1930 Hot-Rod Pierce Arrow…
Chacun a ses hauts et ses bas, cela fait partie de notre processus de vie… et, souvent, c’est complètement hors de notre contrôle, les bas de la vie sont rarement prévisibles et encore moins évitables.
Ce dont nous avons le contrôle, c’est de déterminer comment nous rebondissons après avoir été frappé, qu’il s’agisse de la perte d’un proche, d’un emploi? ou de son entreprise, voire la perte d’une partie de soi-même, physique? ou de nos ressources !
Jason Graham a une expérience directe avec ces deux extrêmes… et comme vous pourrez le lire ci-après, il a rebondi après les deux coups reçus, meurtri, mais tête haute…
L’entreprise de Jason Graham était… et heureusement est encore, la construction de Hot-Rods d’un style plutôt distinct des autres customisations…, comme c’est souvent le cas avec de nombreux autres petits constructeurs automobiles, il a commencé adolescent à travailler dans le garage familial, mais sa transition de vie pour devenir propriétaire d’un atelier n’en fut pas une conséquence directe, c’est ce qu’il m’a dit : “J’ai commencé à construire des Hot-Rods à temps plein environ sept ans après avoir perdu mon emploi régulier en tant que technicien CAO. J’avais construit ces engins comme un hobby depuis mes 13 ans. j’ai finalement créé mon atelier à Portland, Tennessee, que j’ai nommé : Jason Graham Hot Rods…, . Au fil des ans, j’ai acquis une excellente réputation auprès d’une clientèle en bonne santé financière. Avec mon entreprise en plein essor, la vie était belle, mais tout a changé tard dans une nuit de février 2010″…
La tragédie a frappé sous la forme d’un incendie de son atelier qui a pratiquement détruit le bâtiment et les voitures qui s’y trouvaient, certaines terminées, d’autres en cours…, les matrices, les dessins, les projets, les outils et l’équipement utilisés pour construire les hot-Rods ont été détruits : “Les affaires marchaient bien avant l’incendie et j’ai eu quelques mois d’arrêt forçé en cette suite, mais j’ai continué à travailler temporairement dans le garage de mon père en même temps que je m’occupais de la reconstruction de mon entreprise”…
Heureusement, un certain nombre de véhicules étaient récupérables…, mais Jason Graham s’est retrouvé dans une misère quotidienne comme induite par les grands fléaux : pauvreté, maladie, manque de logement, insalubrité et chômage…, son but était toutefois de reconstruire au plus vite, c’était un homme presque détruit mais pas désespéré, convaincu que la seule solution pour sortir de cette impasse était la volonté portée par une conviction.
Ce que cet article cherche à dépeindre, à travers les témoignages de Jason Graham et Joey Collins, deux personnes ayant passé de la misère à une vie décente, c’est un moment de conscience exacerbée où l’individualisme semblait avoir été provisoirement remplacé par les efforts de chacun pour leur bien-être futur.
Leurs dires attestent d’un véritable changement dans leurs manières de vivre après avoir presque tout perdu, d’une amélioration de leur perception du monde que quelques-uns qualifieront même de bonheur.., interviewés ils évoquent autant les changements singuliers de leur condition de vie que des réflexions plus générales.
Ces réflexions, empreintes de bonne volonté, relèvent parfois d’une naïveté touchante loin (très loin) des réalités…, je me suis donc efforcé de ne pas faire l’économie de la façon dont les individus se retrouvent aux prises avec un système qui leur fait la peau : ce libéralisme triomphant, qui a conduit l’Amérique (et le monde) dans l’impasse (qu’on nomme la crise), où elle se trouve aujourd’hui.
Le Hot-Rod ’30 coupé Pierce Arrow appartenant à Joey Collins, partiellement détruit dans l’incendie, a une incroyable histoire…, ironiquement, il avait été victime d’un autre incendie avant d’être reconstruit par Jason : “Sur les neuf Hot-Rods qui ont subi l’incendie, j’ai reconstruit six d’entre eux, y compris le Rod Pierce Arrow. Quant à mon entreprise, maintenant c’est génial, car j’ai une assez longue liste d’attente de clients désireux que je leur construise un Hot-Rod, pas autant que je le voudrais, mais ce sont des commandes vraiment stables assorties d’acomptes. J’ai tellement abattu de travail dans la dernière année à essayer de faire ma part pour aider les personnes qui étaient persuadées d’avoir irrémédiablement perdu leurs voitures, que c’est agréable d’avoir enfin presque réussi à rattraper le temps perdu et de retravailler sur des projets payés”…
Joey Collins lui coupe la parole pour dire : “J’avais trouvé, il y a quelques années, sur eBay, le Hot-Rod ’30 coupé Pierce Arrow à l’état de projet. J’avais montré quelques photos de la voiture à Jason et il m’avait dit qu’il pourrait le transformer en quelque chose de cool. Jason avait déjà construit pour moi, une Austin Bantam American qu’il avait équipé d’un V8 Hemi injecté, donc je savais qu’il pouvait facilement gérer ce projet. J’ai donc acheté la voiture et je l’ai déposée chez Jason. Eh bien, comme c’est souvent le cas, ce Hot-Rod en devenir avait l’air mieux sur les photos. Je voulais un beau Hot-Rod construit sur ce qui avait été sa vie antérieure de limousine à quatre portes. La voiture avait sans nul doute eue une existence assez rude, car sinon pourquoi quelqu’un aurait-il découpé une rarissime Pierce Arrow pour en faire un Hot-Rod ? Une Pierce Arrow d’origine comme elle, en état moyen se vend facilement 60.000 US$”…
Jason Graham rétorque : “La mise en route du projet était en cours quand mon atelier a été victime de l’incendie. Le Hot-Rod a demi calciné est resté ainsi pendant plusieurs mois, tandis que je reconstruisais mon garage. Quand j’ai pu finalement prendre du recul, il m’a fallu un certain temps pour comprendre exactement par où commencer la transformation de la Pierce Arrow. Une grande partie du travail que le propriétaire précédent avait fait devait être retravaillé. Toutes les boiseries avaient brûlé et je les ai remplacées par une nouvelle structure en acier. Une Oldsmobile’55 a été utilisée comme voiture donneuse pour un grand nombre de pièces, tels le moteur, le tableau de bord et plusieurs éléments de garniture. Le châssis avait tenu bon, mais il m’a fallu tout refaire malgré-tout. Une boîte manuelle T5 a été adaptée au V8 Rocket Olds, six Muroc-empilés à égalité (Speedway 9Super7s) ont été fixés au sommet d’un collecteur log-Cragar. Chris DeWeese employé de mon garage, à reconstruit la carrosserie toute en courbes, il a également traité plus que la métallurgie basique de la carrosserie qui, à la fin, a été peinte dans une teinte caramel au beurre mousseux à base d’orange, de cuivre et d’or”...
Joey Collins reprend la parole et dit : “Pour garder l’idée d’un thème radical, des jantes à rayons de 20 pouces ont été commandées auprès de chez Wheelsmith avec la demande expresse de recopier l’allure des jantes de la Pierce Arrow originale…, elles ont été chaussées de pneus Firestone whitewalls diagonaux venant de chez Coker-Tire. Derrière les jantes avant, des freins à disque cachés (SO-CAL) sous une apparence de freins à tambours d’époque ont été adaptés sur un essieu rigide équipé d’une direction à crémaillère avec pignons Unisteer. Les phares ont été empruntés à une ’29 Duesenberg, une Chevy’34 à donné sa calandre que Jason a modifié avec des éléments de Pierce Arrow y compris l’ornement de radiateur, en finale les feux arrière viennent d’une berline ’48 Hudson… et l’étrange volant est un élément accessoire d’une ’40 Chevy “Fatman”. Jason a fait l’essentiel du travail intérieur à l’exception du dossier des sièges qui ont été recouverts par Connie Neagle de Portland, Tennessee”.
Drôle de mélange : les hommes ont à la fois un audacieux esprit d’entreprise (tout le monde est vendeur de quelque chose, tout peut devenir une affaire)… et défaitistes dans l’action tant le cours des vies transforme l’échec inexpliqué en une possibilité inhérente à toute démarche.
Expansifs, les gens expriment leurs malheurs, pleurent ou s’énervent, mais sachant que rien ne sera fait pour eux, que tout ne viendra que d’eux-mêmes, une fois de pleurs le sac vidé, ils font preuve d’une inventivité redoublée…, de la débrouillardise à l’action, il n’y a qu’un pas.
L’individualisme américain se rencontre donc ici sous un aspect positif, par le biais de cette micro-société de construction de Hot-Rods, où les échanges humains, aussi fragiles soient-ils, tissent de forts liens qui ressemblent à un prolongement du cadre familial.
Les héros de L’Équipée sauvage de Laszlo Benedek (1953), de La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan (1959), sont des rebelles sans cause tout comme les Hot-Rodders immortalisés dans La Fureur de vivre, deviennent des exclus parce que leur traumatisme est trop profond pour être compris de manière rationnelle, ce qui n’a pas été la démarche de Jason et Joey…
Au moment où l’on commence à expliquer certains comportements humains par leur étude psychiatrique, les problèmes œdipiens de ces gens en perpétuelle quête de reconnaissance, dépassent la simple question de survie matérielle…, le profit ne représente rien pour Jason Graham, si ce n’est pour se sauver d’une possible faillite…, les issues sont fermées, la tragédie est au bout du chemin.
La mort attend d’ailleurs cette jeunesse en perdition avec une cruelle insolence : pour prouver sa fureur de vivre, il faut défier la Faucheuse, comme dans la scène célébrissime de la tragique course de voitures du film éponyme entre James Dean/Jim et son rival Buzz. .., cruelle ironie du sort, les principaux acteurs de La Fureur de vivre connaîtront d’ailleurs tous une fin dramatique : Dean dans un accident, Wood noyée dans l’océan… et Sal Mineo assassiné par un fou.
Le Hot-Rodding fut, à ses débuts, le refuge des jeunes fuyant la lumière aveuglante de la réalité, cette vie puritaine et sans passion qui les attendait de retour chez eux après la guerre…, une génération entière d’adolescents américains s’est ainsi retrouvée dans le mal-être et le besoin d’amour du héros incarné par James Dean : lorsque l’automobile mène à une esthétique de vie, à une philosophie épicurienne, ce n’est plus un way of life, c’est de l’utopie…
Lorsque le bestiau s’affiche à 100.000 euros la passe, aux USA ce n’est plus de l’utopie, c’est sanctifié, papalisé, sacralisé…, on justifie cela en affirmant que la nécessité amène de saines réflexions, que cela fait prendre conscience qu’on est une force de travail que l’on vend aux uns afin de rapporter aux autres de quoi financer la retraite des anciens…, en Europe, à voir cela, on se met myotatiquement, puisque c’est un code dans notre société, à se poser quantités de questions inutiles… ce que les américains ne font pas.
À cet instant plusieurs solutions s’offrent à tout esprit franchouille en illumination… et dans ce choix, une vraie réflexion s’impose, pourquoi pas en faire une philosophie ?
Et voilà qu’on songe à passer un dangereux Rubicon, celui du matérialisme existentiel…, à notre époque on nous vend plusieurs choses dans une automobile quelconque : du confort, de l’espace, de l’économie parfois, mais rarement l’essentiel, le caractère ne se fabrique plus : “Montre moi ta voiture, je te dirai qui tu es”.
Regardez autour de vous, bien peu nombreuses sont les automobiles qui ont du caractère, du charme, une personnalité affirmée…, je me passerai des lieux communs sur l’espace utilisable et les rangements, une voiture n’est pas faite pour ranger mais pour rouler.
Bref les voitures modernes sont à l’automobile ce que la production en matière de beurre est à la matière grasse d’avant guerre, les moins chères en sont la margarine les autres sont pasteurisées et n’auront pas le goût que l’on leur connaissait auparavant…, tandis qu’avec le Hot-Rod qui illustre cet article, on entre dans un cercle vicieux, une caste qui refuse la modernité en tant que progrès utilise les “moyens” du progrès pour fabriquer de l’ancien futuriste vieilli.
Dans la matière automobile, la modernité a apporté le confort, qualité mièvre et molle ainsi que la sécurité, mais n’est-il pas plus noble de préférer mourir en Hot-Rod en étant abattu d’un coup de fusil à pompe sur la Highway 66, que de rouler papy en Alfa Roméo coupé 1966 “Young-Timers-à-la-con” dans le col du Lotaret et s’écraser en contrebas…, ou se rendre hémiplégique en roulant en Clio “rallye” entre Meudon et Jouy-en-Josas ?
Bref voilà la doctrine : rouler classe, pas rouler beauf et con… !
Tu ne rêves pas, lecteur assidu…, dans une époque toute vouée à l’efficacité si ce n’est à la performance, une fraction d’irréductibles se plaisent à continuer de penser leur mode de vie comme cool, stylé (dans une esthétique qui leur est propre)… et surtout, surtout, détaché (voire décalé)… et cette doctrine pour être efficace doit s’appliquer à toute chose.
J’ai dans cette recherche trouvé un appui à mes penchants, un moyen pour soutenir ce défi à la modernité comme qualité première…, trêves de teasing, ces sages se reconnaissent sous le nom de Hot-Rodders.
Le vrai Hot-Rodder n’est pas sectaire, on retrouve par essence au sein de cette caste, énormément d’amateurs du style Américain, gros V-8 glougloutonants, vestes à franges, bottes et jambes arquées…, mais l’éclectisme prime, évidemment.
Sans risquer de me tromper, un Hot-Rod ne peut être ni basiquement utile, ni fadement performant…, ainsi certains sont exclusifs, pionniers, emplis de caractères forts, mais largement pas tous… et bien souvent, pas les plus neufs ni les plus cotés…, bref c’est avant tout de “style” que l’on cause…