“Uchronie” est un néologisme formé par le philosophe Charles RENOUVIER en 1857 et illustré dans son livre de 1876 : “Uchronie, l’utopie dans l’Histoire“.
Le mot est forgé sur le modèle d’utopie, pour désigner l’histoire recommencée, celle qui s’exprime en général par “Et si … ?“. Mais, l’uchronie existait avant qu’on ne lui donne un nom, puisqu’en 1836 Louis GEOFFROY avait écrit un livre intitulé “Napoléon apocryphe”, dans lequel il imaginait que Napoléon n’avait pas été défait en Russie et qu’il finissait par instaurer la monarchie universelle. Avec la SF (science-fiction), le concept est passé du domaine philosophique et politique à celui de la fiction romanesque. En conséquence, la proposition d’Histoire alternative, prend pour point de départ un nœud de l’histoire, aussi désigné sous les termes “d’événement fondateur ou de date de divergence”. Autrement dit, si l’Histoire est une tentative de créer un modèle cohérent et explicatif des actions des humains de génération en génération, l’uchronie consiste à élaborer un scénario complexe dans un univers complet, sans lien avec un autre, où les valeurs et les comportements sont inventés ou extrapolés à partir d’une analyse historiquement plausible de la date de divergence et de ses conséquences.
Avec l’uchronie, l’Histoire est à refaire à partir d’un événement fondateur, explicite ou implicite, qui constitue le point de départ de l’altération.
Dans le “Science-fictionnaire“, Stan BARETS affirme : “L’Histoire est le fruit du hasard selon la science-fiction, qui, pour cette occasion, nie le déterminisme et accumule à plaisir les suppositions”. Pour Stéphane NICOT et Eric VIAL, ce n’est pas si simple puisque “les événements susceptibles de changer l’Histoire ne sont finalement pas aussi nombreux qu’on pourrait croire !“… Quant à Denis GUIOT, il se place dans une perspective historiographique en remarquant que l’uchronie est aux antipodes du temps historique long, celui de Fernand BRAUDEL ou Karl MARX, puisque qu’elle respecte le modèle historique traditionnel reposant sur l’événementiel et les hommes providentiels. Sans entrer en profondeur dans ce débat, force est de constater que l’uchronie fait fréquemment de l’accident historique, son point de départ. La remarque de Jacques BOIREAU conforte ce constat : “Le point de départ de l’uchronie est forcément pauvre. Il repose sur un temps connu de l’élève moyen en fin de scolarité primaire et lui ajoute une dimension qu’il ne faut pas écarter : le bagage historique du lecteur“…
Il existe de nombreuses façons de classer les uchronies. Eric B. HENRIET distingue les uchronies pures et impures. Dans le premier cas, le récit se déroule dans une Terre à l’Histoire altérée sans aucune relation avec un autre monde, pour ses habitants, il n’existe qu’une seule Histoire. Dans le second cas, l’Histoire a été transformée par l’intrusion d’un élément issu d’un autre monde, le voyage dans le temps peut être le vecteur d’une uchronie. Par exemple, dans le roman “De peur que les ténèbres” de Lyon Sprague De CAMP, le voyageur projeté dans le passé par un coup de foudre, déploie de grands efforts pour changer le cours de l’Histoire. Ainsi, on parle d’uchronie impure car la reconstruction historique passe au second plan. L’enjeu est ailleurs : créer des paradoxes, s’affronter dans le temps puisque si l’on peut modifier volontairement l’Histoire, on peut modifier la modification (les récits de police temporelle découlent de là), broder un récit sur le concept de mondes parallèles.
Ces dernières années, les récits se déroulant sur une Terre dont l’Histoire a divergé se sont multipliés. Utilisant les effets de la fantasy, notamment à l’occasion la magie, empruntant des ingrédients à la mythologie ou faisant intervenir des personnages historiques réels et issus de la littérature populaire, ils s’écartent de l’uchronie pure puisque étant davantage intéressés par le côté picaresque et le “sense of wonder”. De plus, on constate un mélange de l’uchronie avec de nombreux autres genres donnant naissance à des romans policiers uchroniques, des thrillers ou des westerns uchroniques, toutes les déclinaisons semblant possibles. A ce titre, le courant “steampunk” issu du “cyberpunk” partage avec l’uchronie un goût pour l’Histoire alternative indéniable. Néanmoins, les enjeux sont totalement différents. Pour reprendre la formule de Daniel RICHE : “le steampunk s’efforce d’imaginer jusqu’à quel point le passé aurait pu être différent si le futur était arrivé plus tôt.” Citons, pour l’exemple, les romans retro-futuristes sous influence “Vernienne” plutôt réussis d’auteurs français comme Johan HELIOT. En d’autres termes, le “steampunk” est davantage une rétro-anticipation qu’une tentative d’élaboration d’un univers plausible extrapolée à partir d’une analyse historique. Ceci ne l’empêche pas d’être à l’origine de romans très distrayants.
Bibliothèque Idéale de l’Uchronie
« Roma Aeterna » de Robert SILVERBERG
Date de la divergence : 1270 avant J.-C.
L’histoire : Les Hébreux sont restés en Egypte et le christianisme n’est pas apparu. L’Empire romain a perduré, écarté le péril barbare et s’est étendu. Malgré de nombreuses périodes de décadence, il reste en ce XXème siècle, la plus importante puissance du monde.
Commentaire : Ce livre n’est pas un roman mais un cycle de nouvelles dressant le portrait d’un Empire romain dominant, ayant étendu la Pax romana, jusqu’aux frontières de l’Inde et de la Chine. Robert SILVERBERG, par touches successives, nous décrit différentes époques de cet Empire.
« La porte des mondes » de Robert SILVERBERG
Date de la divergence : 1347
L’histoire : La peste noire a tué les trois-quarts [au lieu du quart en réalité] des Européens. Les Turcs ont envahi sans grande difficulté tout le continent dont les habitants n’ont pas fait les grandes découvertes et les conquêtes coloniales qui en découlent. En conséquence, l’Amérique et l’Afrique ont pu se développer à leur rythme. Dan Beauchamp, citoyen anglais de New Istambul [Londres ] part faire fortune aux Hespérides [les deux Amériques]. Chemin faisant, il découvre l’Empire aztèque du XXème siècle.
Commentaire : Ce roman n’est pas un « grand » texte de SILVERBERG mais il constitue un exemple pertinent d’uchronie. Il a donné lieu à un recueil, se situant dans la même histoire altérée, intitulé Beyond the gate of Worlds. Celui-ci se compose de trois nouvelles écrites par Chelsea Quinn YARBRO, John BRUNNER et SILVERBERG lui-même. Cette dernière nouvelle a été traduite sous le titre Tombouctou, à l’heure du lion et elle est parue dans le recueil Le nez de Cléopâtre. Il y est question de la succession difficile de l’émir du Songhaï, source de bien des convoitises.
« Les chroniques des années noires » de Kim S. ROBINSON [“The years of rice and salt“]
Date de la divergence : 1347
L’histoire : Même point de départ que pour La porte des mondes avec une différence notable : la peste a tué 90% des Européens faisant complètement disparaître leur civilisation. Le monde est donc dominé par l’Islam et la Chine.
Commentaire : En dehors d’un titre massacré par la traduction, le récit de KSR se détache de celui de SILVERBERG sur deux points. Nous suivons l’évolution personnelle de plusieurs personnages identifiés par leurs initiales qui se réincarnent à différents moments de l’Histoire de cette Terre alternative. Ainsi, KSR se place dans la perspective du temps long de l’Histoire démontrant que l’absence de l’Europe n’empêche pas les grandes découvertes de se faire et la révolution industrielle de se produire [en Inde avec l’aide de la diaspora japonaise]. Il montre également qu’en l’absence de l’Europe, le monde n’est pas forcément meilleur. Un roman incontournable de l’uchronie.
« Les conjurés de Florence » de Paul J. McAULEY [“Pasquale’s angel “, 1994]
Date de la divergence : 1500
L’histoire : Léonard DE VINCI a abandonné la peinture pour donner vie à ses inventions. Il déclenche ainsi dans l’Italie de la Renaissance une révolution industrielle anticipée. C’est dans ce cadre que le peintre Raphaël est assassiné mystérieusement. Intrigues, rivalités avec l’Espagne, complot des disciples de Savonarole, l’affaire se corse pour Pasquale, jeune apprenti peintre qui mène l’enquête au côté de Machiavel qui joue au Sherlock Holmes
Commentaire : Ce roman est un exemple de mélange des genres, ici l’intrigue policière et l’uchronie.
« Ariosto Furioso” de Chelsea Quinn YARBRO [“Ariosto Furioso”, 1980]
Date de la divergence : vers 1533
L’histoire : Laurent de Médicis n’est pas mort en 1492 et il a réalisé l’unité de l’Italie en 1515. En 1533, à Florence, Lodovico Ariosto est conseiller auprès de Damien de Médicis dans une Italie fédérée, l’Italia Federata. Poète à ses moments perdus, il écrit une fantasia se passant dans une Amérique fantasmée.
Commentaire : “Ariosto Furioso”, sous-titré “Roman pour une Renaissance alternative”, est un roman envoûtant. Le récit alterne les va-et-vient entre la Realta, c’est-à-dire cette Italie uchronique et la fantasia, cette terre magique imaginée par Lodovico. Livre dans le livre à l’instar de Le maître du Haut château, Ariosto Furioso mêle les deux récits qui finissent par interagir jusqu’à un dénouement, certes fermé, mais d’une grande intensité dramatique.
« Pavane » de Keith ROBERTS
Date de la divergence : 1588
L’histoire : Elisabeth Ière meurt des suites des blessures infligées par un assassin. La guerre civile entre catholiques et protestants s’intensifie et l’Angleterre ne peut faire face à l’invasion de l’invincible armada. En France, les partisans des Guises déposent les Valois. L’Eglise catholique triomphe. Bien des années plus tard en 1968 [! ] dans une société féodale, où on circule en locomotive à vapeur sur des routes pavées, où on communique par sémaphores, où les prêtres pratiquent l’exorcisme et le pape met son veto à certains progrès considérés comme hérétiques, des révolutionnaires complotent dans l’ombre afin d’abattre le pouvoir absolu de l’Eglise.
Commentaire : Fix up de quatre nouvelles, ce roman est un classique de l’uchronie. Roberts bâtit son Histoire alternative en s’inspirant de la thèse de Max Weber qui affirme que la pensée protestante et son éthique ont joué un grand rôle dans le développement du capitalisme et de la révolution industrielle. En son absence donc, le progrès aurait été très ralenti. L’uchronie de Roberts est aussi qualifiée de pessimiste car elle ne considère pas que le monde réel est le meilleur qui soit. L’auteur semble préférer des siècles d’obscurantisme et de répression et cela ressort dans le roman : « L’Eglise savait que l’on n’arrête pas le progrès ; mais on peut le ralentir, le retarder, ne serait-ce que d’un demi-siècle, pour donner à l’Homme le temps de s’élever un peu vers la vraie raison […] Elle a pendu et brûlé ? Oui, un peu. Mais, il n’y eut pas de Belsen, pas de Buchenwald. Pas de Passchendaele. »
« Nova Africa » de Terry BISSON [“Fire on the mountain”, 1988]
Date de la divergence : 1859
L’histoire : 1959, l’humanité se prépare à poser le pied sur Mars et le premier homme est noir. Dans une Amérique qui semble se convertir au socialisme, nous apprenons que la guerre de Sécession déclenchée par le raid de John Brown en 1859, n’a pas abouti tout à fait au même résultat.
Commentaire : Cette uchronie, en forme d’utopie, présente une version originale du “rêve américain”.
« La machine à différences » de William GIBSON et Bruce STERLING [“The difference engine”, 1991]
Date de la divergence : 1855
L’histoire : Suite à l’échec du coup d’Etat des forces réactionnaires, Lord Byron prend le pouvoir et impose des mesures radicales. Grâce à la machine de Charles Baddage, l’Angleterre connaît un essor industriel et technique sans précédent. Mais Londres est en proie au chômage technologique et à la pollution. Edward « leviathan » Mallory de retour d’Amérique, où règne la guerre, se voit remettre par lady Ada un paquet de cartes mécanographiques. Dès lors, sa vie est en danger.
Commentaire : Cette œuvre rattachée au courant steampunk est pourtant une pure uchronie. On y trouve un événement fondateur à partir duquel l’Histoire diverge. Il est à noter que ce roman a suscité un regain d’intérêt pour la fameuse machine de Baddage. Il existe des scénarios uchroniques s’inscrivant dans l’univers de « La machine à différences » et des aides à la lecture du roman de GIBSON et STERLING.
« Autant en emporte le temps » de Ward MOORE [“Bring the jubilee”, 1955]
Date de la divergence : 1863
L’histoire : Les confédérés ont remporté la guerre de Sécession. En 1963, le Sud esclavagiste et prospère domine le Nord qui végète. Un gamin essaie de survivre. Ses pas le conduiront jusqu’à une machine à voyager dans le temps qui l’emmènera à la bataille de Gettysburg.
Commentaire : Ce roman est un classique qui reste agréable à lire. Roman d’éducation et description d’une Histoire alternative, le propos de l’auteur est également antiraciste. Eh oui, en 1955, il y avait encore du boulot pour faire progresser les droits civiques aux Etats-Unis.
« Les lanciers de Peshawar » de Stephen Michael STIRLING [“The Peshawar lancers”, 2002]
Date de la divergence : 1878
L’histoire : Une pluie de comètes dévaste l’hémisphère Nord. Délaissant l’Europe qui sombre dans la barbarie, aristocrates et élites anglais migrent vers l’Empire des Indes et les autres colonies du Sud. En 2025, la culture anglo-indienne issue de ce mélange doit faire face à une menace terrifiante originaire de Russie.
Commentaire : Récemment paru au Fleuve noir, ce roman mêle à une situation uchronique à des ingrédients empruntés à la fantasy.
« Rêve de fer » de Norman SPINRAD [“The iron dream”, 1972]
Date de la divergence : 1918
L’histoire : “Né en Autriche en 1889, Adolf HITLER émigra en Allemagne puis, en 1919, aux États-Unis. Illustrateur de talent, il collabora au magazine Amazing Stories où il se fit remarquer par ses couvertures toniques et colorées. Passant à l’écriture, il est devenu l’un des maîtres de l’âge d’or de la S-F”. Ainsi est introduit son roman d’heroic fantasy, “Le seigneur du svastika”, qui raconte les aventures violentes et guerrières de Feric Jaggar, une espèce de Conan aryen luttant dans un monde post-atomique pour maintenir la pureté de sa race.
Commentaire : Ce texte provoquant à souhait ne laisse planer aucun doute quant à l’antinazisme de SPINRAD qui déclare d’ailleurs : «”Nous avons la chance qu’un monstre comme Feric Jaggar demeure à jamais enfermé dans les pages de la science-fiction, rêve enfiévré d’un écrivain névrosé comme Adolf Hitler”. Il constitue également une critique féroce d’une certaine fantasy trop complaisante avec la violence et la loi du plus fort. Néanmoins, tout l’intérêt de ce texte réside à la lumière de la postface, car autant le dire tout de suite “Le seigneur du svastika” d’Adolf HITLER est amusant au début mais très vite lassant.
« La séparation » de Christopher PRIEST [“The Separation“, 2005]
Date de la divergence : 1941-1945
L’histoire : En 1999, un auteur d’ouvrages historiques du nom de Stuart Gratton s’intéresse à un obscur passage des mémoires de Winston Churchill, où ce dernier fait référence à un aviateur nommé J.L. Sawyer, qui semble avoir été durant la guerre un pilote de la RAF et un objecteur de conscience. Angela, une femme affirmant être la fille de Sawyer, lui confie les mémoires manuscrits de son père… mais Gratton s’avère par la suite incapable de retrouver la trace d’Angela, dont l’adresse se révèle être celle d’une laverie automatique. L’affaire se complique encore davantage par la suite…
Commentaire : Attendu avec impatience, la première uchronie de Christopher PRIEST ne saurait s’en tenir à une simple uchronie. C’est aussi pour l’auteur le lieu idéal d’une variation sur ses thèmes favoris autour de Joe et Jack SAWYER : le double, les réalités parallèles, le doute, la géméllité…
« Fatherland » de Robert HARRIS, aussi intitulé “Le sous-marin noir” [“Fatherland”, 1992]
Date de la divergence : 1945
L’histoire : 1964. La paix nazie règne sur l’Europe depuis la victoire de l’Allemagne. Seule l’Amérique refuse de plier mais le président Kennedy s’apprête à venir signer un traité d’alliance avec le Reich. L’inspecteur March doit enquêter sur des crimes touchant d’anciens dignitaires S.S. dans lesquels la Gestapo semble impliquée. Quel secret se cache derrière ces meurtres ?
Commentaire : Ce récit policier uchronique a été interdit pendant un temps en Allemagne. Il est vrai qu’il pousse très loin la reconstruction historique sur un sujet sensible outre-Rhin [amateur de grade de l’armée allemande, vous vous régalerez]. Grande réussite et best seller, “Fatherland” a été adapté au cinéma en 1994 sous le titre “Le crépuscules des aigles”.
« Le maître du haut château » de Philip K. DICK [“The man in the High Castle”, 1962, prix Hugo]
Date de la divergence : 1947
L’histoire : L’Axe a gagné la deuxième guerre mondiale en 1947. Les Etats-Unis sont partagés entre les vainqueurs : l’Est à l’Allemagne et l’Ouest au Japon ; une zone tampon séparant les deux territoires. Mais, sous le manteau circule un intriguant ouvrage, intitulé La sauterelle pèse lourd, dans lequel l’auteur Hawthorne Abendsen décrit un monde où se sont les alliés qui ont gagné la guerre en 1945.
Commentaire : Rien n’est jamais simple avec Philip K. DICK. Les lecteurs qui ne s’attendent qu’à une uchronie autour de la seconde guerre mondiale doivent être averti. C’est bien plus compliqué que cela… Au départ, DICK souhaitait écrire une histoire parallèle inspirée de « Autant en emporte le temps » de Ward MOORE [cf. plus haut], mais avec pour point de départ la victoire de l’Axe. Il s’est d’ailleurs fortement documenté sur les nazis. L’affaire se pimente lorsque l’on sait que pour bâtir l’intrigue, DICK s’est servi du Yi-king, ou livre des transformations. Le résultat n’a pas été à la hauteur de son attente puisqu’il a estimé être insatisfait du dénouement, accusant le Yi-king d’être un « un esprit malveillant » et envisageant un temps d’écrire une suite à son roman [ seuls deux chapitres ont été rédigés ]. Néanmoins, « Le maître du Haut-Château » est une habile mise en abyme d’uchronie, puisqu’elle est une uchronie qui en contient une autre ! La fin ouverte et le procédé de la multifocalisation s’inscrivent totalement dans la thématique dickienne. On reproche souvent à ce roman son immobilisme. Pourtant, le moindre des actes des personnages affecte leurs semblables d’une manière ou d’une autre.
« Le dernier dimanche de Monsieur le chancelier Hitler » de Jean-Pierre ANDREVON
Date de la divergence : 1945
L’histoire : Hitler a trouvé refuge aux Etats-Unis avant que les soviétiques ne le capturent. En 1949, il se meurt, atteint de la maladie de Parkinson lorsqu’il apprend à la radio que les Etats-Unis ont lancé la bombe atomique sur Moscou.
Commentaire : Le quotidien uchronique de l’ex-chancelier de Reich.
« Voyage » de Stephen BAXTER [“Voyage”, 1996]
Date de la divergence : 1963
L’histoire : Kennedy a survécu à l’attentat de Dallas. Poursuivant son ambition de conquête spatiale, il dote la NASA des moyens de poursuivre le programme spatial jusqu’à l’exploration de Mars.
Commentaire : Chez BAXTER, l’uchronie est un moyen de prouver que le programme spatial de son Histoire alternée est moins coûteux et ambitieux que celui qui a abouti à la navette spatiale. Il a écrit aussi une nouvelle, “Lune six”, portant sur l’astronautique alternée parue dans le n°56 de la revue Phoenix.
« Pages perdues » de Paul Di FILIPPO [“Lost pages”]
Dates de divergence : variées et personnelles.
L’histoire : Et si des auteurs très connus n’avait pas eu la vie qu’on leur connaît. Anne FRANK, Franz KAFKA, Philip K. DICK, Theodore STURGEON.
Commentaires : C’est l’occasion pour Di FILIPPO de nous livrer quelques pastiches décalés dont il a le secret.
Que retenir de ces textes ?
Tout simplement le fait qu’une uchronie est un récit basé sur la question “et si ?” et donc sur une alternative historique. Et si Napoléon avait gagné à Waterloo, et si César n’avait pas été assassiné, et si… Le champ des possibilités est immense et l’explorer est un véritable délice ! Un plaisir dont je vous fait partager ci-après le fruit.
Uchronie de la non-chute de l’Empire Romain.
Le point premier point de divergence de cette uchronie se situe en 212, sous le règne de l’Empereur que nous connaissons sous le nom de Caracalla.
Historiquement cet empereur a, pour des raisons principalement fiscales, accordé la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire. Dans cette uchronie l’Edit de 212 n’a pas été pris, ce qui conserve à l’armée sa fonction essentielle de tremplin vers la citoyenneté pour les soldats servant dans les unités auxiliaires. De même cela maintient l’importance de la vie politique à l’échelon local, les plus hautes magistratures municipales procurant elles aussi la citoyenneté romaine. 253 après notre ère, sous le règne de Gallien… Je ne sais pas encore jusqu’à quelle date continuera ce récit, même si les grandes lignes y sont tracées jusqu’à l’époque de Julien II, connu sous le surnom d’apostat.
Un trône incertain (244-271)
Lorsque, en 14 de notre ère, Auguste décéda il laissa à son successeur Tibère un empire solide possédant de puissantes défenses naturelles, et une armée forte d’une vingtaine de légions prêtes à repousser les barbares. Durant près de deux siècles l’Empire connut paix et prospérité, malgré l’assassinat de plusieurs empereurs. Les barbares représentaient bien sur une menace permanente mais pour la plupart des habitants de l’Empire ils n’étaient qu’une menace lointaine. Les Empereurs tels Marc-Aurèle savaient les tenir en échecs, voir même les écraser comme l’avait fait le grand Trajan avec les Daces en 106 et avec les Parthes en 116. Bien sur certains empereurs avaient été particulièrement mauvais durant cette période : Néron, Commode et Caracalla en étant les meilleurs exemples, mais globalement l’Empire n’avait pas vraiment souffert de la folie de certains de ses maitres, l’économie fut longtemps prospère, mais à partir des alentours de 215 la situation changea progressivement. Le pouvoir connu alors une période de décadence et d’instabilité malgré quelques épisodes moins troublés comme le règne d’Alexandre Sévère (222-235).
En 238 ce ne sont pas moins de 6 Empereurs qui règnent sur des portions de l’Empire et se font la guerre : l’Afrique est ravagée, de même que la région d’Aquilée au moment même où la Germanie et la Dacie sont en révolte. Finalement Gordien III parvient à rétablir l’ordre en Italie, rassemble son armée et part vers l’Orient où les Perses s’agitent, pacifiant la Dacie au passage. Il devait régner 5 ans avant de mourir suite à une blessure acquise au combat. Immédiatement le préfet du prétoire Marcus Julius Philippus, que les générations futures devaient appeler “Philippe l’Arabe”, prit sa succession.
En 244 Philippe l’Arabe était devenu Empereur. Sa situation n’était pas brillante : acclamé par l’armée mais pas encore confirmé par le Sénat, il était en guerre avec les Perses dirigés par Shappur 1er. La première préoccupation de Philippe fut donc de signer un traité de paix avec ses ennemis, un traité qui devait être signé vite oui mais sans perdre la face… Ce qu’il parvint à faire puisque Shappur accepta d’abandonner tous les territoires conquis par les romains en échange de 500.000 pièces d’or et de la liberté d’agir à sa guise en Arménie.
Philippe leva alors le camp pour se rendre à Antioche, ville florissante d’où il se fit confirmer par le Sénat, en profitant pour réorganiser complètement l’armée d’orient avant de finalement se mettre en route pour Rome, allant écraser les Carpes, tribu danubienne entrée en guerre contre Rome. Cependant son règne était loin de plaire à tout le monde et bientôt éclatèrent des rebellions, principalement en Orient, en raison de la lourdeur de la fiscalité imposée par son frère, à qui il avait confié la gestion. Gaius Messius Quintus Trajanus Decius, alors Praefectus Urbis, fut envoyé pour écraser ces rebellions mais ses armées le proclamèrent Empereur. C’est contraint et forcé que Philippe dût alors lever une armée pour l’affronter, ce qui se fit à Vérone en 249. Philippe fut défait et perdit la vie tandis que Dèce accédait au trône, immédiatement contraint de partir pour la Dacie envahie par les Goths qui avaient profité de l’affaiblissement des frontières causé par la guerre civile. Tout en faisant campagne contre eux il prit une série de dispositions législatives obligeant tous les citoyens de l’Empire à sacrifier aux dieux pour la sauvegarde de l’Empire, sous peine de mort. Les juifs et les chrétiens refusèrent immédiatement, et une série de persécutions à leur égard commença.
Cependant en 251 Dèce perdit à son tour la vie dans les combats contre les Goths. La succession fut indécise jusqu’en 253, lorsque Valérien et son fils Gallien accédèrent au trône. Sous leur règne l’Empire parvint à stabiliser ses frontières mais les Perses s’agitant une nouvelle expédition fut nécessaire en 259. Valérien partit seul, laissant à son fils le soin de gérer la partie occidentale de l’Empire, au moment même où les barbares attaquaient l’Empire sur le Rhin et le Danube. Ce qui n’était pas prévu était la capture de Valérien par les Parthes et son décès en 260.
Les empereurs guerriers (271-284)
Pour donner suite à l’annonce de la capture de Valérien par les Parthes et de son décès une série de révoltes éclata, la plus sérieuse étant celle menée par Ingenuus. Gallien décida de se concentrer sur la partie centrale de l’Empire, laissant à l’usurpateur Postumus la gestion (et surtout la défense) de la Gaule et à Septimius Odenaethus le soin de pacifier l’Orient avec le titre de Dux. Cela lui laissa le temps d’effectuer de profondes réformes destinées à stabiliser l’Empire et à professionnaliser l’armée. Une des principales mesures prise par Gallien fut la décision de retirer au sénateurs le commandement des armées, qu’il attribua aux chevaliers avec l’espoir que ceux-ci se révolteraient moins souvent contre l’Empereur.
En 265 Postumus viola la trêve tacite qui existait entre les deux hommes en essayant d’envahir l’Italie. La guerre dura 3 ans et se conclut par une bataille entre les deux hommes dans la région d’Augustodunum (Autun) et fut une victoire totale pour Gallien qui épargna cependant les soldats de son ennemi pour ne pas trop affaiblir la frontière nord où le dernier assaut massif des barbares ne datait que de 262. Il décida même de lancer une expédition au-delà du Rhin pour essayer de créer un no man’s land entre la frontière et les barbares pour donner un peu de répits au Limes.
Au même moment les Alamans commencèrent à envahir le nord de l’Italie. Trop occupé par les dernières opérations de la guerre contre Postumus Gallien envoya son maître de cavalerie Marcus Aurelius Claudius affronter l’ennemi. La difficile bataille du lac de Gardes fut une victoire romaine. Mais il n’y avait pas le temps de se réjouir, les Goths ayant envahi les Balkans et pillé Athènes ainsi que plusieurs autres cités. Les Goths avaient également construit une flotte avec laquelle ils avaient entrepris de menacer les échanges commerciaux et les villes de toute l’Egée. Claudius reçu donc l’ordre de les écraser. Claudius remporta une importante victoire sur le Nestus qu’il fit suivre d’une série de victoires de moindres importances qui lui permirent de récupérer tout le butin emporté par les barbares. Marcus Aurelius Claudius acquis alors son titre de Gothicus, qui ne devait plus le quitter.
Croyant que l’Empereur et son maitre de cavalerie étaient trop occupés par leurs luttes contre les barbares Aureolus, commandant d’une unité de cavalerie basée à Mediolanum (Milan) se révolta fin 268. Ses informations étaient cependant mauvaises car l’Empereur revenait justement de Germanie à ce moment-là , ayant réorganisé la défense du Rhin. Il écrasa donc la rébellion d’Aureolus avant qu’elle n’aie le temps de se répandre, et tua le traitre au moment où ce dernier cherchait à se réfugier dans la ville de Mediolanum. Il dut ensuite faire face à une armée composée de Vandales et de Juthunges qu’il finit par écraser à Pavie en 271.
Immédiatement après une nouvelle campagne dut être lancée, en orient cette fois, contre la reine de Palmyre Zénobie. Gallien, qui devient âgé, décide d’envoyer à nouveau son loyal maitre de cavalerie Claude le Gothique. Après 2 ans de campagne Claude finit en 273 par capturer Zénobie. Gallien décide alors d’adopter Claude et d’en faire son héritier.
En 274, après 21 ans de règne, l’Empereur Gallien s’éteint dans son sommeil. La transition du pouvoir entre le défunt Gallien et Claude II se déroula sans révoltes notables. L’efficacité de Claude durant les campagnes contre les Goth et Zénobie avait assis sa réputation de guerrier, et les réformes entreprises par Gallien avaient stabilisé l’armée. Immédiatement après son accession au trône Claude II associa son frère Marcus Aurelius Claudius Quintillus à son pouvoir en faisant de lui son successeur et en le nommant à la tête des armées du Danube avec le titre de Dux. Par ailleurs il nomme à la fin de 275 le général Probus, qui s’était particulièrement illustré durant la campagne contre Zénobie, Dux Orientalis avec pour mission la défense de la frontière orientale de l’Empire et de ses intérêts dans la région, notamment en Arménie. Cette mesure avait été prise de manière à assurer les arrières de Claude II tandis que celui-ci se rendait en Gaule où une invasion massive de plusieurs dizaines de milliers de germains était en cours. Francs et Alamans furent cependant taillés en pièces alors qu’ils revenaient vers le Rhin, chargés de leur lourd butin. Les historiens ultérieurs évoquèrent le chiffre de 400.000 germains tués au cours de cette bataille et des jours qui suivirent. Ne leur laissant aucun répit Claude II franchit le Rhin et ravagea la région, massacrant tous les germains qu’il y trouva. Ces actions mettent la Gaule à l’abri pour quelques années. Il ordonne néanmoins qu’un important programme de fortification des villes soit réalisé pour les mettre à l’abri de futurs raids.
Au même moment en Orient le Dux Orientis Probus affronte les Blemmyes qui ravagent le sud de l’Egypte. En 279 l’armée du Danube, sous le commandement du Dux Danubiis Marcus Aurelius Claudius Quintillus, repousse les assauts des Vandales et des Burgondes en Rhétie, et ceux des Sarmates en Thrace. Mais le Dux est blessé au cours des combats et décède. Claude va alors adopter le Dux Orientis Probus, qu’il laisse en poste, et nommer le général Marcus Aurelius Carus Dux Danubii en remplacement de Claudius Quintillus.
Tous ces combats ont affaibli les armées de Gaule et du Danube. Claude II décide donc de recourir à la pratique de la colonisation républicaine en accordant des terres à des pauvres de Rome qui sont par ailleurs obligés de combattre avec l’armée. Par ailleurs les réformes de Gallien ont donné un nouveau souffle à l’économie qui rapporte suffisamment de taxes à l’Etat que pour permettre à Claude de baisser les impôts. Il mène par ailleurs une réforme monétaire pour encourager l’économie. La vigueur avec laquelle les frontières étaient défendues permettait en outre au marchands de recommencer à commercer à longue distance. Il autorise par ailleurs à nouveau la production de vin en grande quantités hors d’Italie, ce qui accélère la remise en état de la Gaule.
En 282 Claude II le Gothique décéda et fut remplacé sur le trône par son successeur désigné, Probus. Le nouvel Empereur, M. Aurelius Probus, était né à Sirmium en Pannonie, point clé du Limes danubien. Dès sa plus petite enfance il avait été environné de militaires, et l’armée avait été toute sa vie. Depuis 275 il avait été nommé Dux Orientis par Claude II et l’était resté jusqu’à son rappel à Rome par l’Empereur en 279. En 280 il avait été envoyé par Claude II négocier une paix avec Varham II de Perse, qui fut conclue en 281. Probus était donc sur le chemin du retour vers Rome quand Claude II décéda. Il rentra dans la capitale où il fut officiellement nommé Empereur par le Sénat. Il espérait avoir la paix pour quelques temps mais bientôt la nouvelle lui parvint que les Perses avaient rompus le traité et étaient en route vers Apamée. Immédiatement Probus partit pour l’Orient. Mais, alors qu’il passait par sa ville natale, il inspecta un détachement de légionnaires occupé à rénover une route. Mécontent de certains d’entre eux il ordonna qu’ils soient châtiés. Ceux-ci prirent le devant et l’attaquèrent. Le détachement de numerii (la garde rapprochée de l’Empereur constituée de 200 francs) et de prétoriens (la garde officielle de l’Empereur) les écrasa mais pas avant que Probus ne soit atteint d’un coup d’épée heureusement sans gravité.
Cependant, choqué par les évènements, il décida de se nommer un successeur afin que la continuité du pouvoir soit assurée dans le cas où il lui arriverait malheur. Il adopta donc M. Aurelius Carus, qu’il avait récemment nommé préfet du prétoire, et le désigna comme étant son successeur. Il le charge le charge en outre de défendre la partie occidentale de l’Empire. Ensuite Probus reprit son chemin vers l’Orient et la guerre contre les Perses. Il arriva sur le front début avril, précédé par des messagers portant ses ordres pour la préparation de la campagne. Il avait pour cette guerre mobilisé toutes les légions d’Orient, la moitié de la légion égyptienne, et amené avec lui trois légions danubiennes représentant un quart des effectifs basés sur cette frontière. Au total, 14 légions d’infanterie régulière supportées par de nombreuses unités d’auxiliaires, et notamment des unités de cataphractes et de climbanarii, des unités de cavalerie lourdes particulièrement puissantes lorsque utilisées à bon escient.
En quelques mois les romains écrasèrent le gros des forces perses et capturèrent les villes majeures de la partie occidentale de l’empire perse, ceux-ci étant refoulés dans les montagnes d’Iran. Pour donner suite à cette écrasante victoire, Probus décida de récréer les provinces de Mésopotamie et d’Assyrie fondées par Trajan lors de sa campagne dans la région en 117. Immédiatement il commença à jeter les bases d’une implantation romaine permanente qui à l’est irait de la mer Caspienne au golfe persique et au nord s’arrêterait au pied des montagnes du Caucase. Mais pour établir cette nouvelle frontière il fallait encore soumettre (une nouvelle fois) le royaume d’Arménie. Cette fois-ci il serait définitivement annexé à l’Empire sous forme d’une province d’Arménie.
Le printemps et l’été 283 furent consacrés à cette tâche. Devant sa victoire, les Perses vinrent demander la paix. Elle leur fut accordée par le traité de Tigranocerta, qui reconnaissait la puissance romaine et le contrôle par l’Empire de l’Arménie et des terres à l’ouest des montagnes d’Iran. La nouvelle capitale perse fut installée sur le site de la vieille capitale Persepolis. Jamais cet empire ne devait se relever de ce traité, et il ne constitua plus jamais une menace pour l’Empire romain. Suite à cette éclatante victoire Probus décida de rentrer à Rome pour y célébrer son triomphe. Cependant en cours de route il tomba malade et décéda soudainement près d’Athènes.
Marcus Vervicius Supponis était originaire de Belgique première, étant né à Orolaunum (Arlon) en 1006 après la fondation de Rome (A.U.C.) d’un père légionnaire revenu sur la terre de ses ancêtres après une vie passée au service de Rome sur le Limes du Rhin. A la mort de son père Marcus s’était engagé à son tour dans la légion, pour 25 ans. Très tôt son unité avait été envoyée sur le Danube, et il était présentement basé près de Sirmium, importante ville de Pannonie inférieure située au milieu de l’Empire.
Marcus était de mauvaise humeur car son centurion, Sextus Cornelius Felix, un romain de Rome, l’avait puni et affecté aux travaux d’assainissement des marais proches de la ville. Tout ça parce qu’il était parti retrouver cette fille du vicus voisin… cette garce n’avait même pas voulu coucher avec lui, et avait tant et tant crié que les voisins étaient accourus et avaient envoyé un messager au camps… Bon, d’accord, il n’aurait pas dû quitter son poste de garde durant son service pour aller la voir, mais il avait envie d’elle, ça n’était pas un crime ? Et maintenant le centurion qui l’avait mis de corvée deux semaines, et lui avait promis une semaine de garde de nuit en plus, sans parler de la réduction de solde et, humiliation suprême, les coups de fouet qu’il avait reçu devant toute la centurie… Franchement, alors que les barbares n’avaient plus attaqué depuis des mois…
Tout en ruminant ces pensées il continuait de creuser avec sa bêche, façonnant des mottes de terre qu’il ôtait ensuite de manière à creuser un canal qui drainerait le marais. Il ne faisait pas chaud, vraiment pas chaud, mais le travail l’assoiffait. Il avait bien pris une gourde de vin, mais il l’avait déjà bue, et le soleil n’était pas encore au zénith. Soudain il entendit du bruit. Se retournant il vit un officier, vêtu de sa belle armure, entouré par ses numerii, de grands guerriers blonds barbares. Des germains, à n’en pas douter. Pas un qui ni fut plus petit que Marcus. Tous montaient de beaux chevaux. L’homme devait être un légat, un commandant de légion… Peut-être même le gouverneur de la province, se dit Marcus, voyant que l’escorte comprenait également quelques cavaliers légionnaires purement romains. Sans gêne, un peu saoul, il lança à l’officier “Officier, aurais-tu à boire pour un soldat travaillant pour le bien-être de l’Empire ?”. L’officier arrêta son cheval et toisa Marcus. “Quel est ton nom, soldat ?” lança-t-il dans un latin teinté de l’accent régional. “Marcus Vervicius Supponis, officier. Soldat de la IIème légion Adiutrix, centurie de Sextus Cornelius Felix, officier” répondit Marcus, commençant à prendre conscience de son impertinence. L’officier descendit de sa monture et s’approcha de Marcus. “Mais tu pue le vin ! Tu bois pendant le service ?” lança-t-il. Se retournant vers ses hommes, il lança : “Emparez-vous de cet homme !”. Deux germains s’emparèrent de Marcus avant que ce dernier n’ait eu le temps de faire un geste. Il fut prestement ligoté et mis sur un cheval de réserve de la troupe.
Le groupe se mit alors en route vers le camp de la légion. Là, l’Empereur Probus (car c’était lui l’officier) convoqua le légat de la légion. Celui-ci était à Sirmium lui répondit-on, en conférence avec le gouverneur. Probus ordonna qu’un messager le rappelle immédiatement au camp. En attendant, le centurion Cornelius Felix fut convoqué.
Le centurion arriva, et salua respectueusement l’Empereur. Celui-ci lui demanda alors pour qu’elle raison Vivicius Supponis avait été affecté aux travaux d’assainissement. “Lui César? Je l’ai puni pour avoir quitté son poste de garde de nuit pour aller essayer de coucher avec une fille du vicus, qui n’était pas consentante. ” ”Et il est toujours en vie ? C’est un crime grave ! C’est un cas de Fustuarium ! En ne le condamnant pas tu as toi-même commis une faute grave centurion ! Retire-toi, pendant que je réfléchis à une sentence appropriée”…
Le centurion retourna dans ses quartiers, où l’attendaient ces hommes. Le sort voulait que ce soit justement la centurie de Cornelius Felix qui soit de garde ce jour-là, la plupart des autres centuries étant en patrouille où occupées à diverses tâches. Les paroles de l’Empereur avaient effrayé le centurion, et il craignait que l’Empereur n’ordonne sa mise à mort. Il expliqua la situation à ses hommes, en disant qu’ils risquaient la décimation à cause du comportement de Marcus. Il leur dit qu’il n’y avait qu’une solution, tuer l’Empereur avant que le reste de ses numerii et de ses pretoriens n’arrive.
Silencieusement les hommes regagnèrent leur tente où ils revêtirent leur armure et sortirent leurs armes avant de se regrouper. Commandés par Cornelius Felix ils marchèrent vers le praetorium, le poste de commandement où l’Empereur s’était installé. Immédiatement les gardes de l’Empereur, une cinquantaine d’hommes, formèrent un carré et l’Empereur lui-même sortit du praetorium, l’arme à la main. Avant que les autres soldats de la légion présent au camps ne puissent réagir la centurie chargea la garde impériale. Le combat quoique bref fut particulièrement violent. Les mutins furent écrasés par les hommes d’élite formant la garde de l’Empereur, mais ce dernier fut tout de même blessé à la tête par un coup d’épée heureusement dévié par le casque. Néanmoins le choc avait fait perdre connaissance à Probus qui fut immédiatement porté dans le praetorium où le médecin de la légion vint l’examiner.
Ce n’est que le lendemain que Probus se réveilla, furieux de ce qui s’était passé. Le légat était arrivé et n’en menait pas large. Probus ordonna le rassemblement de l’unité tout entière. Le reste de la garde prétorienne et des numerii était arrivée pendant la nuit. Formant un cordon défensif devant la tribune construite pour l’occasion, les gardes impériaux faisaient face à la légion. Probus se lança dans un bref discours sur la discipline avant d’annoncer sa sentence. Les rares survivants de la centurie rebelle seraient mis à morts. Le reste de la légion serait décimée, une peine qui n’avait plus été pratiquée depuis longtemps, surtout à cette échelle.
Les hommes de chaque centurie tirèrent alors au sort ceux qui, parmi eux, mourraient avant la fin de la journée. Un homme sur dix fut ainsi tué, et toute l’unité forcée de camper hors des murs du camps. Après avoir assisté à l’exécution de la sentence, Probus se remit en route, en litière, afin de gagner au plus vite l’armée d’Orient qu’il espérait plus fidèle. En chemin, il devait décider d’adopter M. Aurelius Carus, son préfet du prétoire, et en faire son successeur désigné.
L’annonce de la mort de Probus éclata comme un coup de tonnerre dans l’Empire. A Rome tout d’abord le Sénat nomma M. Aurelius Carus Empereur, selon l’ordre de succession prévu par Probus. Dans le même temps C. Aurelius Dioclès Diocletianus fut proclamé empereur par les 3 légions danubiennes qui accompagnaient Probus sur le chemin du retour tandis qu’en Illyrie un certain Julianus que ses soldats avaient acclamé Empereur.
Face à cela Carus n’hésita pas une seule seconde. Recrutant une armée et faisant venir une légion de Gaule à marches forcées, il regroupe ses forces en Gaule Cisalpine. Pendant ce temps Julianus se prépare à marcher sur l’Italie afin de s’emparer de Rome. A Athènes Dioclétien décide lui aussi de prendre Rome, qu’il gagnera par voie terrestre afin d’éviter la flotte impériale, contrôlée par Carus.
Au printemps 284 les trois légions rassemblées par Carus rencontrent près de Sirnium la légion dirigée par Julianus, et l’écrasent au prix de lourdes pertes car deux des légions de Carus étaient inexpérimentées, à l’inverse de leurs adversaires vétérans du front danubien. C’est alors que Dioclétien frappe les forces de Carus. Les vétérans de la campagne d’Orient écrasent la légion gauloise et les deux autres unités se rendent immédiatement à Dioclétien. Carus lui meurt lors d’une ultime charge à la tête de ses numerii
La consolidation de l’Empire (284-305)
A l’issue de la seconde bataille de Sirmium l’Empire était donc entre les mains de Dioclétien. Cependant il lui fallut encore quelques mois pour que ses légats finissent de pacifier l’Empire. Un Empire que Dioclétien trouvait trop grand pour être géré par un seul homme. Il avait en effet constaté que les plus grands des précédents règnes avaient été ceux d’Empereurs pouvant compter sur des généraux fidèles permettant d’agir sur plusieurs fronts simultanément. Le plus gros problème était que ces généraux, même fidèles, étaient parfois obligés de se déclarer Empereurs, poussés par leurs armées.
La principale préoccupation de Dioclétien en ce début de règne fut donc de mettre en place un système de gestion de l’Empire permettant de gérer un territoire allant de l’atlantique au Tigre et à l’Euphrate, de l’Ecosse aux cataractes du Nil.
La récente conquête de la Mésopotamie, et les réorganisations de provinces qui y avaient été réalisées par l’Empereur Probus Parthicus suite à sa victoire, avaient donné des idées à Dioclétien qui commença donc par réorganiser l’Empire. Un certain nombre de provinces qui avaient été scindées en petites entités furent reconstituées, et globalement le nombre de province diminué. A la tête de ces provinces des sénateurs, ayant obligatoirement été prêteurs, assuraient la gestion quotidienne. Leurs fonctions étaient purement civiles, et ils disposaient pour faire règner l’ordre d’unités de vigiles, des forces de police n’appartenant pas au cadre de l’armée, constituées exclusivement d’affranchis.
Ces provinces seraient intégrées à des Préfectures, au nombre de 12 : Britannia, Belgica, Gallia, Hispania, Dalmatia, Dacia, Graecia, Asia Minor, Syria, Aegypta, Africa et Mesopotamia. Ces préfectures seraient des postes pro-consulaires destinés à permettre une intervention rapide à l’intérieur des frontières en cas de troubles civils : chaque Praefectus disposerait pour se faire d’une légion et de quelques troupes auxiliaires, en fonction de la taille de la préfecture ou de sa proximité avec l’une des grandes frontières.
La défense de ces dernières serait assurée par des Duces Limitanei : le Dux Africae, le Dux Mesopotamiae, le Dux Danubii et le Dux Rhenanii. Nommés par l’Empereur, issus de l’ordre équestre, ils disposaient chacun de trois légions et d’unités auxiliaires sous leurs ordres directs, avec le droit en cas de crise de faire appel aux préfets. L’Empereur pour sa part conservait en Italie une armée de 3 légions en plus de sa garde prétorienne et de ses numerii personnels. Au total cela faisait 30 légions dans l’Empire, soit un effectif de près de 180.000 hommes, auxquels venaient s’ajouter près 120.000 auxiliaires, pour un total de 300.000 hommes en armes sur une population totale de 10 à 12 millions d’habitants dans l’Empire.
Ce système permettait en théorie d’éviter qu’un Dux rebelle ne puisse vaincre l’Empereur, et surtout assurait une défense permanente des territoires même en cas de guerre civile : Rome pouvait se déchirer en querelles intestines, les barbares seraient maintenus hors de l’Empire. En plus ces légionnaires ne passaient pas tout leur temps dans les camps mais servaient également pour de grands projets d’aménagement comme l’entretien des routes ou l’assainissement des zones marécageuses. C’était également l’armée qui assurait la gestion des mines d’or de l’Empire.
Dioclétien devait régner 20 ans, sans apporter de véritables changements à sa politique. La période devait rester dans les mémoires comme une ère de paix, de stabilité et de prospérité, l’Empire n’ayant guère à affronter que des conflits mineurs au frontières.
A la fin de du règne de Dioclétien 4 grands généraux défendaient les frontières de l’Empire. Ces Duces étaient M. Aurelius Valerius Maximianus, Dux Africae, C. Galerius Valerius Maximianus, Dux Mesopotamiae, C. Flavius Valerius Constantius, Dux Danubii et Flavius Valerius Severus, Dux Galliae. Chacun avait acquis la une grande gloire au service de l’Empire, mais c’était Marcus Aurelius Valerius Maximianus, aussi connu sous le nom de Maximien Hercule, que l’Empereur avait désigné pour lui succéder. C’était aussi la raison pour laquelle il lui avait confié le poste de Dux Africae, l’Afrique possédant les frontières les plus calmes (malgré les raids berbères sortis du désert) et étant la plus proche de Rome puisqu’il suffisait d’une semaine de navigation depuis Carthage pour rejoindre la capitale. Faire de l’héritier du trône le Dux Africae était aussi naturel car depuis les débuts de l’Empire la province d’Afrique Proconsulaire était considérée comme une province d’exception, qui n’était autrefois attribuées qu’au plus glorieux des anciens consuls comme un couronnement de leur carrière.
Lorsque Dioclétien décéda en 305 les Duces Rhenanii et Danubii s’opposèrent cependant à l’accession au trône de Maximien Hercule, qui décida d’aller se faire couronner protégé par ses trois légions et la légion du préfet d’Afrique, ne laissant derrière lui que quelques unités de cavalerie auxiliaire à ses yeux amplement suffisantes pour assurer la défense du Limes. Embarquant à Carthage, il se rendit immédiatement à Neapolis (Naples) d’où il marcha sur Rome. Là les sénateurs l’acclamèrent Empereur, plus par peur que par conviction. Ralliant à lui les 3 légions impériales et la garde prétorienne (dont la loyauté avait été achetée avec de l’argent prêté par plusieurs sénateurs d’Afrique qui espéraient bien obtenir de fructueux postes une fois leur candidat monté sur le trône) il se porta immédiatement vers les armées de ses rivaux. Gaius Flavius Valerius Constantius, que l’on appele aussi Constance Chlore, était venu de la frontière Danubienne avec deux de ses légions et les légions des préfets de Dalmatia et de Dacia. Flavius Valerius Severus (Sévère) était lui descendu de Gaule avec une légion de la garnison du Limes et la légion du préfet de Gaulle, qu’il avait réquisitionnée à Lugdunum (Lyon). Constatant que ses forces étaient insuffisantes il avait décidé de se rallier à Constance Chlore qui disposait ainsi de 5 légions.
Maximien Hercule semblait donc avoir l’avantage, avec ses 7 légions augmentées de la garde prétorienne. Cependant les légions d’Italie pas plus que les légions d’Afrique n’avaient l’habitude des batailles rangées : en effet Dioclétien n’était plus sorti d’Italie depuis près d’une décénie, et les combats en Afrique étaient surtout des escarmouches de cavalerie. Les troupes de Gaule et du Danube en revanche étaient régulièrement confrontées à des raids barbares de plus ou moins grande importance, allant parfois jusqu’à des batailles réunissant 20 à 30.000 hommes sur le terrain.
Les deux armées se firent face pendant trois jours, trois jours durant lesquels Constance Chlore parvint à convaincre les légats des trois légions impériales d’abandonner la cause de Maximien Hercule mais sans toutefois parvenir à leur faire changer de camps. En revanche il n’avait pas assez d’or pour acheter la garde prétorienne. Lorsque, le 4ème jour, Maximien décida enfin d’engager la bataille, il eut la mauvaise surprise de constater que les trois légions impériales, qui occupaient un camp distinct de celui des légions d’Afrique, ne sortirent pas de leur camp. Néanmoins il décida d’engager le combat, certain de pouvoir écraser par son talent ses adversaires.
Ses 4 légions faisaient donc face à 5 légions appuyées par plusieurs unités auxiliaires, notamment des cataphractaires et des climbanarii venus des garnisons du Danube. Maximien Hercule manquait lui de cavalerie, ayant été forcé de laisser la sienne en Afrique. Pour se protéger il avait donc fait préparer des fossés garnis de piques le long de ses flancs, de manière à se protéger d’une charge de ces cavaliers porteur d’une lourde armure d’écaille qui couvrait aussi leurs montures.
Il avait déployé ses forces sur deux lignes, et conservé la garde prétorienne comme réserve en cas de coup dur. En face les 2 légions des Limes rhénans et danubien étaient en première ligne, les trois légions préfectorales formant une deuxième ligne et la cavalerie étant conservée comme réserve.
La bataille commença par un barrage d’artillerie partit de derrière la légion du Limes danubien. Les catapultes et les terribles balistes rapides montées sur charriots firent pas mal de dégâts dans les légions pas assez espacées de la première ligne de Maximien Hercule. Les soldats ne pouvaient s’écarter en raison des fossés, aussi essayèrent-ils de reculer car ils savaient bien qu’un trait de carrobalista pouvait embrocher plusieurs hommes, malgré leurs boucliers ! Maximien pesta car ses légions, étant parties dans l’urgence, n’avaient pas pu emporter leur artillerie. Il avait compté sur les légions impériales pour lui en fournir, mais leur défection l’en avait privé. En outre les artilleurs danubiens étaient considérés comme une unité d’élite depuis l’époque de Trajan. Car la Dacie était la seule province autrefois barbare a avoir disposé d’une importante force d’artillerie, formée par des ingénieurs romains, qui avaient donné bien des soucis à l’Empereur lors de sa conquête de la région, le roi Decebalus ayant érigé de nombreuses forteresses au tours garnies de scorpions que les petroboles romains avaient dû éliminer pour permettre à l’infanterie de les prendre d’assaut. Depuis les légions stationnées dans la région mettaient un point d’honneur à disposer des meilleurs artilleurs de l’Empire.
Après ce déluge de traits et d’amphores de poix enflammée les légions de Constance Chlore et de Sévère se précipitèrent à l’assaut de la première ligne ennemie. Une fois à portée les soldats lancèrent leurs javelots lourds avec l’espoir que ceux-ci se ficheraient dans les boucliers des hommes de Maximien Hercules, qui seraient obligés de s’en défaire. Les légions africaines, qui n’avaient pas encore retrouvé leur cohésion, répondirent maladroitement en envoyant leurs propres javelots mais il était déjà trop tard, les occidentaux étant déjà au contact. Grâce à l’élan donné par leur course ils bousculèrent les premiers rangs. Très vite ils parvinrent à couper la première ligne et à la rejeter dans les fossés. La seconde ligne de Maximien s’avança alors, mais ne pouvait lancer ses javelots de peur de blesser leurs camarades.
Alors que les deux légions de la réserve s’avançaient les trompettes des limitanei sonnèrent et ordonnèrent la retraite. Immédiatement les légionnaires cessèrent de presser leur attaque et entreprirent de se retirer en bon ordre afin de céder la place aux trois légions préfectorales, moins entrainées mais motivées par la victoire de leurs amis. Pendant ce temps la cavalerie, conduite par Sévère en personne, avait contourné les lignes ennemies pour se placer entre le champ de bataille et le camp de Maximien Hercule. Voyant cela ce dernier ordonna à son tour la retraite et entrepris d’ouvrir de le passage à la tête de la garde prétorienne.
Celle-ci fit honneur à sa réputation. Les prétoriens étaient des soldats d’élites, recrutés autant en fonction de leur taille qu’en fonction de leur intelligence et de leur expérience. D’ailleurs beaucoup étaient des descendants de barbares et faisaient près de 1m80. Sévère ordonna aux cataphractaires de charger, espérant que les longues lances de ces “cavaliers blindés” parviendraient à rompre la cohésion des prétoriens. En fait les chevaux ne galopaient pas, ils en auraient été incapable au vu du poids qu’ils portaient, mais trottaient suffisamment vite que pour faire une forte impression sur l’infanterie qui leur faisait face. Le plan de Sévère était de disloquer l’unité des prétoriens pour pouvoir l’attaquer avec les clibanarii, aussi protégés que les cataphractaires mais portant une lance plus petite et se battant plus à l’épée.
Tandis que Constance Chlore avançait avec ses légions, les cavaliers essayaient de briser la cohésion des prétoriens, sans succès. A certain moment Sévère fut jeté au sol par un légionnaire, et mourut piétiné par sa monture affolée. Les cavaliers, sachant qu’il n’était qu’un des généraux et que le second arrivait avec des troupes fraiches, ne fuirent pas et l’un d’entre eux parvint à pourfendre Maximien Hercule qui combattait à pied au milieu de ses hommes.
Sa chute fut le signal d’une fuite éperdue. La cavalerie de Sévère était trop lourdement harnachée que pour poursuivre l’ennemi en déroute, qui parvient à se retirer dans son camp. Les pertes africaines avaient été lourdes, près de 5.000 hommes, tandis que dans l’autre camps on ne comptait que 300 morts. Mais le plus important était que Constance Chlore était désormais le seul survivant.
Le soir même les légats des légions d’Afrique et d’Italie vinrent le trouver, accompagnés par le préfet de la garde prétorienne. Ensemble ils se prosternèrent : “Imperator, nous te reconnaissons comme notre Empereur”.
Deux jours plus tard, escorté par une unité de cavalerie auxiliaire, Constance Chlore arriva à Rome où le Sénat le nomma officiellement Empereur, avec bien plus d’entrain qu’il ne l’avait fait pour Maximien Hercule.
Les premiers constantiniens (305-355)
Les nouvelles arrivant d’Italie pour donner suite à la bataille ayant opposé les trois Duces convainquirent C. Galerius Valerius Maximinanus, Dux Mesopotamiae, de prêter serment de fidélité à Constance Chlore, Galère ayant compris qu’il avait raté l’occasion de prendre le pouvoir.
Le règne de Constance Chlore devait cependant être assez bref, une maladie l’emportant moins d’un an après son accession au trône. C’est son fils, Constantin Ier, qui lui succéda. Constantin avait alors 34 ans, et était un soldat expérimenté, vétéran de plusieurs campagnes en Britania contre les peuples du nord ainsi que d’un certain nombre d’opérations menées sur le front danubien où il avait servi en tant que légat d’une des légions de son père.
Ses talents militaires furent mis à l’épreuve lorsque les Francs et les Alamans unis aux Bructères, aux Chamaves, aux Chérusques et aux Tubantes, envahirent la Gaule en nombres si importants que le Dux Flavius Galerius Valerius Licinianus Licinius avait été contraint d’appeler l’Empereur. Cette campagne fut cependant relativement brève.
Revenu à Rome il eut à affronter en 212 une révolte dirigée par ce même Flavius Galerius Valerius Licinianus Licinius, devenu entre-temps Dux Africae. Les motifs de cette rébellion n’étaient pour une fois pas l’ambition personnelle mais une crise religieuse. Constantin avait en effet pris une série de mesures destinées à renforcer l’autorité impériale dans les provinces via, notamment, une relance du culte impérial. Cependant les chrétiens refusaient de se soumettre aux obligations de ce culte, et les communautés d’Egypte et d’Afrique avaient convaincu Licinius de représenter leurs intérêts auprès de l’Empereur. Certains disent même que Licinius s’était convertit au christianisme. Quoi qu’il en soit, les relations entre les deux hommes s’envenimèrent très rapidement au point que Licinius embarqua ses troupes à bord d’une imposante flotte rassemblée à Carthage et fit voile vers l’Italie. Constantin, prévenu à temps de ces préparatifs, avait de son côté fait venir en Italie deux légions (une gauloise et une danubienne) pour augmenter ses forces.
C’est près de Naples que Licinius débarqua. Il n’avait pas encore achevé d’organiser ses troupes que l’armée impériale apparut, moins de trois jours après le débarquement de Licinius. A leur tête, Constantin en personne, qui fit monter son camp sur le site de la ville disparue de Pompei.
Le lendemain les deux armées s’affrontèrent. Licinius, avec ses quatre légions mal entraînées, n’eut aucune chance. En moins de 4 heures la bataille était perdue pour lui, et il se suicida plutôt que de tomber aux mains des forces impériales.
Il fallut plusieurs mois à Constantin pour décider de ce qu’il allait faire de ces chrétiens. Ils étaient un problème pour l’Empire depuis plus d’un siècle, comme le prouvaient les lettres que Pline le jeune avait envoyé à Trajan, et Constantin se doutait bien qu’il ne résoudrait pas le problème en un jour.
Finalement c’est vers la fin de l’année qu’il rédigea à Milan un édit resté célèbre dans lequel il ordonnait la mise à mort de tous les chrétiens et ordonnait aux gouverneurs de province de rédiger des listes de proscription. Mais l’édit ne visait pas que les chrétiens, les juifs étant aussi mentionnés.
Cette méthode abjecte, que l’on avait plus utilisé depuis Auguste, consistait en la rédaction de listes de gens susceptibles d’être mis à mort par tout citoyen, qui récupérait alors les biens de sa victime.
Là où les premières listes n’avaient duré que quelques semaines, les proscriptions de Constantin durèrent 5 ans. Dans toutes les provinces les soldats cherchèrent les catacombes, lieux de rassemblement privilégiés des chrétiens, et saccagèrent les tombes appartenant à des chrétiens tandis que dans les palais des gouverneurs se pressaient de vils individus venant demander l’inscription de leurs riches parents sur les listes de proscription.
A la fin de ces 5 ans le christianisme avait plusieurs milliers de nouveaux martyres, et nombreux étaient ceux s’étant exilés aux marges de l’Empire, que ce soit au sein des tribus germaniques ou dans l’Empire Parthe. Nombreux aussi étaient ceux à s’être réfugiés dans la péninsule arabique, au Yemen notamment.
Le règne de Constantin devait durer jusqu’en 330, marqué par plusieurs autres vagues de persécutions contre les chrétiens. Finalement l’un d’entre eux devait l’assassiner lors d’une partie de chasse. Cet assassin fut immédiatement tué, mais il apparaît aujourd’hui que cet assassin était un affranchi de Constance II, le fils de Constantin. Etant donné que c’est Constance II qui succéda à Constantin et qu’il se convertit officiellement au christianisme l’année suivant son intronisation, certains pensent que c’est Constance qui avait ordonné ce meurtre…
Constance II accéda au trône dans des circonstances peu claires, certains l’accusant d’avoir organisé le meurtre de son père Constantin Ier. Cependant les 4 Duces ne se soulevèrent pas, et le Sénat approuva la nomination.
Immédiatement Constance II commença à révoquer les édits de son père à l’égard des chrétiens, allant jusqu’à prendre un édit connu sous le nom d’”Edit de Tolérance” accordant la liberté de culte dans l’Empire. Il fit aussi construire la première église de Rome, le long de la via Sacra, et érigea une chapelle au cœur du Palatin pour son culte personnel.
Sur le plan politique, il entreprit une réforme de la structure administrative et militaire de l’Empire : considérant que les Duces avaient trop de puissance il décida de créer un nouveau poste, celui de Comes Limitanei, à raison d’un par province frontalière. Ils commanderaient les forces fixes situées sur les frontières proprement dites, principalement constituées d’infanterie légionnaire basée dans de puissantes forteresses et d’infanterie auxiliaire basée un dense réseau de tours d’observation. Des auxiliaires étaient aussi chargés de la garnison des principales villes, installés dans des baraquements construits dans des secteurs bien définit des villes.
Les Duces auraient le commandement de forces baptisées “comitatenses”, des forces d’interventions basées en arrière des Limes et composée surtout de cavalerie et d’artillerie mobile, les fameuses carrobalistae, balistes montées sur charrettes utilisées depuis la campagne dacienne de Trajan. Les Préfets conservaient eux leurs légions, toujours à raison d’une par préfecture, principalement pour des raisons d’ordre intérieur.
Une autre décision importante de Constance II fut la réorganisation de la production de l’armement et des équipements des troupes. Autrefois assurée en interne par les légions, ces productions seraient désormais standardisées et assurée dans des centres sous le contrôle de l’administration impériale. Si cela ne changeait pas grand-chose pour les troupes régulières cela devait en revanche profondément remodeler l’apparence des forces auxiliaires, qui souvent conservaient jusque-là leurs techniques traditionnelles de combat. En outre l’Empereur espérait ainsi faire des économies sur les frais d’équipement en raison de la production de masse des casques, cottes de maille et armes diverses.
Malgré ces changements profonds de la structure de l’armée les Duces restaient les principaux responsables de la défense des Limes et conservaient le droit de réquisitionner les forces préfectoriales.
En 337 cependant, pour des raisons qui restent peu claires, et peut-être sur ordre de Constance II lui-même, Jules Constance, demi-frère de Constantin et Dux Mesopotamiae fut assassiné, tout comme plusieurs autres proches de Constantin Ier.
Le règne de Constance II fut relativement calme pendant plusieurs années, malgré une campagne contre les Goths en 332, une autre contre les Vandales en 334 et une intervention en Bretagne en 343 : le nouveau système défensif mis en place par Constance II semblait efficace et à même de repousser la plupart des attaques ennemies sans intervention du pouvoir central. Par ailleurs, le développement d’un très dense réseau de fortifications dans les régions frontalières avait amené la création d’un réseau tout aussi dense de routes qui s’était répercuté dans tout l’Empire, facilitant les échanges commerciaux et le développement des villes.
Sur le plan civil cette première partie du règne de Constance II est marquée par la volonté de l’Empereur de christianiser (selon le credo arien) l’Empire. On voit des prêtres introduire le monachisme en occident, les premiers évêchés de Belgique sont fondés, … La volonté impériale se traduit aussi par des persécutions contre les juifs et les hérésies chrétiennes comme lors de la révolte des Circoncellions et des Donatistes en Numidie, réprimée dans le sang.
En 349 plusieurs révoltent éclatent dans l’Empire au moment où une nouvelle peuplade, les Huns, fait son apparition en Arménie et en Mésopotamie, dont ils sont chassés vers la Perse. La plus importante de ces révoltes est celle de Flavius Magnencius, Dux Galliae d’origine franque proclamé empereur par ses troupes. Pendant 4 ans Magnence tiendra tête à Constance II, n’hésitant pas à réquisitionner des troupes du Limes rhénan. Cela provoque en 352 la prise de 40 villes par les Alamans qui occupent désormais un large territoire romain situé entre Rhin et Moselle tandis que des tribus germaines envahissent l’Helvétie.
En 351 Constance II, se méfiant de son Dux Danubii, nomme Constance Gallus, fils de Jules Constance. Il occupera ce poste jusqu’à sa mort, lors d’une escarmouche sur la frontière, en 354. Pendant ce temps son frère Flavius Claudius Julianus suit les enseignements de plusieurs professeurs chrétiens ainsi que de plusieurs philosophes athéniens. Progressivement Julien en vient à renier le christianisme au profit du paganisme ancien. Il se garde cependant bien de révéler sa foi, connaissant le fanatisme de l’Empereur.
354 voit la célébration de la première fête de Noël, destinée à faire oublier la fête païenne du solstice d’hiver. Mais l’Empereur ne peut y assister, étant contraint de faire campagne en Helvétie pour en chasser les Alamans qui l’ont envahie à leur tour. C’est le prélude d’une vaste invasion alamane : en 355 45 villes tombent aux mains d’une coalition de Francs et d’Alamans, principalement en raison du manque de troupes provoqué par la guerre civile de 349-353. Les forces sensées occuper la frontière sont en effet en cours d’entraînement près de Lyon. Dans le même temps un roi Berbère s’empare de la Maurétanie avec l’aide d’hérétiques en rébellion contre l’Eglise officielle.
Constance II va alors nommer Julien Dux Galliae tandis que lui-même s’occupera des troubles en Afrique.
Flavius Claudius Julianus Germanicus Maximus (355-361)
Flavius Claudius Julianus était le second fils de Jules Constance, le demi-frère de Constantin Ier. Très jeune il avait été retiré de la garde de ses parents et confié par Constance II à Eusèbe, évêque Arrien de Nicomédie et oncle de Basilina, la mère de Julien II. Pendant plusieurs années le jeune le jeune homme étudia sous sa férule avant de partir pour Athènes où il reçut une excellente formation auprès des philosophes grecs et où il décida (secrètement) de renoncer à la religion chrétienne.
En 355, alors que Julien n’avait que 23 ans, les Alamans et les Francs envahirent le nord de la Gaule en profitant de la faiblesse des défenses romaines abandonnées durant la guerre civile. Les villes sans garnisons ne peuvent résister : 45 d’entre elles tombent. Dans un premier temps Constance II envisage de nommer Silvanus, un de ses officiers les plus gradés, Dux Galliae. Mais son armée l’ayant nommé Empereur et Constance II se retrouve forcé de le faire assassiner.
Il décide alors en novembre 355 de nommer Julien à la place de Silvanus. Rappelé d’Athènes le jeune homme arrive précipitamment en Italie où il est marié à Hélène, sœur de l’Empereur, et envoyé en Gaule où il doit rejoindre l’armée en cours d’entraînement près de Lugdunum.
Le jeune homme n’a alors aucune expérience militaire. Il commence donc par se procurer une série de traités militaires et de récits sur les germains, dont l’ouvrage de Tacite. Il dépêche par ailleurs des messagers pour ordonner à ses hommes de se rendre à Durocortorum (Reims) pour les rapprocher du front. Lui-même se met en route à la tête d’une unité de cavalerie cataphractaire, unité dont les chevaux et les hommes portent de lourdes armures et combattent à l’aide de longues lances, le kontos. Il reçoit aussi de l’Empereur une unité de balistarii pour renforcer son corps d’artilleur car l’armée d’occident n’est pas habituée aux sièges que risque de devoir mener le nouveau Dux Galliae.
La rigueur de l’hiver ainsi que le besoin de faire face à un certain nombre de problèmes administratifs le poussent à s’arrêter à Vienna, un peu un sud de Lugdunum, d’où il entreprend de se renseigner sur la région et les forces ennemies. Il y était toujours en juin lorsqu’il apprend qu’une armée barbare fait le siège d’Augustodunum (Autun) dont la muraille est en très mauvais état et dont la défense n’est assurée que par une poignée de vétérans. Mais ses officiers l’assurent du fait qu’heureusement l’ennemi ne sait pas prendre une ville muraillée et défendue par des soldats compétents, et que les Alamans se seront certainement contentés de mettre en place un blocus de la ville, ce qui donne du temps à Julien pour agir.
Immédiatement il décide de se mettre en route pour chasser l’ennemi. Ce fut le début d’une carrière glorieuse.
En ce début de l’été 356 Julien, Dux Galliae, était donc en route avec une force de quelques cavaliers et d’un groupe d’artilleurs pour chasser un groupe de Germains assiégeant Augustodunum, ce qu’il fit sans trop de problèmes car l’ennemi, se sentant incapable de résister, avait fui. Aussi Julien décida-t-il alors de rejoindre le gros de ses forces à Durocorturum où ses hommes avaient passé l’hiver à s’entrainer et le printemps à réunir d’importants stocks de vivres pour la saison de campagne.
Julien pouvait utiliser deux routes pour rejoindre Durocorturum : celle passant par Audormatunum (Langres) et Divodurum (Metz) ou celle, plus directe mais passant à travers des régions fortement boisées, consistant à prendre la route de Lutèce (Paris) puis à filer vers le nord. Il choisit cette dernière route car un de ses officiers lui avait indiqué qu’elle avait été utilisée sans problèmes par l’usurpateur Silvanus.
En chemin le groupe fut attaqué par des petites bandes d’Alamans, rapidement mises en déroute mais sans que les cataphractaires ne puissent infliger de lourdes pertes à l’ennemi : leur armure était trop lourde pour leur permettre de poursuivre l’ennemi. En chemin Julien prit la pleine mesure de l’inquiétude qui régnait dans la région quand les habitants de Tricasa (Troyes) refusèrent un temps de lui ouvrir les portes de leur cité. Finalement le Dux rejoint son armée.
Après un bref repos et une réunion avec son état-major il décida de lancer immédiatement une attaque sur la force ennemie la plus proche. Mais ceux-ci, profitant d’un épais brouillard, tendirent une embuscade au jeune commandant. Ammien Marcellin, un des officiers de Julien, nous rapporte que pour donner suite à cette bataille Julien devint très prudent, veillant à toujours avoir des éclaireurs devant lui.
Rapidement Julien reprit les villes perdues durant l’hiver, les barbares se repliant devant lui avec leur butin. Ce n’est qu’à Brutomagum (Brumath) qu’un groupe d’entre eux fit face et fut vaincu, quoique de manière non décisive, la plupart d’entre eux s’enfuyant du champ de bataille.
Continuant sa progression Julien parvint à Colonia Agrippinensis (Cologne) d’où il imposa un traité de paix aux Francs et répartit ses troupes dans les forteresses frontalières et commença à faire ses préparations en vue de l’acquisition de vivres. En effet le territoire reconquis avait été pillé, comme une grande partie de la Gaule, et les campagnes désertées. En fait les troubles s’étaient fait sentir jusqu’en Hispanie, où les paysans s’étaient également retirés dans les villes.
Pour remédier à cela Julien, qui avait lu Pline l’Ancien, décida de remettre au goût du jour et de généraliser l’emploi de la moissonneuse des Trévires, une machine qui permettait la mise en culture de grandes zones en accélérant le processus de récolte. De même il promut l’utilisation de charrues lourdes à large soc qu’il fit réaliser par l’armée et distribuer aux paysans. Enfin il ordonna à ses hommes de procéder, partout où ils le pouvaient, à la reconstruction des murailles trop longtemps délaissées.
Après avoir mis en place ses troupes Julien partit pour Senenae (Sens) où il pensait passer l’hiver pour avoir un contact plus aisé avec le reste de la province. Mais des déserteurs avaient informés une tribu germanique de sa présence de sa ville, assurant les barbares que le Dux Galliae n’avait que quelques hommes avec lui. Aussi bien vite la ville se retrouva-t-elle assiégée. Heureusement ses murailles hâtivement reconstruites parvinrent-elles à retenir l’ennemi qui après un mois se retrouva sans nourriture et leva le siège.
Durant le siège de Senonae Julien n’avait pu ne pas remarquer que son subordonné Marcellus n’était pas venu à son secours. Aussi le démit-il de ses fonctions et nomma-t-il Severus, autre officier de haut rang, à sa place, lui confiant le commandement en second. Maintenant que le territoire perdu était reconquis il était temps de penser à attaquer l’ennemi chez lui, de passer à l’offensive. Pour ce faire Constance II envoya à Julien d’importants renforts sous les ordres de Barbatio, un membre de l’état-major impérial. Severus fut envoyé prendre le commandement des 2 légions impériales de Barbatio qui fut appelé auprès de Julien afin de le conseiller dans la campagne à venir. En fait Julien n’était pas tellement intéressé par Barbatio mais ce dernier n’avait jamais caché sa colère après la nomination de Julien à un poste qu’il considérait mériter. En l’appelant auprès de lui Julien s’assurait donc plus de la loyauté des renforts.
Alors qu’il préparait son offensive une force d’Alamans passa entre les fortifications de la frontière et se dirigea vers Lugdunum, dont les murailles repoussèrent l’ennemi qui se mit à piller la région. Immédiatement Julien déploya ses troupes pour bloquer les routes de la région, chargeant sa cavalerie de chasser les pillards. La victoire fut totale, la coopération en Julien et Severus se déroulant sans problèmes.
La campagne offensive commença alors, avec pour première cible les communautés germaniques installées sur la rive occidentale du Rhin. L’ennemi se retrancha alors sur les îles du fleuve d’où Julien les expulsa lors d’une attaque surprise durant laquelle les auxiliaires chargés de l’opération massacrèrent femmes, enfants et vieillards autant que les hommes en âge de porter les armes.
C’est alors que pas moins de 11 souverains Alamans décidèrent d’unir leurs forces pour un raid d’une ampleur inhabituelle. Leur objectif était d’éliminer l’armée de Julien afin de reprendre le contrôle de la région. C’est près de 70.000 germains qui se rassemblèrent ainsi sous les ordres de Chnodomarius et de son neveu Serapio. La majeure partie de cette armée était constituée de soldats mal équipés suivant leurs seigneurs au combat, ne portant la plupart du temps ni armure ni casque, étant juste équipés d’une épée ou d’une lance (parfois un simple épieu durci au feu) et éventuellement d’un bouclier de bois. Mais cette armée comprenait aussi près de 1.500 comites, des guerriers professionnels appartenant à l’entourage proche des plus grands seigneurs. Ces guerriers étaient équipés de bonnes armures et d’armes de qualité, et passaient leur vie à s’entraîner pour le combat.
Cette armée traversa bientôt le Rhin près de Argentoratum (Strasbourg) où Julien se précipita avec le gros de sa cavalerie, chargeant Severus de ravager le territoire germain à proximité du Rhin et de renforcer les défenses. Il avait ordre de massacrer tous ceux qu’il trouverait et d’incendier le moindre hameau.
En raison de l’urgence et des opérations dans le sud Julien ne put rassembler, en plus de la cavalerie qu’il avait amené avec lui, que deux légions Comitatense et la légion du préfet de Germanie, pour un total de près de 23.000 hommes, dont 5.000 cavaliers.
Les Germains envoyèrent à Julien un émissaire qui lui enjoignit d’abandonner ces terres conquises par les barbares à la pointe de l’épée. Julien ne répondit pas tout de suite, attendant que ses hommes aient achevé la reconstruction d’un poste frontalier voisin, puis mis ses troupes en ordre de bataille. Il voulait aussi que les derniers germains achèvent de passer le Rhin et de rassembler leurs forces.
La bataille fut longue mais au terme du combat l’infanterie de Julien, qui avait commencé par reculer lentement pour former un entonnoir, et la cavalerie, qui avait contourné l’ennemi et s’était rabattu sur l’arrière des Germains, écrasèrent leurs ennemis. Ce ne sont pas moins de 55.000 barbares qui furent tués ou capturés (en ce compris ceux s’étant noyés en essayant de traverser le Rhin à la nage) par des romains dont les pertes n’excédaient pas le millier d’hommes.
Peu après Julien ordonna la construction d’un pont sur le modèle de celui de César et fit traverser le Rhin à ses hommes pour aller ravager les territoires de ses ennemis, ce qu’il fit jusqu’à l’automne où il installa une partie de ses troupes dans un fort abandonné construit sous Trajan.
En revenant vers la province Julien apprit que deux groupes de Francs s’étaient retranchés dans d’anciens postes romains abandonnés. Avec quelques troupes Julien les assiégea 54 jours durant. Finalement fin janvier il finit par accepter la reddition de près de 600 barbares.
Julien passa le reste de l’hiver à Aquilée, en Italie, rencontrant l’Empereur et le Dux Danubii. En effet pour donner suite à ses succès de l’été il avait suggéré à Constance II de lancer une offensive globale sur plusieurs fronts, depuis la Gaule et la frontière danubienne. L’objectif était de prendre les barbares dans un étau et d’éliminer une bonne fois pour toute l’ennemi. Pour la première fois depuis le règne de Probus 70 ans plus tôt l’Empire décidait d’adopter une doctrine offensive. Et pour la première fois depuis Auguste trois siècles et demi plus tôt cette doctrine était tournée vers les Germains. Très tôt dans la saison Julien ordonna à Severus d’entamer une campagne contre les barbares Francs ayant envahis l’extrême nord de la Belgique et de les poursuivre le plus loin possible. Pour ce faire il lui confiait une légion, une importante force d’auxiliaires et un grand nombre de navires appartenant à la flotte du Rhin et à une flotte qu’il avait fait construire durant l’hiver. Ces terres du nord, récemment envahie par les eaux de l’océan, n’était pas d’une grande importance économique pour l’Empire mais Julien considérait que la présence des Francs était une menace permanente pour la Gaule.
La campagne avait commencé si tôt que les barbares ne s’attendaient pas à se faire attaquer, en conséquence de quoi la surprise romaine fut totale. Pour la préserver le plus longtemps possible Severus avait donné l’ordre de ne pas incendier les villages et veillait toujours à attaquer au lever du jour après avoir déployé sa cavalerie dans la direction la plus probable pour la fuite de l’ennemi. Très vite il ne resta plus un Germain vivant sur la rive occidentale du Rhin. Considérant qu’il avait toujours suffisamment de provisions et pouvoir assurer le ravitaillement pendant encore deux mois, Severus traversa le Rhin sur sa flotte et s’attaqua au tribus Bataves et Frissones, remontant toujours plus haut vers le nord.
Pendant ce temps, Julien avait fait traverser le Rhin à ses propres troupes divisées en 3 colonnes qui ravagèrent le pays, brûlant tous les villages qu’elles rencontraient, tuant les femmes, les enfants, les vieillards. N’hésitant pas à faire marcher leurs hommes de nuit, les commandants des trois armées arrivaient à surprendre leurs adversaires avant que ceux-ci n’aient eu le temps de dresser des ambuscades. La vitesse à laquelle se déplaçaient les romains était telle que les Germains parlaient d’armées d’esprits, et s’exclamaient que leurs dieux les avaient abandonnés.
Au cours de cette année de campagne, les Francs Saliens et les Francs Ripuaires furent anéantis, de même que les Alamans. Les Burgondes souffrirent énormément, de même que les Saxons, les Lombards et les Bavarois. A travers les denses forêts de Germanie les armées romaines se frayèrent un chemin jusqu’à ce que, finalement, l’hiver ne les force à s’arrêter.
Julien, qui au vu de ses succès envisageait la possibilité de rétablir la province de Germania Magna telle qu’elle avait existé entre 12 av. J.C. et 9 ap. J.C., décida que ses légions camperaient cet hiver sur la Weser et dans des camps répartis sur les routes construites par les unités auxiliaires durant la saison de campagne. On était en octobre 358.
Laissant ses troupes dans leurs camps d’hivernage Julien retourna en Gaule avec une unité de cavalerie, non sans faire un détour par le site du désastre de Varus où il s’arrêta quelques jours, le temps pour ses troupes de restaurer le monument érigé par Germanicus durant le règne de Tibère. Il se rendit ensuite à Lugdunum, où il donna ses ordres pour la préparation des campagnes de l’année suivante, avant de partir pour Aquilée où l’attendaient Constance II et le Dux Danubii. Ce dernier, après avoir provoqué maints ravages chez les germains, avait ordonné à ses troupes de revenir loger dans leurs camps du Danube sauf dans la région des champs décumates, au nord du lac de Constantia (Constance), où il avait fait relever les fortifications du vieux Limes abandonné un siècle plus tôt.
Après avoir étudié l’avancée des troupes de Julien, les trois hommes décidèrent de continuer leur poussée en avant pour achever de rétablir la province de Germania Magna établie du temps d’Auguste et évacuée après le désastre de Varus où 4 légions avaient été anéanties en 9 ap. J.C. ; l’objectif fixé pour l’année à venir serait l’Elbe, afin que les frontières de l’Empire soient fortement réduites et donc que l’Empire puisse réduire le nombre d’hommes en armes. Par ailleurs ces nouveaux territoires peu peuplés fourniraient d’excellents terrains pour des colons choisis dans les couches les plus pauvres de la population. D’ores et déjà l’Empereur décida de repeupler les villes de Clarenna (Donnstetten), Aquae (Baden-Baden) et Arae Flaviae (Rotweil), dans la région des champs Décumates .
A nouveau Julien confia à Severus la charge du front nord, contre les tribus des Frisons et des Saxons. Il avait ordre de s’emparer des territoires jusqu’à l’embouchure de l’Elbe, d’y établir des fortifications, et de patrouiller le fleuve avec sa flotte. A charge pour lui également de lancer des raids sur les côtes saxonnes afin d’éliminer les navires avec lesquels ces barbares lançaient des raids sur les côtes de Bretagne et de Gaule. Julien et ses forces pousseraient de leur côté vers l’Elbe. Le gros des unités comitatenses du Dux Danubiis seraient mises à sa disposition pour cette campagne qui ne mobilisait pas moins de 75 000 romains répartis en 5 colonnes principales.
Cette fois-ci la campagne ne fut pas si aisée. Les Germains, conscients du danger, avaient essayé d’unir leurs forces. Cependant, en attaquant une fois de plus très tôt dans la saison, Julien fut à même de détruire plusieurs tribus avant qu’elles ne puissent réunir leurs armées. C’est au confluent de l’Aker et de l’Aller, un affluent de la Weser, que se déroula la principale bataille de la campagne, 20.000 romains dirigés par Julien en personne face à une soixantaine de milliers de Germains. Cependant des dissensions entre les leaders barbares firent que ceux-ci ne combattaient pas de manière unie mais chaque tribu de son côté sur un même champs de bataille. L’armée Lombarde fut la première à engager le combat, et ce n’est qu’en voyant leurs alliés en péril que les Burgondes engagèrent le combat. Cet afflux de forces fraîches ne permit pas de changer le cours de la bataille et bientôt les deux armées se mirent à fuir. Mais comme à Argentoratum deux ans plus tôt la rivière bloquait leur progression et la cavalerie romaine les poursuivis sans relâche. Pire encore pour les Germains une flottille romaine partie des camps de la Weser leur empêchait la traversée de l’Aller…
Cette bataille devait marquer la fin de la résistance organisée des Germains. Sur un front allant de l’embouchure de la Weser au Danube les légions s’emparèrent de tous les territoires jusqu’à l’Elbe, franchissant les forêts bavaroises et les monts métallifères pour dévaler sur le vaste plateau en contrebas.
Des camps furent établis sur les sites des futures villes de Portus Boreus (Hamburg), Colonia Constantia (Dresden) et Colonia Juliana (Prague), sur le fleuve formant la nouvelle frontière, ainsi que sur divers sites plus à l’intérieur de la nouvelle province.
L’année 359 devait être passée en opérations de nettoyage et de lutte contre les insurrections, ainsi qu’en travaux pour construire de nouvelles routes. La majorité des troupes de Limitanei formant les garnisons rhénanes ainsi qu’un grand nombre de troupes surveillant le quart occidental du Limes danubien furent installées dans des postes sur l’Elbe et la Moldau ainsi que sur une ligne allant de la source de cette dernière à Castra Batava (Passau, frontière austrau-allemande).
Au début de l’hiver 359 les armées de Julien décidèrent de l’acclamer Empereur, ce que tant Constance II que Julien craignaient. Constance II mobilisa immédiatement ses forces et commença à faire marche vers le nord mais ne quitta même pas l’Italie car il tomba malade et décéda en chemin. Julien était désormais Julien II Germanicus.
Le règne de Flavius Claudius Julianus Germanicus Maximus (361-380)
Suite à son accession au trône impérial Julien entrepris d’organiser les territoires nouvellement conquis. Il commença par rattacher les territoires de la province de Germanie première à ceux de Belgique première. De même la Germanie seconde fut rattachée à la Belgique seconde. Cela unifiait les territoires au sud du Rhin, et permettait de dégager des effectifs pour administrer les nouveaux territoires sans provoquer de hausse trop élevée des frais de l’administration.
Il créa ensuite la province de Francie sur le territoire anciennement occupé par les Francs saliens et ripuaires (Hollande et Rhenanie du Nord), puis la province d’Alemanie sur le territoire des Alamans (Westphalie, Baden-Württemberg), ce qui correspondait à ses victoires de 358. Les territoires conquis en 359 furent eux divisés en 2 provinces baptisées Germanie Supérieure (Basse Saxe) et Inférieure (Thuringe) tandis que les frontières de la Rhétie, et de la Norique étaient modifiées. Ces quatres provinces formaient la nouvelle préfecture de Germanie.
Par ailleurs un nouveau Dux avait été appointé sous le titre de Dux Albiis, du nom du fleuve marquant la nouvelle frontière. C’était à Severus, son fidèle lieutenant, que Julien avait confié ce poste, en raison de sa bonne connaissance de la région. Pour le seconder il avait nommé Flavius Valentinianus, fils d’un officier pannonien à la carrière distinguée qui avait fait preuve de talent et de bravoure durant la campagne de Germanie au sein des forces danubiennes. Installé à Portus Boreus, capitale de la Germania Superior, il eut à mener plusieurs opérations contre les peuplades frissonnes de la côte, n’hésitant pas à se montrer d’une grande cruauté envers les rebelles et à appeler les tribus voisines à venir pilleur les territoires frisons, imitant en cela la politique de Jules César à l’égard des Eburrons quatre siècles plus tôt.
Après avoir procédé à ces changements Julien se rendit à Rome, où il fut reçu en héros par le Sénat et le Peuple. Mais à peine s’était-il installé au Palatin que lui parvint l’annonce de troubles dans le nord de la province de Bretagne, où les peuplades vivant au nord du mur construit par Hadrien s’étaient mises à lancer des raids contre la partie de l’île contrôlée par les romains. Aussi envoya-t-il Flavius Julius Valens, frère cadet de Flavius Valentinianus, à la tête d’une armée avec ordre de pacifier définitivement les Pictes et de prendre le contrôle du nord de l’île. L’objectif de Julien était évidemment de diminuer le nombre de soldats stationnés sur l’île et donc de réduire sur le long terme les coûts de leur entretient.
Si Julien avait choisi cet officier pour cette campagne, c’est parce qu’il connaissait bien la région, y ayant passé une partie de sa jeunesse avec son frère sous les ordres de leur père, alors Dux Britaniae. Il lui fallut trois ans pour mener à bien ces opérations qui devaient déboucher sur la création de la nouvelle province de Britania Ulterior, rattachée à la préfecture de Bretagne.
Mais Julien n’eut pas l’opportunité d’observer les efforts de son général, car il avait déjà tourné son regard dans une autre direction, celle de la Dacie.
La région était menacée par les peuplades gothiques depuis de nombreuses années, et avait faillis être évacuée à l’époque de Gallien, et l’aurait certainement été si Claude II ne s’était pas montré si efficace. Or ces barbares, sous la pression d’une nouvelle peuplade, les Huns, s’agitaient et cherchaient à s’introduire dans l’Empire. La frontière, dans cette région, était difficile à tenir par manque d’un grand fleuve sur lequel s’appuyer. Aussi Julien II décida-t-il de lancer une grande offensive dans la région pour fixer cette frontière sur le fleuve Hypanis (Dniestr), pour en faire un nouveau Limes.
Prenant lui-même la tête de l’armée, il se mit en campagne durant le printemps 365 et dura 4 ans. Faisant appel aux peuplades nomades sarmates les habitants de la région se défendirent courageusement, mais ne purent s’opposer efficacement aux légions. Même les nombreuses forteresses des Carpathes ne purent résister face à l’armée romaine, Julien ayant eu la prudence de faire venir d’orient plusieurs unités spécialisées dans la guerre de siège, un type de conflits plus fréquents dans cette partie de l’Empire. La région fut réorganisée en provinces de Dacie supérieure, inférieure, ultérieure, et les frontières de la Mésie inférieure revues. Les nouvelles provinces dépendaient du Dux Danubii et avaient été rattachées à la préfecture de Dacie, qui voyait ainsi sa superficie plus que doubler.
Bien que la victoire ait été proclamée, cette région devait rester une source de troubles durant de longues années, bien après la mort de Julien. La victoire assurait aussi à l’Empire un accès à de riches mines de fer, de cuivre et d’or, ainsi que d’importantes ressources agricoles. Le Danube désormais plus sur voyais également son rôle de route commerciale renforcé, assurant la prospérité des villes le bordant. Là aussi Julien veilla à ce que des colons soient envoyés tant pour pacifier la région que pour assurer sa romanisation et son exploitation
A l’issue de la campagne Dace le Sénat, qui avait déjà accordé à Julien II le titre de Britanicus après la victoire de son légat Flavius Julius Valens, lui accorda le titre honorifique de Dacicus. Toutes ces victoires gagnées par un empereur resté fidèle aux anciens dieux, et la richesse générée dans tout l’Empire par l’ouverture de ces nouveaux marchés et la sécurisation de voies commerciales comme le Rhin et le Danube, avait de profondes conséquences dans la population. Là où beaucoup avaient adopté la foi chrétienne dans les périodes de troubles, de plus en plus reniaient ces prêtres aussi grincheux qu’opposés aux plaisirs simples de la vie. Là où Constantin, usant de la violence, avait échoué, Julien II réussit par la grandeur de ses actes.
Il renforça ce phénomène lors du grand voyage qu’il décida d’entreprendre à la fin de sa campagne dace, un grand voyage qui devait l’entraîner dans tout l’Empire. Commençant par la Grèce, il se rendit dans les grands sanctuaires tels celui d’Olympie, où il admira la statue de Zeus réalisée par Phidias, ou celui de Delphes, où il fut accueillis par les prêtres d’Apollon et où il consulta la Pythie sur son avenir, il passa également à Athènes, où il avait passé plusieurs années dans sa jeunesse, retrouvant des amis d’alors perdu de vue depuis, il visita les cités d’Asie Mineure, se recueillant sur le site de Troie, où il se fit lire plusieurs passages d’Homère et de Virgile, il se rendit à Pergame, où il sacrifia à Athéna, se rendit en Mésopotamie, pour visiter les cités anciennes de la région, passa en Palestine où il se fit expliquer la doctrine des juifs par leurs plus grands théologiens, passa à Alexandrie où il passa plusieurs jours dans la grande bibliothèque et au Musée, discutant avec les savants qui continuaient d’affluer dans ce grand centre de savoir, débattant avec eux de science et de philosophie, il remonta le Nil pour y découvrir les vestiges de l’ancienne civilisation égyptienne, il visita les riches cités d’Afrique, passa en revue les troupes des régions qu’il traversait, … Par ailleurs, partout où il passait il donnait des ordres pour que soient restaurés les temples des anciens dieux, négligés ou même saccagés par les chrétiens.
Partout où il passait il suscitait l’admiration de ses sujets : à moins de 40 ans, intelligent, précédé par une réputation de militaire de premier ordre, il présentait tous les attributs des souverains mythiques de l’histoire hellénistique et romaine.
Après l’Afrique Julien II traversa la mer pour se rendre en Hispanie, d’où il remonta vers la Gaule où il put constater le retour de la prospérité né de la sécurité nouvelle qu’il avait donné à la région. Il se rendit également en Bretagne, où il tomba en admiration devant le cercle de pierre levée attribué aux anciens druides, les prêtres de la religion celtique interdite par Jules César. Il visita également les régions les plus au nord de l’île, où il aperçut les côtes de l’Hibernie, cette île verte habitée par les derniers des celtes libres.
Il se rendit en Germanie, où il rencontra son fidèle Severus qui lui fit un rapport complet sur la situation dans la province et lui fit visiter le nouveau Limes sur l’Albii (Elbe). Ensemble ils discutèrent des problèmes de sécurité sur la nouvelle frontière, qui étaient surtout importants dans le nord, près de la mer, en raison des raids menés par les Saxons et les Jutes installés plus au nord.
Après ce séjour Julien redescendit vers le sud, avant de retourner à Rome, après 2 ans de voyage.
A son retour de voyage, en 371, Julien II s’intéressa à nouveau à des questions de politique étrangère. En effet les agents romains aux frontières nord de l’Empire lui avaient rapporté de graves troubles dans les régions gothiques et sarmates. Une nouvelle peuplade, composée de guerriers extrêmement féroce et très habiles au maniement de l’arc à cheval, avait réussi à écraser ces peuplades du nord de la mer Noire. Ces guerriers, les Huns, étaient aussi d’une extrême cruauté et les récits à leur sujet faisaient passer les Germains pour des enfants.
Par ailleurs une ambassade était arrivée à Rome, venue d’un très lointain empire. Ces hommes au teint jaune, de petite taille, étaient arrivés par bateau au terme d’un long périple.
Venus de l’Empire du Milieu, aussi appelé Qin, du nom du premier monarque à avoir unifié leur empire, ils avaient été envoyés par l’Empereur Sima Yi pour signer une alliance avec le puissant empire de Rum, avec lequel ils commerçaient de manière indirecte depuis plusieurs décennies, notamment des soies précieuses.
L’ambassade avait embarqué à bord d’une flotte de 5 jonques qui avaient mis le cap vers le Sri Lanka puis l’île de Socotra, plaque tournante du commerce dans l’océan Indien, avant de mettre le cap sur le Yemen et de remonter la Mer Rouge où ils avaient emprunté le vieux canal creusé à l’époque Perse et restauré par les Romains afin d’établir un lien direct entre la Méditerranée et la Mer Rouge. De là ils avaient fait escale à Alexandrie avant de se rendre à Ostie, le grand port de Rome. Les dimensions de ces jonques étaient énormes aux yeux des romains qui avaient décidé de les escorter en Méditerranée. Dix puissantes galères les accompagnaient donc, à bord desquels quelques spécialistes de la construction navale qui étudiaient ces navires étranges, et notamment leur système de gouvernail, totalement inconnu en Méditerranée.
A bord de ces navires, 200 marins, une cinquantaine d’officiels, 100 serviteurs et 100 gardes venus solliciter l’aide des romains contre les Huns qui ravageaient la frontière nord de l’Empire de Qin. A Alexandrie plusieurs savants du Musée avaient également embarqué à bord des jonques pour apprendre la langue chinoise et leur apprendre le latin et le grec, afin de faciliter les échanges qui dans un premier temps devaient se faire par l’intermédiaire de traducteurs indiens, habitués à commercer avec des marchands venus tant de Chine que de l’empire romain.
Ces savants grecs d’Alexandrie, à la pointe du progrès dans l’Empire, furent grandement étonnés par ce qu’ils découvrirent à bord de ces jonques. Tout d’abord la nourriture, des petits grains cuits dans l’eau bouillante, très nourrissants et se conservant fort bien. Ensuite un étrange instrument qui semblait se servir du magnétisme terrestre, connu depuis plusieurs siècles par les Grecs, qui servait à se repérer en mer. Enfin les Chinois n’utilisaient pas de tablettes pour écrire mais un étrange matériau, le papier, tout à fais inconnu des romains lui aussi.
De leur côté les Chinois, qui avaient pris le temps de visiter Alexandrie avant d’appareiller pour Rome, avaient été surpris par le gigantesque phare d’Alexandrie, et par divers mécanismes ingénieux construits au Musée ou dans des temples. Ainsi l’ouverture automatique, sans intervention humaine, des portes du temple de Sérapis avait-elle semblée magique aux chinois. Les machines à vapeur, simples curiosités pour les Romains qui les connaissaient depuis plus de 500 ans, étaient source d’émerveillement pour les dignitaires chinois.
Leur arrivée à Rome début 372 les stupéfiât. Jamais ils n’avaient vu de ville de ce genre, avec ses hautes insulae, ses monuments de marbre, son Colisée, ses palais, … Durant le temps qu’avait duré la traversée les savants alexandrins avaient eu le temps d’apprendre la langue chinoise et les Chinois le grec, langue principale des alexandrins. Aussi purent-ils adresser à Julien II dans la langue de Platon les salutations de leur maître, et lui offrir des monceaux de soies, de pierres précieuses et surtout de rares épices, certaines inconnues dans l’Empire.
Pendant ce temps la situation à la frontière empirait : les royaumes gothiques étaient tous écrasés les uns après les autres par les Huns et les Alains avaient choisis de s’y unir pour éviter l’annihilation. Pour la première fois les barbares envoyèrent alors à Rome une délégation conjointe des Ostrogoth et des Wisigoth, demandant à Rome d’intervenir à leurs côtés contre le roi Huns Ulda.
Devant ces deux ambassades, Julien décida en octobre 372 d’envoyer une armée affronter les Huns. Il convia les ambassadeurs chinois à l’accompagner dans cette campagne, ce qu’ils acceptèrent.
L’armée romaine mobilisée pour cette campagne impériale était impressionnante. 5.000 cavaliers et 25.000 hommes, vétérans des campagnes contre les Germains, formaient la composante terrestre de cette armée, qui serait transportée par mer pour rejoindre les 15.000 Ostrogoth et Wisigoth rassemblés sous les ordres du souverain Ostrogoth Ermaric. L’Empereur était escorté par sa garde personnelle, et les ambassadeurs chinois étaient accompagnés de leur propres gardes du corps renforcés par une unité romaine d’élite.
L’armée s’était rassemblée début mars à Tanais, ville fondée par les Grecs à l’embouchure du Don. Les Huns, confiants dans leur victoire, marchèrent immédiatement contre l’armée coalisée avec 55 000 hommes, soit l’ensemble de leurs forces en Europe. Un détachement de cavaliers Sarmates s’était joint aux coalisés, avec 2.000 cataphractaires et 3.000 cavaliers légers dont la moitié étaient des archers.
La bataille eut lieu aux ides de mai 373. Inférieure en cavalerie, l’armée coalisée comptait avant tout sur l’infanterie romaine, qui avait été divisée en trois groupes, un au centre et un à chaque extrémité de la ligne de bataille. Les Ostrogoth occupaient l’intervalle à droite, les Wisigoth l’intervalle à gauche. Entre les lignes d’infanterie régulière les romains avaient placé un grand nombre d’archers à pied. De plus, des balistes et des scorpions étaient placés à espace régulier.
La cavalerie romaine, constituée de cataphractes, était divisée en deux groupes placés derrière l’infanterie, sur les ailes. Les cataphractes Sarmates avaient été joints à ces groupes. La cavalerie légère, elle, formait une réserve mobile prête à intervenir en cas de besoin.
Le plan était simple : les Chinois avaient indiqué que la technique des Huns était de faire pleuvoir une pluie de flèches avant de charger. Aussi les alliés avaient-ils reçu des boucliers romains pour se protéger des traits. Ils devraient ensuite céder progressivement afin de former deux couloirs entre les lignes romaines. La cavalerie lourde chargerait alors sur les flancs de l’ennemi tandis que la cavalerie légère viendrait refermer le piège.
Tout se déroula comme prévu. Les Goths se retirèrent en bon ordre, sans avoir subis trop de pertes lors du barrage de flèches hunniques grâce aux boucliers romains. Ce faisant ils attirèrent la cavalerie d’Ulda qui se précipita à leur poursuite, permettant alors à la cavalerie romaine de charger dans leurs flancs tandis que les archers romains faisaient pleuvoir leurs traits et que l’infanterie romaine, après avoir lancé ses javelots, se lançait à l’attaque. Les Goths, après avoir feint la fuite, firent volte-face et stoppèrent net les Huns tandis que la cavalerie légère coalisée se rabattait sur l’arrière de la formation ennemie.
La victoire fut totale, l’armée Huns étant anéantie : seuls 5000 guerriers purent fuir le champ de bataille, prenant la direction de l’Orient. Les pertes gothiques avaient été modérées, grâce aux boucliers romains. L’armée romaine enfin n’avait connu que de très faibles pertes, a peine quelques centaines d’hommes.
Les Chinois furent impressionnés par l’efficacité romaine, et annoncèrent peu après la bataille leur départ pour rentrer en Chine. Ils repartirent à bord de leurs jonques, qui avaient été chargées de cadeaux par Julien II, notamment des traités philosophiques et des statues, ainsi que des bijoux et des pierres précieuses.
Suite à la grande victoire de Tanaïs les Goths se soumirent à Julien II, devenant des tribus vassales de l’Empire et lui versant un important tribut. Dans la foulée plusieurs colonies de vétérans furent établies sur les côtes de la Mer Noire, pour sécuriser la région et la civiliser, l’objectif étant surtout de recueillir les importantes quantités de blé produites dans les vastes plaines Sarmates, afin de ravitailler l’Empire avec du blé à bas prix.
Rentré à Rome Julien eut alors pour principale préoccupation celle d’encourager les arts et les lettres, ainsi que le développement des nouvelles provinces tant germaniques que britanniques et daces. Les légions et les troupes auxiliaires étaient chargées de la construction de nombreuses routes qui sillonnaient tout l’Empire et venaient rejoindre le vieux réseau routier, qui fut lui-même restauré et amélioré en bien des endroits.
Une des principales préoccupations de Julien fut aussi de veiller à la santé économique de la région rhénane, qui avait perdu une grande source de revenus lors du départ des troupes du Limes désormais déployées sur l’Elbe. Car même si les nouvelles provinces ne pouvaient encore fournir aux légions l’ensemble de leurs provisions elles s’organisaient chaque mois un peu plus et seraient bientôt à même de fournir le fourrage et les vivres nécessaires. En outre avec les légions s’étaient déplacés nombres d’artisans, ce qui avait entraîné le déclin d’un certain nombre de villes de garnison comme Colonia Agrippinensis ou Moguntiacum, ce qui entraînait des problèmes secondaires comme la taille trop importante des murailles de ces villes pour le nombre de défenseurs potentiels qui y restaient et un manque de main d’oeuvre pour assurer le transfert au nouveau limes de tous les produits envoyés depuis la Gaule…
Cependant Julien ne s’occupait pas que de ces aspects purement gestionnaires, puisqu’il portait également un grand intérêt aux sciences et aux arts. Par suite de son voyage à travers l’Empire il avait décidé que serait rédigé un catalogue géographique de l’Empire, réalisé par des géographes envoyés dans chaque province. Il avait en outre établit de grands ateliers de copistes chargés de recopier les ouvrages les plus intéressants à des dizaines d’exemplaires afin que chaque grande ville de l’Empire dispose de bibliothèques bien remplies afin que les jeunes puissent accéder à la culture et au savoir. Par ailleurs, pour donner suite aux commentaires qu’avaient fait les ambassadeurs du lointain empire de Qin sur les merveilles de la vapeur il avait créé un “experimentarium” à Rome, ou des ingénieurs spécialistes de l’artillerie et de la mécanique issus des légions avaient ordre d’inventer des choses nouvelles en se basant sur cette vapeur ou sur les inventions chinoises comme le papier, le gouvernail et la boussole. Cet “expérimentarium” avait été installé au sein du grand domaine de Lucullus, le richissime général de la fin de la République qui s’y était retiré après son retour d’Orient une trentaine d’année avant la fondation par le divin Auguste de l’Empire. Ce lieu avait alors été un centre culturel de premier plan et Julien souhaitait qu’il le redevienne, l’équipant notamment de nouvelles bibliothèques où furent rassemblées plusieurs copies de traités techniques alexandrins. Des bâtiments supplémentaires pour la lecture et l’enseignement furent également construits et un système de bourses pour les esprits scientifiques les plus brillants de l’Empire fut mis en place.
Julien avait en effet décidé qu’Alexandrie deviendrait le pôle littéraire de l’Empire et Rome son centre technique.
Les découvertes en ingénierie navale réalisées par les savants romains étaient testées sur des navires de la flotte de Misène et allaient bouleverser tout l’art de la navigation, accélérant les échanges maritimes tout en les rendant plus surs et donnant naissance à un véritable renouveau économique
L’Empire connut alors une période de 7 ans de calme et de prospérité jusqu’à ce qu’un nouveau péril ne vienne menacer la sécurité de l’Empire.
La campagne de Severus en 359 avait causé de grandes destructions et des pertes massives aux tribus saxonnes situées sur la façade atlantique et porté les frontières de l’Empire jusqu’à l’Elbe, assurant la paix et la sécurité de la Britania et de la Gaule pour une vingtaine d’années. Mais cette paix ne pouvait durer éternellement. En 378 une nouvelle génération de guerriers commença à lancer de nouveaux raids contre les Romains, principalement le long de la côte de Germania Superior et de Francie. Pendant un temps la classis germaniae parvint à les repousser mais en novembre 379 une vague de froid particulièrement intense gela l’Elbe et permit à une armée barbare de traverser le fleuve a pied de nuit. La garnison de Portus Boreus fut surprise et massacrée dans son sommeil, le Dux Albiis lui-même périssant sous une lame saxonne.
La perte de Portus Boreus était un coup dur pour les forces romaines de la région que la mort de leur commandant en chef plongea dans le désarroi. Certains légats paniquèrent et abandonnèrent le Limes pour se replier vers la Francie. En apprenant la nouvelle Julien décida d’intervenir personnellement.
Prenant avec lui la garde prétorienne et deux légions danubiennes il remonta vers le nord. Là il entreprit de réorganiser ses forces et de mettre le siège devant Portus Boreus alors que le mois d’avril venait de commencer.
Les barbares n’étaient pas assez nombreux que pour tenir la ville et furent rapidement chassés, non sans avoir préalablement massacré une grande partie de la population. Traversant le fleuve sur toutes les embarcations qu’ils avaient pu trouver dans la ville ils se regroupèrent sur l’autre rive, attendant les romains de pied ferme.
Faisant venir la flotte de Germanie Julien fit traverser le fleuve à ses troupes. Pendant ce temps la flotte de Bretagne établit des patrouilles le long de la côte, remontant loin au nord jusqu’au bout d’une presqu’île boisée à la population tout aussi hostile. Les marins avaient ordre de détruire tout navire qu’ils verraient et d’obtenir autant de renseignements possibles sur la contrée. Une escadre plus audacieuse, commandée par un brillant officier d’origine massaliote, poursuivit au-delà de cette péninsule dans une vaste mer qu’il reconnut comme étant celle décrite par Pythéas, l’explorateur partit de Massalia 8 siècles plus tôt dans un long voyage au sujet duquel il avait rédigé de célèbres comptes rendus qui avaient alors été considérés comme de pures inventions. L’élément décisif pour l’officier romain fut la découverte de plages couvertes d’ambre brute sortie de l’écume. Il était le premier romain à pouvoir observer l’origine de cette matière précieuse et rare…
Pendant que se déroulait cette expédition les forces terrestres romaines s’étaient mises en branle, lançant une vaste offensive vers le nord. Progressivement les terres des Saxons étaient capturées par les légions réparties en 3 colonnes comme lors des opérations de 358/359. La colonne côtière était commandée par l’Empereur en personne tandis que le nouveau Dux Albiis dirigeait la colonne centrale et le jeune Flavius Theodosius, héritier désigné de Julien II âgé de 36 ans, commandait la troisième colonne. Partout les armées romaines purent avancer sans entraves, refoulant les barbares devant elles. Ceux-ci n’avaient en effet pas prévu une telle offensive et la maîtrise des mers par Rome les empêchait de prendre la fuite comme ils le souhaitaient. Appelés à l’aide les Geatas et les Suiones qui vivaient dans des terres encore plus au nord, au-delà de la presqu’île, mobilisèrent leurs hommes et leurs navires. A la faveur de la nuit ils parvinrent à faire passer 10.000 hommes sur les terres des Jutes, le peuple vivant à l’extrémité de la presqu’île.
En juillet 380 devait avoir lieu une grande bataille qui allait décider du sort de la région. Les armées barbares fédérées furent bloquées sur la côte par les armées de Julien et du Dux tandis que la Classis Germaniae rendait toute fuite maritime impossible. Là, dans la basse plaine côtière de la façade atlantique du Jutland, 30.000 Saxons, Jutes, Geatas et Suiones firent face à 20.000 Romains. Le sol était trop meuble pour faire intervenir la cavalerie lourde romaine, et Julien décida de ne pas se lancer dans une bataille rangée, préférant faire construire un fossé et une muraille pour faire mourir les germains de faim et les pousser à la reddition comme Jules César l’avait fait à Alesia. Comprenant le péril les assiégés prirent les devant et lancèrent un assaut désespéré contre les Romains avant que ceux-ci n’achèvent leurs travaux. Pour soutenir ses troupes dont le moral défaillait devant l’assaut de la horde germanique en furie, Julien se jeta au cœur de la mêlée, épée au point. Mais une hache lancée de loin par un puissant thane fracassa son casque et le fit chuter de cheval. Immédiatement évacué du champ de bataille, l’Empereur devait décéder quelques heures plus tard. Mais avant ses hommes, galvanisés par son sacrifice, écrasèrent les germains et les massacrèrent jusqu’au dernier.
Lorsque Flavius Theodosius apprit deux jours plus tard le décès de son père adoptif il réagit en romain, masquant son chagrin et s’assurant immédiatement de la loyauté des armées. Il décida de rentrer à Rome et confia la campagne au Dux Albiis, qui reçut ordre de pacifier le Jutland, appelé à devenir la nouvelle province de Julianie, et de pousser son offensive avec toutes les troupes du Limes de l’Elbe jusqu’à une rivière repérée par la flotte, rivière connue par les barbares sous le nom d’Oder.
La grande révolte germanique
La mort de Julien II fut un coup terrible pour l’Empire. Des générations entières suivaient depuis 25 ans ses conquêtes et profitaient de la paix et de la bonne gestion de l’Empire. Dans les mémoires il était comparé aux grands noms comme Trajan et Hadrien tandis que la renaissance culturelle de son règne était comparée à celle qui avait eu lieu du temps d’Auguste lui-même.
La priorité pour son héritier Théodosius fut d’abord de s’assurer de la fidélité des différents Duces de l’Empire. Certes il avait déjà reçu le soutien du Dux Albiis et disposait d’une forte armée très expérimentée pour le soutenir mais il savait également que les autres grands généraux n’hésiteraient pas à se proclamer empereur au premier signe de faiblesse.
Ayant donc confié la suite de la campagne au nouveau Dux Albiis Amianus Marcellinus, vétéran de nombreuses campagnes et ami proche de Julien, Théodosius c’était précipité vers Rome avec une simple escorte de cavalerie tandis que les trois légions des forces impériales revenaient elles aussi en Italie à un rythme soutenu.
Là le Sénat n’hésita pas à accorder la pourpre à Théodosius, intimidé par son escorte mais aussi confiant dans le choix de Julien II. Les premières décisions du nouvel Empereur concernèrent les chrétiens, plusieurs rapports indiquant qu’ils s’étaient réjoui de la mort de celui qu’ils appelaient l’apostat car il avait renié l’enseignement chrétien qu’il avait reçu durant sa jeunesse. Théodosius n’était pas un individu subtil, ayant passé une bonne partie de sa jeunesse aux armées, et sa tactique pour affronter les chrétiens le prouva bien puisqu’il décida de ré-utiliser les méthodes de Constantin Ier pour “nettoyer l’Empire” : tous les gouverneurs reçurent l’ordre de publier des listes de proscriptions et de traquer les chrétiens, de détruire leurs sanctuaires et de vandaliser leurs sépultures.
Dans le même temps il ordonna de splendides sacrifices en l’honneur de son père d’adoption qu’il divinisa, premier Empereur à avoir droit à ce traitement depuis longtemps. Il ordonna aussi la construction d’un grand temple en son honneur en plein cœur de Rome après avoir fait raser les thermes de Titus, à côté de l’amphithéâtre flavien connu sous le nom de Colisée en raison de la présence à côté d’une colossale statue de Néron.
Pour l’appuyer dans son projet politique et religieux Théodosius décida de s’appuyer sur la noblesse romaine de Rome même, délaissant de ce fait les provinciaux qui avaient été une des principales bases du pouvoir de Julien II. Son plus proche conseiller était Quintus Aurelius Symmaque, un grand lettré issu d’une des plus vieilles familles patriciennes de la ville qui recommanda à l’Empereur de poursuivre la politique culturelle de Julien.
Theodosius accepta et, souhaitant dépasser en tout son père, augmenta les ressources mises à la disposition des scientifiques de l’Hortus Lucillianus, l’académie fondée par son père qui dominait le nord de la ville.
En 383 Theodosius souhaita partir en campagne contre les terres pas encore conquises de l’Arabie, zone principalement désertique mais qui comprenait sur son pourtour plusieurs importantes villes portuaires de grande richesse rendues plus prospères encore par l’augmentation du commerce avec l’Asie.
Cependant lors de la cérémonie de départ il tomba de cheval lorsqu’un éclair terrorisa sa monture qui se cabra. Percevant cet évènement comme un message divin lui déconseillant de partir en campagne l’Empereur renonça et décida que la gloire militaire ne serait pas sienne. Dès lors il s’intéressa aux découvertes de l’Hortus et devint lui-même un grand ingénieur. Profitant de son expérience militaire avec divers engins de siège il créa de nouveaux mécanismes ingénieux, notamment des mobiles d’une très grande complexité. De plus, même si les Dieux lui avaient ordonné de ne plus partir en campagne il s’intéressait toujours aux questions militaires et décida de créer une véritable école de formation des ingénieurs militaires afin d’assurer la permanence des connaissances et leur transmission dans toutes les unités de l’Empire. Car il avait constaté que le degré d’efficacité des ingénieurs variait fortement selon les zones, en raison soit de traditions historiques comme pour les artilleurs du front du Danube ou les ingénieurs spécialisés dans les sièges d’Orient. Faisant venir les ingénieurs les plus expérimentés de chaque unité il les installa dans l’Hortus Acciliorus, à côté de la principale caserne de vigiles de la ville, juste à côté de l’Hortus Lucillianus. Cette institution était le premier centre permanent de formation des officiers dans l’Empire. Les contacts permanents avec l’Hortus Lucillianus voisin permettait de vifs et fructueux échanges entre les savants, maitres du savoir théorique, et les ingénieurs, beaucoup plus pratiques. De ces échanges devaient naitre de nombreuses inventions capitales dont les premières études sur l’application de la force de la vapeur à la mécanique et d’importantes recherches sur la métallurgie destinées à fournir de meilleurs métaux pour les machines de siège.
La paix et la prospérité régnant dans la plupart des villes et des provinces de l’Empire masquaient cependant certains problèmes dans les territoires récemment conquis par Julien II et notamment dans les territoires sarmates compris entre le Danube et le Dniest…
A suivre…?