Désormais partie intégrante de l’imaginaire de nos sociétés occidentales, le phénomène des «snuff movies» est né dans les années 1970 de l’imagination de réalisateurs de films à petit budget.
On ne compte plus désormais les films ou les romans traitant ou abordant la question.
On se souvient notamment du trafic de «snuff movies» constituant le point de départ de l’intrigue du premier roman de Maurice G. Dantec paru chez Gallimard, «La sirène rouge».
Faut-il pour autant résumer les «snuff movies» à un fantasme d’auteurs de polars et de réalisateurs de thrillers ou à une vulgaire légende urbaine propagée par les merveilleux outils de mystification modernes que sont devenus les forums de discussion sur Internet et autres blogs, encore plus efficaces que le bouche à oreille d’antan ?
Si beaucoup d’éléments plaident en faveur de cette hypothèse, notamment la quasi-absence de condamnations en justice prononcées pour des faits de cette nature, l’actualité nous a donné récemment la preuve que la question est loin d’être aussi simple.
En effet, que penser du phénomène du «happy slapping», très populaire dans nos banlieues et qui a même fait l’objet d’un rapport du Sénat, ou encore de l’engouement provoqué par la diffusion sur Internet d’une vidéo pirate de la pendaison de Saddam Hussein, à l’origine d’un mini-scandale au sein de l’appareil d’état irakien ?
La logique n’est-elle pas la même que pour les «snuff movies», ces vidéos étant diffusées gratuitement sur l’Internet afin de satisfaire le voyeurisme malsain de tout un chacun, alors que les légendes affirment encore que certains se vendent pour plus de 10.000 euros !
Le cinéma et la littérature auraient-ils joué un rôle de visionnaire en ce domaine, imaginant un phénomène qui allait prendre forme par la suite ?
Genèse d’une rumeur
Fait peu surprenant, l’expression «snuff» est née dans les seventies en pleine révolution des moeurs, à une époque où il était de bon de ton d’enfreindre les interdits moraux et sexuels.
Le terme fait son apparition pour la première fois en 1971 dans un ouvrage de l’écrivain et activiste américain né en 1939, Ed Sanders, traitant de l’affaire Manson.
Dans ce dernier, intitulé «The family» l’auteur rapportait la rumeur selon laquelle le serial killer Charles Manson et ses adeptes filmaient leurs assassinats, qui était d’ailleurs infondée.
Le premier film à institutionnaliser les «snuff movies» avait simplement pour titre «Snuff».
Sorti en 1976, il dut son succès à la rumeur, elle aussi fantaisiste et lancée par son distributeur, selon laquelle certaines images de meurtres incorporées à ce film étaient réelles.
Le film fut à l’origine d’un scandale aux Etats Unis, relayé par la presse qui propageait les rumeurs les plus folles.
Alors qu’une enquête était menée par la police à cette occasion, le public se délectait de rumeurs infondées, le plus souvent colportées par les milieux fondamentalistes en guerre contre l’industrie de la pornographie.
L’américain moyen était désormais convaincu que l’Amérique du Sud était le théâtre de tournages de «snuff movies», vendus pour des dizaines de milliers de dollars, sous le manteau, à des riches avides d’images violentes.
La légende des «snuff movies» était née de la confusion engendrée dans les esprits par la libéralisation des mœurs, dans un contexte propice à l’emballement des esprits.
Le «snuff movie» allait devenir un thème recurrent dans le polar ou le thriller.
Naturalistes de l’horreur
Par la suite, la polémique née autour du film «Snuff» (1976) allait resurgir inlassablement à chaque fois qu’un film devait décrire le meurtre avec trop de réalisme.
Ce fut notamment le cas pour la série amorcée par le long-métrage «Face à la mort» (1978) qui s’appliquait à montrer des scènes au cours desquelles des individus trouvaient la mort de manière accidentelle.
Bien que les scènes en question soient truquées, le film était présenté à l’époque comme un véritable documentaire sur le thème de la mort, grand tabou des sociétés industrialisées, d’où la polémique.
En fait, le principe n’est pas nouveau.
En 1928, les français Paul-Antoine et Roger Lugeon réalisent «Chez les mangeurs d’hommes», dans lequel on peut voir une scène de sacrifice humain filmée soi-disant en caméra cachée.
Ce document réalisé intégralement en studio fut néanmoins présenté dans le cadre de l’exposition coloniale de Paris comme authentique et représentatif des mœurs des peuplades des mers du Sud.
Bien longtemps après, le cinéma d’horreur prit le relais, notamment à travers des films comme «Cannibal holocaust» (1979) qui relate l’histoire d’une équipe de journalistes filmant des massacres commis par une tribu de cannibales avant d’être eux-mêmes victimes de la folie meurtrière de ces derniers.
En adoptant un style propre au documentaire, ce genre de films frôle le «snuff» par un réalisme revendiqué qui ravit le public, comme l’atteste l’engouement pour «Le projet Blair Witch» (1999) de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez.
Réalisé avec très peu de moyens, ce long-métrage, tourné à la manière d’un document amateur dans le seul but de nous faire croire à l’authenticité de la balade en forêt des trois jeunes gens, remporta en effet un grand succès commercial.
La mort à l’écran
Nombre de films de genre ont fait et font référence au «snuff movie».
Le premier film à aborder le thème est «Le voyeur » (1960) de Michael Powell, dans lequel un sadique assassine des jeunes femmes et filme leur agonie à l’aide d’une caméra portable dans le Londres des années 1960.
Par la suite, le film «Hardcore» de Paul Schrader, par ailleur scénariste de «Taxi driver», est le premier exemple de production hollywoodienne sur ce sujet.
Dans ce long-métrage, un homme d’affaires tente de retrouver sa fille disparue en enquêtant dans le milieu du cinéma pornographique.
Même le génial David Cronenberg s’est intéressé aux «snuff movies» dans son film «Vidéodrome» (1985) qui raconte l’histoire d’un directeur de chaîne télévisé qui est amené à visionner par hasard des programmes d’une rare violence.
Plus récemment, le film «8mm» (1999) de Joel Schumacher relate l’enquête d’un homme, interprété par Nicolas Cage, à propos d’un snuff movie tourné en 8mm.
On peut encore citer l’exemple de «Tesis», excellent long-métrage espagnol d’Alejandro Amenabar et plaidoyer contre l’hypocrisie de nos sociétés sur la représentation de la violence à l’écran.
Kill and be happy
Le mécanisme par lequel les «snuff movies» se sont fait connaître du grand public, à savoir par la rumeur, prête à penser que l’on est en présence d’une légende urbaine.
En effet, les «snuffs movies» n’ont t’ils pas été popularisés essentiellement par le cinéma ou la littérature ?
Certains aspects du phénomène, notamment le fait que ce soient toujours des riches, sadiques et forcément corrompus par l’argent, qui veuillent obtenir ce type de vidéos interdites, rappellent les théories du complot.
Cependant, quelques faits divers récents nous permettent de nuancer ce propos.
Par exemple, en avril 2004, une actrice canadienne de films X de 23 ans connue sous le nom de Taylor Sumers a été retrouvée nue, harnachée de cuir et poignardée à mort à Conshohocken en Pennsylvanie par un photographe à l’issue d’une séance de photos bondage ayant fait l’objet d’une négociation sur Internet.
On soupçonne le tournage d’un «snuff movie» à cause d’une note découverte dans un sac du photographe mentionnant plusieurs types de tournages vidéo et de séances photos avec la mention «snuff vid».
Selon l’enquête, le photographe se serait laissé prendre au jeu de son tournage hard, simulé au départ, et qui aurait dérapé par la suite.
De même, l’Afrique du Sud a été le théâtre d’une affaire de ce type : Le 13 juin 2003, une jeune fille est violée et assassinée dans une maison par un de ses amis âgé de 25 ans accompagné de deux dealers sous l’oeil d’une caméra.
L’enquête révéla que l’ami de la jeune fille devait une forte somme d’argent aux deux dealers.
Le tournage de ce «snuff movie» était pour lui un moyen d’effacer sa dette.
Les deux meurtriers se préparaient à dupliquer le film pour le vendre quand ils ont été arrêtés.
Petits films entre copains
En avril 2006, l’agression d’une enseignante du Lycée Lavoisier de Porcheville dans les Yvelines, filmée à l’aide d’un téléphone portable et diffusée sur Internet, a provoqué une vive émotion.
C’est à la suite de ce fait divers que l’on a découvert ce phénomène de société apparu vraisemblablement en Angleterre et connu sous le nom de «happy slapping», littéralement «joyeuse claque».
Ce dernier serait apparu du fait de la banalisation de la vidéo sur les téléphones portables auprès d’adolescents sous l’influence d’émissions comme «Jackass» et «Dirty Sanchez», stade ultime de la stupidité télévisuelle.
Le «happy slapping» consiste à l’origine à fondre sur une cible, généralement un groupe de personnes, afin de leur infliger une correction tandis qu’un complice filme l’attaque à l’aide d’une caméra ou d’un téléphone portable.
Cependant, le «happy slapping» peut se révéler plus violent qu’une simple gifle, incluant des attaques physiques qui peuvent aller jusqu’au viol ou au meurtre.
Par exemple, à Leeds en Grande Bretagne, une adolescente de 17 ans a été tuée à l’aide d’un fusil à pompe lors d’une séance de «happy slapping».
En Irlande du Nord, des groupes de jeunes ont filmé des attaques très violentes contre des équipes de pompiers.
Expression de l’insouciance et de la cruauté de certains adolescents sans repères, le phénomène a pris une telle ampleur en France qu’en janvier dernier, les sénateurs ont jugé bon de proposer un alourdissement des peines encourues dans un rapport de la commission des lois relatif au projet de loi sur la prévention de la délinquance.
Désormais, celui qui filme et diffuse l’agression sur Internet pourra être poursuivi pénalement comme complice de l’auteur.
Si les « snuff movies» tels que décrits au cinéma ou dans la littérature policière se rattachent plus vraisemblablement à une légende urbaine qu’à une réalité tangible, il apparaît clair en revanche que le développement de la diffusion de films représentant des agressions réelles, plus ou moins violentes, est une tendance de fond, favorisée par cet outil à la fois formidable et effrayant qu’est devenu l’Internet.
Comme l’atteste le phénomène d « happyy slapping», symptôme d’une société malade, ou le scandale autour de la diffusion sur Internet d’une vidéo montrant l’exécution de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein, il est devenu de bon ton d’assister au spectacle de la souffrance d’autrui, la vidéo étant un moyen comme un autre d’y parvenir.