Vous qui me semblez autres moi-même…
« J’ai » confiait Jean-Paul Sartre, « la passion de comprendre les hommes ».
Pour l’écrivain, cette préoccupation n’exprimait pas seulement une ambition philosophique, elle dénotait aussi une tendresse sincère pour ses semblables.
Etre philanthrope, en sympathie ou en résonance avec autrui, n’est donc pas l’apanage du scientifique, de l’érudit ou de l’artiste.
La démarche est à la portée de chacun. Un peu de compassion ou de miséricorde y suffit…
Les moyens de communication modernes nous permettent de scuter nos semblables au-delà de notre environnement immédiat.
Et de mieux discerner l’universalité de notre condition.
Votre enfer est pourtant le mien, nous vivons sous le même règne et lorsque vous saignez, je saigne et je meurs dans vos même liens.
Le “Ah ! je suis bien pareil à vous” révélé par les médias est très utile pour questionner les mécanismes collectifs qui sont le sort navrant du genre humain.
Déjà l’aide humanitaire y trouve sa raison d’être et ses moyens d’agir.
Mais la prise de conscience et l’engagement politique peuvent aussi y gagner.
Toutefois, ce détour par les technologies de l’information est superflu, les mutations du capitalisme contemporain, l’actuelle “Grande transformation” comme disait Karl Polanyi, le “Basculement du monde” qu’évoque Michel Beaud dans son livre du même nom, peuvent se déchiffrer dans les faits les plus anodins de l’existence quotidienne.
Au travers de subtils changements de comportement ou de menues métamorphoses de nos apparences, par exemple.
Ainsi, tant l’inégalité renaissante y répand les stigmates de l’indigence, un regard curieux sur une foule populaire suffit-il à constater l’intolérable revanche de la pauvreté.
Et tous ces yeux cernés… et tous les trains obscurs gorgés de dormeurs sinistrés…
Cette dureté grandissante des relations humaines qui nous rapprochent du brutal “vivre ensemble” américain…
Qui n’a pas été interpellé par leur “résistible ascension” fruit empoisonné du chômage de masse, du stress professionnel et de l’érosion des solidarités ?
Autre spectacle familier, nos manies vestimentaires et notre façon de circuler.
Elles expriment aussi l’air du temps… tenues sport, grosses chaussures, sac a dos.
Ou courent donc tous ces gens aux allures de “Yamakasi” ?
Est-ce le “Jeunisme” ambiant qui poussent ces gens pressés à prouver leur inoxydable condition physique ?
Et pourquoi un kit de survie dans leur havresac “kipling” ou leur musette “Eastpack”, biberon d’eau minérale, Gsm, paquet de cigarette, collation énergisante ?
Parce qu’en état de guerre économique, dans la jungle des villes, un équipement paramilitaire s’impose ?
Parce que le culte de la performance fait du moindre de nos déplacements… une épreuve de pentathlon ?
Parce que l’adrénaline que sécrète le “chacun pour soi” dessèche la gorge et dilapide les calories ?
« Est ce ainsi que vivent maintenant hommes et femmes ? » s’indignait Léo Ferré…
Regarder autour de soi, de fait, suffit souvent à l’étonnement, mieux, à l’émotion… “Ce qu’on fait de vous hommes femmes, pierres tendres et usées avec vos apparences brisées, vous regardez m’arrache l’âme” écrivait Aragon.
En suite de quoi l’indignation ne tarde guère, ni la révolte qu’elle nourrit.
Comprenez que de temps en temps. la terre tremble….y compris ce site….