Windows…
4 avril 1975 : naissance de Microsoft
Microsoft (qui s’est d’abord appelé Micro-Soft) est fondé le 4 avril 1975 par Paul Allen, alors âgé de 22 ans, et Bill Gates, 20 ans, tous deux étudiants à Harvard. Leur premier coup : développer l’interpréteur Basic de l’Altaïr 8080. Après le Micral en 1972, il s’agit d’un des tous premiers micro-ordinateurs vendu dans le commerce. Embarquant un microprocesseur Intel, il était initialement limité au langage assembleur. Dans la foulée, les deux fondateurs installent leur société dans un motel d’Albuquerque au Nouveau-Mexique (à quelques pas du siège de MITS, constructeur de l’Altaïr).
6 novembre 1980 : Microsoft vent DOS à IBM… sans exclusivité
Bill Gates signe le 6 novembre 1980 un contrat qui va faire entrer Microsoft dans la cour des grands. L’éditeur, qui n’est encore qu’une start-up, est choisi par IBM pour développer l’OS de sa première ligne de PC (embarquant le processeur x86 8088 d’Intel). Gates parvient à doubler Digital Research, leader du marché des OS à l’époque avec son CP/M, dont la proposition n’est pas retenue. Pour pouvoir réaliser son tour de passe-passe, Microsoft acquiert QDOS, un clone de CP/M, pour 50 000 dollars. Le coup de génie ? Le contrat signé avec IBM n’est pas exclusif. Microsoft va pouvoir vendre son OS à d’autres constructeurs de PC. Et Bill Gates a négocié 35 dollars par copie de MS-DOS écoulé avec chaque IBM PC. Des millions d’exemplaires seront vendus à partir de 1981. C’est la fortune. Les alchimistes médiévaux changeaient les métaux en or.
Les créateurs de logiciel ont repris le flambeau lorsqu’ils ont choisi de faire subir au MS-DOS une mutation profonde en le dotant d’une interface graphique.
MS-DOS était neutre et impersonnel. Windows est devenu coloré, chic et élégant.
La métamorphose a été fastidieuse ; on ne change pas d’un coup de baguette la matière brute en oeuvre majestueuse.
Les conquérants de la terre graphique ignoraient qu’ils pénètraient sur une île crevassée et truffée de pièges.
Le chemin qui menait de MS-DOS au royaume des fenêtres sera revêche et inclément.
Ceux qui se sont attaqué à cette conquête en environnement hostile y ont laissé des plumes.
La firme de Gates n’a pas été épargnée : un parcours qui constitue l’épreuve la plus ardue de son histoire.
L’IBM PC avait annulé l’effet Tour de Babel créé par les micro-ordinateurs l’ayant précédé en imposant un standard.
Mais cette Tour s’est rapidement reconstituée. Les logiciels les plus populaires se comportaient tous différemment, un utilisateur chevronné de Wordstar redevenait un novice dès lors qu’il recourait à dBASE ou Multiplan.
La solution à laquelle a songé le Géotrouvetou de Microsoft fut une couche à placer en sandwich entre le MS-DOS et les logiciels.
Gates rêvait au passage d’uniformiser l’aspect des programmes, son esprit vagabondait autour des concepts issus du Palo Alto Research Center (PARC), le centre de recherche expérimentale de Xerox.
Les notions de souris, d’icônes, d’interface graphique lui trottaient d’autant plus dans la tête que Steve Jobs, l’un des fondateurs d’Apple, venait de lui révéler l’esquisse du projet Macintosh.
Il envisageait donc une mutation du MS-DOS vers un nouveau modèle capable de produire une génération de logiciels “plus humains et instinctifs“.
A la fin de l’été 1981, le projet d’un gestionnaire d’interface, qui ne s’appelle pas encore Windows est lancé. Les premières réflexions impliquent un aspect similaire à Multiplan.
Mais Charles Simonyi, le directeur du développement fait l’éloge des interfaces graphiques développées au PARC.
Gates investit 100.000 dollars afin d’acquérir une station Xerox Star et une imprimante à laser.
Ebloui par la convivialité de cette machine, il acquiert une licence auprès de Xerox, afin qu’il soit possible de reproduire les menus déroulants et boîtes de dialogue mis au point sur la station Star.
L’interface graphique envisagée peut donc afficher plusieurs documents à l’écran : ils apparaissent dans des fenêtres distinctes.
Dans la mesure où Bill Gates et son équipe travaillent en parallèle sur les ébauches du Macintosh, un accord est conclu avec Steve Jobs : l’interface graphique de Microsoft devra présenter un affichage différent de celui du Macintosh.
Les fenêtres devront être juxtaposées et non superposées.
L’accord indique également que le gestionnaire d’interface de Microsoft ne devra pas apparaître avant la fin 1983.
L’idée d’une interface graphique était dans l’air du temps.
Depuis deux ans, VisiCorp, éditeur de VisiCalc, oeuvrait à l’élaboration d’une oeuvre similaire : VisiOn.
La tâche a été particulièrement coriace : VisiOn a été réécrit intégralement trois fois de suite, nécessitant un investissement de dix millions de dollars.
Mais le résultat fut là : VisiOn affichait ses fenêtres sur l’écran d’un PC.
Le logiciel fut annoncé au Comdex de l’automne 1982 et partageait la vedette avec un autre nouveau venu : 1-2-3.
Sur place, Bill Gates, a assisté, médusé et passablement inquiet, à trois démonstrations du produit de VisiCorp.
Extérieurement, VisiOn était fort proche de ce que préparait Microsoft.
Charles Simonyi fut sommé de se rendre immédiatement à Las Vegas afin d’appréhender de visu “à quoi ressemblait ce VisiOn“.
Gates jugeait qu’il était temps d’informer le public sur ce qui se tramait dans ses laboratoires.
Dès janvier 1983, au cours d’un Forum sur les micro-ordinateurs, il explique que Microsoft travaille sur un projet similaire à celui de VisiCorp.
Toutefois, ajoute Gates, son logiciel sera prêt avant VisiOn.
Au cours des semaines qui suivent, un prototype du gestionnaire d’interface fonctionne sur PC.
Sous les yeux ébahis de ceux-là même qui l’ont programmé, la magie de l’interface graphique commence à opérer : la souris est mise à contribution pour déplacer les fenêtres et sélectionner des options dans les menus.
Il reste à trouver un nom au logiciel.
Le baptême a lieu en mai dans la salle des conférences où se réunissent Bill Gates, les responsables du développement et du marketing.
Jeff Raikes se montre partisan du nom Microsoft Desktop (le bureau Microsoft).
Un nom plus naturel fait l’unanimité : Windows (fenêtres).
Au cours de l’été, sur la recommandation de Charles Simonyi, Gates jette son dévolu sur Scott MacGregor, un chercheur du PARC, auteur du système de fenêtres qui orne l’écran de la station Xerox Star.
Gates et MacGregor se rencontrent au cours d’un dîner et se découvrent une passion commune pour les interfaces graphiques.
Tout comme Simonyi, MacGregor est déçu par le manque d’intérêt porté par Xerox aux créations du PARC.
Il rejoint donc Microsoft et prend la direction du développement de Windows, bientôt suivi par deux autres programmeurs talentueux du centre de Palo Alto : Dan Lipkie et Leo Nikora.
L’équipe qui va présider à la définition, mise en oeuvre et diffusion de Windows prend forme.
Nikora, à peine embauché, découvre un mode de vie infiniment plus trépidant que celui du PARC.
Dès son premier jour de travail, Gates et Ballmer l’emmènent chez IBM.
Sur place, il est présenté comme le directeur du marketing de Windows alors qu’il ignore encore tout des PC et de leurs logiciels.
Nikora tente d’appréhender la situation sans laisser transparaître sa perplexité.
La visite organisée chez IBM a pour objectif de dévoiler une version préliminaire de Windows.
Don Estridge et son équipe apprécient ouvertement la démonstration : à plusieurs reprises, ils expriment leur admiration devant le spectacle des fenêtres et icônes.
Mais une fois la présentation terminée, Don Estridge explique poliment que ce projet ne les intéresse pas : IBM est elle-même en train de plancher sur un développement interne encore plus passionnant, Topview.
Tout comme Windows, ce logiciel va recouvrir le DOS de fenêtres.
Cette décision corrobore une analyse de la presse spécialisée : après s’être appuyée sur Microsoft pour l’écriture du MS-DOS, IBM pourrait être tentée de faire cavalier seul.
L’histoire de la compagnie montre que tôt ou tard, elle tente de récupérer de façon exclusive, ce qui apparaît comme une source de profit.
Pour contrer IBM, Bill Gates met en place une étonnante stratégie de survie.
A défaut de pouvoir compter sur le créateur du PC, il décide de rallier les constructeurs de compatibles à la cause de Windows.
Compaq, Zenith, Tandy, Texas Instruments, Hewlett-Packard et consorts n’ont aucun intérêt à voir IBM opérer une mainmise sur le standard.
Par le passé, Big Blue n’a jamais hésité à faire évoluer de façon brutale son matériel ou son logiciel afin d’éliminer la compétition.
Les fabricants de compatibles peuvent trouver dans le support d’une solution émanant de Microsoft l’occasion rêvée d’échapper à la tutelle d’IBM.
Gates prend son bâton de pèlerin comme au temps du MS-DOS et entreprend de les convaincre un à un de l’opportunité Windows, quitte à isoler son partenaire privilégié.
C’est la première fois qu’il opère un tel renversement d’alliances afin de favoriser la pérennité de sa compagnie.
L’automne avance sous le signe des interfaces graphiques.
La rumeur veut qu’une machine étonnante soit en train de voir le jour au sein des laboratoires d’Apple.
VisiOn voit le jour avec quatre mois de retard, pour le plus grand bonheur d’un public alléché : trente mille copies sont immédiatement écoulées.
Un nouvel éditeur, Quarterdeck, annonce son propre environnement, DesQ.
Du côté de Windows, rien de nouveau…
Bill Gates qui espérait arriver le premier est piqué au vif.
Les rumeurs relatives à TopView alimentent le débat au sein des fanzines spécialisés et certains augurent d’une rupture entre IBM et Microsoft.
Bill Gates prend à la hâte, une décision qu’il regrettera amèrement au cours des années suivantes : celle de présenter sans plus attendre son environnement à la presse.
L’annonce de Windows, une “interface graphique destinée à recouvrir le DOS“, a lieu le 10 novembre, à New York.
L’heure est aux annonces irréfléchies et aux promesses à la légère.
Bill Gates se hasarde à des prédictions dont il ne mesure pas la portée et dont il va se mordre les doigts des mois durant : “Dès la fin de 1984, Windows sera opérationnel sur plus de 80% des ordinateurs MS-DOS.”
Pour justifier le fait que les fenêtres de Windows sont juxtaposées, alors que celles du Lisa d’Apple sont superposées, Steve Ballmer affirme que ce concept a fait l’objet d’un débat interne : “Nous voulons représenter un bureau bien rangé“.
Bill affirme que Windows : “permettra d’intégrer plus de 90% des programmes MS-DOS.”
Avec une nuance : de tels logiciels pourront seulement être appelés depuis Windows mais ne s’exécuteront pas au sein de ses gracieuses fenêtres.
Les éditeurs sont incités à écrire de nouveaux programmes en mode graphique spécifiquement pour Windows.
Microsoft va elle-même adapter Multiplan et Word en ce sens.
Lotus, Ashton-Tate, Software Publishing, Software Arts, et Peachtree annoncent officiellement leur soutien. Parmi les constructeurs de compatibles PC qui prennent fait et cause pour Windows figurent Compaq, Texas Instruments, Hewlett-Packard, Zenith, Burroughs et DEC.
Evidemment, l’absence du constructeur de PC le plus important est voyante.
Le lendemain de l’annonce, Gates retourne voir Don Estridge afin de le persuader que Big Blue doit rejoindre la liste des supporters de Windows.
A l’appui de son argumentation, il dévoile la dernière version de son environnement.
Big Blue ne tarde pas à faire connaître sa réponse : Estridge réitère son refus de soutenir Windows, et de surcroît, passe un accord avec VisiCorp, portant sur la distribution de VisiOn.
Une façon comme une autre d’indiquer à Gates qu’il n’apprécie pas trop ce qui s’est passé à New York.
IBM a aidé Microsoft à devenir une compagnie majeure en lui confiant le développement de MS-DOS.
A présent, le poulain se permet d’établir une voie dissidente en matière de système.
Au Comdex de Las Vegas, Bill Gates effectue une nouvelle démonstration de Windows et délivre un message prophétique à l’assistance : “Nous devons pousser la conception des logiciels dans ses limites extrêmes. Les ordinateurs doivent devenir aussi simples à utiliser qu’un téléphone.”
Mais tandis qu’il joue les prédicateurs, VisiCorp démarre la livraison de VisiOn.
Et Microsoft se prépare à affronter l’épisode le plus redoutable de son histoire.
Les programmeurs affectés au développement de Windows faisaient preuve d’un enthousiasme à tout rompre lors de l’annonce effectuée à la presse.
Scott MacGregor, responsable de l’équipe s’est lui-même laissé entraîner dans l’excitation du moment.
Lui qui œuvrait dans l’anonymat au sein du PARC se retrouve aux premières lignes d’une compétition intense.
Il participe à un projet majeur qui retient l’attention de toute l’industrie, et répond aux questions des journalistes.
Mais la frénésie ne tarde pas à retomber.
Au-delà des prototypes dévoilés de façon publique, Windows se trouve encore dans une phase précoce : un grand nombre de spécifications essentielles n’ont pas encore été arrêtées.
L’équipe des programmeurs découvre des problèmes techniques insoupçonnés.
Windows est censé intégrer des logiciels MS-DOS tels que 1-2-3 ou dBASE.
Mais ceux-ci ont été réalisés plusieurs années auparavant dans l’optique d’un fonctionnement sous MS-DOS.
De ce fait, ils ont tendance, une fois lancés, à monopoliser l’intégralité de la mémoire disponible : il n’était pas prévu qu’ils aient à cohabiter avec un autre logiciel.
Les programmeurs se voient contraints de trouver un moyen de leurrer les programmes tels que 1-2-3 afin qu’ils n’accaparent pas toute la mémoire et en laissent une partie à Windows.
De façon générale, l’équipe de MacGregor se heurte à des obstacles qui apparaissent insurmontables.
Microsoft s’est attaquée à un projet dont l’ampleur et la complexité ont été largement sous-évaluées.
1984 arrive et réfute les prédictions d’Orwell comme celles de Gates : la sortie de Windows n’est pas à l’ordre du jour, et c’est tout juste s’il est annoncé “pour la fin du premier trimestre“.
Le président de Microsoft rencontre fréquemment MacGregor et tous deux se plongent dans de profonds débats concernant les tenants et aboutissants d’une interface graphique dont la définition évolue de semaine en semaine.
A la fin de février, une conférence est organisée à Seattle afin de présenter les dernières informations relatives à l’environnement graphique.
Les plus grands éditeurs et constructeurs de la micro-informatique ont délégué un responsable technique sur place.
La déception est intense chez les trois cents participants : Microsoft n’est pas en mesure d’apporter les informations nécessaires au démarrage de l’écriture de logiciels.
La sortie de Windows est reportée au printemps, aux alentours de mai.
Des rumeurs étranges circulent à son sujet.
Certains prétendent que Microsoft aurait abandonné l’idée de le placer au-dessus du DOS, et qu’elle envisagerait de l’adapter à un autre système, Unix.
Le retard de Microsoft est relativisé par les déboires que rencontrent ses concurrents.
VisiOn ne décolle pas : ses acquéreurs ne découvrent pas le miracle technologique attendu.
La tiédeur de l’accueil vient de ce qu’il nécessite un disque dur – denrée rare en 1984 – et une carte spéciale à installer dans le PC.
De plus, VisiOn est un système fermé.
Si Windows va permettre l’accès aux best-sellers du monde DOS que sont 1-2-3, Multiplan ou dBASE, VisiOn ne peut exécuter que des logiciels spécifiquement écrits pour s’exécuter dans ses fenêtres.
Devant l’ampleur de la mévente, VisiCorp divise le prix de VisiOn par cinq : il passe de 495 à 95 dollars.
En mai, Quarterdeck lance Desq, un environnement à fenêtres capable d’exécuter plusieurs programmes DOS simultanément.
Le logiciel démarre sa carrière de façon prometteuse au rythme de deux mille exemplaires par mois.
Hélas, les investisseurs de Quarterdeck s’inquiètent de l’arrivée du TopView d’IBM et décident de retirer leurs fonds de la compagnie.
Après avoir licencié les deux tiers de son personnel, Thérèse Myers, présidente de Quarterdeck lance le développement d’une interface compatible avec TopView, intitulée DesqView.
Un nouveau concurrent apparaît dans l’arène : GEM de Digital Research.
Pour Gary Killdall, l’opportunité de lancer une interface graphique apparaît comme l’occasion rêvée de prendre revanche sur le fâcheux épisode MS-DOS.
Si Windows évoque l’interface Macintosh, GEM lui ressemble fortement : il s’inspire de plus près des concepts définis au PARC.
Comme sur la machine d’Apple, GEM affichera des fenêtres superposées.
Windows ne sort pas en mai 1984 et sa sortie est officiellement reportée à la fin août.
Microsoft attribue ce délai à des demandes émanant des utilisateurs pilotes, sur la présentation des écrans.
En réalité, le problème est interne : Bill Gates ne cesse de changer d’avis au sujet des caractéristiques de Windows.
Il a pris l’habitude de contourner MacGregor et intervient directement dans le travail des développeurs.
La tension monte entre l’ingénieur recruté au PARC et le fondateur de Microsoft.
MacGregor est fréquemment convoqué dans le bureau de Gates, qui entre dans des colères noires, ne comprenant pas pourquoi le projet s’enlise.
Il se voit alors répondre qu’il est responsable de cet état de fait : il faut que Bill cesse de modifier perpétuellement les spécifications de Windows, au gré de ses humeurs.
Gates rétorque qu’il veut que son interface graphique soit supérieure à tout ce qui existe et qu’il est essentiellement guidé par une telle motivation. Après s’être déchirés pendant plusieurs heures, les deux hommes se retrouvent généralement autour d’un dîner et tentent d’élaborer la marche à suivre pour sortir Windows de l’ornière.
En attendant, Jon Shirley est chargé de la pénible mission de faire passer la pilule auprès de la presse. “Windows est notre projet majeur. Nous sommes totalement engagés à faire de ce logiciel un succès“.
Il explique que les outils de développement ont été livrés aux programmeurs et qu’un grand nombre de constructeurs ont reçu les informations nécessaires pour l’adaptation de Windows à leurs machines.
Dans le même temps, la compagnie organise un Mea Culpa Tour pour annoncer officiellement le retard aux fabricants de compatibles PC.
Parallèlement, VisiCorp est au plus mal.
Pour se sortir de l’ornière, elle revend les droits de VisiOn à Control Data.
Mais elle est également engagée dans une bataille juridique désespérée, visant à récupérer l’exclusivité des droits de VisiCalc face au créateur du programme, Dan Bricklin et Bob Frankston.
Elle s’apprête à sombrer dans les sables mouvants.
Le retard de Windows est révélateur d’une situation : Microsoft souffre d’un manque d’organisation au niveau du développement.
Il a fallu un an pour que les responsables de Windows prennent réellement conscience de l’étendue du projet et de la réalité des faits : Windows requiert trop de mémoire pour qu’il soit possible de l’adapter aux PC les plus répandus.
Jon Shirley conclut que Gates supervise un trop grand nombre d’activités et que son efficacité n’est pas optimale dans ce contexte.
Les programmeurs, dont il doit assurer la coordination, valsent d’une tâche à une autre au gré de ses fantaisies.
Il n’est pas rare que Bill débarque soudainement dans un bureau, prenne connaissance de l’état d’avancement d’un projet et décide brusquement de modifier certaines spécifications d’un logiciel.
Une atmosphère d’instabilité règne au sein des équipes de développement et il est urgent d’y mettre fin. L’heure de la réorganisation sonne.
Steve Ballmer prend la tête de la division Système.
Ida Cole, ancienne directrice du développement d’Apple, est recrutée pour gérer la division Applications.
Bill Gates est cantonné au rôle de pourvoyeur d’idées brillantes et a pour mission de réfléchir à la conception des produits du futur.
Officiellement, il n’est plus habilité à intervenir directement dans le développement même.
Scott MacGregor n’est pas au bout de ses peines.
Le programmeur Neil Konzen rejoint l’équipe Windows au cours de l’été et entre en conflit avec le responsable du projet.
Il estime à son tour qu’il faut redéfinir les spécifications de Windows afin faciliter la tâche des éditeurs de logiciels.
Idéalement, il faudrait rendre aisée l’adaptation à Windows d’un logiciel écrit pour le Macintosh.
Konzen obtient gain de cause, épaulé par un Gates qui a rapidement redonné libre cours à sa tendance interventionniste : à la suite des suggestions de Konzen, un grand nombre de caractéristiques sont redéfinies.
Etrangement, en dépit de ces altérations au projet, Gates pense encore qu’il sera possible de livrer le logiciel deux mois plus tard.
Un lancement en fanfare est même organisé pour le Comdex d’automne et Windows doit être le clou du salon.
Mais la réalité s’avère féroce et réduit cet espoir à néant : le logiciel consomme trop de mémoire et se montre lent et instable.
En octobre, Leo Nikora, qui vient d’être nommé responsable du produit, annonce à la presse que la publication de Windows est reportée à juin 1985 : “Nous nous sommes fixés des buts excessivement ambitieux, eu égard aux capacités du microprocesseur 8088. Pour les atteindre, il nous faut revoir intégralement certaines parties du produit.”
L’image de Microsoft en prend un coup.
Désespérant de voir arriver ce produit sans cesse annoncé et sans cesse retardé, la presse spécialisée égratigne la compagnie et affiche son scepticisme sur les supposées vertus de l’interface graphique.
La légende du Gates prodige qui change en or tout ce qu’il touche, semble s’effriter : “Microsoft devra travailler dur pour se refaire une crédibilité” déclare Esther Dyson, qui invente au passage un terme qui deviendra célèbre : “vaporware” que l’on pourrait traduire par “produit volatile” à l’image de la vapeur.
Le retard de Microsoft affecte les plans d’une douzaine d’éditeurs, contraints à retarder la publication de leurs logiciels Windows.
Les premiers programmes réalisés se montrent d’une lenteur telle qu’il est difficile d’envisager une commercialisation.
Au début de l’année 1985, lorsque les journalistes s’informent de l’état de santé de Windows, la question est accueillie avec embarras et les visages deviennent pourpres.
Un grand nombre de constructeurs de PC lassés par une aussi longue attente se laissent séduire par l’interface graphique que finalise Digital Research : Tandy et Atari envisagent d’associer GEM sur leurs machines.
A Bellevue, la direction marketing décide de repenser le mode de diffusion du produit.
Windows jusqu’alors censé être fourni par les constructeurs sur leurs PC, sera vendu au détail, en boutique comme un logiciel habituel.
Leo Nikora tente en vain de persuader Gates qu’il faut cesser de constamment réviser le cahier des charges de Windows et supporte de plus en plus mal la pression à laquelle il est soumise.
Nikora qui approche la quarantaine insiste pour prendre ses week-ends en famille.
Insensible à ces préoccupations jugées futiles, Bill lui demande de mettre main à la pâte et de contribuer à la programmation de Windows.
La nouvelle année est porteuse de réflexions au sein de la jeune industrie micro-informatique.
Il ne s’est pas écoulé quatre ans depuis la sortie de l’IBM PC et déjà plusieurs grandes compagnies sont nées : Compaq, Lotus, Ashton-Tate…
Le secteur du micro-ordinateur a vu sa croissance se multiplier par vingt depuis 1980.
Le standard PC a éliminé tout autre norme, à l’exception du Macintosh d’Apple.
IBM continue sa progression vertigineuse : avec 1.375.000 PC vendus en 1984, elle accapare plus de 45% de la micro-informatique professionnelle.
Un nouveau modèle a été dévoilé en août 1984, l’AT, qui s’appuie sur un microprocesseur différent du 8088 : le 80286.
Cette puce a été conçue de façon peu orthodoxe et Gates a tenté à maintes reprises de dissuader Don Estridge de l’utiliser.
En réalité, Intel n’avait pas prévu que cette puce soit jamais utilisée au sein d’une machine MS-DOS.
Estridge voit un avantage au 80286 : l’un de ses modes est compatible avec le 8088 et amène une vitesse trois fois supérieure à celui-ci.
En définitive, l’AT apparaît comme un PC bâtard : il est ultra-rapide mais sous-exploite largement le processeur autour duquel il est construit.
Un grand nombre d’éditeurs de logiciels apparus dans le sillage du PC jouissent d’un rayonnement mondial. Lotus est devenu le n°1 du logiciel.
En 1984, elle a vendu 500.000 exemplaires de son tableur 1-2-3 et réalisé 157 millions de dollars.
Microsoft vient en deuxième position avec 125 millions de dollars.
A la troisième place figure Ashton-Tate dont le logiciel dBASE a été diffusé à 140.000 copies – soit 60% de l’ensemble des gestions de fichiers.
La compagnie fondée par George Tate et Al Lashlee pèse 79 millions de dollars.
L’histoire d’Ashton-Tate révèle un savant usage du marketing, dBASE, une gestion de fichiers associée à un langage de programmation a été réalisée par Wayne Ratliff pour ses besoins personnels.
Au début des années 80, Ratliff place une annonce dans un magazine afin de diffuser son logiciel par correspondance.
Progressivement, il se retrouve submergé par les aspects administratifs d’une telle diffusion.
Ratliff vend les droits de son programme à George Tate.
Celui-ci, sur le conseil d’une grande agence de marketing, procède à un lancement tapageur.
Le logiciel est rebaptisé dBASE II – alors que la version 1 n’a jamais existé.
Lors du Comdex de 1982, un ballon dirigeable portant la mention “dBASE II” flotte ostensiblement dans les airs sans la moindre autorisation municipale.
Il demeure là suffisamment longtemps pour frapper les esprits.
Une campagne publicitaire audacieuse et provocante prend le relais et impose dBASE comme la gestion de fichiers de l’IBM PC.
Ashton-Tate recrute Wayne Ratliff en août 1983 afin qu’il développe une version III du best-seller.
La compagnie acquiert un deuxième logiciel développé par un ancien membre du PARC, Robert Carr : Framework.
Nantie d’une telle gamme, Ashton-Tate semble appelée à une destinée remarquable.
Hélas, Georges Tate disparaît un an plus tard, ce qui amène un homme de 32 ans, Ed Esber, à la direction des affaires.
Sous la houlette de ce dernier, la compagnie accentue sa dérive vers le marketing : les logiciels sont définis à un niveau exécutif, charge étant donnée aux programmeurs de les réaliser.
Wayne Ratliff, Robert Carr ne vont pas tarder à quitter une compagnie qui semble avoir perdu son âme prématurément.
Pour Microsoft, 1985 est l’année de toutes les tensions.
Windows est encore loin d’être au point.
Lors des démonstrations, il est important de suivre les scénarios de A à Z sans dévier d’un iota, faute de quoi, un plantage se produit.
Un matin, Bill Gates appelle Steve Ballmer dans son bureau : il a découvert un bug majeur dans Windows et perd patience.
Fait inhabituel envers son vieil ami, Bill se met à crier que si Windows n’est pas sorti avant la fin de l’année, c’en est terminé de la carrière de Ballmer.
Leo Nikora ayant donné sa démission, un nouveau chef de produit est nommé : Tandy Trower.
Sa mission consiste à réorienter Windows dans l’optique d’une diffusion au grand public.
Trower adopte une mesure salutaire : il relance l’écriture de Write (traitement de texte) et Paint (dessin), deux logiciels esquissés deux ans plus tôt et s’inspirant de MacWrite et MacPaint, programmes livrés avec le Macintosh.
Trower déniche également deux logiciels anodins, prévus pour aider à tester Windows : une horloge et un jeu (Reversi), et met en route le développement d’outils de bureau : agenda, calculette, gestionnaire de fiches… Selon une logique similaire au Macintosh, Write, Paint et les autres applications de bureau seront offertes gratuitement aux acquéreurs de Windows.
Mais qui dit programmes supplémentaires implique du temps pour les développer.
IBM connaît un revers avec TopView.
Le logiciel publié en janvier 1985 est appelé à connaître un destin similaire à VisiOn : ses rares acquéreurs lui reprochent de consommer trop de mémoire.
Digital Research publie GEM quelques semaines plus tard.
Pour la première fois, une interface graphique pour PC rencontre les faveurs du public. 150.000 exemplaires sont écoulés en quelques semaines.
Mais l’heure de gloire est brève.
Apple considérant que GEM piétine trop les plates-bandes du Macintosh brandit la menace d’un procès.
Le coup est fatal pour GEM qui est littéralement stoppé dans son élan.
Digital Research se voit contrainte de réécrire son interface graphique.
Le caractère excessif de la réaction d’Apple s’explique par le fait qu’elle travers une période noire : John Sculley s’apprête à licencier plus d’un millier d’employés.
Il est urgent qu’apparaisse un logiciel irrésistible capable de relancer le Macintosh.
Jazz, le produit attendu de Lotus, est en retard.
Steve Jobs, après une réticence initiale commence à trouver un certain charme au tableur Excel de Microsoft. Mais Apple est confrontée à un dilemme.
Microsoft développe un environnement que Sculley juge dangereux à terme : Windows reproduit l’aspect du Macintosh sur un PC.
Les conseillers juridiques d’Apple sont partisans d’adopter une attitude similaire à celle pratiquée avec Digital Research : brandir le spectre d’une attaque en justice.
Informé des intentions d’Apple, Gates décroche son téléphone et cherche à joindre Sculley au plus vite.
Il lui demande de confirmer la rumeur selon laquelle un procès serait envisagé.
Une réunion est organisée en toute hâte à Cupertino.
Bill Gates, sûr de ses atouts traite Sculley sans aménité aucune.
Il émet de grands doutes sur les chances de survie de Macintosh et brandit deux armes implacables : il menace d’arrêter le développement d’Excel, et de retirer la licence du BASIC de l’Apple II.
Le président d’Apple tente de calmer le jeu : si Microsoft abandonne le développement Excel, les chances de survie du Mac sont réellement en péril.
La perte de licence du BASIC de l’Apple II serait pareillement préjudiciable pour ce micro-ordinateur dont les ventes continuent d’être excellentes.
Pour ce qui est de Windows, la position de Microsoft apparaît moins précaire que celle de Digital Research : la licence que Gates a obtenu auprès de Xerox lui donne le droit de réaliser une interface graphique.
Apple ne peut revendiquer sa légitimité que sur certains aspects de l’écran, tels que la corbeille qui sert à effacer les fichiers.
Par ailleurs, certains éléments distinguent Windows du Macintosh, comme l’affichage de fenêtres juxtaposées – et non pas superposées.
Sculley et Gates décident de plancher sur un accord formel qui autorisera Microsoft à réaliser des applications en mode graphique sur PC, tout en protégeant les aspects spécifiques du Macintosh.
Steve Jobs et John Sculley désirent aller plus loin et d’obtenir que Microsoft s’engage à ne jamais adapter Excel à l’IBM PC.
Gates propose un compromis.
Depuis deux ans environ, Apple oeuvre à la réalisation d’un Basic pour le Macintosh.
Gates exige qu’Apple arrête purement et simplement le développement de ce Mac Basic.
Il demande également à Sculley de céder à Microsoft le droit d’utiliser le nom Mac Basic.
En échange, il s’engage à ne pas publier une version PC d’Excel avant au moins deux ans.
Le président d’Apple est acculé à une décision douloureuse : Apple perd le droit de diffuser un programme dont le développement a coûté plusieurs millions de dollars.
Conséquemment, plusieurs ingénieurs clés décident de donner leur démission.
Bill Atkinson déclare au Wall Street Journal : “Gates a insisté pour qu’Apple se débarrasse d’un produit exceptionnel en pointant le fusil sur notre tête.“. A Boca Raton, Don Estridge a vu son influence se réduire suite à l’insuccès de deux modèles de Big Blue : le PC Junior et le portable.
En mars, IBM lui retire la responsabilité du PC et le transfère à la supervision mondiale de la fabrication des produits.
Bill Lowe, l’homme qui a été à l’initiative du projet Chess, lui succède à la tête de la division PC.
La promotion de Don Estridge a un arrière-goût de sanction pour celui qui a réussi à mener un projet original en dehors des chemins tracés.
Gates et Estridge à défaut d’être toujours en harmonie, entretenaient des relations cordiales.
Lowe, quand à lui, entend prendre ses distances vis-à-vis de l’éditeur de Seattle.
Le PC commence à susciter des problèmes à la compagnie : la demande a été tellement supérieure aux capacités de production d’IBM que le marché des compatibles est devenu florissant.
Les prix des machines connaissent une chute vertigineuse.
IBM a dû procéder au cours de l’année 1984 à des baisses de prix surprises afin de rendre la partie plus difficile à ses concurrents.
Mais elle ne peut se prêter indéfiniment à ce jeu.
D’autres entités, soumises à des frais structurels moindres, peuvent aller plus loin que Big Blue dans cette stratégie.
A Taïwan, les ateliers de fabrication de “clones” poussent comme des champignons et leurs PC en pièces détachées se préparent à envahir l’Occident…
Windows est devenu le projet le plus important de Microsoft.
Plus de vingt programmeurs travaillent à sa finition, secondés par une équipe chargée de rédiger une documentation qui évolue de semaine en semaine.
D’autres, tels Gabe Newell sont chargés de tester le logiciel.
Gabe est arrivé un matin avec son sac de couchage sous le bras et demeure sur place un mois durant ce qui lui vaut le surnom de “Madman” (cinglé).
Au total, une trentaine de personnes travaillent jour et nuit avec des contraintes très dures : il faut rendre le programme plus petit, plus rapide, plus fiable, une équation qui est loin d’être simple.
Pour tenter d’alléger la pression, les programmeurs tentent de se divertir régulièrement.
Mark Taylor incite ses collègues à acheter des guitares électriques.
Tard le soir, des bœufs sont improvisés dans les couloirs.
Plusieurs programmeurs décident de monter sur le toit du bâtiment de Bellevue.
Après avoir réglé les amplis à plein volume, ils improvisent un concert de rock pour les passants, comme l’avaient fait les Beatles dans le film “Let it be”.
La police, une fois sur place, ne parvient pas à repérer les perturbateurs : ceux-ci, hilares, ont déjà repris le chemin des claviers.
Parfois encore, les mutins envahissent la cuisine pour y effectuer quelques expériences chimiques.
Tandis que les ordinateurs analysent le code de Windows vers deux heures du matin, ils fabriquent quelques bombes et fusées à base de salpêtre et de sucre et les lancent dans le ciel aux alentours.
Ces phénomènes peu coutumiers attirent l’attention de la police locale.
Lorsqu’elle arrive sur les lieux avec des chiens chargés de retrouver la trace d’explosifs, elle tombe sur un gardien qui explique qu’il ne voit pas d’où sont parties les explosions auxquelles ils font allusion.
Les représentant de la loi ignorent que le cerbère de service se trouvait avec les programmeurs au moment où ils ont allumé les mèches.
Une autre nuit, l’un des programmeurs a l’idée de mélanger énergiquement le salpêtre et le sucre des fusées.
La formule à peine testée produit un effet détonant.
La cuisine se retrouve dans un état épouvantable, et une épaisse fumée se répand à l’intérieur du bâtiment. Les développeurs déclenchent l’air conditionné et travaillent dur à nettoyer la place avant que les gens du matin n’arrivent sur les lieux.
En mai 1985, à l’occasion du Comdex de printemps, Microsoft dévoile Windows de façon discrète en confirmant sa sortie en juin.
L’éditeur adopte un profil bas.
L’actuelle mouture peut être manipulée à partir du clavier : officiellement, la demande est remontée du réseau de distributeurs, de nombreux utilisateurs ayant manifesté une aversion pour la souris.
En réalité, l’exigence est venue de l’armée américaine, potentiellement intéressée à acquérir un très grand nombre de copies de Windows : le recours à la souris n’apparaît pas pratique sur le terrain.
Microsoft indique que Windows sera vendu à 95 dollars.
Entre temps, Scott MacGregor, a craqué à son tour et quitté la compagnie : il ne parvient plus à s’entendre avec Steve Ballmer.
Gates a tenté en vain de retenir l’ingénieur pour lequel il éprouve une réelle estime.
Mais MacGregor, s’il demeure en bon termes, ne désire plus réintégrer l’ambiance tumultueuse qui règne alors à Bellevue.
Le 28 juin, alors que le logiciel comporte encore des bugs majeurs, Microsoft publie une version d’évaluation destinée aux éditeurs de logiciels, aux constructeurs et à la presse.
Cinq mois plus tard après sa destitution, Don Estridge, père spirituel du PC disparaît avec sa femme dans un accident d’avion à l’aéroport de Dallas.
Sa mémoire est honorée par Dan H. Wilkie, membre de l’équipe responsable du PC initial : “Avec Don, si l’on trébuchait, il n’y avait pas de souci à se faire : il n’était pas du genre à vous tirer dessus. Il vous aidait à vous lever, à vous épousseter, et vous invitait à reprendre la course. Nous aurions escaladé des montagnes pour ce type“.
Ironie du sort, Estridge avait été sollicité par Steve Jobs, pour tenir les rênes d’Apple et avait décliné une offre dorée : un salaire annuel supérieur à un million de dollars.
Son successeur Bill Lowe envisage sérieusement d’en rester là avec Microsoft.
IBM réfléchit à un nouveau système d’exploitation pour ses futurs PC.
L’éventualité d’offrir une interface graphique comme celle du Macintosh est retenue.
Mais une chose apparaît acquise : ce ne sera pas Windows.
L’occasion est trop belle pour se dégager de la relation avec Microsoft, et pour ce faire, Big Blue n’hésite pas à envisager un abandon pur et simple du MS-DOS.
Bill Lowe est intéressé par une interface graphique séduisante réalisée par une petite compagnie californienne, Metaphor, dont le président David Liddle, est un ancien du Xerox PARC.
Le problème vient de ce que le logiciel de Metaphor ne fonctionne que sur les grands systèmes d’IBM.
Dans le plus grand secret, Bill Lowe confie à Lotus la mission d’adapter Metaphor afin que cet environnement puisse s’exécuter sur les IBM de type AT.
Si Lotus n’a jamais écrit de système d’exploitation, son logiciel 1-2-3 tire ses performances de ce qu’il contourne souvent MS-DOS et pilote directement le microprocesseur 8088.
Lotus en tire une réputation de haute expertise du fonctionnement de la puce d’Intel.
L’IBM AT repose sur le microprocesseur 80286, honni par Gates, qui avait tenté de dissuader Estridge de l’adopter.
Bill considère que processeur est “endommagé du cerveau“.
S’il se révèle rapide, le 80826 relève d’une conception baroque.
De fait, Lotus échoue à adapter Metaphor sur ce processeur qui n’est pas en mesure de supporter un environnement complexe.
Digital Research, également consultée par IBM, voit sa proposition remonter un à un les échelons, et rater le coche à une signature près.
Alerté de l’éventualité d’une rupture des relations, Gates fait le siège d’IBM et, contournant Bill Lowe, demande à rencontrer John Akers, président de la compagnie.
Il plaide sa cause tant et si bien qu’au cours de l’été 1985, Bill Lowe conclut au nom d’IBM un accord avec Microsoft pour le développement d’un système du futur, destiné à s’appeler OS/2.
Toutefois, Big Blue marque son territoire.
Alors que le MS-DOS reposait entièrement sur Microsoft, IBM va effectuer le design du système et s’appuiera sur la compagnie de Seattle pour son écriture effective.
OS/2 sera multitâche : plusieurs programmes pourront s’exécuter de façon simultanée.
Bill Gates tente au passage de persuader Bill Lowe d’abandonner le 80286, lors de la définition de l’OS/2.
Le président de Microsoft argumente en faveur d’un nouveau microprocesseur : le 386 d’Intel.
Cette puce fonctionne en 32 bits, ce qui permettrait de libérer une puissance considérable.
De plus, elle a été conçue dès l’origine dans l’optique d’un fonctionnement multitâche.
Bill Lowe réfute cependant la dialectique de Gates.
Officiellement, il explique qu’il n’est pas question d’abandonner les clients ayant acquis des AT : la compagnie se doit de les servir.
Gates sait combien un tel raisonnement peut être fallacieux : c’est sur la base d’arguments similaires que Microsoft a été incitée par IBM à limiter les capacités de Multiplan – il devait fonctionner sur les PC d’entrée de gamme.
Une telle initiative a laissé le champ libre à 1-2-3 qui ne s’embarrassait pas de telles contraintes.
En réalité, IBM perçoit le 386 comme une menace : il permettrait de bâtir des micro-ordinateurs offrant des performances comparables aux minis, des machines vendues à plusieurs centaines de milliers de dollars l’unité.
Gates essuie également un échec lorsqu’il tente de convaincre IBM des atouts de Windows.
Bill Lowe fait savoir à son interlocuteur que la compagnie continue de croire dans les chances de TopView.
Windows 1.03 voit finalement le jour en novembre 1985.
Le 21, comme pour exorciser ce qui s’est passé, Microsoft fête l’achèvement du développement le plus long de son histoire au cours d’une soirée épique.
Le gratin de la micro-informatique a été convié.
L’ambiance est à l’hilarité et à l’excitation.
Stewart Alsop d’InfoWorld ouvre le feu en décernant à Bill Gates le prix du “Golden Vaporware”.
John Dvorak de PC Magazine avant de laisser la parole à Steve Ballmer, introduit ce dernier en expliquant que lorsque Windows a été annoncé, Steve avait encore des cheveux.
Ballmer enchaîne sur un glorieux numéro d’auto-dérision : “Il s’en est passé des choses dans ma vie depuis l’annonce de Windows. Lorsque nous avons démarré ce développement, je m’occupais des finances. J’ai donné mon accord pour l’investissement qui m’était proposé. Six années/hommes pour Windows? Pas de problème. Une disquette? Pas de problème. Nous sommes aujourd’hui quatre-vingt années/hommes plus tard. Nous vendons un produit de cinq disquettes pour 99 dollars! Vous comprenez pourquoi ils m’ont changé de poste. Je suis devenu le directeur du marketing. Cela sonne bien, n’est-ce pas? Devinez quelle a été ma première responsabilité? J’ai fait l’annonce de Windows à la presse. Là encore, on m’a confié un autre poste après cela. Vous savez ce qui m’est alors arrivé ? Je suis devenu directeur du développement de Windows !”
Sous les rires de l’audience, Steve entreprend de passer en revue quelques-uns des articles les plus croustillants publiés sur Windows en l’espace de deux ans. Puis il raconte comment s’est déroulée l’année 1985 : “Cette année a été vraiment dure. Même Bill, que je connais depuis longtemps a perdu patience. Au début de l’année, voilà qu’il m’appelle dans son bureau, et se met à m’incendier ! Je suis rentré et j’ai dit à mes développeurs : ‘Les enfants, il faut que nous livrions ce produit avant que la neige ne tombe’. Nous avons réussi. Dimanche dernier, pour la première fois en dix ans, il a neigé à Seattle.”
13 mars 1986, Microsoft entre en bourse
Microsoft entre au Nasdaq en mars 1986, et atteint très vite l’une des premières places du marché en termes de capitalisation boursière. Un an après, à 31 ans, Bill Gates devient milliardaire. Microsoft va exploiter au mieux cette levée de fonds. De 198 millions de dollars en 1986, son chiffre d’affaires grimpe à 1 milliard de dollars dès 1990.
8 août 1989 : lancement de la première version d’Office
En août 1989, Office version 1 est lancé. D’abord commercialisé pour Mac, la suite regroupe dans la même boite les logiciels bureautiques que Microsoft vendait séparément depuis 1983. Elle est déjà composée de Word (4.0), Excel (2.2), PowerPoint (2.01) et Microsoft Mail. Un an plus tard, elle sort pour Windows (3.0). En août 1995, en même temps que Windows 95 (voir plus bas), c’est la sortie d’Office 95. Avec cette nouvelle mouture, Microsoft assoit définitivement sa suprématie sur le marché des suites bureautiques. Selon Microsoft, Excel est utilisé par 30 millions de personnes fin 1995.
9 juillet 1993 : sortie de Windows NT
Windows NT (3.1) est lancé en 1993. C’est la première déclinaison de Windows véritablement taillée pour le monde de l’entreprise. Elle est dotée d’une version serveur qui deviendra plus tard Windows Server. En mai 1995, Windows NT Server 3.15 intègre pour la première fois un serveur Web. C’est la naissance de IIS. Mais cette brique ne parviendra pas à endiguer la montée en puissance d’Apache lancé la même année. Commercialisé en août 1996, Windows NT 4.0 va en revanche permettre à Microsoft de s’imposer dans l’entreprise sur le poste de travail. Doté d’une version pour PC équipée de l’interface graphique de Windows 95, NT 4.0 s’accompagne d’un serveur de qualité. Il atteint rapidement une part de marché mondiale supérieure à 65%, et signe ainsi le déclin de Novell Netware.
24 août 1995 : sortie de Windows 95
Lancé en version 1 en 1985, Windows n’était jusqu’alors qu’une surcouche graphique au DOS. Avec Windows 95, le noyau MS-DOS n’est plus visible. C’est aussi la première version de l’OS qui intègre un menu Démarrer, ainsi qu’une gestion native des pilotes qui faisait tellement défaut aux éditions précédentes. Internet Explorer fait également son apparition. Tout est là. Supportant les architectures 32bit, Windows 95 est adapté aux PC 386, puis aux Pentium qui marquent le véritable démarrage du PC sur le segment grand public. Boosté par le soutien de grands constructeurs comme HP et Compaq, Windows 95 atteint une part de marché de près de 70% en 1997… Du même coup, Internet Explorer passe en quelques années largement devant Netscape. Et avec la version suivante de Windows (98), l’écart se creuse en encore. De 80% en 1995, le taux de pénétration du navigateur d’AOL n’est plus que de 4,5% en 2001… contre 94,2% pour Internet Explorer.
22 juin 2000 : lancement de la stratégie .Net
Lancé le 22 juin 2000 lors d’une conférence de Bill Gates et Steve Ballmer, “.Net” (“dot Net” en anglais) dessine la stratégie “tout Internet” de Microsoft. Objectif : faire évoluer les solutions Windows, serveur et poste de travail, vers un environnement applicatif de nouvelle génération. Le framework .Net lancé en 2001 place donc les technologies web au cœur de l’OS. L’objectif est d’équiper Windows d’une couche d’API permettant aux applications de dialoguer ensemble. A l’époque, Microsoft mise sur la technologie SOAP. C’est finalement REST qui s’imposera quelques années après sur le marché des API, notamment sous l’impulsion de Google. L’infrastructure .Net introduit aussi le langage orienté objet C# qui vise alors à répondre au Java de Sun. Finalement, cette stratégie ne parviendra pas à endiguer la montée en puissance d’Apache ni de Java…
27 octobre 2008 : Microsoft dévoile Azure
Alors qu’Amazon avait lancé son cloud d’infrastructure depuis deux ans déjà, Microsoft lève le voile en octobre 2008 sur le projet Windows Azure. Les premiers services Azure seront commercialisés en 2010. Il s’agit dans un premier temps d’un cloud de plateforme. Dès son lancement, Azure s’ouvre à des langages de développement que Microsoft ne propose pas dans Windows Server, notamment Java et Ruby. C’est la surprise. En juin 2012, Azure est complété d’un cloud d’infrastructure. Là encore, Microsoft joue la carte de l’ouverture en proposant à la fois des machines virtuelles Windows… et Linux. Depuis, le cloud ne cesse de s’enrichir à un rythme effréné : service d’hébergement de sites Web, de backend d’apps mobiles, de cluster Hadoop, containers Docker… Pourtant, Windows Azure (depuis rebaptisé Microsoft Azure) demeure derrière Amazon Web Services en termes de part de marché
4 février 2014 : nomination de Satya Nadella comme PDG
Le 4 février 2014, Satya Nadella qui était alors vice-président Enterprise et Cloud de Microsoft, est nommé PDG. Il succède à Steve Ballmer qui avait lui-même succédé à Bill Gates 14 ans auparavant. La situation est alors délicate. Le marché des PC est en perte de vitesse. Windows 8 qui devait positionner Microsoft sur le marché des tablettes peine à décoller. Quant au Windows Phone, il ne dépasse pas les 3% de part de marché, très loin derrière iOS et Android (lire les chiffres publiés alors par Business Insider). Pour répondre à ce défi, Satya Nadella remobilise ses équipes, et les réoriente vers l’innovation. Pour bien montrer cette stratégie de rupture, Windows passera directement à la version 10. Ce sera un OS unique, à la fois pour PC, tablettes, smartphones, grands écrans et objets connectés, avec à la clé un mode de développement collaboratif impliquant les utilisateurs. Autre défi : réussir le basculement dans le cloud des offres d’application du groupe, au premier rang desquelles Office. Et là, Satya Nadella fait certains choix radicaux : par exemple, les apps 100% tactiles d’Office 365 (la version cloud de la suite bureautique) sont d’abord lancées pour iPad et tablettes Android avant de l’être pour Windows. Office 365 intègre par ailleurs le réseau social d’entreprise Yammer, Skype pour la communication unifiée, et s’oriente vers la notion de digital workplace (avec Delve et l’Office Graph). La stratégie paie. Office 365 domine désormais largement les Google Apps. Le taux de pénétration de la suite bureautique pourrait même dépasser bientôt celui des technologie Salesforce. Le pari semble donc bien être gagné.
2015 : l’année du lancement de Windows 10
Windows 10 sera lancé cet été. Au-delà de son caractère multiplateforme, il a pour but de faire entrer Windows dans l’ère de l’innovation. Pour l’heure en bêta, Windows 10 intègre l’assistant vocal Cortana (qui était jusqu’ici limité au Windows Phone), mais aussi un tout nouveau navigateur (nom de code : Project Spartan), qui se veut plus moderne et plus standardisé qu’Internet Explorer. Windows 10 fera aussi l’objet d’une version pour casques holographiques pour le moins originale (Windows Holographic). A l’occasion du 40e anniversaire du groupe, Bill Gates n’a pas hésité à envoyer une lettre à l’ensemble des salariés du groupe. Rappelant que l’objectif initial des fondateurs était de mettre un PC sur chaque bureau et dans chaque foyer, il y évoque la révolution que Microsoft traverse actuellement. “Nous vivons déjà dans un monde multiplateforme, dans lequel l’informatique sera de plus en plus présent”, indique-t-il. “Nous nous rapprochons du moment où ordinateurs et robots seront capables de voir, bouger, et interagir naturellement… Sous la direction de Nadella, Microsoft est mieux positionné que jamais pour relever ces défis”.