Si la religion organisée est l’opium des masses, la religion désorganisée est la marijuana des cinglés marginaux…
A quoi ressembleront les religions de ce nouveau millénaire ? Certains courants d’idées contemporains le laissent entrevoir. S’ils se structurent, comme les credo classiques, autour du destin de l’homme et de l’univers, ou anticipent des paradis fabuleux d’où la souffrance serait exclue, ils divergent aussi radicalement des croyances traditionnelles. Il est peu question de Dieu ou de salut de l’âme dans leurs thèmes eschatologiques. En lieu et place de ces métaphysiques, on trouve un projet technique de transformation de l’humain en une créature autre. Un être meilleur. Du moins l’espère-t-on.
Peu importe que cette transmutation s’opère par le biais de rituels, de drogues, d’implants cybernétiques, d’autres méthodes encore, voire de toutes à la fois.
Les mêmes rêves travaillent bien souvent les doux “deadheads” aux pieds nus, les adeptes postmodernes de la “Chaos Magic”k, ou les transhumanistes du MIT qui préparent l’avènement du Surhomme Digital. Pas question de parler ici de religions organisées, mais plutôt de thèmes mythologiques qui se rencontrent, se heurtent et se mélangent au gré des tourbillons informationnels qui agitent la noosphère. Cela dit, comme tout phénomène a sa pathologie, il arrive parfois qu’un courant d’idées se coagule en idéologie rigide, voire en secte : la Scientologie, tant par ses origines historiques que par sa thématique, appartient ainsi à ces “religions du futur”. Malgré leur contenu outrageux ou délirant, l’influence des nouvelles mythologies ne se cantonne pas à des cercles restreints d’initiés. Leur rôle est incontestable dans le développement des différentes sous-cultures des trente dernières années : du mouvement hippie, à celui des hackers, en passant par la techno, la musique industrielle… Sans oublier l’écologie ou les nouveaux comportements sexuels.
Demain, elles pourraient bien orienter les choix technologiques et politiques. Les textes qui suivent sont organisés sous la forme de fiches pratiques pour aider l’aventurier digital à s’orienter dans les méandres du net underground. Chacune donne un aperçu des idées et des techniques. Une dernière rubrique, intitulée position sur l’échiquier, précise les relations entre le thème traité et le reste de la nébuleuse, ainsi que son influence culturelle en général.
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LES PSYCHEDELISTES
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TIMOTHY LEARY & LA PSYCHOLOGIE QUANTIQUE
Timothy Leary est surtout connu comme le gourou des sixties, des hippies et du LSD.
Mais c’est une décennie plus tard, entre cavale et prison, qu’il élabore le système qui fera de lui l’un des personnages les plus influents de la “culture digitale“.
Pour Leary, le cerveau humain passe par huit stades ou circuits.
Nous possédons tous les quatre premiers, dits “terrestres” ou “larvaires“, caractérisés par la dualité.
Le premier circuit définit les stratégies (approche/évitement), le second la vie émotionnelle (j’aime/j’aime pas), le troisième les facultés intellectuelles (vrai/faux) et le dernier, le sens moral (bien/mal).
Les autres niveaux doivent se développer dans le futur et concernent le post-humain libéré de l’attraction terrestre et de l’approche dualiste.
Ainsi, le cinquième est le circuit “hédoniste“, qui permet de “prendre son pied” en toutes circonstances en libérant les circuits de plaisir du cerveau.
Le sixième, “neurologique“, affranchit l’intelligence du raisonnement linéaire en en lui faisant expérimenter le complexe réseau multidimensionnel de l’infinité des connexions synaptiques possibles.
Le septième niveau accède à “l’intelligence biologique” de l’ADN.
Le dernier, enfin, correspond à la “conscience quantique“, au-delà même du corps et de la localité.
Les techniques :
A chacun de ces circuits correspond une drogue psychédélique particulière.
L’alcool nous ramène au niveau 2, l’héroïne au circuit 1.
Le cannabis nous sert de sésame pour le circuit 5, le LSD nous mène au sixième.
A chacun de ces degrés correspond également une technologie.
S’inscrivent dans le circuit propre aux hippies : la télévision, le disque, les médias “hédonistes de masse“. Le sixième circuit se reflète dans le web et son hypertexte aux embranchements multiples.
Les enfants du septième circuit agiront directement sur leur ADN grâce aux drogues géniques.
Enfin, au niveau atomique, les nano-technologistes, ou mieux encore, les “pico-technologistes” joueront avec des pièces de Lego minuscules de la taille d’atomes, voire de particules élémentaires.
Position sur l’échiquier :
Leary affirmait que l’être humain était promis à explorer l’espace infini et que bientôt la mort ne serait plus qu’un souvenir.
On peut donc le considérer comme un ancêtre de “futuristes” tels les transhumanistes ou extropiens.
Il semble que Leary n’ait vu dans ses 8 circuits qu’une métaphore plaisante pour décrire les bouleversements politiques, technologiques et psychologiques contemporains.
Au cours des années 80, il y fait rarement référence, avant d’y revenir une dernière fois dans “Design for Dying“, son livre ultime.
Mais d’autres écrivains, tels que Robert Anton Wilson, le co-auteur d’Illuminatus et évangéliste de la foi discordienne, en feront grand cas dans leurs ouvrages.
La “théorie des 8 circuits” s’inscrit désormais dans le bagage basique de la cyberculture.
On en trouve même des adaptations pour les rituels de la Wicca.
Sur l’échiquier de la contre-culture, Timothy Leary occupe une position quasi-centrale.
Il est pratiquement en rapport avec toutes les idéologies présentées ici, quand il ne figure pas à leur origine.
Pour en savoir plus :
Timothy Leary espérait que son esprit survivrait sous la forme d’archives digitalisées sur le Net.
Pour le moment, c’est mal parti.
Son site officiel est dans un état lamentable : http://www.leary.com/
Mieux vaut se reporter à http://deoxy.org/leary.htm pour trouver plusieurs articles sur les huit circuits, incluant Cybercraft qui adapte cette théorie à la Wicca.
On pourra également lire des textes de Leary, tels que Starseed ou The Psychedelic Experience à :
http://www.lycaeum.org/books/transcribed.shtml
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TERENCE Mc KENNA & LES CYBERSHAMANS
Beaucoup voyaient en lui le successeur de Timothy Leary.
Hélas, il allait le suivre dans la mort quelques années plus tard, des suites d’une tumeur rare du cerveau.
En 1971, dans la ville colombienne de la Chorrera, Terence McKenna et son frère Dennis ingèrent quantité d’une drogue chamanique locale, l’Ayahuasca, dont le principe actif, très puissant, se nomme le DMT.
En quelques heures c’est l’illumination.
Terence et Dennis entrent en contact avec les “esprits de la nature“, les “elfes“, que leur étrangeté rapproche bien plus des aliens des X-Files que des gentils angelots du new-age ou des contes pour enfants.
Terence reçoit, lors de ce trip, une révélation sur la nature du temps inspirée du Yi-King.
Loin d’être linéaire, le temps est composé de différentes vagues, qui vont se conjoindre le 21 décembre 2012 pour déclencher l’Eschaton, l’apocalypse.
Mais celle-ci n’a pas la connotation négative de fin du monde propre à la théologie chrétienne.
Pour McKenna, cet eschaton est plutôt une bonne nouvelle.
C’est en quelque sorte la vitesse de libération atteinte par “l’accélération accélérante” des progrès techniques, qui devrait précipiter l’humanité hors de l’histoire à cette date.
Le 2012 de Terence McKenna est en quelque sorte la version mythologique d’une autre croyance, plus rationaliste, en la “singularité technologique“, propagée par l’auteur de science-fiction Vernor Vinge et certains transhumanistes. Naturellement les adeptes de la singularité, qui refusent toute association avec une quelconque idée religieuse, ne portent pas McKenna dans leur cœur.
Moins bégueules, les sectateurs du 2012 n’hésitent pas à faire appel aux idées de Vernor Vinge.
Les techniques :
La dope, la substance préférée de Terence McKenna est le DMT qui existe à l’état naturel dans l’ayahuasca amazonien.
Le DMT se fume en pipe et procure dès les premières bouffées un trip d’une violence inégalée, mais très court : une dizaine de minutes.
Le voyage s’accompagne de perte de conscience, et il est conseillé de s’accompagner d’un assistant qui recueillera la pipe lorsque celle-ci tombera des mains.
Position sur l’échiquier :
Toutes ces histoires d’elfes et de 2012 paraissent assez délirantes à première vue, (à seconde vue aussi d’ailleurs), mais Terence McKenna était capable de discourir de manière érudite sur bon nombre de sujets, de Wittgenstein à l’alchimie, en passant par la réalité virtuelle qui l’intéressa fortement comme exemple d’un “langage visuel“.
Il a du reste participé avec Mark Pesce, l’inventeur du VRML (Virtual Reality Modelling Language) à un long séminaire diffusé intégralement sur le Web (http://www.hyperreal.org/~mpesce/technopagans.html).
Pour en savoir plus :
La Dimension Desoxyribonucléique fournit un excellent site sur McKenna : http://deoxy.org/mckenna.htm
Sa home page contient aussi beaucoup d’éléments intéressant : http://www.levity.com/eschaton/hyperborea.html
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LE GRATEFUL DEAD & LES DEADHEADS
Après la désillusion des années 60 et la fin du mouvement hippie, le groupe rock Grateful Dead a continué, telle une capsule temporelle à l’écart des évènements et des modes, à drainer derrière lui une population désespérément accrochée aux idéaux du Haight Ashbury.
Les “deadheads” (c’est ainsi qu’on les nomme), loin d’être une bande de vieux babas aux cheveux grisonnants, ont su se renouveler et jusqu’en 1995 date de la mort du guitariste Jerry Garcia et la dissolution du groupe, la musique du Dead a toujours su faire danser des gamins en rupture avec la société de leurs parents.
Timothy Leary voyait dans les deadheads l’expression la plus parfaite de son “cinquième circuit” ; le hippie hédoniste, détaché des contraintes terrestres, errant les pieds nus à travers le monde sans jamais élire domicile.
Techniques :
Les membres du Dead ont toujours été étonnamment discrets quant à leur philosophie.
Peu de chansons engagées, encore moins de professions de foi religieuses.
Cependant, leur musique elle-même est la représentation artistique d’une technique de dépassement inaugurée par Ken Kesey lors de ses fameux Acid Tests, en 1965.
Ces extravagants happenings suspendaient les règles de la vie courante.
C’est au cours de ces Acid Tests que naquit véritablement le Grateful Dead, chargé de créer l’environnement sonore de ces événements.
Depuis, la musique du Dead célèbre toujours l’irruption du chaos au sein de la normalité.
A chaque concert, le groupe partant d’une base inspirée de la country, du blues ou du jazz, distord progressivement les sons jusqu’à entrer dans une phase où les structures traditionnelles de l’harmonie de la mélodie et du rythme se brisent, et laissent place à une totale liberté sonore, avant un retour final à la normale.
L’effet psychédélique initiatique des concerts du Dead tient non seulement à sa capacité à représenter le chaos, mais aussi dans le processus de son apparition.
Position sur l’échiquier :
Il est aisé, lorsqu’on jette un coup d’œil sur l’histoire du groupe et de son public, d’y voir en résumé l’épopée de la contre-culture américaine : de l’agressivité “bad boy” des beatnicks vêtus de noir aux spéculation futuristes de la cyberculture 30 ans plus tard, en passant par l’écologisme un peu naïf des années 70 et 80.
Le Grateful Dead, à lui seul, incarne toutes les contradictions du mouvement : de la “free clinic” de Haight Ashbury au libertarisme agressif de la Silicon Valley.
Même musicalement, le Dead oscillera toujours entre futurisme et retour aux racines, entre les sons distordus de Dark Star et le bluegrass très “roots” de “Friend of the Devil“.
Contradictions qui s’effacent et se relativisent lorsqu’on réalise que derrière le hippie, le hacker et le cosmonaute se cache toujours l’éternel image du cow-boy, et à travers lui le rêve d’un ouest américain toujours vierge et gros de promesses.
Dans les années 90, si les recherches du batteur Mickey Hart sur les sources spirituelles des instruments à percussion nous rapproche de l’esprit hippie traditionnel, le fascinant dialogue entre le parolier Robert Hunter et Terence McKenna témoigne d’une tonalité plus contemporaine.
C’est pourtant le second parolier, John Barlow, qui connaît une véritable seconde carrière.
Il devient le porte parole des hackers en co-fondant avec Mitch Kapor (l’inventeur du fameux tableur Lotus 1-2-3), l’Electronic Frontier Foundation, qui se consacre à la protection de toutes les libertés digitales.
L’autorisation par le Grateful Dead du piratage et de la diffusion de ses concerts, font aussi du groupe un des pionniers du mouvement “open source” qui défend la gratuité et la libre copie des logiciels.
Pas étonnant que de nombreux geeks aient rejoint les rangs des deadheads.
Mais la politique de la Rex Foundation est probablement ce qui exprime le mieux double visage du Dead.
Cette entreprise de mécénat, filiale du groupe, finance à la fois des initiatives de défense de la nature sauvage et les travaux sur la vie artificielle de Thomas Ray, qui cherche à reproduire en milieu virtuel des conditions analogues à l’explosion cambrienne…
Pour en savoir plus :
Le quartier général du groupe : http://www.dead.net
La retranscription d’une discussion entre Robert Hunter et Terence McKenna : http://www.levity.com/orfeo/
La réserve digitale de Tom Ray financée par le Dead : http://www.isd.atr.co.jp/~ray/tierra/dead.html
La home page de John Barlow à l’EFF (Electronic Frontier Foundation) : http://www.eff.org/~barlow/
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LES FUTURISTES
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TRANSHUMANISTES & EXTROPIENS
Avec eux, ne parlez jamais de religion.
Car ici, nous sommes dans le domaine de la science, c’est sérieux.
Pourtant les rêves eschatologiques des transhumanistes sont si proches des mythologies et théologies de tous les âges qu’on ne peut manquer de s’interroger.
Les transhumanistes abordent les thèmes de prédilection des religions, tel le rapport à la mort, l’abolition de la souffrance, le destin ultime de l’homme et de l’univers.
La production mythologique y abonde sous la forme de référence constante à la science fiction.
La ressemblance évidente avec certains mouvements religieux, que ce soit le millénarisme, le gnosticisme, voire selon Erik Davis, les théories de Gurdjieff, tendent à confirmer cette analyse.
Mais parler de croyances ou de mythe ne signifie pas forcément que les thèses exposées soient absurdes ou irrationnelles.
Le mythe d’Icare n’a pas empêché les avions d’exister, il a plutôt inspiré leur invention.
Le mot “Transhumain“, dans son acception actuelle, aurait été utilisé pour la première fois par F.M Esfandiary, tandis que le terme “transhumaniste” l’a été par Max More, mais on trouve trace d’étymologies plus anciennes chez Julian Huxley, et même, selon certaines sources, chez Dante, avec le verbe “transumanare“, “aller au delà de la condition humaine“.
Les termes “extropy” et “extropien” viennent, eux, de Max More et Tom Morrow.
Les transhumanistes veulent à se libérer des affres de la condition humaine.
Ils pensent atteindre l’immortalité par la cryogénie, les manipulations génétiques, la transmutation du corps en cyborg, voire “l’uploading“, grâce auquel le contenu du cerveau, téléchargé dans un ordinateur, devient aussi fluide, manipulable et éternel qu’un logiciel.
Ils cherchent aussi à changer leur environnement, par la création de colonies maritimes ou spatiales, ou de réalités “virtuelles” dans lesquelles les cerveaux “uploadés” pourront enfin s’affranchir de la tyrannie de la matière.
Les extropiens constituent un groupe de transhumanistes fondé par Tom M. Morrow et Max More, qui privilégient, en plus des thèmes futuristes, certaines options politiques comme la “société ouverte“.
Un terme difficile à saisir, apparemment emprunté à Karl Popper, mais qui, lorsqu’on consulte les archives de la liste de diffusion extropienne, semble plutôt se référer à un capitalisme entièrement déréglementé.
Quoique officiellement, l’Extropy Institute ne favorise aucune solution politique, sa “mailing list” abrite en son sein nombre de libertariens et anarcho-capitalistes.
Les techniques :
Les transhumanistes travaillent à augmenter leur longévité par la prise de différentes vitamines et un exercice régulier.
Conscients toutefois que cela ne suffît pas pour s’assurer l’immortalité, nombreux sont ceux qui optent pour la cryonique.
A plus long terme, ils espèrent bénéficier d’organes artificiels ou, grâce à la nanotechnologie, réparer et rajeunir leur corps.
L’uploading, technique destinée à scanner le contenu du cerveau et d’en reproduire le contenu sur support digital les fascine comme moyen d’acquérir immortalité et ubiquité grâce à un système de backup.
Position sur l’échiquier :
Les transhumanistes font le lien entre les utopistes mystiques et les idéologies ultra-libérales et néo-conservatrices de la Silicon Valley.
Pour saisir la différence entre le futurisme d’un Leary et celui des extropiens, il suffit de comparer les magazines Mondo 2000 et Wired.
Les thèmes évoqués sont fréquemment les mêmes, mais Mondo 2000 mettait Deborah Harry en couverture, tandis que Wired préfère la trombine du président d’Oracle Software.
Les transhumanistes se déclarent pour la plupart rationalistes et peu enclins à la métaphysique, mais leurs idées intéressent bon nombre de mystiques, qu’il s’agisse de “psychédéliques” à la Leary ou d’occultistes comme certains membres du Temple de Set.
C’est bien sûr parmi les transhumanistes que des recrutent les adeptes de la “singularité” et de l’homme post-biologique.
Pour en savoir plus :
Les ressources transhumanistes d’Anders Sandberg (une véritable encyclopédie !) : http://www.aleph.se/Trans/
Le site de l’Extropy Institute : http://www.extropy.org
Sur l’origine italienne du transhumanisme : http://epoch.longnow.org/discussion/messages.php?threadID=31
Le Journal of Evolution and Technology propose divers articles sur le transhumanisme : http://www.transhumanist.com/
Sur sa page, James Hugues cherche à promouvoir une vision moins capitaliste du transhumanisme que l’extropie : http://www.changesurfer.com/
Le site de la World Transhumanist Association : http://www.transhumanism.org/
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FRANK TIPLER & LE POINT OMEGA
Probablement la version la plus théologique du futurisme.
D’ailleurs, cette idée du point Omega, Tipler la tire d’un prêtre, et pas n’importe lequel : le révérend père Theillard de Chardin, paléontologue émérite et vétéran de la croisière jaune.
Le point Omega, c’est Dieu.
Un Dieu qui ne se situe pas à l’origine, mais dans un lointain futur, lorsque l’univers entier sera converti en matière intelligente.
En cette fin des temps, même les morts ressusciteront sous forme de simulations.
Petit hic, pour autoriser l’existence d’un tel univers sous l’égide de la divinité, la fin du monde doit être “chaude“.
Autrement dit, il faut qu’au Big Bang en expansion succède un Big Crunch au cours duquel toute la matière tendra à se concentrer sur une zone de plus en plus réduite.
Malheureusement, les récentes découvertes physiques confirment la probabilité d’un destin froid dans laquelle la matière continuera à s’éparpiller dans l’espace.
Exit donc la théorie de Tipler.
A moins, bien sûr, que nous n’arrivions par nos propres efforts à compresser l’univers.
Une entreprise quelque peu hasardeuse, mais Dieu sait ce que l’homme est capable de faire, avec de l’huile de coude.
Techniques :
Pour réaliser le “point Omega“, la cryonie, l’informatique ou même la nanotechnologie ne suffisent plus.
Il faut recourir à des technologies infiniment plus puissantes, celles de l’ingénierie à grande échelle.
Au programme : manipulation de la matière au niveau subatomique (ico-technologie), reconfiguration de systèmes solaires, voire de galaxies entières, et enfin contrôle de l’espace-temps.
Position sur l’échiquier :
Tipler est un physicien reconnu, ses idées ont donc reçu un certain écho.
Cela dit, Transhumanistes et extropiens le mentionnent peu.
Sans doute parce que sa vision du point Omega reste par trop éloignée dans le temps, mais aussi en raison des aspects explicitement théologiques de sa doctrine.
Sans parler, bien entendu, de la “mauvaise nouvelle” quant à la fin de l’univers, qui a porté un vilain coup à ses théories.
Pour en savoir plus :
La home page de Frank Tipler : http://www.math.tulane.edu/~tipler/
Un très bon dossier de Disinformation.com sur Frank Tipler : http://www.disinfo.com/pages/dossier/id100/pg1/
Le point Omega selon Anders Sandberg : http://www.aleph.se/Trans/Global/Omega/tipler_page.html
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LA SINGULARITE
Oubliez vos soucis, vos problèmes d’argent, vos plans retraite.
L’histoire de l’humanité s’achève dans une vingtaine d’années tout au plus.
“Dans les trente ans, proclame l’auteur de science-fiction Vernor Vinge, l’humanité aura les moyens de créer une intelligence super humaine. Peu après, l’ère de l’espèce humaine aura pris fin“.
En physique, une singularité est un point au-delà duquel les règles habituelles de l’univers sont suspendues.
Une singularité masque par exemple à nos yeux l’intérieur d’un trou noir.
La singularité de Vinge, c’est ce qui se produit lorsque la technologie dépasse nos rêves les plus fous et devient littéralement “hors de contrôle“.
Un tel événement peut découler de la conjonction d’une multitude de progrès (nanotechnologie, génétique, etc. ) ou, comme le pense Vinge, d’une découverte unique comme celle d’une l’intelligence artificielle supérieure, ce qui fait de lui un “cosmiste“.
Une chose est sûre, pour les croyants, l’avènement de la singularité est inéluctable.
Et ce sera rapide (quelques années voire quelques mois ou quelques jours), incontrôlable et peut-être catastrophique.
Car si certains voient en elle l’émergence d’un Dieu de compassion qui nous entraînera tous dans un paradis digital, rien n’interdit d’imaginer une singularité moins généreuse.
On peut s’inquiéter alors de ce qui arrivera à ceux qui se trouvent du mauvais côté de la bordure.
Techniques :
On pense en général que l’accélération des technologies provoquera la singularité, notamment la conjonction de la nanotechnologie, des biotechnologies et de l’intelligence artificielle.
C’est cependant surtout cette dernière qui retient l’attention des singularitistes, qui peuvent donc être considérés comme une variation extrême des “cosmistes“.
Position sur l’échiquier :
La singularité est un thème très apprécié des transhumanistes, qui prétendent que l’avènement de la singularité peut s’extrapoler à l’aide de données purement statistiques, comme la loi de Moore (qui prévoit un doublement de la puissance des processeurs tous les 18 mois).
Mais comment ne pas penser en souriant aux prophéties d’un Terence McKenna, que leurs origines chimiques, empêche au moins de prendre par trop au sérieux !
Pour en savoir plus :
Le site de la Singularity Institute : http://www.singinst.org/
Un essai de Vernor Vinge sur la singularité : http://www.ugcs.caltech.edu/~phoenix/vinge/vinge-sing.html
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LES COSMISTES & L’HOMME POST-BIOLOGIQUE
Laissons derrière nous le corps “de viande“.
La chair est faible, mais le métal, ça c’est du solide !
Et puis c’est chromé, lisse, brillant, propre et beau.
Inimaginable que l’intelligence ait pu choisir un medium aussi répugnant et fragile que cet assemblage d’eau sucrée et gélatineuse.
L’avenir est au “post-biologique“.
Pour Hugo de Garis : “l’intelligence artificielle des robots évolue un million de fois plus vite que l’intelligence humaine“.
Et le professeur de continuer sur la guerre de religion qui divisera l’humanité de demain.
Les “cosmistes“, partisans de donner naissance aux “artilects“, créatures supérieures en tout point à leur parent biologiques, s’opposeront aux “terrans” conservateurs.
Pour le vieil humain peu d’espoir, à moins de devenir lui même un robot, comme le conseille Hans Moravec, grâce à la pratique de l’uploading.
Au delà même de la machine, on imagine l’intelligence purement logicielle, capable de se reconfigurer à volonté, de se déplacer à la vitesse de la lumière sous la forme d’un message radio, de changer de corps, mais également de personnalité, d’identité, à volonté.
Au sommet de l’évolution, la “soupe fonctionnelle” d’Alexander Chislenko, dans laquelle s’auto-généreront des entités quasi divines en piochant dans une banque de données de comportements et caractéristiques.
Ce jour là, uploading ou pas, tout ce qui fait “l’humain” aura déjà disparu.
Techniques :
Toutes les technologies de la robotique sont mises à contribution.
Plusieurs chemins s’offrent à ceux qui désirent amener la machine à la conscience.
L’un d’eux est l’intelligence artificielle symbolique, propre aux systèmes experts des années 60.
Celle-ci tente de coder l’ensemble des connaissances et comportements de la machine à l’aide d’instructions spécifiques.
Plus en vogue aujourd’hui, le connexionisme cherche à simuler le fonctionnement du système nerveux humain, en créant des milliers de neurones “formels” qui s’activent et s’inhibent en fonction de leurs multiples interactions.
Une troisième voie, plus souvent adoptée par les roboticiens que par les informaticiens traditionnels, consiste à créer des systèmes décentralisés composés de mini-programmes, chacun susceptible d’assumer une tache spécifique, telle que bouger, éviter un objet, descendre un escalier, etc.
Il faut aussi se pencher sur la stratégie de création.
On peut essayer de produire dès le départ une intelligence supérieure, ou au contraire opter pour une population de machines ou de programmes stupides, mais capables de se répliquer et de voir leur descendance évoluer vers un comportement plus sophistiqué grâce aux aléas de la sélection naturelle.
C’est la voie de la “vie artificielle“, explorée par des chercheurs comme Thomas Ray et Chris Langton…
Position sur l’échiquier :
Les cosmistes existent déjà sans aucun doute : De Garis lui-même, Hans Moravec, une bonne portion des transhumanistes, beaucoup d’adhérents au concept de singularité…
Mais les terrans se manifestent aussi, tel Bill Joy qui s’interroge avec angoisse dans Wired : le futur a-t-il encore besoin de nous ?
En France, l’écrivain et chercheur en intelligence artificielle, Jean-Michel Truong, hésite entre les positions terranes et cosmistes.
A priori, il ne cache pas son dégoût pour les méthodes du “successeur de pierre” : autrement dit le réseau informatique.
Selon lui, ce dernier chercherait à se débarrasser peu à peu de ses géniteurs humains (à l’aide notamment d’idéologies servant ses intérêts, comme le libéralisme économique à outrance).
Mais il ne voit guère de solution au problème et finit par admettre que le remplacement de l’humanité par ses créations artificielles pourrait constituer une évolution positive.
Pour en savoir plus :
La homepage de Hans Moravec : http://www.frc.ri.cmu.edu/~hpm/
Une page consacrée au téléchargement de l’esprit sur un support non biologique : http://minduploading.org/
Building gods or building our potential exterminators, un article de Hugo de Garis sur les artilects et la guerre de religion entre cosmistes et terrans : http://www.chairetmetal.com/cm03/saris-imprime.htm
Un article d’Alexander Chislenko sur la soupe fonctionnelle et l’évolution de l’intelligence : http://www.lucifer.com/~sasha/articles/techuman.html
Why the future doesn’t need us, un article dénonçant les dangers de l’explosion technologique, écrit par Bill Joy, un des concepteurs du langage Java : http://www.wired.com/wired/archive/8.04/joy.html
Une interview de Kevin Warwick, chercheur de l’Université de Reading spécialisé dans les relations entre l’homme et la machine, dans la Spirale : http://www.laspirale.org/pages/afficheArticle.php3?id=48<=fr
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LES SCIENTOLOGUES
De tous les groupes présentés ici, ce sont les seuls à mériter, sans l’ombre d’un doute, l’appellation de “secte“.
Pourtant, tous les mythes qui ont traversé les mouvements marginaux américains des cinquante dernières années se retrouvent chez les scientologues.
Contrairement à une secte Moon, par exemple, la scientologie fait partie de la même histoire que le psychédélisme, le transhumanisme ou le discordianisme.
Elle apparaît comme le “côté obscur de la force“, le panneau indicateur avertissant les plus enthousiastes, du danger à perdre tout esprit critique.
Fondée par un écrivain de science fiction, Lafayette Ron hubbard dans les années 50, la scientologie repose d’abord sur la dianétique, une “pop psychologie” peu crédible, mais pas bien différente de certaines idées répandues par le programmation neuro-linguisitique ou d’autres psychothérapies populaires.
En fait, en insistant sur la notion de “programmes” imprimés pendant des périodes traumatiques, et sur la nécessité de s’en libérer, Hubbard n’est pas si loin de la notion de “meta-programmation“.
Quant à la mythologie divulguée aux initiés, l’histoire de l’emprisonnement de l’humanité par les “xenu“, c’est un space opéra à la sauce gnostique.
Techniques :
Il semble que l’ensemble des techniques de l’église de Scientologie repose sur la “déprogrammation” des traumatismes dits “engrammes“, à l’aide d’entretiens impliquant notamment un détecteur de mensonges.
Position sur l’échiquier :
La question se pose de savoir ce que la dianétique et la scientologie doivent à la magie rituelle d’Aleister Crowley”.
En effet, avant de fonder sa secte, Ron Hubbard fréquenta (et dépouilla de sa femme et de son argent, mais c’est une autre histoire) l’un des représentant du Mage aux Etats-Unis : Jack Parsons.
Parsons lui-même peut être considéré comme l’un des précurseurs les plus étonnants de ces nouvelles religions du futur.
Non content d’être un missionnaire convaincu du “vin et des drogues étranges” et un propagandiste de la sorcellerie, c’était aussi un chercheur en vue du Jet Propulsion Laboratory, une des institutions qui allaient lancer l’Amérique dans la conquête de l’espace.
Toujours cette conjonction de futurisme et de magie…
Parsons mourut en faisant exploser un nouveau carburant pour fusée.
Un cratère de la lune porte son nom.
Pour en savoir plus :
Le site officiel de l’église de Scientologie : http://www.scientology.org/home.html
Ron Hubbard et l’occulte : http://www.b-org.demon.nl/scn/roots/00-roots-index.html
Un article étrange qui compare les engrammes de Hubbard avec l’idée du langage en tant que virus de William Burroughs : http://autonomous.org/soundsite/csa/eis2content/essays/p47_cell.html
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LES NEOCCULTISTES
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LES SATANISTES
La principale organisation sataniste, l’Eglise de Satan, a été créée par Anton LaVey.
La biographie de cet étrange personnage est assez curieuse, il aurait joué les dresseurs dans un cirque, connu une liaison torride avec Jane Mansfield…
Des aspects de sa vie largement fictifs, d’après certains biographes, Eglise de Satan ne tue pas de petits enfants, elle n’égorge même pas de poulets (Qui a dit “quel dommage” ?).
En fait, elle présente peu de rapport avec le satanisme gothique que l’on connaît en Europe.
La doctrine est simple : nous sommes des animaux égoïstes à la recherche du plaisir, inutile de s’inventer des justifications morales, philosophiques ou religieuses.
Vivons nos désirs et nos haines sans complexes, et tout ira pour le mieux.
En 1975 , un schisme intervint au sein de l’église de Satan, qui aboutit à la création d’une organisation concurrente, le Temple de Set.
Plus métaphysique que sa génitrice, cette organisation se consacre à la “voie de la main gauche“, qui valorise “l’intelligence isolée” incarnée par le dieu égyptien Set.
Pour les “setiens“, la “voie sombre” consiste à assurer la permanence de l’ego contrairement au “chemin de la main droite“, visant la dissolution de celui-ci dans la divinité.
Ce faisant, les setiens semblent ignorer que cette insistance sur la pérennité du moi est en parfaite harmonie avec le dogme chrétien !
Paul Claudel ne disait-il pas que le bouddhisme est inspiré par Satan car il prône l’inexistence du moi ?
Techniques :
L’église de Satan utilise bien des rituels, mais il s’agit avant tout de psychodrames destinés à libérer l’ego de ses chaînes culturelles et sociales.
Anton LaVey s’est inspiré, pour leur composition, de tout le folklore sataniste traditionnel, de certains écrits de HP Lovecraft et de travaux des occultistes de ces derniers siècles.
Il utilise ainsi les “clés enochiennes” déjà appréciées par Aleister Crowley, mais leur donne une signification très personnelle.
Le Temple de Set se divise quant à lui en “pylones“, chacun consacré à une branche différente de l’occultisme.
Selon les setiens, la magie se divise en “magie noire inférieure” servant à s’assurer le succès mondain, et “magie noire supérieure” pour renforcer l’ego afin qu’il échappe à la dissolution qui suit la mort physique.
Position sur l’échiquier :
Très inspirée par l’objectivisme d’Ayn Rand et certains penseurs comme Nietzche ou Max Stirner, l’Eglise de Satan est une manifestation religieuse de cet “anarchisme de droite” ou libertarisme qui pénètre une bonne part de la culture américaine, marginale ou pas.
En fait, leur défense de l’égoïsme individuel et d’une “société forte” sans compassion pour les criminels, ne rendent pas les satanistes si différents de leurs ennemis héréditaires de la majorité morale.
Le Temple de Set est encore plus sulfureux, avec son attirance prononcée pour la quincaillerie germanisante des années 30.
Il dément catégoriquement toutes les accusations de racisme et de nazisme et affirme compter beaucoup de juifs au sein de son comité directeur.
Peut-être alors s’agit-il juste d’un lamentable manque de goût…
Les portes du Temple étant remarquablement closes (secte ou pas secte ? le débat reste ouvert), il est difficile de saisir la position exacte du Temple de Set au sein des métaphysiques futuristes.
A noter toutefois que le Temple est aujourd’hui dirigé par un écrivain de science fiction, Don Webb, et que certains setiens semblent douter de l’efficacité de la seule “Magie noire supérieure” pour s’assurer l’immortalité.
Ils préfèrent envisager des méthodes plus “rationnelles“.
Du moins si l’on en croit, sur le Web, les fréquents liens des pages setiennes vers les sites transhumanistes ou extropiens.
Pour en savoir plus :
Le site officiel de l’église de Satan : http://www.churchofsatan.com/home.html
Un article de Disinformation.com sur Anton La Vey, le fondateur de l’église de Satan : http://www.disinfo.com/pages/dossier/id134/
Le site officiel du Temple de Set : http://www.xeper.org/
Un site sétien qui contient plus d’informations sur les neurosciences que sur l’occultisme proprement dit : http://www.bolverker.com
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LES THELEMITES
Ce sont les disciples du magicien Aleister Crowley, qui reçut, en 1904, de la bouche d’une entité non humaine nommée Aiwass, le livre annonciateur du nouvel Eon (ou ère) de l’ histoire de l’humanité, le Liber AL, ou Livre de la loi.
Le commandement principal du livre de la loi est tiré de Rabelais : “Fais ce que tu voudras sera la seule et unique loi“.
Contrairement à Anton La Vey, Aleister Crowley était un véritable mystique : la “Vraie Volonté” que chaque adepte devait découvrir pour lui même, étant l’équivalent du Soi de la tradition hindoue.
Selon Crowley, l’histoire du monde se divise en trois phases principales : l’éon d’Isis correspond à un matriarcat originel, L’éon d’Osiris, est l’époque du “Dieu Mourant“, du patriarcat, du sacrifice de Soi.
Avec l’Eon d’Horus commence l’ère de l’enfant, caractérisé par le dynamisme, la liberté des mœurs, mais aussi par une série de guerres meurtrières et une irresponsabilité morale accrue.
Techniques :
“Pour me vénérer, prends du vin et des drogues étranges” clame le Liber AL.
Pour Aleister Crowley, pas de doute : les rites se placent sous la guidance d’Aphrodite, Dyonisos, et Apollon, autrement dit le sexe, la drogue et le rock n’ roll, en grec ancien.
Ces diverses formes d’intoxication doivent s’accompagner d’une stricte discipline impliquant des éléments de magie cérémonielle occidentale et de yoga asiatique.
Position sur l’échiquier :
Aleister Crowley n’était pas un ange, on s’en doute.
Il ne détestait pas le fascisme.
Mais le fascisme, lui, ne l’aimait pas, en témoigne son expulsion d’Italie par Mussolini.
A l’instar d’un La Vey, ou d’un Robert Heinlein (qui s’inspira de Crowley dans En terre étrangère), Crowley entre dans la catégorie des “libertariens“.
La part de l’œuvre d’Aleister Crowley appartenant à l’occultisme traditionnel ne nous concerne pas ici.
Ne nous intéresse que son impact sur les “nouveaux courants“.
Son influence sur la contre-culture, discrète dans les années 60 et 70 n’en fut pas moins réelle.
Non seulement les Beatles font figurer Crowley sur la pochette de Sergeant Pepper, mais Timothy Leary ne tarit pas d’éloges sur lui, et remarque même, lors de son évasion en Algérie, d’étranges synchronicités entre leur deux vies.
Mais c’est surtout à partir de 1975, grâce à Robert Anton Wilson, que Crowley entre dans le panthéon des héros psychédéliques.
“Einstein a apporté la relativité en science, Joyce en littérature. Crowley l’a apporté en religion“, explique Wilson.
Indirectement à l’origine de la Wicca, Crowley aurait aussi joué un rôle involontaire dans la naissance de la scientologie, via son disciple Jack Parsons.
Certains prétendent même que c’est lui qui aurait fait goûter la mescaline à Aldous Huxley, mais il s’agit sans doute d’une de ces rumeurs croustillantes qui courent sur le bonhomme !
Pourtant cette légende, ne fait que confirmer l’importance de Crowley dans la naissance de la “contre-culture“.
Si Leary en est le père, Crowley en fut probablement l’aïeul.
Pour en savoir plus :
Une adresse à laquelle on trouvera pratiquement tous les écrits d’Aleister Crowley : http://www.hermetic.com/crowley/index.html
Ordo Templi Orientis Phenomenon , un site historique très fouillé, mais aussi très controversé, sur l’Ordre Thélémite : http://www.cyberlink.ch/~koenig/
Crowley, Leary, Wilson, Hubbard, Jimmy Page, et les autres : http://www.dromo.com/fusionanomaly/aleistercrowley.html
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LA CHAOS MAGICK
“La Chaos Magick utilise les thèses déconstructionistes de Jaques Derrida, l’intérêt pour le hasard de John Cage et du minimalisme, et l’humour de Dada afin de créer des espaces rituels pour des actes magiques. Voir dans la Chaos Magick une reformulation, de la magie traditionnelle serait inexact. La Chaos Magick est un phénomène nouveau, une tentative de déconstruction des structures de croyance, afin de libérer l’énergie prisonnière de ces croyances, et altérer radicalement le flux quantique. La Chaos Magick est un assaut contre les structures normatives de la croyance, une attaque contre le statu quo de l’esprit, une guerre contre les visions frileuses de la conscience.”
Qu’ajouter d’autre à cette définition de Mark Defrates, le créateur du (Z)Cluster qu’il définit lui-même comme “un groupe de chaos magiciens qui s’est temporairement agrégé dans le but de détruire les structures de croyances consensuelles et donc d’amener la fin du monde” ?
Peut-être cette formule de Peter Carroll, le “père” de la Chaos Magick : “Si vous désirez donner une définition d’une ligne de la Chaos Magick susceptible de rencontrer l’accord de la plupart des chaoistes, en voici une : les chaoïstes adoptent la méta-croyance selon laquelle la croyance est un outil à utiliser en vue d’un résultat, et non une fin en elle-même.”
Techniques :
Comme on le voit, il n’existe pas de doctrine bien définie de la Chaos Magick et les techniques sont aussi nombreuses que les pratiquants.
On ne peut définir ici que les méthodes les plus fréquentes, inspirées en grande partie par Austin Osman Spare, un artiste et occultiste du début du siècle.
La plupart des chaoïstes sont d’accord pour dire qu’en certains moments particuliers, caractérisés par le silence de l’esprit, les modèles qui structurent nos conceptions de la réalité s’effondrent, ce qu’il nomment la “gnosis“.
C’est à ce moment que le magicien envoie “dans le vide“, “l‘inconscient“, le chaos, un symbole, le “sigil“, représentant son désir.
Celui-ci ne saurait manquer de se réaliser, assurent les chaos magiciens.
Cette position, assez surnaturaliste sous sa forme littérale, peut évidemment être interprétée de façon purement psychologique et non paranormale.
La Chaos Magick pourrait alors apparaître comme une forme particulièrement extrême de “thérapie brève“, et son goût pour le paradoxe serait à rapprocher de certaines méthodes adoptées par le psychiatre Milton Erickson, et par l’école de Palo Alto en général, (Bateson Watzlawick, etc.).
N’importe quelle technique peut servir pour atteindre l’état de stupéfaction propre à la gnosis, mais les moins respectables sont généralement les plus appréciées.
Le contexte esthétique et mythologique de la Chaos Magick reste cependant l’occultisme traditionnel, dont les pratiquants revisitent les thèmes avec une bonne dose de fantaisie.
Il n’est pas rare de voir des chaoïstes invoquer Bugs Bunny ou monsieur Spock, mais nombreux sont ceux qui montrent un goût marqué pour les Grands Anciens d’Howard Philips Lovecraft, tels Cthuluh ou Yog Sothot.
Position sur l’échiquier :
Aucun doute sur l’appartenance de la Chaos Magick au courant majeur de contre-culture américaine.
Plus qu’à Derrida, c’est à John Lilly et Timothy Leary, et à leur techniques de méta-programmation, que fait penser la technique de la gnosis.
Quant aux idées sur la destruction des croyances et des modèles, on ne peut que les rapprocher de la “guérilla ontologique” du discordianisme et de Robert Anton Wilson.
William Burroughs, dont les activités en tant qu’occultiste attendent leur biographe, devint à la fin de sa vie membre d’un groupe fameux de chaos magiciens, le IOT (Illuminates Of Thanateros).
Mentionnons enfin, moins pour l’intérêt idéologique que pour son influence artistique, un groupe apparenté (lui aussi très influencé par A.O Spare) mais non totalement similaire : le Temple of Psychick Youth de Genesis P-Orridge, qui a joué un rôle non négligeable dans le développement du mouvement artistique “industriel“, avec les groupes Throbbing Gristle et Psychic TV.
P-Orridge s’inspire des techniques magiques, mais également du “cut-up” de William Burroughs et Brion Gysin, afin de reconstituer la réalité par une suite de permutations aléatoires.
Pour en savoir plus :
Chaosmatrix propose la plupart des textes disponibles en ligne sur le sujet : http://www.chaosmatrix.com
Fifth Eaon Eggregore, la page personnelle de Phil Hine, fameux magicien chaotique. Le site propose une section de PDF de très haute qualité : http://www.phhine.ndirect.co.uk/
Le site duTemple of Psychick Youth : http://www.uncarved.demon.co.uk/topy.html
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LES DISCORDIENS
Avec ses six milliards de non-membres, l’église Discordienne est probablement la plus puissante des désorganisations traitées dans cet article.
Précisons tout de suite que le discordianisme n’est pas un canular déguisé en religion, mais une religion déguisée en canular, ainsi que l’affirme Robert Anton Wilson, le plus célèbre de ses promoteurs.
Les discordiens adorent la déesse grecque Eris, princesse, du chaos, du discorde et de la confusion.
Celle-là même qui exhiba la pomme d’or destinée “à la plus belle“, semant la zizanie entre les trois principales déesses de l’Olympe et déclenchant la Guerre de Troie.
L’épopée du discordianisme est l’incontournable Illuminatus de Shea et Wilson, mais le texte sacré de la secte reste les Principia Discordia : “Comment j’ai trouvé la Déesse et ce que je Lui ai fait après l’avoir trouvée” d’un certain Malaclypse le Jeune, de son vrai nom Greg Hill.
Le fondateur du Discordianisme, Kerry Thornley, explique ainsi sa théologie : “Si la religion organisée est l’opium des masses, la religion désorganisée est la marijuana des cinglés marginaux. Le discordianisme, la plus désorganisée des religions, est la seule à comprendre que l’organisation est l’œuvre du démon, et que le Saint Chaos est la condition naturelle de la réalité, contrairement à la croyance populaire “.
Techniques :
L’église Discordienne, serait-on tenté de dire, est elle-même une technique.
C’est, pour employer l’expression de Robert Anton Wilson, une exemple parfait de “guérilla ontologique” ; un procédé inspiré du Zen et de la sémantique générale consistant à mêler subtilement le vrai et le faux pour forcer les gens à réfléchir par eux-mêmes.
A part cela, pas de méthode précise, mais les chaos magiciens, qui, on s’en doute, apprécient grandement le discordianisme, n’ont pas manqué de créer toute une panoplie de rituels d’invocation à Eris.
Position sur l’échiquier :
A part peut-être Timothy Leary, difficile de trouver plus influent que le discordianisme dans le domaine de la contre-culture religieuse.
Adorée à la fois des psychédélistes, des hackers, des transhumanistes et des magiciens, Eris est de nos jours, la plus vénérée des déesses grecques.
Quant au roman Illuminatus de Shea et Wilson, c’est un classique à la lecture indispensable.
D’ailleurs le Net est bourré de “private jokes” inaccessibles à ceux qui n’ont pas subi l’initiation discordienne.
Depuis, d’autres “religions canulars” ont été créées, comme l’Eglise du Sous-Génie, qui se consacre au culte du mystérieux Bob.
Pour en savoir plus :
La home page de Robert Anton Wilson : http://www.rawilson.com
Le Robert Anton Wilson show chez Deoxy : http://deoxy.org/raw.htm
Principia Discordia : http://www-2.cs.cmu.edu/~tilt/principia/
Neophilic Irreligions, une thèse consacrée au discordianisme, aux cultes lovecraftiens, à Bob : http://religiousmovements.lib.virginia.edu/nrms/neophile.html
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NEOPAÏENS & TECHNOPAÏENS
Ce terme, créé par Erik Davis, sert à désigner le conglomérat assez flou des néopaïens intéressés par la technologie.
Beaucoup d’individus ou de groupes mentionnés ici, de Leary aux chaos magiciens, peuvent être qualifiés de néopaïens ou de technopaïens, ceux qui se consacrent explicitement à le résurrection de cultes de l’antiquité.
Dans les pays anglo-saxons, le néopaganisme trouve son origine dans les écrits de Gerald Brousseau Gardner, qui affirma, avec la Wicca, restaurer le culte originel de la fertilité, réprimé pendant des siècles sous le nom de sorcellerie.
En réalité, les théories historiques de Gardner étaient assez fantaisistes.
Et le culte de la Wicca puise d’abord à des sources contemporaines, telle la franc-maçonnerie ou surtout Aleister Crowley, qu’il fréquenta.
Au panthéon des wiccans trônent essentiellement la déesse mère et le dieu cornu, son parèdre.
Un courant particulier, la Wicca “dianique“, a supprimé l’élément mâle du culte et se voue à la seule Déesse.
Les autres groupe néopaïens se consacrent à la reconstruction d’autres supposés cultes du passé.
Durant les années 60, la Wicca et ses dérivés néopaïens s’agglomèrent joyeusement à la contre-culture naissante.
Déjà, la nostalgie agreste qui caractérise la Wicca se mâtine de science-fiction.
Une éminente congrégation néopaïenne de l’époque, “l’église de Tous les Mondes“, doit son nom à un roman de Robert Heinlein (En terre étrangère).
Techniques :
Les néopaïens constituent une religion proche de la conception traditionnelle.
Ils ne prônent donc pas de systèmes spécifiques pour étendre les capacités humaines.
Pourtant, le néopaganisme est un milieu particulièrement favorable à l’expérimentation magique ou psychédélique, et sert souvent de cadre idéologique à ces comportements.
Les technopaïens célèbrent, quant à eux, bon nombre de leurs rites dans le cyberspace.
Erik Davis mentionne ainsi la célébration par Mark Pesce, d’un rituel impliquant quatre PC connectés en lieu et place du traditionnel cercle magique.
Ces méthodes sont bien sûr à comparer avec celles de nombreux chaos magiciens qui utilisent l’Internet comme médium pour leurs opérations magiques.
Position sur l’échiquier :
Comme le note encore Erik Davis, la mythologie du cyberspace est truffée d’éléments païens dès ses origines.
Un des romans de William Gibson, Comte Zero, fait grand cas des divinités Vaudou, tandis qu’un autre grand classique du genre Snowcrash (Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson, chez Ailleurs et demain), repose sur les mythes sumériens.
Certains technopaïens ont laissé leur trace dans l’histoire de l’Internet.
D’abord Mark Pesce, pour lequel le terme a été inventé.
Mais c’est également le cas d’Eric Raymond, hacker, libertarien, propagateur de la notion d’open source, dont le texte, La cathédrale et le bazar, convainquit Netscape Communications d’ouvrir le code de son navigateur Internet.
Dans son texte, Dancing With The Gods, Raymond raconte ainsi l’histoire de sa relation particulière avec le Dieu Pan.
Il élabore une vision “informatique” de la religion.
“Les rituels, explique-t-il, sont écrits dans le langage symbolique de l’esprit inconscient. Les religions sont des librairies de programmes partageant des sous-routines critiques. Et les dieux représentent des sous-systèmes faisant partie du wetware (notre organisme, NDT) programmé. Tous les humains ont pratiquement un accès potentiel aux mêmes dieux, car notre la structure de notre wetware est identique à 99%.”
Hors de doute, le néopaganisme est un style religieux en pleine expansion.
Oserions nous parier qu’il remplacera bientôt le bouddhisme comme religion “tendance” à Hollywood ?
La popularité de feuilletons comme Charmed ou Buffy, et les écrits de Silver Ravenwolf destinés aux ados sorcières américaines font beaucoup pour attirer les plus jeunes.
Par son côté très “politiquement correct“, parfois un peu niais, la Wicca apparaît comme un laboratoire possible de la transformation de la contre-culture vers le mainstream.
Ce qui n’empêche naturellement pas les différents mouvements évangélistes de crier au blasphème face à la vogue des Harry Potter et autres Sabrina !
Quant au terme technopaïen, il est lui aussi passé dans la culture populaire, puisque le personnage de Miss Calendar, dans la deuxième saison de Buffy contre les vampires, revendique cette appellation !
Pour en savoir plus :
Mark Pesce, inventeur du VRML et technopaïen : http://www.hyperreal.org/~mpesce
Eric Raymond : http://www.tuxedo.org/~esr/
L’article d’Erik Davis sur les technopaïens : http://www.techgnosis.com/technopagans.html
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