Retour des fonds garanti, bénéfice assuré, laissez-vous tenter.
Il fallait les voir, ces hommes orgueilleux, ces calculateurs meurtris, ces parieurs sots.
Ils promenaient autour d’eux des regards incertains, comme si le monde qui les entoure vacillait à contretemps.
L’humiliation leur était une ivresse malheureuse.
Ils tournaient ensuite leurs visages fatigués vers ces milliers de caméras venues leur demander des explications, voire des solutions.
Gauchement, ils tentaient de se montrer rationnels, rassurants, la main dans les cheveux caressant nerveusement leur coiffure impeccable, dont le gel croûteux rendait un peu plus les armes à chaque passage.
Ils avaient tombé la veste, dénoué la cravate… et leurs chemises de marque se teintaient d’auréoles suspectes.
Ils étaient les joueurs, les investisseurs, ceux qui construisaient le monde jour après jour.
Ni des saints, ni des célébrités, juste des circuits à visage humain, des mécanismes mégalomanes.
Des hommes avides des cimes vertigineuses, pour qui courber l’échine est le privilège de ceux qui regardent les autres d’en haut.
Ils étaient les Dieux vivants, ils sont aujourd’hui des flambeurs en faillite.
Le véritable flambeur entraîne toujours son petit monde à la ruine.
Il pense que perdre au jeu est un accident regrettable, il suffit de remettre des jetons sur le tapis vert et tout va revenir à la normale.
Et des jetons, il est facile d’en trouver, il n’y a qu’à les prendre là où ils sont.
Et s’il n’y en a plus, il se trouvera bien quelque prêteur à l’âme candide ou aux dents longues.
Retour des fonds garanti, bénéfice assuré, laissez-vous tenter.
Il n’est pourtant pas de pires fous que ceux qui se veulent émissaires de l’espoir.
L’argent leur coule des mains, même s’il ne s’y trouve jamais vraiment.
Ils ne composent pas de liasses, ils n’accumulent pas de pièces.
Ils jouent avec des nombres, sur leurs ordinateurs, sur le grand panneau lumineux des temples du capital.
Ils brassent du vent, du symbole, ils déforment des mots, leur imaginent toute une géométrie dans l’espace.
Les actions sont immobiles, les placements se déplacent, l’épargne est rarement épargnée, les plus-values sont des plaies voulues.
On dira tout et son contraire, les bonimenteurs s’adaptent au client, c’est là leur essence, mais ce n’est pas parce que le croupier vous invite dans son bureau que la martingale est au bout de la poignée de main.
Certains l’ont compris un peu tard.
Car on pourra pester sans fin contre les spéculateurs, il n’en demeure pas moins qu’ils n’en seraient pas là sans leurs complices, leurs fournisseurs.
Les petits épargnants qui veulent devenir gros, le rentier qui aime que l’on s’agite pour lui, le petit commerçant qui démarre bien, le haut fonctionnaire qui souhaite justifier sa promotion, le bourgeois traditionaliste pour qui l’argent, comme la famille, se doit de faire des petits.
Chacun d’entre nous en a fatalement un exemplaire dans son entourage, ce ne sont pas des cas isolés, ni des nantis intouchables.
C’est la classe aisée aux mille visages, séculaire ou parvenue, qui trouve toujours mesquin de se contenter de ce que l’on a, qui ne sait pas ou qui ne veut pas savoir que son petit bonus de fin d’année se négocie dans des diminutions de salaires, des suppressions de primes, des licenciements économiques, des misères délibérées.
Faut-il les haïr, tous ces loups qui se mangent si bien entre eux ?
Faut-il les déboulonner de leurs sièges par la violence ?
Faut-il leur offrir de force un aller simple pour les cités dortoirs ?
Bien des mères de familles nombreuses, cloîtrées dans leurs tours de béton, pourraient enrôler comme comptables ces génies économiques incompris et les admirer chaque mois dans leur pratique méticuleuse de l’optimisation d’un budget à 3 chiffres, principalement alloué par les Assedic.
Etrangement pourtant, les flambeurs du millénaire se découragent face à de tels défis.
On ne peut que le déplorer.
Et pendant ce temps-là, le sillon se creuse dans le système des hommes.
Dans un monde surpeuplé où l’on peine à exister, l’égalité est un cauchemar que l’on fuit à grands coups de carte bleue.
La place de parking réservée, la voiture silencieuse et personnalisée, la porte blindée, la maison protégée par des murs infranchissables, la résidence secondaire dans une campagne isolée, des chiens à peine moins enragés que leurs maîtres, les barbelés électrifiés, le digicode, la télécommande, l’alarme.
L’argent se sert qu’à acheter sa fuite au fond d’un terrier de lapin, un terrier que l’on tapissera d’or et d’argent pour oublier que c’est la peur et le dégoût de l’humain qui nous confinent au confort animal.
De l’autre côté du terrier, on rampe, on cherche, on serre les dents.
L’argent y est encore un objet, un papier froissé, une rondelle de métal, que l’on échangera contre une nourriture à peine meilleure que celle qui se décompose au fond des poubelles.
Certains sont bien placés pour comparer.
Ici, ce n’est pas le monde que l’on fuit, c’est soi-même.
On noie son existence dans des alcools frelatés, on part en fumée dans des cigarettes exotiques, on se perfuse de la charité gouvernementale, on accumule pour chasser le vide ou on oublie tout en tapant dans des ballons, tout en rêvant à ceux qui sont arrivés à quelque chose comme ça.
Ainsi dérivent, au gré des aléas de la vie, les suzerains d’aujourd’hui et les serfs de toujours, chacun alternant à tour de rôle sadisme orgueilleux et masochisme geignard, dans des existences pétries d’ennui, dont ils ont coloré le monde d’une patte malhabile.
Car l’ennui naquit un jour de l’alternance des plaisirs codifiés et des souffrances institutionnelles.
Les plaies voulues sont devenues des plus-values et l’argent trouve aujourd’hui son sens dans une mortification d’opérette qui nous ferait presque oublier que la courte vie qui nous est accordée regorge d’extases qui ne se vendent pas, qui ne s’achètent pas, et qui se cueillent sans malice au détour du chemin.