1935 Auburn Speedster
Pestis eram vivus, – moriens tua mors ero…
L’horreur et la fatalité se sont donné carrière dans tous les siècles. À quoi bon mettre une date à l’histoire que j’ai à raconter ? Qu’il me suffise d’écrire qu’existait en l’endroit où j’avais échoué, une croyance secrète, mais bien établie, aux doctrines de la métempsycose. De ces doctrines elles-mêmes, de leur fausseté où de leur probabilité, je ne dirai rien. J’affirme, toutefois, qu’une bonne partie de notre crédulité vient (comme l’écrivait La Bruyère, ou Pascal, ou Hugo, je ne sais plus), à attribuer tout le malheur du monde à cette cause unique : ne pas pouvoir vivre seuls.
Il y a quelques points dans la superstition Yankee qui tendent fortement à l’absurde. Beaucoup d’Américains diffèrent très essentiellement de nous Français et réciproquement souvent aigris par une inimitié qui répugne à l’intelligence. J’ignore quelle est l’origine de cette attitude bizarre et obscure qui n’a que peu ou point de sens. Mais des causes plus vulgaires ont donné naissance (et cela, sans remonter bien haut), à des conséquences également grosses d’événements de folies. En outre, remontant aux guerres Napoléoniennes et à LaFayette envoyé aider les colons à se révolter contre l’Angleterre, cette atmosphère a longtemps exercé une influence rivale dans les affaires de nos gouvernements respectifs tumultueux.
Enfin, le déploiement d’une magnificence Franchouillarde plus que féodale après le bannissement de Napoléon étant peu fait pour calmer les sentiments irritables, y a-t-il donc lieu de s’étonner que la croyance secrète dont je cause et dont vous ne connaîtrez rien par plaisir de vous laisser sur votre faim (comme vous ne faites aucun Don à mon œuvre et venez me lire gratis, il n’y a aucune raison d’en plus vous révéler les secrets du monde)…, bien que mon attitude puisse paraître tout à fait saugrenue, je m’en branle avec joie…
Donc, divers points (si bien créés) entretiennent une discorde entre nos deux peuples déjà prédisposés aux querelles par toutes les instigations d’une sorte de jalousie héréditaire ! La croyance secrète qui n’est qu’une prophétie implique, quelque chose… une sorte de triomphe final du côté de la nation déjà plus puissante… et naturellement vit dans la mémoire de la plus faible et de la moins riche, la remplissant d’une aigre animosité.
Le Baron Archibald du Poerier de Portbail, bien qu’il fût d’une haute origine Française, n’était, à l’époque de ce récit, qu’un vieux radoteur infirme et n’avait rien de remarquable, si ce n’est une apathie invétérée et folle envers les automobiles américaines, exacerbant une vive passion pour les Cadillac, Packard, Pierce Arrow, Auburn, Cord et Duesenberg ! Rien parmi les riens, ni ses infirmités physiques, ni son grand âge, ni l’affaiblissement de son esprit, ne pouvaient l’empêcher de prendre journellement sa part des dangers de rouler à tombeau ouvert dans sa propriété…
De l’autre côté de l’Atlantique, Jeff Wayne, vouait lui aussi une passion dévorante, mais seulement pour les Auburn, Cord et Duesenberg. Son père, le pétrolier Bob Wayne était mort. Sa mère, Sandra Wayne, l’avait suivie peu après. Jeff Wayne était à cette époque dans sa trentième année devenu milliardaire mais solitaire dans une propriété abominablement kitch ! La ligne frontière de son domaine n’avait jamais été clairement définie mais son parc principal embrassait un circuit de cinquante kilomètres ou il tournait en rond en usant une voiture après l’autre.
L’avènement d’un propriétaire si jeune, et d’un caractère si bien connu, à une fortune si incomparable laissait peu de place aux conjectures relativement à sa ligne probable de conduite. Et dans l’espace de quelques mois la conduite de l’héritier dépassa magnifiquement les espérances de ses plus enthousiastes admirateurs : De honteuses débauches, de flagrantes perfidies, des atrocités inouïes, firent bientôt comprendre à ses vassaux tremblants que rien, ni soumission servile de leur part, ni scrupules de conscience de la sienne, ne leur garantirait désormais de sécurité contre les griffes sans remords de ce petit Caligula qui ne faisait qu’additionner les pires folies à la liste déjà horrible de ses délits et atrocités.
Se moquant du tumulte occasionné par sa manière de vivre, il se tenait, en apparence plongé dans une méditation solitaire. La tenture de tapisserie, riche, quoique fanée, qui pendait mélancoliquement aux murs, représentait les figures fantastiques et majestueuses de mille ancêtres illustres ainsi que les portraits de quelques jeunes dames d’anciens jours de débauches qui semblaient flotter dans les méandres d’une danse fantastique aux accents d’une mélodie imaginaire. Mais, pendant qu’il méditait quelque trait nouveau, décidé d’audace, ses yeux se tournèrent machinalement vers la photographie d’une Auburn rouge qu’il convoitait depuis plusieurs années et qu’un Baron Français avait acheté sous ses yeux lors d’une vente aux enchères. Il lui fallait la posséder quitte à détrousser l’ignoble Chevalier Archibald du Poerier de Portbail !
Sur la lèvre de Jeff Wayne surgit une expression diabolique, comme s’il s’apercevait de la direction que son regard avait pris involontairement. Cependant, il ne détourna pas les yeux. Bien loin de là, il ne pouvait d’aucune façon avoir raison de l’anxiété accablante qui semblait tomber sur ses sens comme un drap mortuaire. Il conciliait difficilement ses sensations incohérentes comme celles des rêves avec la certitude d’être éveillé. Plus il contemplait, plus absorbant devenait le charme, plus il lui paraissait impossible d’arracher son regard à la fascination de cette photographie. Mais il fit enfin un effort, comme à regret, ses yeux, contenaient maintenant une expression énergique et inhumaine, et ils brillaient d’un rouge ardent et extraordinaire !
Il recouvra bientôt son calme, et une expression de méchanceté décidée était déjà fixée sur sa physionomie, quand il donna des ordres péremptoires pour que ses sbires aillent diffuser des articles dans la presse automobile amie, comme quoi cette Auburn Speedster ne méritait pas de rester en France dans les mains de ce pédant Baron Archibald du Poerier de Portbail… À partir de cette époque, une altération marquée eut lieu dans la conduite extérieure du jeune débauché, véritablement, sa conduite désappointait et déroutait. Ses habitudes et ses manières tranchèrent de plus en plus et, moins que jamais, n’offraient d’analogie sympathique quelconque avec celle de l’aristocratie du voisinage. On ne le voyait jamais au-delà des limites de son propre domaine, et, dans le vaste monde social, il était absolument sans compagne.
Néanmoins, de nombreuses invitations de la part du voisinage lui arrivaient périodiquement : “Je n’irai pas chez ces gens médiocres !” telles étaient ses hautaines et laconiques réponses, des insultes répétées qui ne pouvaient pas être endurées plus longtemps. De telles invitations devinrent moins cordiales, moins fréquentes ; avec le temps elles cessèrent tout à fait. Les gens charitables, néanmoins, attribuaient le changement de manières au chagrin de ne pas avoir pu acquérir cette Auburn Spedster rouge, oubliant toutefois son atroce et insouciante conduite. Il y en eut quelques-uns qui accusèrent simplement en lui une idée exagérée de son importance. D’autres, à leur tour parlèrent sans hésiter d’une mélancolie morbide, cependant, des insinuations plus ténébreuses, d’une nature plus équivoque, couraient parmi la multitude.
En réalité, cet attachement pervers à une vieille automobile devint à la longue, aux yeux de tous les gens raisonnables, une tendresse horrible et contre nature. Dans l’éblouissement du midi, aux heures profondes de la nuit, malade ou bien portant, dans le calme ou dans la tempête, Jeff Wayne était amorphe ! Il ne se trouva néanmoins personne pour douter de la ferveur extraordinaire d’affection qu’excitait la photo de l’Auburn, personne, excepté un insignifiant malvenu d’une offusquante laideur dont les opinions politiques et “filousophiques” sur la pandémie du Covid19 et le rôle obscur du Président Trump, avaient aussi peu d’importance qu’il est possible.
Un jour, une nouvelle fit grand bruit, la fameuse Auburn traversait l’Atlantique, elle avait été inscrite pour une vente aux enchères Sotheby’s à l’occasion du concours d’élégance de Pebble-Beach ! Un matin de tempête, JeffWayne, sortant d’un lourd sommeil, descendit comme un maniaque de sa chambre avec une mallette remplie de billets de 1.000 US$ et, en toute hâte, grimpa dans sa Jeep Grand Cherokee puis s’élança en bondissant à travers le labyrinthe de la forêt entourant sa propriété, en direction de Pebble-Beach. Un événement aussi peu commun ne pouvait qu’attirer particulièrement l’attention ; et son retour fut attendu avec une intense anxiété par tous ses proches.
Après une dizaine de jours d’absence, les murs de la prodigieuse et magnifique propriété de Jeff Wayne se mirent à craquer et à trembler jusque dans leurs fondements, sous l’action d’un feu immense et immaîtrisable, une masse épaisse et livide. Comme les flammes, quand on les aperçut pour la première fois, avaient déjà fait un si terrible progrès que tous les efforts pour sauver une portion quelconque des bâtiments du domaine eussent été évidemment inutiles, toute la population du voisinage se tenait paresseusement à l’entour, dans une stupéfaction silencieuse, sinon apathique. Mais un objet terrible et nouveau fixa bientôt l’attention de la multitude, et démontra combien est plus intense l’intérêt excité dans les sentiments d’une foule par la contemplation d’une agonie humaine que celui qui est créé par les plus effrayants spectacles de la matière inanimée.
Sur la longue avenue de vieux chênes qui commençait à la forêt et aboutissait à l’entrée principale du domaine une automobile rouge, pilotée par Jeff Wayne décoiffé et en désordre, se faisait voir bondissant avec une impétuosité qui défiait toute description. L’angoisse de sa physionomie… les efforts convulsifs de tout son être, rendaient témoignage d’une lutte surhumaine ; mais aucun son, excepté un cri unique, ne s’échappait de ses lèvres lacérées, qu’il mordait en outre dans l’intensité de sa terreur. En un instant, le vacarme du moteur avec un bruit aigu et perçant, plus haut que le mugissement des flammes et le glapissement du vent sembla exploser, et, franchissant la grande porte, la voiture s’élança sur l’escalier monumental d’entrée et disparu avec son intrépide conducteur dans le tourbillon de ce feu chaotique.
La furie de la tempête s’apaisa tout à coup et un calme absolu prit solennellement sa place. Une flamme blanche enveloppait toujours le domaine comme un suaire, et ruisselant au loin dans l’atmosphère tranquille, dardait une lumière d’un éclat surnaturel, pendant qu’un nuage de fumée s’abattait pesamment sur les bâtiments sous la forme distincte d’une gigantesque Auburn Speedster rouge en flammes…
La ligne de l’Auburn Speedster est inspirée des modèles des années 1920 et 1930 : la forme caractéristique de l’arrière en forme d’os de seiche (ou boattail en anglais) est une invention de Gordon Beehrig, designer chez Duesenberg. La ligne générale de la voiture est très aérodynamique, un effet renforcé par l’arrière boattail derrière l’habitacle et le fait que la capote repliée est entièrement cachée. On notera aussi un petit compartiment latéral situé près de la portière droite permettant de ranger des bagages relativement petits, et un jeu de clubs de golf.
Le long capot abritant le 8 cylindres en ligne est surmonté par une mascotte qui n’est pas sans rappeler la Spirit Of Ecstasy de Rolls-Royce. La principale innovation de l’Auburn Speedster réside dans sa transmission : en effet, le conducteur a le choix entre des rapports courts ou longs, par le biais d’un levier. Ceci additionné à la boîte conventionnelle à trois vitesses fait de l’Auburn Speedster la première voiture américaine dotée de 6 vitesses.
Le moteur est un huit cylindres en ligne Lycoming 4,7 L à soupapes latérales doté d’un compresseur. L’alésage est de 77,8 mm, et la course est de 120,7 mm. L’ordre d’allumage est 1-6-2-5-8-3-7-4. Le rapport volumétrique de 6.2:1 permet d’atteindre une puissance de 150 ch à 4 000 tr/min. La consommation du moteur est de 22,7 L aux 100 km (en moyenne).
Le châssis est en échelle, et la carrosserie en acier est montée directement dessus. Pour ralentir la voiture, la Speedster fait appel à quatre tambours Lockheed actionnés par une pompe hydraulique Bendix. Le poids total de la voiture est de 1 706 kg. Pour l’époque, les performances de la Speedster étaient remarquables : une plaque à l’intérieur de la voiture confirmait que la voiture avait dépassé les 160 km/h durant les essais. La vitesse maximale de la voiture étant de 173 km/h, pour un 0 à 100 km/h effectué en 10 secondes.
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