face à moi. Elle porte une jupe à volants et des voilages qu’elle superpose en guise de cardigan. Malgré son aptitude à succomber à l’attraction de la pesanteur, tout porte à croire qu’elle n’est pas de cette planète. Ma curiosité est en éveil.
– Je vous en prie ne restez pas debout, vous me donnez le mal de terre.
– Ah oui, comment cela ? dit elle du haut de son accent.
– Pardonnez moi mais vous tanguez.
– Je suis chilienne mais j’ai vécu un moment en Argentine, le tango me colle à la peau.
– Alors buvons à son air enivrant ! Dites-moi señora, êtes-vous celle que j’attendais ?
– Il se pourrait bien que je l’ignore.
– Dans ce cas buvez, vous trouverez certainement le chemin.
Nous portons un toast silencieux. Nous entamons une discussion sur l’Amérique Latine. Je place mes théories sur l’opération Condor. Et mon œil brille lorsque je parle d’EZLN et son représentant le sous commandant Marcos. Elle enchaîne sur le Movimiento Nacional de Fàbricas Recuperadas, un mouvement créé en 2002 en Argentine par les ouvriers au chômage qui se regroupèrent en coopératives et occupèrent les usines qui fermaient à tour de rôle. Contrairement à la logique économique, ces coopératives ne misent pas sur l’investissement de capitaux. Si elles procédaient ainsi, elles ne parviendraient jamais à mettre en route le système de production. L’élément déterminant de cette expérience, c’est la solidarité entre les ouvriers. L’objectif du mouvement est de récupérer le plus grand nombre d’usines.
– On compte aujourd’hui plus de 8.000 ouvriers qui travaillent avec ce système d’autogestion dans un univers capitaliste.
– Je m’étonne de vos préoccupations.
– Comment ça ?
– Ce sont guère des discours de compañero.
– Quand comptez vous me tuer ? Il me semble que vous êtes là pour effectuer ce travail señora. Vous êtes sûrement à la solde de la CIA ou une de ses filières à cause de mes écrits politiquement-incorrects ! Alors le plus tôt sera le mieux…
– Vous faites erreur…
– La seule erreur est, ce soir, celle que vous commettez en repoussant le moment fatidique…
– Vous êtes complètement fou !
– C’est le plus beau compliment que l’on ne m’a jamais fait, merci señora. Mais n’oubliez pas…
– Qu’est ce que je ne dois pas oublier ?
– Vous n’aurez qu’une seule chance.
– Vous êtes bien théâtral monsieur… mais, j’ai le regret de vous informer que personne n’attente à votre vie ce soir.
– Le regret ?
– Oui, car j’ai la joie de vous voir vous suicider.
– En plus, señora, vous faites des alexandrins.
– Qui est Alexandra ?
– Personne.
– Allons danser.
Trois couples se déplacent au rythme d’un tango argentin. La señora commande au barman deux mojito pour nous accompagner. Je le bois appuyé d’une main contre l’édifice pour ne pas m’écrouler. J’ai la posture de John Wayne et suis aussi saoul que macadam cowboy. Après quelques gorgées elle saisit la main porteuse pour l’entraîner sur la piste, le reste suit malaisément. Nous commençons le tango de la mort. Nous tournons à contre sens de mon tournis.
Voilà que je perds toute notion de gravité. Je subi l’entraînement pratiqué à la Nasa. En deux danses de temps, je crois bien avoir éraflé chaque paroi de chaque mur en intégralité. Nous buvons un coup avant d’entamer la troisième. Je me concentre pour ne pas succomber à celle-ci et reconstitue les pas dans ma boîte crânienne. C’est reparti. Je m’accroche. Rien à faire, chacun de mes pas est désespérément en proie au vide astral. Il me faudrait des plombs aux pieds pour les sentir. Les couples ne sont pas revenus danser. Le supplice arrive à son terme.
– Allons chez moi, me lance t-elle.
– Vous m’avez volé la réplique mais j’accepte l’invitation.
– Je vais te raconter une histoire.
– Ah…
– Il y a quelques années au Chili, un avocat respectable voulut intégrer un cercle. Ce cercle était constitué de riches propriétaires terriens et de personnalités notables de la région. L’avocat de par sa brillante carrière fut présenté aux membres. Bien qu’enthousiaste à l’idée de devenir membre, il vu son accès refusé. On contesta sa candidature car il n’était ni riche ni propriétaire. Mis à part sa qualité d’avocat il n’offrait ni prestige ni assurance. Déçu par leur attitude il rentra chez lui et s’enferma deux jours durant dans le silence absolu. Il cherchait à acquérir quelque chose que personne n’avait. Ses connaissances en droit lui permirent de résoudre sa peine. A l’aube du troisième jour, il parti en ville et revint chez lui avec des documents sous le bras. Résolument déterminé à laver son honneur, il retourna au cercle. Dans une longue plaidoirie pleine d’équité, devant l’assemblée tout entière, il leur annonça qu’il avait acheté la plus grande parcelle qu’aucun homme au monde n’avait eue jusqu’à présent…
– Ah…
– Il leur annonça qu’il était « El » proprietario de la Luna… Les documents légaux qui l’accompagnaient prouvaient ses propos. Mais pour finir en beauté il décréta qu’étant donné qu’il était le plus grand propriétaire du monde, il n’avait rien à faire dans un cercle si étroit d’esprit. Puis, sourire aux lèvres, s’en alla rejoindre sa famille qu’il avait délaissée pendant ces jours qu’il passa à réfléchir.
– Elle est belle ton histoire.
– C’est une histoire vraie.
– Je n’en doute pas… Qui était cet avocat ?
– Mon père.
Elle me confie que son père la lui légua. Elle est aujourd’hui la propriétaire légale de la Lune. Avant de se quitter on remit le couvert une dernière fois, et comme en 69 je conquis la sienne d’un coup de drapeau, laissant à jamais mon étendard flotter derrière elle.
D’abord ému par tant d’importance, mon œil glisse le long de ma joue et viens se perdre dans une de mes poches. Je lance le sablier et creuse le sol à sa recherche. Ma main se glisse dans mes cheveux, je pense avoir trouvé. Mon journal d’appel m’informe lui avoir prêté attention à 2h23. J’ai encore dérapé.
Le rhum rend amnésique, mon plancher en porte les stigmates. Avais-je organisé mon sommeil dans ce vide pour être réveillé lorsque la belle déciderait de le reluire ou ai-je simplement enfermé ce mauvais dans une boîte. La chance sourit aux audacieux et bien tout porte à croire que j’ai décroché la timbale du second tour. Pour éviter les accidents, il y a des paliers à respecter. Je préfère rouler seul des fois que je loupe un virage dans ma descente et j’ai un mauvais souvenir d’une liaison avec une plante. Je l’avais d’abord déracinée de son milieu pour son physique. Cette dernière élevée en plein air, arborait de magnifiques feuilles de nature tropicale. Je me sentais bien avec elle. Comme tous les débuts, nous partagions d’incroyables moments. Je projetais de l’amener quelque part, mais la vie en décida autrement, sans doute à cause du rire dont la définition diffère selon ce que l’on s’est envoyé au petit déjeuner. Toujours est-il que je passais de moins en moins de temps chez moi, il arrivait même que je découche pendant plusieurs jours. Elle devint jalouse et montrait des signes de dépression. J’entrepris de l’arroser au champagne pour lui remonter le moral. Ce fut sa première cuite et le début d’un long dimanche. Elle avait une bonne descente. Et dire que je l’avais poussé sur la mauvaise pente. Cette folie verte avait quitté la terre et j’en ramassais les pots cassés. Elle avait le vin pour seule raison. Rosé du matin au soir, pluie de désespoir. Un jour accompagné d’une déesse enchantée, Je m’étais allongé, dans l’idée de la goûter. M’apprêtant à croquer ma pomme, une feuille vint se poser sur le buisson de la pécheresse. Vous voyez le tableau. Je récoltais le fruit de mon labeur. Ce jour-là je décidais de la renvoyer et la chassai de mon paradis pour la mettre sur le trottoir. Elle n’eut aucun succès, et décrépit en quelques jours. Les rues sont froides et entretiennent la solitude des natures mortes. Voilà comment l’homme blanc cultive son jardin, et si les chiens avaient leurs mots à dire, ils vous enverraient promener. En attendant qu’ils lèvent le coude, savourons notre bêtise, crachons par terre, piétinons les plates-bandes de fleurs qui entourent les pelouses interdites, et urinons dans les squares. L’opération Rideau est programmée. Elle sera présidée par des pigeons cravatés aux pochettes assorties, et leurs souliers vernis, sur nos têtes adaptées, stabiliseront notre déséquilibre quand ils nous renverront le tout à la gueule. Voilà comment, l’homme, sur son cercle décoré par ses extrémités, sera récompensé pour rouler éternellement du même côté que le volant. Point barre…