Il pose son menton dans la main et regarde, sans le voir, le feu dans l’âtre de Longwood House.
Dehors, le vent de l’Océan balaie les rochers de Sainte-Hélène.
L’Aigle, déchu, devient nostalgique, il évoque sa courte histoire pleine de prodiges et termine par ces mots de légende : Quel roman que ma vie !
Quel roman, en effet, que sa vie.
Un roman qui explique pratiquement à lui seul la fascination de la postérité pour un dictateur à redingote grise et chapeau noir, qui laissa la France plus petite qu’il ne l’avait trouvée, soumise à ses ennemis, divisée par la guerre civile et affaiblie par les saignées de la conscription.
Pendant une décennie, l’ogre avait fait souffrir la nation.
Pendant deux siècles, il l’a fait rêver.
Il s’est publié plus de livres sur Napoléon qu’il ne s’est écoulé de jours depuis sa mort.
On a sans doute plus polémiqué à son propos qu’autour de n’importe quel personnage de l’histoire de France : Chateaubriand, Stendhal, Balzac, Vigny, Conan Doyle, Hugo, Dumas, Barrès ont fait vivre l’épopée dans leurs romans.
D’Abel Gance à Antoine de Caunes en passant par Sacha Guitry, René Clair, Bondartchouk ou Ridley Scott, innombrables sont les réalisateurs qui ont mis en scène un épisode de la vie de l’Empereur, tout comme les dramaturges, de Rostand à Brisville.
Il existe des sociétés napoléoniennes partout dans le monde, chez les alliés de la France à l’époque, l’Italie ou la Bavière, chez ses ennemis les plus farouches, en Grande-Bretagne, en Russie ou en Autriche, mais aussi, chose étrange, dans des pays qui n’ont rien à voir avec l’épopée, comme Cuba ou le Canada !
Tous les ans, des milliers de passionnés se retrouvent sur les champs de bataille de la Grande Armée, à Waterloo, à Austerlitz ou à Borodino…, pour reconstituer avec force uniformes, canons et tambours, les manoeuvres du Petit Caporal qui s’est auto-proclamé Empereur…
Le bicorne noir posé en travers… et la main dans le gilet…, sont des symboles universels, tout comme le Code civil (largement rédigé avant Napoléon)…, le pont d’Arcole (où Bonaparte s’engagea derrière Augereau qui tenait le drapeau, à l’inverse du célèbre tableau)…, le soleil d’Austerlitz (masqué par la brume)…, la défaite de la Berezina (qui était une demi-victoire)… ou la morne plaine de Waterloo (où l’on voit surtout un couvent à l’architecture médiocre que feu le Roi Baudouin à imposé au mépris de tous les traités d’urbanisme en échange de prières pour le repos de son âme noire comme l’Afrique qu’il a saccagé en suite du génocide du Congo par son arrière-grand-père Léopold II)…
C’est la force des mythologies, qui ne s’embarrassent pas d’exactitude quand il s’agit de re-écrire l’histoire…
Ces gens-là ne savent pas parler à l’imagination des peuples, disait l’exilé de l’île d’Elbe quand il jugeait la politique des Bourbons.
Lui, en tout cas, savait, il était le metteur en scène de sa propre gloire, l’auteur, l’acteur, le régisseur et le chef de claque d’une pièce prodigieuse tissée d’exploits réels et de faits imaginaires intimement mélangés pour les besoins de la légende.
On peut découper en périodes de trois ou quatre mois cette existence météorique : à chaque fois, on y puise la matière d’un récit haletant de plusieurs centaines de pages, où l’on ne compte plus les passions incandescentes, les coups de théâtre, les personnages sublimes ou grotesques, les ironies du destin et les chutes retentissantes.
Après le siège de Toulon, le jeune Bonaparte, militaire sans affectation, est revenu à Paris où il vit dans un galetas proche de l’actuelle place de la Bourse.
Mais en quelques jours, pour avoir réussi à terrasser les monarchistes en leur faisant tirer dessus au canon…, sauvant le Directoire…, l’officier sans emploi devient général en chef de l’armée de l’intérieur, dignitaire du régime, soupant avec les ministres, courtisé par tout Paris, réglant le maintien de l’ordre et la sécurité de la nation.
En Italie, en cette suite il a inventé la guerre éclair.
En Egypte , il a gagné dix batailles, conquit un royaume, perdu sa flotte, fait exécuter les prisonniers, décapiter les rebelles, euthanasier les malades, pour déserter finalement, pariant qu’il pourrait prendre le pouvoir à Paris, jouant sur un coup de poker, sa vie et sa carrière.
Revenu illégalement à Fréjus, il est accueilli comme un sauveur, approche tous les partis et n’en adopte aucun…, sert de sabre aux bourgeois révolutionnaires qui veulent fixer la Révolution aux principes qui l’ont commencée, réussit un coup d’Etat légal le 18 Brumaire, mais manque d’être arrêté et mis hors la loi le 19 à Saint-Cloud, sauvé in extremis par son frère et par les grenadiers de Murat, qui chassent les députés récalcitrants de l’Assemblée.
Le coup d’Etat devient militaire.
Celui qui devait seulement apporter la caution de l’armée est maître du jeu.
En trois mois, le déserteur d’Egypte est devenu Premier consul.
Ainsi, pendant quinze ans, les chapitres succèdent aux chapitres, tous aussi fertiles en événements, menant le héros dans toute l’Europe, le confrontant à tous les monarques, l’obligeant à développer son génie de l’organisation dans tous les domaines.
Jusqu’aux derniers trois mois, qui voient l’empereur déchu s’évader une nuit de l’île d’Elbe sur un voilier, échapper à la flotte anglaise, débarquer en proscrit à Golfe-Juan, rallier paysans républicains et soldats bonapartistes à chaque étape, pour arriver à Paris de nouveau empereur, réussissant cet exploit unique dans l’histoire : la conquête d’un pays par un homme seul.
L’aventure des Cent-Jours se terminera à Waterloo.
Entre-temps, la France aura souscrit au dernier soubresaut de l’épopée.
Tel est ce roman-fleuve qui réunit tous les genres, la tragédie, la comédie, le drame romantique et le récit surréaliste.
Mais, au-delà du roman, pourquoi s’intéresser à une telle saga aujourd’hui alors que les valeurs démocratiques dominent, que la guerre a été bannie d’Europe… et que cette conception de l’autorité, de l’Etat et de la nation est essentiellement désuète et souvent funeste ; quand son héros, tout de même, est d’abord un dictateur cynique qui a fait tuer des centaines de milliers d’hommes, torturer les suspects dans l’affaire de la machine infernale, exécuter le duc d’Enghien au mépris de toutes les lois…, qui a mené en Espagne une guerre ignoble, sacrifié son armée en Russie, envoyé à la mort des gamins enivrés de patriotisme ou terrorisés par leurs officiers, et qui, enfin, a répondu au chancelier Metternich qui lui faisait observer le coût humain de la guerre européenne : Mais que me fait, à moi, la mort d’un million d’hommes ?
On répondra que c’était l’époque, que cette Révolution a fondé nos principes, marqué le pays et multiplié les destins prodigieux.
Bonaparte, au fond, n’est que le plus spectaculaire de ces personnages sortis du néant pour monter à l’assaut du ciel.
L’avocaillon Robespierre, auteur raté de mièvres poésies, notable d’Arras promis à l’obscurité provinciale, devient grâce à un talent oratoire soudain révélé et à une conviction de moine-soldat…, le pape des révolutionnaires de France et du monde, dictateur de la Terreur et inspirateur de Lénine, de Mao et de Che Guevara.
Le journaliste Desmoulins, piéton du 14 Juillet devenu prophète, amoureux frénétique et candide, est l’âme de la première époque de la Révolution, succombant parce qu’il voulait, avec son ami Danton, inventeur de la Terreur passé à l’indulgence, mettre fin au massacre.
Bernadotte, fils d’aubergiste du Béarn, surnommé Sergent Belle-Jambe pour sa prestance, devient général de la Révolution, maréchal d’Empire et finit roi de Suède.
Thérésa de Cabarrus, femme de banquier et reine de beauté, promise à la guillotine et sauvée par Legendre, député du Marais à la Convention, tombé amoureux de la belle condamnée, qui organise la chute de Robespierre le 9 Thermidor parce qu’elle devait être exécutée le 10.
Elle devient Notre-Dame de Thermidor, inventant la mode des Merveilleuses, les robes à l’antique et les soirées où les femmes reçoivent nues sous une mousseline transparente.
Talleyrand, évêque d’Autun, grand seigneur de l’Ancien Régime en révolte contre les conventions et la nature qui l’ont fait prêtre parce qu’il avait un pied-bot, qui ruine l’Eglise en désignant ses biens à l’avidité de la Révolution à court de crédits, qui dit la messe lors de la fête de la Fédération, qui parraine Bonaparte et le sert comme ministre, avant de le trahir au profit de l’Autriche et d’adouber Louis XVIII, ayant fait, entre-temps, des centaines de bons mots et des millions en pots-de-vin.
De tous ces personnages qui ont mené leur vie comme une intrigue de théâtre ou un scénario de film, Bonaparte est le plus excessif, le plus romantique, le plus ambigu aussi.
Il est né de la Révolution, mais la termine.
Il répand dans toute l’Europe le principe d’égalité, mais crée une aristocratie.
Il hérite des guerres révolutionnaires et ne fait au début que se défendre.
Mais il est saisi par l’ubris et rêve de l’Empire universel.
Il émancipe les Juifs, mais rétablit l’esclavage.
Il gagne à Ulm et à Austerlitz par le génie de ses manoeuvres, presque sans pertes, mais fait tuer sans sourciller des centaines de milliers de soldats dans les batailles d’anéantissement de la fin du règne.
Il mène une politique centriste, de réconciliation, mais se perd par l’excès de ses conquêtes.
Bref, il est source de controverses infinies au tant que de récits romanesques.
Il est le héros et l’antihéros, aussi fascinant dans les deux emplois, qu’il incarne en une seule trajectoire tous les crimes et toutes les grandeurs de la politique.
L’Europe continentale aura mis prêt d’un siècle à se soumettre à la vision anglo-saxonne du monde.
Waterloo aura sonné le glas au projet d’une grande Europe rêvé par Napoléon Bonaparte.
Au-delà d’une victoire territoriale, se sont affronté deux visions du monde, deux philosophies.
Napoléon incarnait la République et les valeurs paternalistes qui en découlaient : l’Etat puissant et centralisé.
Ce pouvoir providentiel s’appliquait à gérer la vie quotidienne de chaque citoyen en accordant des droits contre des devoirs.
L’intérêt général prévallait l’intérêt individuel.
La patrie et la nation incarnée par l’Empereur valaient plus que la vie personnelle.
Le futur d’un monde meilleur pour les générations à venir, se préparait dans un présent qui avait moins d’importance propre.
Ce modèle était hérité de la république romaine conceptualisée par Platon.
La France était l’héritière directe de la civilisation romaine.
Le platonisme connaîssait un fort succès dans la Rome antique, imprégné par le stoïcisme (Epictète).
Le stoïcisme et le platonisme s’étaient à ce point rapprochés que, sans risquer la contradiction, on pouvait dire d’un philosophe qu’il était en même temps stoïcien et platonicien.
Parmi les valeurs qu’ils incarnaient, celle qui se reflètait le plus dans l’économie, était le protectionnisme.
Les patrons (du latin : patronus : protecteur) étaient à l’image des patriciens romains, les noyaux centraux au rôle social élevé.
Ils avaient l’obligation morale de gérer leurs entreprises dans l’intérêt des employés et de la société.
L’entreprise était considérée comme un bien social plus qu’une propriété privée.
Les bénéfices étaient considérés comme la juste récompense du travail fourni par l’ensemble du personnel dont le patron.
En plus de la rémunération ils contribuaient à la société par la taxation.
Le profit était un moyen dont le but était l’amélioration des conditions de vie et de travail des citoyens.
Le mérite était une valeur essentielle et incontestable à la réalisation d’un plan plus personnel.
Cette économie concrète et réelle s’opposait à l’économie spéculative et opportuniste incarnée par les anglais.
Les maîtres à penser de ses seigneurs britanniques étaient, pour les plus importants, Aristote, Epicure et John locke.
L’empirisme d’Aristote s’opposait à l’innéisme de platon.
L’épicurisme était le parfait contraire du stoïcisme.
John Locke appuyé par ces deux philosophes, matérialisa le libéralisme comme une doctrine politique et économique.
Dans ce concept, l’individu était au centre de tout.
La liberté était un droit sans contre partie qui s’exercait dans la libre concurrence et l’absence de règles commerciales.
Les prix étaient fixés par le marché, y compris pour les biens de première nécessité.
Chacun avait le droit au bonheur, qui de plus était subjectif.
Ainsi la recherche du plaisir individuel était le seul principe directeur qui animait chacun sans aucune autre morale.
Seul le présent comptait, et le profit était un but sans forcément de compensation.
L’Etat gendarme n’était qu’un garde fou pour les sujets que rien n’arrêtait.
La propriété privé était un droit fondamental octroyé aux puissants Lords, puis à la bourgeoisie.
L’entreprise était un bien comme un autre, la recherche du profit étant son seul objectif.
Les salariés étaient mis en concurrence, au grand bonheur de la classe possédante.
La spéculation est ainsi née de la finance anglaise sur les comptoirs qu’elle possédait partout dans le monde. Les commerçants pouvaient vendre à l’avance ce qu’il n’avaient pas encore acheté ou récolté dans les colonies.
Les établissements financiers étaientt des entreprises comme les autres avec la même finalité, et n’avaient aucun rôle social
Après l’ère Napoléonienne, la France mettra du temps à se soumettre à cette nouvelle donne.
Elle le fera progressivement et par palier.
Depuis 1815 presque deux cents ans sont passés.
Aujourd’hui la Banque de France n’a plus le monopole d’émettre sa monnaie depuis 1973.
Les frontières sont tombées, les travailleurs et les entreprises sont mises en concurrence sans réglementation équitable (convention de Shengen).
La spéculation financière a gangrené notre économie réelle (crises financières de 2004, 2008, 2012).
Aujourd’hui certains prédisent la fin de cette économie alors qu’historiquement la France ne vient que de comprendre les nouvelles règles…
Grâce à l’impérialisme culturel des Américains, à travers le cinéma et les séries télévisuelles, les français pensent comme des anglo-saxons.
De plus en plus égoïstes ils appliquent l’individualisme là où il y avait une solidarité nationale.
Le système de santé ou de retraite par répartition est mis à mal et est devenu obsolète.
La cohésion de la nation n’existe plus car la nation n’existe plus.
Dans peu de temps les acquis sociaux seront d’un autre âge, celui de nos pères.
L’Etat n’a plus les moyens de nous protéger face aux puissances financières à qui il concède toujours plus sa souveraineté.
Le père protecteur est devenu une mère indigne qui brade ses enfants aux plus offrants.
Les idéaux politiques, philosophiques voire religieux n’ont d’échos que dans l’affairisme.
La seule liberté est celle d’acheter, le seul pouvoir est celui de consommer… et le seul droit est de jouir…, le consommateur remplace le citoyen.
La personnalité ne s’exprime qu’à travers ce qu’on possède… et la chance a remplacé le mérite.
Le vocabulaire du marketing est transposé dans la politique, où les communicants sont des magnats du monde de la publicité.
Le paraître surpasse l’être tant nous sommes plongés dans l’illusion.
Les barons d’autrefois avaient tout intérêt à voir prospérer leur bourgade, ils s’en faisaient un devoir, alors que ceux d’aujourd’hui n’ont d’intérêts que le seul profit privé.
Les Français, schizophrènes, réclament la protection de l’Etat quand l’économie se porte mal, lors de délocalisations ou de plans sociaux, par exemple.
Ils vivent dans le déni comme les dirigeants.
Ils veulent les avantages d’un Etat colbertiste, alors que les élus font tous les parties prenantes du libéralisme dominant.
Ils réclament plus de protections, qui doit se faire obligatoirement par une maîtrise des frontières… et ils votent pour toujours plus octroyer le pouvoir à une Europe fédérale.
A croire qu’ils sont encore sous l’euphorie d’Austerlitz !
Pourtant il faudra bien s’y résigner, Waterloo a bien eu lieu… et les Anglais ont vaincu pour encore longtemps !
Voilà ce que devrait nous apprendre la reconstitution annuelle de la bataille de Waterloo…, mais en fait, c’est simplement un évènement touristique local qui par volonté politique à l’ambition de devenir un élément essentiel du tourisme Belgo-Wallon…, quitte à raser absolument tous les bâtiments qui ont été construits alentours de la butte du lion de Waterloo…
En attente, se disant les uns les autres que plutôt que disperser les gentils touristes dans les champs ou ils ne peuvent alimenter le commerce de Waterloo en regardant gratuitement les clubs d’irréductibles fanatiques des militaires des années 1800…, ces édiles communaux locaux ont eu l’idée d’un défilé en fanfare dans la rue commerçante… ainsi que de deux bivouacs payants (13 euros par personne) distants l’un de l’autre de plus de 5 kms : les “Français” près de Plancenoit, les “Alliés” au pied de la butte du lion…
Pfffffffffffffff !
Il n’y avait pas grand monde, pas vraiment personne… mais pas trop quand même…
Pas foule dans les rues de Waterloo pour admirer les troupes, pas de commerce ouvert sauf quelques bars et cafés…, une vraie désolation !
Au pied de la butte du lion, à peine plus de monde que les autres dimanches… et…, les organisateurs ont laissé ces mêmes gens visiter gratuitement les bivouacs, pour que la désolation générale ne se remarque pas trop…, ce qui s’apparentait à un bain de boue…
Il n’y avait par ailleurs pas grand chose à voir…, quoique pour charger l’atmosphère, de temps en temps, un troupier tirait un coup de fusil vers l’horizon…
Pan, pan…, baoummm, waouwww !
J’avoue, j’ai fui au loin sans demander mon reste.
Si le comité des fêtes du cru (du lieu) ainsi que le Maire-Bourmestre Kubla (MR) me font VIP à vie, avec passe-droits, gratuité de plusieurs nuitées en 4 étoiles, repas gastronomiques compris, parking gardé et autres plaisirs entre-amis politiques, j’écrirai que c’était super bien, fabuleux et tout et tout…, que ça valait la peine… et avec 10.000 euros cash, j’ajouterai qu’il faut absolument venir l’année prochaine…
Pourquoi ne puis-je avoir le même traitement que les Zamis ?
hein ? Quoi ? Ah bon…
Tant pis…
Waterloo, morne plaine !