Vieillir, c’est chiant…
J’aurais pu écrire : “Vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est mortel”…
Mais j’ai préféré “chiant” parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant…, parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance, quoique c’est moi qui a sorti cette phrase : “A peine né on commence à mourir”…
J’ai été longtemps si frais, si jeune, si appétissant…, si bien dans ma peau.
Je me sentais conquérant, invulnérable.
La vie devant moi.
Même à cinquante ans, c’était encore très bien.
Même à soixante.
Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours à 63…, mais voilà, entre-temps j’ai vu dans le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté…, même à la marge.
J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard.
Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.
Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge.
Le plus terrible est venu des p’tits jeunes cons qui veulent devenir écrivains, voire journalistes, qui lisent mes textes dans GatsbyOnline.com…, surtout les débutants.
“Avec respect”, “En hommage respectueux”, “Avec mes sentiments très respectueux”… qu’ils mettent en fin de leurs é-mails pour m’annoncer qu’ils ont pris du plaisir à me lire….
Les salauds !
Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur gland, plein de respect envers mes texticules couillus ?
Les cons !
Des glandeurs, oui !
Et du : “Cher Monsieur Quelqu’un”… long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui me fiche dix ans de plus !
Un jour, à l’Armée du Salut ou je faisais la file pour pouvoir manger moins cher qu’au Rirz, c’était la première fois…, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place.
J’ai failli la violer.
Puis la priant de se rhabiller rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué.
“Non, non, pas du tout”, a-t-elle répondu, embarrassée… “J’ai pensé que”…
Moi aussitôt : “Vous pensiez que quoi ?…
“Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir”.
“Parce que j’ai des cheveux blancs ?”…
“Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ça été un réflexe, je me suis levée”…
“Je parais beaucoup, beaucoup plus âgé que vous ?”…
“Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge”…
“Une question de quoi, alors ?”…
“Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois”…
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et, abandonnant l’armée du salut, je l’ai accompagnée jusqu’au Ritz pour lui offrir un verre… et plus si affinités…
Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni à la sexualité, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises.
C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
L’écriture est un puissant excitant du rêve.
L’écriture est une drogue douce.
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en relisant “Quelqu’un contre le reste du monde”…, écoutant en sourdine soit l’adagio du Concerto n° 23 en “la-majeur“ de Mozart…, soit, du même, l’andante de son Concerto n° 21 en “ut-majeur“, musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux (via mes oreilles), pas même étonnés, les paysages sublimes de l’au-delà…, c’est que, à mes yeux et oreilles, la musique “Pop” et surtout le “Rock-hurleur”, sont à la musique ce que les Pizza’s sont à la gastronomie…
Je n’aime pas Mickael Jackson…, les Beatles me donnent des boutons…, les gratteux de guitare de l’urticaire…, je vomis Claude François…
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps.
Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement.
Nous ignorons à combien se monte encore notre capital.
En années ?…
En mois ?…
En jours ?…
Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital…, mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération.
Après nous, le déluge ?…
Non ?
Pffffffffffff !
Vieillir est ennuyeux, mais c’est le seul moyen que l’on ait trouvé de vivre longtemps.