Quelqu’un, est, en français, un mot mystérieusement modulable, l’un de ces rares mots capables de signifier une chose et son contraire.
Commençons par le commencement. Quelqu’un, c’est vous, moi, personne et pourtant c’est Quelqu’un… Tout un chacun peut-être “Quelqu’un”, c’est-à-dire qu’il peut être l’individu perdu dans la masse, l’anonyme-type… et pourtant Quelqu’un est unique et personne ne lui ressemble parce qu’il est totalement unique… C’est le personnage d’une histoire qui peut, d’ailleurs s’agglutiner à d’autres personnages pour constituer un groupe aussi anonyme que l’unité dont il procède : on parlera alors de “quelques-uns”... et tout au contraire Quelqu’un est le héros de l’histoire, le généralissime qui dirige son armée de personnes….
Il advient que “Quelqu’un” soit cherché par “Quelqu’un” ou “Quelqu’une” d’autre, et même qu’une “Quelqu’une” soit recherchée par “Quelqu’un” ou “Quelqu’une” d’autre… “Quelqu’une” ainsi recherchée étant un personnage de sexe féminin, “Quelqu’une”, mais la langue préfère généralement le masculin, allez savoir pourquoi. Ainsi vous frappez à une porte, on ne répond pas, vous entrebâillez la porte, vous finissez par entrer et vous interrogez à voix haute, parfois à plusieurs reprises et d’une voix de plus en plus forte : ” Il y a Quelqu’un ? “. En fait, ce Quelqu’un-là, que vous interpellez ainsi, derrière l’absence, a déjà pour vous une identité plus ou moins définie, puisque vous n’êtes pas entré au hasard et que vous n’êtes là que dans une intention précise, en vue d’un but précis : c’est votre amant peut-être que vous cherchez, ou votre écrivain préféré, ou l’artiste sexuel mâtiné d’architecte des sentiments, ou un antiquaire des automobiles hors-normes, voire un pseudonyme qui fait rêver toutes les femmes du Web (et d’ailleurs) donc pas vraiment n’importe qui : Quelqu’un.
L’identité ainsi annoncée peut se préciser encore plus, elle peut surgir brutalement du mur de l’anonymat et de l’absence, s’imposer comme un fait irréfutable, comme une évidence éclatante et dont chacun doit convenir au risque, sinon, d’être disqualifié, d’être considéré comme d’un jugement médiocre. Pour signifier cette avancée vers la qualité la plus haute et la plus rare, autrement dit cette désignation de l’unique, on peut, par exemple s’écrier (mais toute autre nomination exemplaire serait la bienvenue) : “C’est Quelqu’un !”
C’est Quelqu’un, tu sais toujours où il est. Tu as à peine besoin de regarder. Juste savoir. Sans ça, l’espace est difforme, distordu.
C’est Quelqu’un, tu ne peux pas laisser planer ton regard dessus, comme ça, dans le vague. Tu le vois trop. Même quand tu ne le regardes pas, tu le vois.
C’est Quelqu’un, son nom, tu ne peux pas le prononcer normalement. C’est comme si ta langue ne voulait pas. Ton corps ne t’obéirais plus.
C’est Quelqu’un, quand il est dans la même pièce, tu en perds tes habitudes. Tu voudrais partir. Mais tu dois rester, le toucher, mais tu ne peux plus bouger.
C’est Quelqu’un, tu ne sais trop la couleur de ses yeux.
C’est Quelqu’un que tu aimes à regarder. Tu connais son profil, sa nuque, l’inclinaison de sa tête.
C’est Quelqu’un que tu n’arrives pas à regarder en face en cliquant les verres d’apéritifs. Tu ne vois plus rien que Quelqu’un.
C’est Quelqu’un, son nom, et tous les mots qui s’en rapprochent, et ses intonations de voix, te font dresser l’oreille et le corps, instinctivement. Tu serais un animal, les bruits de son corps, tu en connaîtrais malgré toi toutes les nuances.
C’est Quelqu’un, quand tu le vois arriver, tu es soulagée. Tu dois alors l’enlacer.
C’est Quelqu’un, sa façon de se déplacer, tu la perçois même sans le regarder.
C’est Quelqu’un, à force, tu ne sais même plus qui tu es.
C’est Quelqu’un, ta tête bourdonne, c’est comme mal au ventre et les yeux aveugles. Tu voudrais ne jamais déranger. Ne jamais l’embêter, l’ennuyer et pourtant ne jamais arrêter en encore et encore….
C’est Quelqu’un, tu ne sais jamais comment commencer une phrase quand il faut lui parler.
C’est Quelqu’un, quand il part, tu es en colère contre toi-même, anxieuse de quand il va revenir….
C’est Quelqu’un, tu te cherches toi-même en mieux. Tu ne te trouves plus assez bien pour lui alors qu’il irradie de te voir.
C’est Quelqu’un, tu te dis que tu te trompes. Non, ce n’est pas lui. Pas ce Quelqu’un-là, tu le connais.
C’est Quelqu’un, tu es avec quelqu’un d’autre, et tu t’ennuies.
Superbe contradiction que le mot “Quelqu’un“. Il veut en même temps dire “Quelqu’un” et “Pas quelqu’un“, c’est à dire “Personne” qui est à la fois quelqu’un et pas quelqu’un… Nous comprenons bien cela quand nous découvrons que personne ne vient de personna qui, en langue étrusque, signifiait masque de théâtre. Nous voilà donc dans une histoire d’identité et de masques.
Ce double sens des mots “quelqu’un” et “personne”, apparemment contradictoire, s’harmonise très bien avec le fait que la personnalité ne désigne pas ce que nous sommes, mais plutôt le (ou les) personnage(s) que nous jouons. Le “quelqu’un” est l’acteur, l’individu. La personnalité, elle, est le personnage joué. Une sorte de stratégie carnavalesque inconsciente pour assurer notre quotidien social
Quelqu’un résulte de la combinaison du latin qualiscumque ” quel…que “, indiquant n’importe lequel des éléments en présence, et de unus, spécifiant qu’il s’agit d’un seul de ces éléments.
Jusqu’au XVIIème siècle, quelqu’un avait curieusement un synonyme qui apparaît de nos jours comme impensable : aucun, dont il reste des traces dans la langue d’aujourd’hui, quand on dit : “D’aucuns pensent que”.
En latin, “quelqu’un” se disait quidam, mot qui a été réemprunté au latin classique au Moyen-Âge dans le langage juridique pour désigner une personne dont on ne prononçait pas ou dont on ne connaissait pas le nom.
Quelqu’un est un pronom composé, formé de quelque et de un. Au singulier, le e de quelque s’élide : il est remplacé par une apostrophe.
Mais au pluriel, il n’y a pas d’élision et le pronom composé s’écrit avec un trait d’union.
– Parmi ces amis, quelques-uns sont déjà venus.
– Il avait plusieurs idées ; il nous en a exposé quelques-unes.
Quelqu’un, Chacun, Quiconque et Personne….
– Un travail important devait être fait, et on avait demandé à Chacun de s’en occuper.
– Chacun était assuré que Quelqu’un allait le faire, Quiconque aurait pu s’en occuper, mais Personne ne l’a fait.
– Quelqu’un s’est emporté parce qu’il considérait que ce travail était la responsabilité de Chacun.
– Chacun croyait que Quiconque pouvait le faire, mais Personne ne s’était rendu compte que Chacun ne le ferait pas.
– À la fin, Chacun blâmait Quelqu’un, du fait que Personne n’avait fait ce que Quiconque aurait dû faire.