Puisque le savoir est l’éclaireur de l’affliction, il est dangereux de savoir…
Je ne suis plus le même, j’ai vu la face cachée du monde… et cette vision m’enfonce chaque jour davantage dans le désespoir d’une pensée qui revient en boucle : l’ancien ne peut plus se maintenir, le nouveau ne peut encore s’imposer…, derrière la facade de la vie, ses simulacres continuent de plus belle. Le jour laisse libre cours au trafic intense des affaires et du cœur… le perpétuel va-et-vient du papier et du courrier : échanges de tarifs et de billets doux, durs et dingues. Les gens continuent de s’aplatir contre les guichets, les fonctionnaires se retranchent derrière le règlement et les épaisses parois vitrées… aux heures de pointe, on est serré comme des sardines dans les files d’attente.
On ne compte plus les têtes de toutes les couleurs, noires, blanches, mates, jaunes et métissées qui s’additionnent et s’annulent dans le même mouvement… sinon les corps se frôlent librement : panses bureaucratiques qui explosent sous les chemises cintrées… manteaux, impers et gandouras traînant la poussière… crânes rasant les murs… permanentes et brosses soufflées par les courants d’air… bigoudis oscillant au gré des coups de hanches… et, quelquefois, crêtes d’Iroquois lançant des flèches de couleurs. Par-dessus un tapis d’odeurs indéfinissables : mascara, rimmel et eaux de toilette coulent avec un arrière-goût de vapeurs de cocotte qui s’échappent des décolletés et des cols douteux. La comédie de l’amour, de l’humeur, du fric et du pouvoir n’en finit jamais. Le cœur malade du monde est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Le soir, après un couvre-feu tacite, c’est l’arche de Noé des bannis. Sous l’éclairage lugubre et spectral des néons, les âmes moribondes déambulent, les sans-abri dérivent…, livides, les junkies se fixent avec leurs orbites défoncées et noires en tâtant leurs veines rustinées dans un recoin… alors que dans un autre, deux corps se frottent les croûtes pendant qu’un dernier exclu tire vainement sur sa bite recroquevillée comme un bigorneau… et qu’une femme sans âge pousse un chariot à provisions rempli de châtons miaulant à tue-tête. Au milieu de cette Tour de Babel, les voix des insomniaques pendus au téléphone répondent à leurs correspondants perdus à l’autre bout du fil…, elles se mêlent aux grognements des clochards qui barbotent et clapotent dans leur pisse, leurs glaires et leurs mares de dégueulis…, parce que la vinasse reste le seul compagnon de ces multiples solitudes croisées au centre de l’échange et du tri. C’est le paysage de la misère. Voilà le décor et son envers…, j’observe l’interprétation des règles pour la direction de l’esprit : je pense, donc je suis peu de choses… Qu’est-ce qu’on risque ? C’est aussi ce qu’on gagne en perdant ses amis, sa réputation, ses habitudes, ses certitudes, ses illusions, ses affaires…, son univers… Selon l’avis de spécialistes, le fait qu’on ait envie de baiser explique le début des ennuis…
J’en ai connu des faux-amis, qui, pour fuir les saloperies qu’ils avaient créées, sont partis faire une ultime virée champêtre…, sans penser que ceux qui les avaient subies pouvaient les y attendre pour leur faire avaler leur billet de retour ! Passer l’éternité enterré dans un sous-bois…, quel ennui… D’autres, heureux de respirer l’oxyde de carbone à pleins poumons après avoir claqué la portière de leur bagnole chérie pour fuir les prétendus conspirateurs et leurs quatre vérités…, se sont en fait, enfermé dans un container de déchets toxiques. Le tourbillon de merde qui les a emportés, les a-t-il guéris de leurs crises de blennorrhée psychoscatologique ? Un choc émotif, souvent, réveille les virus qui sommeillent en nous, un bouton pointe un matin sa surface granuleuse sur le ventre, dans les jours qui suivent des plaques rouges poussent sur tout le corps, le cuir chevelu se met à démanger furieusement, de minuscules croûtes dégringolent sur les épaules…
On va consulter un spécialiste dans un centre de dermatologie qui diagnostique une forme rare de mycose et prescrit un assortiment de pommades et de gels capillaires qu’on doit, matin et soir, tartiner allégrement sur sa culture de champignons microscopiques. Dans ces conditions, inutile de chercher une fille qui voudrait partager son lit, elle aurait l’impression de coucher avec la victime d’une marée noire ! Une catastrophe écologique, voilà ce qu’on devient…, le problème, c’est qu’on devrait suivre cette règle cartésienne : il ne faut s’occuper que des objets dont notre esprit paraît pouvoir atteindre une connaissance certaine et indubitable…
Il y a des jours comme certaines nuits… où on rêve qu’une mauvaise fée nous transforme en pit-bull humain…, on a alors une boule de haine et de rage, une grande gueule carnassière, la bave dégoûtante aux lèvres, des crocs avides de mordre… Exercer les pressions de sa mâchoire sur sa chair, y imprimer la marque de sa colère, sentir le sang couler…, mais on en est incapable…, plus que la civilisation, l’âge a dompté ce genre d’envie barbare… et notre instinct de conservation, intact, nous déconseille de bouffer du flic et du fonctionnaire fiscal… Il n’y a rien qui ressemble plus au portrait-robot qu’on trimballe dans la tête que son modèle dans le monde réel. Le fiscard est souvent anonyme, le style “Monsieur-tout-le-monde”… en pire…, mais la force de la police, c’est le respect caricatural de la norme physique, la figure du contre-emploi est rarissime, la face de boucher est plus habituelle que le profil de chef d’orchestre philharmonique, l’habit, qui ne fait pas le moine…, mais le fonctionnaire, dissimule le côté mélomane…, la musicalité, il l’a dans le holster, sur le haut des fesses ou sous les aisselles, en y regardant de plus près, on découvre la bosse de leur sensibilité.
Quant à cet air de dur à cuire qui serre les mâchoires, on ne s’explique pas si c’est le résultat d’années de pratique ou si c’est de naissance…, mais disserter de l’inné et de l’acquis n’apporte pas grand-chose à toute appréciation. Les flics sont basiques et obéissants aux ordres du système qui les payent, même s’ils ne veulent pas reconnaître que cet argent vient souvent des impôts de ceux et celles qu’ils chargent dans les manifestations de désespoir… Ils sont souvent pour l’élimination des rappeurs, des d’jeunes cons, des vieux cons, des antisémites, des bougnoules, des hippies, des gothiques, des punks, de ceux qui ont une sale tête et des putes, des macs, des glandeurs, des branleurs, des tapettes, des gouines….
Les autres qui foutent la merde, ils créveront tous seuls, car, selon les pires flics : La sélection naturelle opère d’elle-même, ils sont déjà tous malades, rien que des faibles… et s’ils en contaminent d’autres, tant mieux, qu’ils s’entretuent, c’est parfait. Sans compter que du côté du public, c’est, au mieux, du futur chômeur ou bien du voyou, de la racaille métissée des cités qui va pondre des bâtards à répétition, creuser le trou du déficit de la Sécurité Sociale et des allocations familiales, dans le seul but de nous envahir davantage. C’est une mesure de salubrité publique que de se débarrasser de cette gangrène là… Une association de dépravés, un ramassis de pédés, gouines, nègres, métèques, voyous, des pervers malades, des prosélytes de la débauche qui copulent en-dehors du mariage, une institution qu’ils veulent ruiner, de toute façon. C’est eux qui contaminent la France ! Tous des débauchés, des vicieux, des violeurs, voleurs, incestueux… Dans un monde hostile, mouvant, dérangé et dérangeant, il faut refuser toute aliénation pour échapper à la dépression, au désespoir, à la folie ou au suicide, l’arrêt signe la mort. Nous sommes une somme de différences. Si les lois de la thermodynamique s’appliquent à notre être, il est nécessaire de savoir sur quelles parties de notre cerveau s’étend l’entropie. C’est l’absence qui est au coeur de la plupart des publications…
Alors que doit apporter un véritable écrivain ? Transmettre un message qui ne se laisse confondre avec aucun autre, paradoxes et invraisemblances inclus.
Un message n’a pas de comptes à rendre au monde extérieur, ni à refléter un de ses quelconques aspects, l’objet-livre n’imite pas la vie, c’est une Sur-Vie. D’après les rapports que j’ai entretenus avec divers éditeurs, le sort de l’écriture comme activité humaine représentative d’une pensée autonome et originale est préoccupant, car la machine industrielle du livre vise la disparition de l’écrivain. Ce dernier pose trop de problèmes, il n’est plus nécessaire, ni indispensable…, je suppose que son élimination du processus de fabrication du livre est à l’étude dans le laboratoire d’une multinationale. L’informatique devrait trouver une solution de substitution…, dans un avenir pas très lointain, un logiciel sera en mesure de produire et de calibrer un texte répondant à un minimum de critères de lisibilité, il suffira de perfectionner le modèle de compilation géante de données qui a permis à l’ordinateur Deep Blue de vaincre le champion d’échecs Kasparov… et de l’adapter à la construction d’un texte. Ces données seront un énorme répertoire d’intrigues, criminelles ou pas… et de personnages. Grâce à un lexique sommaire, les programmeurs créeront autant de simulacres de livres que le permettront les permutations de ces deux systèmes…, ces objets ne présenteront aucune aspérité, ils seront beaux, lisses et glacés…, la lecture en sera facile. Mais quand on en sera là, les lecteurs auront déserté la place… des artefacts beaucoup plus puissants que des simples mots alignés sur une page auront colonisé les esprits. C’est prévisible !
L’écriture échoue dans la voie sans issue des autres arts, qui sont des espèces en voie de disparition… réduit à l’état d’épiphénomène de quantité négligeable, le pouvoir de nuisance de l’écrivain sera très faible… son extinction est proche si on ne réagit pas en déçidant de “produire” des livres forts, que certains qualifieront de difficile. L’écrivain est tout à la fois une momie, un vampire psychique, un ogre, un savant fou, un alien et un cyborg… et, essentiellement un Elephant man. L’horreur de son temps le pénètre, il l’assimile… ce qu’il rend visible inspire le dégoût et l’attraction. Pour son malheur intime, le corps difforme d’Elephant man a incarné les tares de son époque, son horreur physique exhibait l’horreur industrielle…, comme elle, il était monstrueux, il puait, mais, dans son coeur, John Merrick l’Elephant man, savait qu’il voulait rétablir la beauté et l’harmonie. J’aurais beaucoup d’autres choses à ajouter mais… seuls les morts ont le temps…