1936 Ford Billy’s Truck Rat-Rod…
Il n’en peut plus, Karim’B…, c’est au dessus de ses forces, de sa mansuétude, de sa bonne humeur, de sa patience….
Je sais, depuis des années que je le fréquente, lire dans son visage les stigmates de la consternation que d’autres prennent pour les signes précurseurs d’une intense réflexion.
Karim’B est une forte personnalité, entière, fière, libérée…, il est d’un naturel festif et travailleur, de plus en plus festif et donc maintenant ponctuellement travailleur, quand son niveau de vie commence à branler douloureusement.
Plus jeune, Karim’B ne faisait pas dans la dentelle, la demi-mesure, les atermoiements, les questionnements alambiqués, il savait dire “Merde” à qui de droit.
Je me souviens l’avoir entendu demander à amateur de Mustang’s dont le discours d’acheteur perfide était une vraie purge… si ce dernier n’était pas parent avec un dénommé “Casse-couilles”…
Plus jeune, Karim’B avait l’expéditif aisé puisqu’on son oxygène ne supportait ni miasme ni compression…, parfois un coup de boule aussi, quand le chieur de service se faisait long à comprendre son inutilité.
Deux bras épais sur une carcasse brute de déménageur brutal lui permettaient quelques audaces bien senties…, ce n’était jamais dans l’excès, toujours dans la mesure et à bon escient…
Voilà donc une dizaine de jours que, par suite d’une incompréhension dont nous ne mesurions pas encore les conséquences, lui et moi nous sommes retrouvés invités par de fort sympathiques personnes d’un club de Hot-Rodders.
Je ne rentrerai pas dans des détails, somme toute inutiles et rébarbatifs, mais je dirai que la compagnie des Hot-Rodders est toujours un plaisir aléatoire….
Et nous voilà donc, invités par nos hôtes autour d’un “barbeuc” géant auquel étaient conviés d’autres gens forts élégants, fort aisés, fort parvenus, fort compassionnels, forts uvéÏfiés, fort charmants…
La pelouse était d’un vert flamboyant, le champagne de Reims, la maîtresse de maison de Rodez, le chien de Papouasie, le vin de Bordeaux et la recette des petits fours de “Tâââânte Paule”.
Il n’en pouvait plus, Karim’B, de se faire chier à cent euros de l’heure.
Il hochait la tête à tous ceux qui le sollicitaient, souriait à ceux qui tentaient d’ouvrir un dialogue, participait aux émerveillements les plus naïfs, s’enthousiasmait pour les banalités les plus creuses.
Toute sa personne jouait un rôle, de vraie composition…
De mon coté, je m’apitoyais des navrances culinaires de “Tâââânte Paule” qui m’étaient offertes par une nana gothique à l’oeil torve, au sourire chevalin mais dont la gentillesse était une réalité.
Je me suis même proposé d’aller aider les hommes, les vrais, qui étaient désignés au grill puisque, selon la maîtresse de maison, c’était “un travail d’hooooooommes”…
Généralement, je fuis ce genre de bazar comme d’autres fuient la peste…., ne voulant pas qu’à mon contact, quelques ailes saugrenues poussent dans le dos de mes détracteurs habituels… et que dans un cri jubilatoire et libératoire, toute cette joyeuse assemblée se mette à discutailler de mes anciens magazines….
Donc je me coulais là dans une bonne humeur feinte, je papotais de ci, je mignardisais de là.
Je complimentais sur les Hot-Rods présents, je m’extasiais sur la réelle beauté d’une Peugeot 203 au cul relevé, je sacralisais Nitro ni trop PowerGlide, je m’employais à contre courant, je sortais mes vannes, je papillonnais dans la meute, taquinant le Bordeaux.
Les vins boisés m’excitent… et un geste malheureux, une parole sournoise, une approximation inattendue peuvent alors développer en moi ce sens inné de la parabole intempestive, de la parole définitive…
Il me faut vous dire écrire, pour être d’une transparence totale à la lumière de la reconnaissance que vous pouvez lire dans mes yeux (verts)…, que l’argent restant le nerf de la guerre… et les guerres étant fort dispendieuses, je me dois pour l’amour, pour la beauté, pour l’image…, de me branler de toutes et tous avec légèreté…, la bouche en coeur, le sourire frétillant comme la queue du castor…
La soirée se prolongeait entre discussions aussi enthousiasmantes que rafraîchissantes.
J’avais évité quelques sujets fort douloureux puisque tout le monde se méfiait de tout le monde…
J’avais néanmoins abordé l’universalité de quelques thèmes tels que les conséquences de la crise grecque sur le Hot-Rodding, mes regrets pour feu Patrick Levy dont j’ai racheté les Prowler’s, la location des emplacements professionnels à Automédon, l’acharnement médiatique envers mon Hot-Rod Wanderer….
Mais je n’ai pas parlé de moi, c’eût été d’une incongruité totale…
D’un coup, une voix s’est élevée, forte et mâle, épuisante et décidée, péremptoire et obséquieuse : “Mesdames, Messieurs, pourriez vous, je vous prie m’accorder quelques secondes d’attention”…
Karim’B a pris la parole, je sais qu’il ne la lâcherait plus, babillant ce qui lui titillait les méninges.
Il était là, raide et fier…., rien n’allait l’arrêter puisque sa décision était prise, définitive et inaltérable…
Je craignais de n’avoir à vivre quelque instant douloureux, quelque séisme tsunamesque, quelque pseudo vérité vociférée.
Il m’a envoyé un clin d’oeil complice, en plus, ce con, mon ami…
“Je tiens…, nous tenons…, Patrice et moi, au nom du Hot-Rodding…, à vous remercier pour tout ce que vous avez écrit sur divers Forums concernant le Hot-Rod Wanderer que j’ai reconstruit pour Patrice… En répondant à votre invitation, nous ne doutions pas de l’accueil, de la gentillesse, des largesses que vous sauriez nous réserver…, mais nous ne pouvions imaginer une telle fusion… Amis, nous permettez vous de vous appeler Amis…, vous avez devant vous deux hommes heureux et fiers….Et comme il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, nous allons vous laisser, avec regrets certes, mais avec espoir…. L’espoir que cette délicieuse rencontre aura les suites qu’elle mérite, que vous méritez, que nous méritons… Chers amis, chers tous, merci encore”…
Clap, clap clap…
Quelques minutes plus tard, Karim’B ouvrait les fenêtres du Rat-Rod : “Putain de l’air !!! J’ai cru que j’allais tous les massacrer !!! Quelle bande de nuls”…
Une bière moussue chez Lulu, une tenancière nouvelle venue pour laquelle nous nourrissons de formidables espoirs bringueurs… et il était temps d’aller se faire foutre et mettre… sur les dernières paroles de Karim’B : “Quand je vois çà, j’ai envie de fuir claquer mon fric et surtout, ne pas finir comme eux : les plus riches du cimetière, les plus pauvres de leur vie”…
Cette histoire ressemble à toutes les chansons de ZZ Top : Tush, La Grange, Boogie Tube Snake… et oui, les MTV aussi…, cette voix, cette voix traînante, c’est le son de Billy F. Gibbons : “Les petits ’36 étaient stationné à Louisville, Kentucky”…, chantait Billy, comme il jetait son esprit à l’époque où il avait d’abord repéré sa Ford.
Il était aux côtés de quelques-uns de ses potes, tous des dératisés torrides.
Billy F. Gibbons était en visite aux Nationals Street Rod, à Louisville…, mais qu’est-ce que reçoit un homme, qui possède l’un des garages dont rêve toute la planète ?
D’un Rat-Rod Ford ’53 équipé d’un V8 Ford flathead avec une transmission S-10, qui représente une expérience de conduite où il n’a pas à se soucier où stationner et du verrouillage les portes.
Tour à tour cigale ou fourmi, esclave ou fétiche, l’automobile est une médaille à deux facettes.
Entre son usage et son symbole, la bagnole impose à ses accrocs un dilemme que seuls des moyens adéquats sauront résoudre.
S’il est sans doute plus valorisant socialement de s’exhiber en bolide dernier cri qu’en oignon vermoulu, quoi qu’en médisent les envieux, l’auto modeste retrouve de l’attrait en période de crise comme l’atteste le succès des Rat-Rods, les Hot-Rods à bas coûts.
L’occasion pour une nouvelle clientèle décomplexée de Hot-Rodders de venir s’entasser dans une prairie ou un parking plein de Rat-Rods tous pareils, tout ça pour s’asseoir au volant d’un Rat-Rod similaire, rencontrer d’autres Hot-Rodders roulant dans le même Rat-Rod qu’eux et faire coucou à encore plus de braves gens ayant un Rat-Rod tout à fait comparable.
Avouons-le, ça vaut vraiment la peine de venir de loin, parfois même du fin fond de la Roumanie !
Que voulez-vous, maintenant que les masses dépolitisées n’ont plus d’idéologie fédératrice, il faut bien se trouver une communauté d’adoption voire une tribu comme on dit dans la novlangue des Machiavel de la com’.
Et, s’il vous plaît, que les mauvais esprits et autres cyniques ne parlent plus de “beaufs”, mais de “gens qui ne se prennent pas la tête”.
Leitmotiv de ce camp de concentration consenti : “J’aime mon Rat-Rod”, œuvre d’art roulante prisée d’une certaine élite !
Voilà donc la majorité silencieuse revalorisée dans ses modes de consommation !
C’est bien, mais de quoi pourraient-ils être fiers ces braves gens ?
D’encourager la désindustrialisation de leur pays par l’achat revendiqué de produits délocalisés ?
Non, la réponse sort des rangs : “Ben, c’est bien parc’que c’est pas cher !”…
Le portefeuille n’est évidemment jamais bien loin du coeur.
Mais de là à être un mouton de panurge !