TiticAca…
J’ai ouvert les yeux.
La migraine était là…, la migraine jouait de la flûte des Andes.
Plus tard, bien plus tard, changement de rythme…, mélodie nostalgique, écoulement serein, marche funèbre.
Avec ma bénédiction, là, juste là, me trancher la gorge…, lame d’acier, je ne sentirais rien et la migraine continuerait de jouer…, pendant que je me viderais.
A jouer de la flûte des Andes.
Elle m’interpréterait un morceau de sa composition, modulé dans les hoquetements.
Parce que ma migraine ne joue que de la flûte des Andes.
En virtuose. C’est obsédant la flûte des Andes… comme la migraine.
Idée fixe, migraine et flûte des Andes…, la migraine s’en moque.
Elle n’est pas musicienne.
Pas gastronome non plus.
Tout au plus sait-elle apprécier un chili Péruvien.
Et encore !
Je suis condamné.
Une autre journée commence, la blessure s’estompe.
– Expliquez-vous, on vous retrouve nu dans votre chambre d’hôtel avec de la drogue sur votre table de chevet… et vous me dites que vous venez d’Amsterdam, que vous aviez rendez-vous avec une jeune femme Péruvienne avec qui vous discutiez depuis un ans sur internet ?
¡Patria o Muerte!
La blessure s’ouvre à nouveau.
On ne se comprendra pas.
Je n’étais pas pour elle… elle n’était pas pour moi, elle m’appelait son “Macho-Pichu“.
J’ai aimé l’envie qui lui tailladait le ventre, j’ai aimé être aspergé par le cyanure de ses cris d’amour.
– C’est pour ça qu’elle est morte ?
Cortalia m’avait promi de me cuisiner du chili chaque soir.
– Vous avez fait disparaitre le corps ?
De l’autre coté de la place, il y a un bar, terrasse étalant avec rancoeur sa négligence de tables dépareillées, surchauffées.
L’ombre gorgée de chaleur flotte sur le toit défoncé de la tonnelle…, lourde, trop lourde l’ombre.
– Vous auriez été drogué, on vous aurait tout volé ?
J’ai encore un peu d’argent.
Un homme est debout près de moi, un policier péruvien… et sa sueur m’indispose.
Il crache bruyamment…, s’éponge le front.
J’aimerais lui envoyer mon poing dans le nez…
Un tesson de bouteille brille au soleil.
Je voudrais le frapper au ventre…
Un chien m’a dépassé, jaune, boitillant, lorsque j’ai franchi les quelques marches de la terrasse…, odeurs de peaux moisies, de corps enfiévrés et de bières surchauffées.
J’ai demandé une tasse de café et un verre d’eau.
Autour de moi on parlait de… je ne sais pas !
Je venais de terminer le café, j’ai versé la moitié de mon verre d’eau dans la tasse à l’anse ébréchée.
Quelques hommes étaient avachis à l’autre extrémité de la tonnelle.
Seule une femme s’est animée.
Flanquée du chien bringueballant, elle allait et venait et son passage régulier faisait tinter le rideau de perles.
Il m’a semblé percevoir à chaque déplacement une odeur de chili.
Les hommes étaient toujours installés, immobiles, suintants des bribes de conversation, des lambeaux d’échanges marmonnés, loques de soupirs arrachés au silence irrespirable…, incompréhensibles.
Soudain, plus rien n’a bougé.
Attablée en face de moi, elle mangeait, le chien jaune était flasque entre les jambes.
Le verre maladroitement déposé au bord de la table m’a échappé.
Elle a crié : Hombre ! No es dialectico !
Elle s’est renversée sur le dossier de la chaise en me dévisageant…, a hoché la tête, m’a fixé de ses yeux sombres.
Le verre a terminé sa course entre les pattes du chien jaune.
J’ai suivi la trajectoire de ma pensée…, jusqu’entre les pattes du chien…, jusqu’entre ses jambes.
– Le devenir de ce verre ne pouvait être fixé…
Je n’ai pas remarqué, absorbé par les dernières oscillations maladroites.. incertitudes d’un état de verre désormais vide.
– Tu as donc introduit le mouvement dans ta pensée…!
Le balancement s’est estompé.
– Le mouvement de ta pensée comme celui de la réalité n’est qu’un faux mouvement… un vrai mouvement ne peut être qu’une oeuvre accomplie et tu en es encore très loin…
J’ai suivi du regard le liquide qui s’égarait entre les planches surchauffées.
J’aurais voulu lui répondre que sans l’interposition des pattes du chien jaune, la dialectique de mes pensées aurait certainement terminée sa débandade loin de son entre-jambe…, l’évaporation aurait fait le reste.
Autre larme.
Cortalia prenait une douche.
Jambes veinées et blanches…, pubis luisant.
Le soleil filtrant, obsédé, à petits coups de langue défroissait patiemment ses poils insoumis.
Franc-tireurs obtus…, rebelles solidaires.
L’eau ruissellait sur son ventre.
Elle m’a dit : Mi guerillero erótico !
On ne se comprenait pas, je l’ai déjà dit.
Au coeur de mon désarroi, elle aimait danser…, martelant de ses talons orthopédiques ce qui me restait de lucidité.
La nostalgie de ma Hollande me gorgeait de larme.
Notre chambre était située sous les toits.
Je voyais les façades bleues de Lima au delà de la place désertée à cette heure.
Cortalia était venue me rejoindre dans cette chambre nue blanche, a enlevé ses vêtements comme une pelure fanée…, m’a tendu un paquet.
J’étais assis, jambes pendantes.
L’unique fenêtre offrait un refuge inconfortable.
Elle m’a montré la montagne violacée par delà les brumes… ombre sépia parmi les sépias.
– Jamais tu ne retournera à Amsterdam, tu le sais…, on n’a pas retrouvé son corps, ou l’as-tu mis, parle, avoue !
Son odeur me fascinait, surtout lorsque je l’ai caressée.
Jour après jour nous conversions ensemble, durant cinq ans sur l’ordinateur, ensemble…, nous combattions l’absence ensemble, vertige opaque, affrontant la cabriole suprême, éblouissement enivrant comme la photo qu’elle m’avait envoyée avec son peignoir entrouvert.
Son visage s’est dissout…, effervescence aux vapeurs nocives qui sans cesse m’étouffent mais sa silhouette me fascine encore aujourd’hui.
– Tu l’a dissout ? Ou ? Dis-moi, il t’en seras tenu compte !
Jambes discrètement écartées en un insatisfait et ultime désir, corps de pantin désarticulé meurtri d’un appel inassouvi….
La nervosité de sa nuque, dans la lumière fuyante du soir…
Son mouvement.
Quelques feuillets éparpillés…, pas du papier, pas de l’encre, un cri, un déchaînement meurtrier bourré de fulminate d’esprit, projectile jeté sur le pavé…, éjaculation d’éclats de haine, de sang et de fièvre…
Recroquevillée sous son masque de malice, elle me dévisageait d’un air glacial…, regard de pie jaugeant un tas de charogne, elle s’est éloignée en ricanant… volte-face…
– Tu es un assassin !… Tu es venu pour faire disparaitre une Péruvienne avec qui tu conversais depuis un ans sur Internet ? On sait que tu conversais avec cinq autres Péruviennes ! Tu les as tuées aussi ! Tu es un tueur en série !
Je ne l’ai pas entendu approcher.
Sursaut…, taches bouillonnantes…, sursaut de sang pulsé, mon pied nu glisse..,. je sens une lanière se resserrer, irrésistible, ardente et implacable de la nuque à l’entre-jambe, pressant mes entrailles dans une explosion étouffée…, de plus en plus vite, jambes ballantes et inutiles…, zoom…, je découvre la ville étalée impudique entre mes jambes..,. ruelle défoncée, mauvaises herbes, chat errant…, rue perdue, je reviens au point de départ…, zoom…, zoom encore, le vent qui s’échappe du sol me frappe au visage comme une lame…, une lame sifflante, lame sans fin qui pénètre mon corps qui se dévisse en rotations diluées et inconsistantes…, défilement de tuiles consumées de soleil…, zoom…., pellicule sursautant devant une lune rouge dans un ciel enfumé…, mélangée à des images de rires d’enfants défigurés se rongeant les ongles…, pieds crispés, implorants l’aspérité…, kaléidoscope de cartes postales souvenirs de montagnes enneigées aux traînées de vapeurs orange…, genoux joints sous le menton pour une dernière image, face au mur de la chambre sous les toits…, doigts contractés sur le dessus de lit blanc saupoudré de pétales aux parfums goudronnés…
Zoom.
Flou obscur.
La diagonale parfaite traverse mon corps qui éructe ses globules comme une horde de fourmis ensanglantées.
Limace paralysée, l’esprit bleu se dissout devant mes yeux…, poussière de vie…, pluie de vie argentée.
Des étoiles rouges m’éclaboussent de cris étouffés…
Je souris.
Un dieu Inca esquisse un pas de danse, maladroit, élégance emplumée, puis s’éloigne en jouant de la flûte des Andes…
Il sourit.
Reuters 08 avril 2008
Le supposé “gang des Péruviennes” aurait encore frappé.
Un citoyen Néerlandais, Henk Kamper, a été arrété par la police dans un hôtel de la périphérie nord de Lima en possession de drogue dont il venait d’en utiliser une partie.
Le récit qu’il a fait au Juge chargé de cette affaire rappelle curieusement le drame vécu par un ressortissant Luxembourgeois en février de cette même année.
Henk Kamper a prétendu qu’il discutait depuis un an avec 4 Péruviennes sur les chat’s de MSN et Meetic.
Rendez-vous fut finalement convenu à l’occasion d’un voyage que ce Hollandais comptait réaliser fin mars à Lima.
Au sortir de son vol direct KLM Amsterdam-Lima, il était attendu par une de ses amies de chat’s.
Celle-ci l’a emmené “chez-elle” dans un village-bidonville au nord de la capitale.
Sur place, il a, dit-il, été totalement dépouillé, sa ceinture secrète renfermant 15.000 dollars, ses cartes de crédit, son passeport et ses documents, ainsi que des Traveller’s Chèques qu’il avait caché dans la doublure de sa veste.
Il aurait, toujours selon ses dires, “été drogué” et “on” aurait déposé de la drogue près de son lit, pour le confondre.
La police croit au contraire qu’il s’agit d’un de ses innombrables “passeurs” venu à Lima dans le but d’acquérir de la drogue qu’il comptait introduire en Hollande, mais que le “marché” à mal tourné parce qu’il voulait simultanément acheter quelques jeunes femmes pour les placer dans le monde interlope Amsterdamois de la prostitution.
Pour conforter ce fait, une recherche Interpol à son domicile à Amsterdam à renseigné un appartement entièrement vide ce qui est habituel dans le chef des trafiquants de drogue et des trafiquants d’êtres humains, qui disposent de fausses adresses.
Henk Kamper prétend que c’est durant la journée ou il était inconscient à l’hôtel que des complices en Hollande ont pu vider intégralement son appartement sans éveiller la méfiance de ses voisins.
La justice Péruvienne a annonçé qu’elle ne croyait strictement rien de cette histoire abracadabrante, ni en l’existence d’un supposé “gang de Péruviennes” attirant des Européens naïfs aux fins de les déposséder de leurs biens.
Henk Kemper a donc été écroué à la sinistre prison de Lurigancho en attente de son jugement.
Il risque 30 ans de travaux forcés.