Quelqu’un du temps qui passe… #2
La douce dame en noir qui sentait le massepain me l’offrit un soir.
La maison était chaude, la lumière dessinait le chien et le loup avec du doré entre les dents.
C’était mon cadeau de Nöel.
La poupée en caoutchouc dur avait 18 centimètres de haut et portait un short rouge.
“C’est une souris et il s’appelle Mickey, me dit ma grand-mère Marie“.
Elle n’était pas riche et avait du se priver pour m’acheter ce jouet.
Je te salue Marie et je t’aime.
Je pense à toi.
On a tous un Mickey.
Le mien se confond avec la bonté que dégageait mon aïeule et le cocon de la maison de mon enfance.
Quand on rêve à la maison natale, on participe à cette chaleur première, à cette matière bien tempérée du paradis matériel.
Dans cette ambiance ou vivent les êtres protecteurs apparus en ces lieux, Mickey devint mon dieu lare.
La demeure immobile de l’enfance nous tient définitivement dans ses bras et la poupée Mickey, qui me regarde debout et les bras écartés sur mon bureau pendant que j’écris ce texte, fait partie des objets devenus vivants par le travail de la mémoire.
Ce Mickey ne me quitta plus.
Il devint mon confident.
Caché dans le cartable, il entra à l’école avec moi.
Serré sous ma veste, il m’accompagnait au cinéma et après, on se racontait en riant les bons moments du film.
Contrairement aux Mickeys embourgeoisés d’aujourd’hui, le mien a le museau long, une gueule de brave voyou, d’autant qu’au fil du temps ses couleurs s’écaillent.
Avec moi, il regardait les filles et m’affirmait que nul trésor de Rackam-le-Rouge n’est plus beau que ceux qui bougent sous les jupes et les pulls.
Plus tard, je lui confirmait que c’était exact et, le feu aux joues, je lui décrivait des secrets plus ronds que ces oreilles.
Je quittai des gens, je quittai des maisons, lui ne me quitta jamais.
Je fis des valises et l’y glissai.
Tournai, Paris, Londres, Miami, New-York, Hollywood, Dubai, Bruxelles……
Et Mickey !
Il y a des avions que je n’ai pas pris parce que je l’avais oublié.
Des chemins ratés d’adulte ratés parce que je tenais trop à lui.
Drôle d’histoire d’amitié.
Je vieillissais un peu plus en suivant le temps.
Moins que lui, craquelé et le caoutchouc durci par mes défaites, mes toquades et mes schizophrénies que je soufflais dans sa tête de Mickey, comme si nous renouvelions le pacte de Dorian Gray et du tableau.
S O S psyckey !
Ridicule récit que de quelqu’un de niais attaché à un fétiche ?
Nenni !
Mickey, ce monsieur objet est une valeur vivante car il avale l’irréalité sans laquelle vivre est impossible.
Il faut que la réalité tremble dans le fantasme pour que nos valeurs ne meurent pas.
Mon Mickey, par exemple de vos propres souvenirs, créé par grand mère Marie, il y a presque cinquante ans.
Le jour ou Marie est morte, la tête du Mickey est tombée.
Je l’ai recollée mais ça n’a pas fait renaître grand mère.
Mais au moins je parle d’elle et de ma vie, expériences et souvenirs avec Quelqu’un.
Viens mon Mickey, dis moi ou habite le vent pour que je ne me jette pas par la fenêtre du jardin, car je n’aime pas les temps qui courent.