Qui m’a téléphoné cet après-midi ?
Sur six milliards d’aventures qui s’écrivent au quotidien, nombre chaque jour croissant à la mesure de l’imagination de Mister Big Bang, celle qui va suivre est somme toute banale.
L’histoire pourrait être à l’aventure automobile ce qu’Ed Wood fut au cinéma.
De prime abord, elle ne présente pas plus d’intérêt qu’une éprouvette dans un flacon d’urine, elle n’en garde pas moins la même valeur de témoignage.
– Ces urines sont elles claires docteur ?
– Comme les boues de la Seine Capitaine…
7 heures… J’ai la bouche qui s’est réveillée avant les yeux. Pâteuse, j’en fais le tour avec la langue.
Il fait presque jour. Je me tire de la couette. Je m’assois au bord du lit. J’ai mal au caillou. J’ai encore soif. Ce n’est pas bien de boire, c’est comme une bombe à retardement. Mais bon, je ne suis pas trop pressé. Le temps, c’est de l’argent et j’ai beaucoup de retard. Alors autant étirer pour en profiter. Je m’étire. J’ai rêvé. Il m’en reste des bribes. C’était bien. J’y retournerai bien. Bien, c’est mieux quand c’est bien. Le jour pointe. Faudrait que je me lève. Je me penche. Je recherche d’hypothétiques chaussons. Les canailles ne sont plus là. Ils ont dû se casser pendant la nuit. Ils ne doivent plus me supporter. J’ai quelque chose qui me gêne entre les genoux et ma tête. C’est mon ventre. Il devient gênant. Moi itou. Je dois manger trop de pain. C’est sûrement ça. Le pain, ça fait gonfler le ventre des poissons rouges. Et c’est l’heure du petit déjeuner. Je ne petit-déjeune jamais, juste un Cappuccino chimique. La radio dort au bout de la pièce. Je vais la réveiller. J’allume. Vas-y, cause. Pas trop fort, surtout pas trop fort. Là, comme çà. Les chiffres du chômage sont à la baisse. Sont toujours à la baisse, le baromètre aussi. Ça ne se fait pas de tapoter le baromètre. Je le tapote quand même. La barre du CAC 40 est toujours à la hausse. Moi aussi, le matin, ma barre est toujours à la hausse. Ils nous la brisent menue avec la bourse. Je jette un œil par la fenêtre. Météo. Tiens, y’a une pub en deux parties, un imbécile heureux qu’allait enfin voir partir sa femme et elle ne va pas le quitter parce qu’il a gagné au jack pot. Y’a aussi un autre crétin benêt qui chante comme un con parce qu’il va s’acheter un camping-car. Il est vraiment con parce que sa femme s’en va et que la pub ce sont des mensonges. Un camping-car c’est vraiment cher. Un con dit : quand on est dans la merde jusqu’au coup, il ne reste plus qu’à chanter. Alors il chante ce con. Je me sucre. Tant pis si je me fais du mal. Je me fais du bien. Géopolitique. J’écoute avec tout le sérieux nécessaire et disponible dont je puis faire preuve dans ma situation. Je suis assis en slip, le cul au bord de la chaise. L’autre s’est vraiment barré, le salaud. Dans le poste, propre et frais, dans un studio de radio, un type parle à un autre type pas bien réveillé qui cherche le trou de sa bouche en découvrant l’état du monde. J’en suis désolé.
8 heures… Rappel des titres, deuxième tasse de chimique. Suis synchrone, auditeur, c’est un métier. Un canard est mort de la grippe. Le chikungunya progresse. Le président veut vendre du nucléaire aux indiens. Un barbare a barbarisé. La connerie avance. Mieux vaut que je reste assis. Il est poli. Je trouve qu’il parle bizarre. Faut savoir parler digne, c’est un métier. Quand on a un bon métier faut en être content. Pas forcément joyeux, mais content. Moi j’aimerais bien être content. Forcément, je me contente d’être joyeux. Revue de presse. Ça décontracte en attendant les questions des auditeurs. Ça me presse aussi. C’est à cause de la deuxième tasse de chimique. Je reviens écouter la suite, c’est promis. Je ne suis pas resté trop longtemps. Je suis en retard pour les questions. Faut acheter militant. Contradictoire, c’est une formule à la con. C’est comme un drapeau noir, mais c’est quand même con comme un drapeau. Un auditeur s’est pris un râteau. Il l’a cherché, pas idée non plus. Il a appris, en gros, qu’un criminel était un assassin. A la guerre, comme à la paix, tuer c’est criminel. Le criminel de guerre se distingue du criminel de paix. Quand l’un exécute un ordre cruel, c’est bête et méchant. Quand l’autre tue par impulsion, c’est sordide. Y’en a un qui travaille pour des cons. L’autre qui agit comme un con. Tout comme le premier. On a des gardiens de la paix pour empêcher de tuer sordide. On a des soldats cruels pour exécuter la paix, ou laisser faire bêtes et méchants. C’est un choix entre le directeur du théâtre des opérations et le metteur en scène. Eklectic, ça tombe bien, moi aussi j’ai la tête eklecctique. Mais c’est emmerdant parce que c’est bien. Du coup ça me casse dans mon élan vu que je reste là, à écouter. Et puis cette voix fait du bien, c’est une voix de quelqu’une qu’est belle à l’intérieur. Je me refais un café chimique, le troisième. Y’a un mec qui n’est pas content parce qu’il reçoit mal France Inter. Il habite à pas loin de Paris et il prétend, le hautain, qu’en Ardèche on reçoit mieux. Bon. Tant pis pour lui, n’a plus qu’à écouter le foot en multiplex ou passer à France Q. Ou France Infos qui répètent à longueur de pub qu’il ne dit pas la même chose.
J’ai mis un pantalon. Je tourne dans la pièce avec ma tasse à la main. J’ai l’air de prêter attention à l’émission. C’est une contenance. J’ai l’air d’aller quelque part, entre concentré et sérieux. Ce n’est pas loin. J’arpente de long en large. Je m’affiche en pose grave. Je déambule de salle à manger en bout de cuisine Je connais exactement les mesures de la maison à force de la parcourir. Je quitte la pièce. Sondage, France Inter a encore perdu des auditeurs. Ça doit être en rapport avec la baisse du chômage. Faudrait qu’ils fassent le lien. Ils devraient réfléchir. Ils vont bien quelque part les chômeurs ? Sur Rires et chansons ? Ceci est un journal. Tous les jours se ressemblent comme une page blanche et les tranches horaires sont interchangeables. Le chômeur baille et l’info passe. Mêmes décors, mêmes acteurs et toujours la bourse pour nous casser les couilles. Le mec dans le poste, va se faire une attaque parce qu’un auditeur fourbe s’est avancé masqué, balançant sans prévenir, le félon, une question perfide à la pointe de l’épée. J’écoute en fixant le poste. Si ça continue comme ça, on ne pourra plus poser des questions à la radio. Vu les réponses qu’on obtient, on s’en fout.
9 heures… Je me fais couler un bain bouillant. Je me rase en attendant qu’il coule. Je coule aussi. Je me rase quand même. En attente qu’il soit complètement coulé, je vais chier. C’est cool. Je lis un magazine. C’est toujours le même. Ça me rassure. Je retourne vers la baignoire. Plouf ! Glou-glou. Floc-floc. Les cheveux. Les couilles et le reste. Le trou de balle, là c’est bon. OK ! Sous-marin. Cuirassé touché. Destroyer coulé. Je sors du bain. Je sèche mes cheveux et remarque qu’avec le temps ça va plus vite à sécher…
10 heures… J’éteins la radio qui se racontait des histoires toute seule. Trop plein de radio.
10 heures 5… Je rallume quand même. Suis tout seul. Je tourne en rond, comme un con. Audiart disait : un con ça ose tout… Moi j’ose tout, mais je me sens con tout de même. OK ! J’allume l’ordi et je vais lire les infos sur Google-Infos pour voir si ce sont les mêmes que j’ai entendu. Je confirme, pareil ! OK ! Je cherche l’inspiration. Je lis les messages émails. Je vais voir sur GatsbyOnline… Rien, ce n’est pas grand-chose. Je vérifie le compteur… C’est bon, il y en a encore… J’ai l’idée d’un texticule hilarant. Je me gratte les testicules en riant… C’est pour donner suite à un interview en direct, une jeune femme qui explique : “Lolilol, chuis vraiment une petite conne parfois. Me suis endormie hier soir, bourrée comme une ivrogne. Comme je ne répondais pas au tel, ma copine Mélanie a appelé les pompiers. Merde, je n’ai même pas réagi quand ils ont défoncé la porte ! 3 Pompiers bien baraqués ont déboulé et m’ont trouvé dans mon coma éthylique. Pour me sauver, ces salauds ont déballé leur zob et ont commencé à me fourrer. J’ai commencé à émerger à cause du manque d’oxygène, normal, j’avais un chibre de 28 cm dans la gorge ! Juste à temps pour sentir un pompier me choper les reins et commencer à me triturer le fion avec son gland. Merde, je n’ai pas résisté à cette baise de dingues. Ils m’ont prise comme une chienne par tous les trous et se sont bien vidé les couilles sur ma gueule. En tout cas, ils ont réussi à me réanimer ! Balèze les gars !”…
11 heures… Ce sont toujours les mêmes infos, ici c’est différent. Je continue à tapoter mes texticules… Y a deux réactions. Une est censurée !
12 heures… Un mec dit que la télé nous en-connarde. Moi aussi je m’en-connarde à la télé. J’aime bien ce qu’il dit. J’aime bien écouter les gens intelligents, j’ai l’impression d’être moins con. C’est qu’une impression. Je pense par procuration. Je pense aussi que j’ai faim. Je vais me faire un en-cas. Les restes d’hier soir. Réchauffé c’est meilleur.
13 heures… Les infos télé, ça m’a toujours fait rire, c’est toujours pareil ! Non… Y a les commentaires d’un ethnologue qui rendent l’ordinaire signifiant. L’infiniment petit, seulement petit. J’ai souvent le banco. J’ai même eu le super la semaine dernière. Debout, les doigts en V, ça va refroidir, comme si je n’avais pas eu ma dose.
14 heures… Deux mille ans d’histoire. Je sieste…
15 heures… Quelquefois, je me dis que je suis une merde sur une pelle en bois. Et quand je suis très triste, je me dis même une sous merde. L’écriture est la science des ânes. Le nez dans la tasse de chimique vide, j’écoute la radio. Le temps passe à la moulinette du tic-tac dans l’horloge. Par la fenêtre, mon regard se perd dans de la vapeur d’eau qui se condense et rejoint les nuages. L’ouverture de Guillaume Tell, me sort des rêveries. C’est beau la musique classique. Camille Saint Saens a eu une triste vie, mais sa musique est belle. Moi je m’emmerde à gamberger. Je joue toujours la même rengaine. Elle est moche ma rengaine. Ça me ronge à l’intérieur. Le début de la misère c’est quand tu ne peux penser à rien d’autre qu’à ta gueule. Et hop. La grogne. J’entends des histoires dans lesquelles je me reconnais. L’histoire d’un gars qui construit une soucoupe en bois. Il a raison, le bois c’est un bon matériau. J’en profite pour tapoter un texticule sur les soucoupes en bois, c’est nul… Je le publie quand même dans GatsbyOnline… Debout à côté du poste, j’écoute les messages. C’est Radio Londres. J’attends le débarquement : les carottes sont cuites et les sanglots longs de nos violons bercent mon cœur d’une langueur monotone. Les messages vitupèrent, invectivent. Je ne sais pas pourquoi ça me fait du bien, mais ça me fait du bien. Ça doit être comme ça la colère, un truc qui monte on ne sait pas comment. Pauvre naze, je me mets en colère tout seul. Parce que je me sens tout seul, perdu comme un suppositoire dans le trou du cul du monde. Je suis aussi efficace qu’un timbre d’action contre la faim sur une enveloppe qui ne partira pas !
16 heures… Dring, dring… Un appel ! Qui est-ce ? Le temps que je réfléchisse, le téléphone ne sonne plus. C’est angoissant ! Qui cela pouvait-il bien être ? Le téléphone resonne… Dring, dring… J’hésite à décrocher. Ce n’est peut-être pas la même personne qui appelle. Le temps que je réfléchisse et le téléphone ne sonne plus… Décidément ! N’empêche, c’est angoissant. Qui peut m’appeler ainsi deux fois de suite ? Ou alors ce sont deux personnes qui m’ont téléphoné. Sans doute ce sont-elles données le mot. C’est pour m’embêter, sûrement. Je ferais mieux de ne pas répondre si le téléphone sonne encore.
17 heures… Le téléphone n’a pas resonné. Étrange… Je décroche pour voir s’il est branché. Je dis Allo à tout hasard. Rien… Je reste sans bouger en regardant le téléphone. Il doit se sentir observé, il ne sonne plus. Mais qui a donc téléphoné…
18 heures… J’ai le cœur qui chavire. La journée est presque cuite. J’épluche les légumes pour le potage ou bien pour la soupe. J’en débouche une. Rien qu’une hein ? C’est une émission que j’aime bien, alors j’en débouche une deuxième.
19 heures… Les pré-infos à l’heure de la soupe. Malgré le peu de temps qui reste, je n’arrête pas de me signaler qu’il me reste peu de temps. Alors je prend mon temps pour m’expliquer à moi-même qu’effectivement il faudra faire bref compte tenu du temps qui reste. J’éteins ça gagnera du temps et puis je rallumerai demain. En attendant je tapote n’importe quoi sur l’ordinateur…
20 heures… J’ai faim… Je fais bouillir de l’eau. Je jette des pâtes dedans quand l’eau bout. Elles doivent souffrir. J’ai pitié d’elles. Al-dente. J’ajoute des dés de jambon, une sauce crème. Je mets le tout au four et vais aux toilettes. Le téléphone sonne. Dring, dring… Fait chier… C’est bon, merci. Retour. Salle de bain, laver les mains, important… J’arrive presque trop tard. Les pâtes sont carbonisées. Je gratte le carbonisé, je garde le carbonara. J’allume la télé trop tard, les infos sont finies, reste le film. Il n’y a pas de film, c’est Drucker. Je n’aime pas être druckérisé. Pour en dire du mal sur le web, je regarde quand même. C’est nul. J’écrirai que c’est nul.
21 heures… C’est toujours nul…
22 heures… La nullité est à son paroxysme.
23 heures… C’était nul… Je vais écrire tout le mal que je pense de cette émission pour débiles.
24 heures… Je me relis… Mais qui a pu me téléphoner ? Je vais dormir… Qui m’a téléphoné ? Je retourne à mon ordinateur. Je rallume l’engin… Je vais sur GatsbyOnline pour déposer un message : Qui m’a téléphoné cet après-midi ? Je coupe.