Touareg…, Mieux vaut mourir debout que de vivre à genoux !
Si d’empires anciens, puissants et redoutés, qui s’étendaient là, ne subsistent plus que les sables balayés encore et toujours par le vent, les voix des héros parfois oubliés ne s’éteignent pas et murmurent leurs invitations aux voyageurs. Leurs cœurs palpitent toujours, conférant au désert sa vibration singulière.
L’Afrique est le creuset de l’humanité et le Sahara un révélateur de tempéraments, une forge des volontés. Dans l’histoire mondiale, cette zone si vaste qu’elle n’en finit pas de s’étendre à l’imaginaire, occupe une place à part : de grands explorateurs, de grands fous aussi, l’ont sillonné en tout sens sous un soleil implacable, rêvant de s’y perdre pour mieux se retrouver parmi les mythes et les reines légendaires. Mais l’attrait du désert dépasse largement le cadre de la politique et vise les aventuriers les plus divers, à l’imagination enflammée par les récits de Pierre Benoit. Toujours en quête d’aventure et de projecteurs, André Malraux a voulu se lancer en 1934 sur les traces de la mythique reine de Saba, annonçant son intention le 9 décembre 1933.
À l’époque où les aviateurs sont des héros et des chevaliers modernes, il veut mener sa quête, animé par une soif d’exploits et d’héroïsme… et surtout de reconnaissance…, il a besoin du danger, aphrodisiaque puissant. Malraux brûle de partir et le dit avec ses accents lyriques habituels, c’est alors qu’un aviateur renommé, Edward-Alfred Flaminus Corniglion-Molinier, le convainc sans mal que l’avion se prêterait mieux à cette mission. Un instant pressenti, Saint-Exupéry doit décliner l’offre à regret, Consuelo le menaçant de le cocufier avec tout Paris s’il se laisse prendre aux mirages yéménites…
C’est finalement Corniglion-Molinier qui effectuera ce vol à bord du Farman 190 personnel de Paul-Louis Weiller, lui-même pilote pendant la Grande Guerre où il l’a connu, devenu patron des moteurs Gnome et Rhône… et qui met à sa disposition Maillard, un mécanicien expérimenté. Saint-Exupéry et Malraux, à bord du même avion, partis à la conquête d’un monde perdu au cœur du désert : on ne saurait rêver meilleure scénario surréaliste ! Hélas, la volcanique Consuelo se fait suffisamment persuasive pour détourner Saint-Exupéry de ce projet quelque peu déjanté…
Amorcée le 22 février 1934, l’expédition, soutenue par L’Intransigeant, quotidien parisien à grand tirage, atteint Djibouti, via l’Italie, la Libye, l’Égypte et le Soudan. L’avion survole bientôt des terres inconnues et finit par repérer des enceintes ovales avec leurs débris de colonnes, des bâtiments à angles, un temple d’allure égyptienne, des tours trapézoïdales, une vaste terrasse oblique. Corniglion-Molinier fait un passage à basse altitude qui confirme qu’il ne s’agit pas d’un mirage, il s’agit vraisemblablement de Mareb…, là, plusieurs centaines d’années plus tôt, prospérait une civilisation brillante, régnait une reine dont la beauté a défié jusqu’à la mort, mais aussi quelque peu émoustillé l’imagination des explorateurs, quitte à la déformer…
Bientôt l’expédition Malraux ne peut pas s’attarder pour des raisons de consommation de carburant…, qu’importe : le but est atteint…, du moins, l’équipage du Farman 190, surtout un Malraux fébrile, veut s’en persuader. De retour à Djibouti, le 8 mars, Corniglion-Molinier expédie un télégramme à L’Intransigeant : “Avons découvert la ville légendaire de Saba. Stop. Vingt tours ou temples toujours debout. Stop. À la limite nord du Roubat el-Kaali. Stop. Avons pris photos pour Intransigeant. Stop. Salutations”. Il va en résulter sept articles de Malraux pour L’Intransigeant, tandis que Corniglion en rédige trois, le tout sous un beau titre très évocateur : Au-dessus du désert d’Arabie.
À la lecture de ces textes souvent lyriques, qui ne prouvent rien, les attaques se multiplient contre Malraux. L’écrivain- aventurier se défend avec finesse : “Si, comme chacun, nous risquons de nous tromper en identifiant une ville que nous avons vue, nos contradicteurs risquent de se tromper plus encore en identifiant une ville qu’ils n’ont pas vue du tout”. La polémique s’enfle, se dégonfle et tombe dans les oubliettes…, Malraux cesse de s’y intéresser, déjà occupé ailleurs…, de fait : “Il avait survolé une oasis, quelques ruines et des sites avec des maisons blanches habitées : Asahil Rymen, Kharib et Duraib”, révélera Olivier Todd dans sa biographie d’André Malraux, publiée chez Gallimard en 2001.
Le territoire que revendique Les Touareg (au singulier un Targui) depuis des décennies, l’Azawad, vient de tomber dans leur escarcelle…, il s’agit de la quasi-totalité du nord du Mali. Sous pression, la junte a annoncé rétablir la Constitution et les institutions et promis : “La mise en place d’organes de transition en vue de l’organisation d’élections apaisées, libres, ouvertes et démocratiques auxquelles nous ne participerons pas”. Après les villes de Kidal et Gao, c’est au tour de celle de Tombouctou de tomber aux mains des rebelles touareg…, Tombouctou, la ville millénaire à fort attrait touristique, n’est qu’à 800 km au nord-est de la capitale Bamako…, mais, les rebelles se contenteront-ils d’en rester là ou voudront-ils continuer vers Bamako ?
En position de force sur leurs terres ancestrales, les Touareg ont vu des militaires de l’armée régulière se rallier à eux, même des hauts gradés…, on annonce aussi des combats où, des soldats islamistes, notamment ceux d’Aqmi, on prêté main forte aux Touareg, réunis sous la bannière du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Après la découverte de gisement d’or, d’uranium et de pétrole dans l’Azawad, les Touareg vont sans doute, à défaut de demander leur indépendance, exiger au moins leur autonomie…, ils peuvent dire merci à Nicolas Sarkozy, l’homme qui a fait la guerre à la Libye, en transformant le sahel en poudrière…, là ou les montagnes bleues de l’Ahaggar se profilent toujours sur l’insaisissable, le rutilant poudroiement d’or qui chaque soir prépare avec faste le coucher du soleil.
À l’heure de la prière les hommes se tourneront vers l’est, du côté de La Mecque d’où viennent toutes les grâces…, dans les campements, bientôt les feux s’allumeront et les chèvres seront ramenées dans leurs enclos : qui sait vraiment de quoi la nuit peut être faite ? Derrière leur voile, que pensent donc les Touareg de la marche du monde ? Ont-ils conscience de la montée des périls ? Dans un domaine plus proche de leurs préoccupations quotidiennes, en invoquant Allah envers qui ils ne furent pas toujours très fidèles, lui demanderont-ils de les réunir à nouveau dans cette royale anarchie structurée d’avant les frontières des roumis ?
Bien entendu ils savent maintenant ce que signifient ces lignes invisibles rendues réelles par le départ des prestidigitateurs qui les avaient créées…, mais il n’est pas certain qu’un souffle d’unité fasse frissonner l’âme des Touareg…, le grand tobol est muet et la fédération risque de se dissoudre progressivement, dans l’indifférence d’abord, dans l’oubli ensuite. Cette fédération avait pour bastion traditionnel l’Ahaggar et ses abords…, elle couvrait une part de la Libye, du Niger, du Mali, outre le sud de l’Algérie…, elle pénétrait même dans le Nigeria, mais si au sud elle s’étendait sur les plaines, ailleurs, son fief traditionnel était la montagne, ce refuge ancestral des peuples persécutés.
C’est bien vrai cependant qu’aucun État moderne ne pourrait supporter et a fortiori admettre qu’un groupe social de quelque importance revendique son autonomie en même temps qu’il prétende vivre sans contrôle sur le territoire du dit État…, la stupidité des partages territoriaux anciens est au débit de ceux qui les ont réalisés et en aucun cas de ceux qui les ont subis…, aussi nos regrets concernant les Touareg sont-ils de même nature que ceux manifestés dans le monde entier par ceux qui mettent la poésie, la quiétude et la réalisation de la personnalité au-dessus des bénéfices stupidement et exclusivement matériels dont prétend nous gaver la société de consommation.
Pourtant, si l’on veut que l’homme ne perde pas complètement le sens de ce qu’il est, il faudrait, dans les nations souveraines comme l’Algérie, le Niger ou le Mali, prendre conscience qu’il y a à conserver le plus longtemps possible l’authenticité de ce qui est authentique. Le tourisme est sans doute important pour ceux qui en bénéficient, mais pas au point de justifier la destruction de ceux qui le subissent… et puis, pour être franc, si le folklore est dans la ligne des valeurs fondamentales de l’échange culturel profond, il faut que ceux qui l’animent attirent à eux ceux qu’il intéresse.
Un peuple, en dehors de ce contact, a droit au respect et c’est lui manifester peu d’amitié que d’aller bouleverser sans discernement tous les aspects de sa vie…, cela ne met en cause ni la bonne foi des visiteurs ni l’amitié des visités, mais, par contre, touche au problème de nos choix… et s’agissant des Touareg il faut avouer que notre imagination reste fort subjectivée par les romanciers français et les légendes rapportées autrefois par les explorateurs.
Antinéa ou Ti-n-Hinan : quelle était donc la part de la légende ? Les hommes bleus…, le pays de la peur…, les chevaliers du silence…, de tout cela il faut certes garder pieuse mémoire mais aussi réaliser, donc admettre avec réalisme, que l’Ahaggar est en Algérie comme l’Aïr est au Niger, ou comme l’Alsace est en France. En revanche, ce qui est fondamental et sur quoi je voudrais attirer vivement l’attention, en particulier celle des candidats au voyage, c’est le respect ethnographique que l’on doit aux peuples du monde en général et aux Touareg en particulier.
Par là je veux dire que ce n’est pas rendre service à personne que d’acheter à tort et à travers les beaux objets marqués au sceau d’une culture quand ceux qui les possèdent ne songent pas à les vendre et que leur ancienneté comme la difficulté de les rééditer en font des pièces uniques ; Takoubas, lances, poignards, cadenas, etc., mais que représentent ces objets en Europe et que représente un campement touareg dépouillé de ce qui en faisait le charme ? C’est dans les centres artisanaux qu’il faut donc rechercher les souvenirs ; parfois fort beaux car ceux qui les réalisent ont retrouvé les recettes d’antan.
On peut d’ailleurs se demander si ce dépouillement mercantile n’est pas un signe de subversion intellectuelle dans la mesure où la confusion des genres prend ses racines dans l’écrémage superficiel des objets. Cela étant écrit, l’expérience du monde moderne ne peut conduire, hormis des cas d’espèce, à admettre sans regrets, même s’ils sont vains, la disparition d’une culture qui s’était volontairement retranchée du progrès…, les Touareg n’ignoraient rien des autres civilisations qui venaient battre les flancs de leur forteresse de lave…, sans doute gardaient-ils dans leur subconscient collectif la hantise d’être réduits par d’autres à ce qu’ils ne voulaient pas être. Ces autres ce sont les hommes du XXe siècle qui s’efforcèrent de leur faire croire aux bienfaits du matérialisme économique.
Les premiers explorateurs le savaient bien qui recherchaient exclusivement des voies de transport sans jamais trouver les paroles qui auraient convaincu les Touareg de la pureté de leurs intentions… et de fait, après bien des péripéties, pendant quelques années de paix relative, les Touareg ne connurent de nos richesses que quelques transistors à piles, des monceaux de pacotille en plastique et les stylos à bille…, ils en ont pris l’habitude et maintenant il est trop tard pour revenir en arrière…, de toute façon dès qu’il s’agit d’hommes c’est aux hommes qu’il appartient de choisir.
Les arguments qui pourraient décider les Touareg à se préparer à entrer dans le XXIe siècle doivent tenir compte de l’attachement extraordinaire qu’ils ont pour leur pays, du choix qu’ils ont fait de conserver leur costume, leurs traditions, ce qui peut être sauvé de leur économie…, pour le reste nous devons être attentifs à ne pas proposer des concepts vides, des illusions mortelles, des projets sans réalisme… et surtout il ne faut pas mettre les Touareg en cage, les parquer dans des réserves, les contraindre aux H.L.M.
Sans doute ne sera-t-il bientôt plus possible de vivre sans être relié à quelque ordinateur dont le terminal décidera souverainement de tout sans tenir compte le moins du monde de nos désirs…, entre les planifications normatives et la belle liberté farouche des Touareg…, y a-t-il place pour autre chose ? On le souhaite sans en être sûr…, aussi faut-il reconnaître que les efforts réalisés pour les instruire sont la première arme qu’on leur donne pour juger par eux-mêmes. Quant aux terribles sécheresses, elles font également intervenir un facteur nouveau, celui de la survie des tribus…, le monde étant ce qu’il est, il faut bien se plier à ses nécessités et l’une d’elles est l’ensemble des lois de l’échange, or les Touareg ont peu à offrir et on ne saurait les réduire au rang d’éternels assistés.
Ils ont certes une sainte horreur du travail, non par paresse, sans doute, mais parce que dans leur déontologie le travail avilit…, toutefois on en a vu se livrer à des tâches manuelles et apprécier l’argent qu’ils en obtenaient en échange…, cependant il semble que les centres de culture ne soient pas extensibles à volonté et en tout cas à la mesure des besoins locaux. Le tourisme non plus n’est pas la panacée et selon par qui il est pratiqué, il peut même se révéler franchement nocif. Parvenu à ce point je pose tous les termes de la contradiction dans laquelle les hommes bleus se débattent.
Mon cœur est serré devant ma propre impuissance et je dois avouer qu’une fois encore les conseilleurs ne sont pas les payeurs, car c’est le jeu terrible du destin des sociétés qui apparaît entre les fibres usées des tribus touareg… et c’est sans doute pour cela que la sauvage beauté du pays où ils vivent est si bourdonnante d’indicibles messages.
Ce pays, et aussi les hommes et les femmes qui l’habitent, l’aiment et le chantent avec une fierté droite et dure comme le jaillissement figé des laves. Faut-il plaindre les derniers chevaliers des sables ? Faut-il crier à ces hommes, nos frères, que les sables cernant leur forteresse ne les protègent plus contre la dure nécessité d’évoluer, à moins d’accepter de disparaître ? Le pensent-ils ? C’est douteux…, ce qui apparaît aujourd’hui d’une façon éclatante c’est que la part de sang berbère dont les Touareg ont hérité, leur a joué un bien vilain tour, car c’est de lui que provient cette ivresse de l’indépendance rendue possible par la seule immensité de leur domaine…, mais dès qu’une menace se précise, le goût atavique pour l’anarchie prend automatiquement le dessus.
C’est comme si leur devise invisible et non inscrite, mais terriblement réelle, était “plutôt périr que s’unir”. Et dès la pénétration, que ce soit lors de l’avance de Foureau-Lamy ou au moment de la tentative de révolte de 1917, l’union est impossible…, une chronique bien connue, celle des Kel Dinnik du Niger, suggère le même phénomène. L’atomisation de la société touareg sera d’autant plus facile que leur économie perd ses bases une à une et que sa reconversion ne dépend plus de leur seule volonté et du respect international de leurs coutumes. En définitive et pour conclure, il ne faut pas croire aux miracles.
Au milieu de cent autres problèmes de même nature, celui des Touareg passe presque inaperçu…, ils ne sont d’ailleurs pas tous malheureux, il y a même des Touareg heureux…, mais dans les bruits de guerre et les odeurs de pétrole qui nous assaillent, on ne peut se résoudre à voir disparaître de cœur gai ces grands diables d’hommes qui firent trembler si souvent ceux qui avaient le courage de s’aventurer sur leurs terrains de chasse. L’occident a porté sur eux des jugements sévères et ineptes parce qu’ils accusèrent ce même occident colonisateur de vouloir les soumettre… et se défendirent souvent les armes à la main…, ont-ils déclaré la guerre aux USA, défié la perfide Albion ? Sont-ils jamais venus nous attaquer en France ?
Pourtant, en détruisant la Libye, en faisant sodomiser Kadhafi dans un assassinat trop calculé, Nikolas Sarkozy aux ordres du grand satan planétaire que sont devenus les Etats-Unis d’Amérique, a volontairement mis en marche une machine infernale… C’est pour cela que je vous suggère de regarder avec tout votre cœur, avec toute l’imagination dont votre esprit est capable…, les derniers descendants d’une race qui pendant plus de vingt siècles n’a jamais accepté de se dépouiller de ce qu’elle estimait être le suc même de sa fierté : la liberté. Demain la vorace machine de l’économie moderne aura eu raison de leur courage : notre civilisation a aussi ses cancers, puisse le cœur en triompher. Le soleil est maintenant couché…, le feu du campement s’éteint…, le rêve sous la grande nuit s’étend jusqu’à la Croix du Sud…, il sera temps demain de retourner à ce qui reste de la montagne…
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