” <Pat-Gatsby> signe la fin du monde et va creuser la tombe de l’humanité” !
C’était une certitude, tous les sites-web de l’univers et tous les journaux et magazines l’annonçaient, en gros titres et avec beaucoup de points d’exclamation: <Pat-Gatsby> allait provoquer la fin du monde ! D’ici un mois…
” <Pat-Gatsby>nous tombe dessus ! “ titrait le Journal Universel du 27 mai 2580.
<Pat-Gatsby> était un corps céleste qui dérivait dans l’espace, un astéroïde de treize kilomètres de diamètre, avec des creux et des bosses à sa surface, et fonçant vers la Terre à soixante mille kilomètres à l’heure. Il avait été baptisé ainsi par l’astronome qui l’avait découvert à la fin du XXI° siècle, en hommage au pseudonyme quasiment jamais utilisé par Patrice De Bruyne, le fameux écrivain qui avait hanté le web début des années 2.000 pour ensuite disparaître un soir d’amertume. Classé dans la catégorie des astéroïdes géocroiseurs, les calculs de son orbite réalisés à cette époque révélèrent qu’il n’avait qu’une chance sur mille neuf cent soixante-sept millions d’entrer en collision avec notre planète. Aussi les astronomes ne le surveillèrent pas plus que ça, et ils finirent par le perdre de vue. Il surprit donc tout le monde lors de son retour. Personne n’avait vu arriver <Pat-Gatsby> qui avait surgi dans la direction du Soleil, rendant sa détection d’autant plus difficile.
Tout d’abord, les astronomes ne reconnurent pas <Pat-Gatsby>, pensant qu’ils avaient affaire à un nouveau corps céleste dans le système solaire, mais en se replongeant dans les calculs et les archives, ils durent se rendre à l’évidence : il s’agissait d’une vieille connaissance, un astéroïde découvert cinq siècles plus tôt et considéré alors comme inoffensif. Certains pensèrent que l’orbite de l’astéroïde avait été modifiée par des perturbations gravitationnelles provoquées par la planète Mercure. Fichue Mercure ! Depuis l’annonce de la terrible nouvelle, c’était la panique sur Terre. Ceux qui possédaient une station orbitale privée s’y étaient réfugiés, mais les autres n’avaient aucune possibilité de se mettre à l’abri. Personne ne songea à fuir vers Mars puisque la planète rouge était un cauchemar pour les humains. Y poser le pied équivalait à un suicide pur et simple. Mars était peuplée de micro-organismes mortels : des amibes Nitrolétales tueuses !
Il y a trois siècles, un biologiste écologiste suisse complètement fou, opposé à la colonisation de Mars par l’homme, avait saboté le processus de terraformation de la planète en y propageant des amibes Nitrolétales modifiées par ses soins. Celles-ci se développèrent à la surface de Mars en un temps record et acquirent une résistance phénoménale. Les différents moyens utilisés, dont l’arme nucléaire, pour tenter de les détruire eurent autant d’effet sur elles qu’un cataplasme sur une jambe de bois ! Mars appartenait exclusivement aux amibes Nitrolétales. Personne ne songea non plus à fuir sur la Lune, puisque cette dernière avait disparu du ciel. Une centaine d’années à peine après la colonisation de Mars par les amibes Nitrolétales, le gigantesque entrepôt d’armes nucléaires situé sur notre satellite explosa accidentellement. L’explosion fut d’une telle violence que la Lune fut arrachée à son orbite et propulsée hors du système solaire, “comme un ballon dans lequel un footballeur cosmique aurait shooté pour l’envoyer au fond des filets de l’infini”, pour reprendre la formule employée par un poète sportif, ou l’inverse, de l’époque. L’événement s’était produit un 13 septembre ; un lundi.
La disparition de la Lune eut quelques conséquences, comme le basculement de l’axe de rotation de la Terre, ce qui provoqua tsunamis et séismes faisant plusieurs centaines de millions de victimes. Le climat fut bouleversé ; les quelques milliards de survivants aussi. Mais ils surent s’adapter, et la civilisation humaine, qui avait un instant vacillé, ne s’effondra pas. Les poètes et les rêveurs avaient perdu leur astre favori. Terminés, les bienfaits de la Lune.
Les éclipses devinrent des légendes. Le signe du Cancer n’avait plus de maître, ce qui ennuya grandement les astrologues. On observa que beaucoup de personnes nées après la disparition de l’astre des nuits manquaient singulièrement d’imagination, aucune ne rêvassait, il devint impossible de surprendre quelqu’un qui était dans la lune ! Les autres planètes du système solaire étant inhabitables, il ne restait qu’une solution : détruire <Pat-Gatsby> !
Oui, mais comment ? Le plus simple aurait été d’envoyer des missiles à têtes nucléaires à la rencontre de <Pat-Gatsby>; ça n’eût pas pardonné, l’astéroïde aurait volé en éclats.
Mais depuis l’explosion sur la Lune, l’arsenal nucléaire qui restait sur Terre avait été progressivement détruit pour éviter un nouveau cataclysme.
Le temps de retrouver les vieux plans d’autrefois, en admettant qu’on les retrouve, pour construire de nouvelles armes en quantité suffisante, <Pat-Gatsby> aura déjà assassiné la planète. Quelqu’un eut une idée : envoyer dans l’espace un vaisseau bourré d’explosifs et le précipiter sur l’astéroïde. Ça ne détruirait pas ce dernier, mais sa trajectoire en serait modifiée et il se contenterait de frôler la Terre. Il était même possible qu’il se satellise autour de notre planète. Ainsi <Pat-Gatsby> remplacerait l’ancienne Lune. Alors, la nuit venue, les rares rêveurs et les amoureux pourraient se promener, ou s’étrangler, au clair de <Pat-Gatsby>. Les gens autrefois appelés lunatiques feraient leur réapparition, les “Pat-Gatsbyens”, et les soirs où l’astre <Pat-Gatsby> serait bien rond, certains hurleraient peut-être au loup dans la lumière spectrale. Il y aurait de nouveau des marées, un maître pour le signe du Cancer, et de petites éclipses de temps en temps…
Afin de mener à bien la mission, il fallait trouver quelqu’un d’autre (encore) qui accepte de se sacrifier pour sauver l’humanité. En effet, le vaisseau devrait s’écraser sur l’astéroïde à un moment très précis, en suivant une trajectoire bien définie, et aucun robot ou programme ne vaudrait un bon pilote humain.
Il y eut beaucoup de candidats au poste de sauveur de la planète. Celui qui fut retenu était un vieux con qui faisait le singe pour gagner sa pitance et dont la famille, durant plusieurs générations voulait en découdre avec tout le monde surtout avec “Pat-Gatsby” et ses descendant(e)s, ce qui maintenant paraissait possible… Il décolla aux commandes d’un vaisseau rempli des explosifs les plus puissants qui existaient. Il était heureux de donner sa vie pour sauver celle de milliards de ses semblables. Il se disait qu’on ne l’oublierait jamais, que dans plusieurs siècles on parlerait encore de lui avec admiration, des statues à son image seraient certainement érigées, son nom serait gravé sur des monuments gigantesques… Il poussa les réacteurs de son vaisseau à plein régime et fonça vers l’astéroïde en criant : “Pitin…Banzaï !!!” Il avait entendu dire que les kamikazes du XX° siècle poussaient ce cri, et qu’avant de partir accomplir leur mission suicide, ils buvaient du saké. Voulant singer parfaitement un kamikaze, avait bu beaucoup de saké. Beaucoup trop.
Il manqua sa cible de sept cent douze kilomètres, ce qui est peu à l’échelle de l’univers… Il ne fit donc que croiser <Pat-Gatsby> pareillement que toutes les générations de connards avant lui… qui ne pouvait faire demi-tour pour tenter un nouveau crash, puisqu’il avait dû brûler tout le carburant dont il disposait pour lancer le vaisseau à pleine vitesse. Ne pouvant freiner non plus, il continua sur sa lancée, en ligne droite, vers nulle part… tandis que <Pat-Gatsby> continua sa course vers la planète bleue, imperturbable. Dans sa station orbitale privée, où il s’était retiré depuis cinquante-cinq années avec sa compagne, le célèbre écrivain misanthrope “Pat-Gatsby”, arrière-arrière-arrière (et plus) petit fils du fameux “Pat-Gatsby” des années 2000, ricanait sous son casque…
Du gigantesque embrasement de l’astéroïde, provoqué par son entrée dans l’atmosphère terrestre, jusqu’à son impact flamboyant sur le continent européen, quelque part entre Bruxelles et Paris, il ne perdit pas une miette, pensant à toutes les vies humaines qui s’achevaient ensemble en un éclair, imaginant l’agonie des rares survivants dans le long hiver post nucléaire qui suivrait. Sourire aux lèvres, il commença à fredonner une chanson vieille de six siècles: “ In the year 2525, if man is still alive…” Il exultait. C’était un bonheur sans nom que d’assister ainsi à la fin du genre humain pour un misanthrope comme lui ! Il eut une érection…