1937 Bugatti 57SC Atalante Coupe…
8 cylindres en ligne, 200 chevaux, 3.257cc, double arbre à cames en tête, boîte manuelle quatre vitesses, essieu avant semi-rigide à lames semi-elliptiques, essieu arrière rigide à lames elliptiques, freins à tambours aux 4 roues avec commande à cable. Empattement: 2980 mm (117 5/16″)
Le début des années trente a été une période difficile en France, les institutions se sont repliées sur elles-mêmes, puis, l’ensemble de la société économique qui avait soutenu le pays pendant les premières années de la “Grande Dépression”, a commencé à s’effriter. Le socialisme a prit le dessus et les conflits sociaux ont commencé à balayer le pays. A cette époque l’industrie automobile française était composée de 28 marques dont un bon tiers de prestige : Delage, Delahaye, Delaunay-Belleville, Hotchkiss, Hispano-Suiza, Salmsom, Talbot, Voisin. Bugatti à Molsheim était l’oeuvre d’Ettore Arco Isidoro Bugatti, né à Milan d’un père peintre, architecte et ébéniste, son frère Rembrandt était un grand sculpteur animalier.
Très tôt, Ettore s’est passionné pour la technique et l’automobile. En 1901, la première auto qu’il a entièrement fabriqué lui-même, lui valu une médaille à l’exposition de Milan. Il a alors travaillé pour divers constructeurs dont Mathis. En 1909, il va monter sa propre entreprise à Molsheim en Alsace, qui était encore allemande à cette époque… Ses premières voitures, les types 10, étaient des voiturettes qu’il a équipé de petits moteurs à arbre à cames en tête qui se révélèrent très performantes. Particulièrement axé sur la course automobile qui commençait à passionner les foules, Bugatti va acquérir sa notoriété en 1924 avec la type 35. Ce modèle de compétition est sans doute l’une des plus belles voitures de course de tous les temps, elle se rendit célèbre en remportant un bon nombre de grands prix…
La firme Bugatti a donc été largement isolée de tout le chambardement social des années 29-30 du fait de son éloignement du centre parisien, d’une bonne auto-organisation du personnel centrée sur le culte du “Patron”… et surtout grâce à la fidélité de sa clientèle française fortunée. Des fissures ont toutefois commencé à apparaître dans ce fief de l’automobile de luxe paternaliste, mettant “Le Patron” en question… Il y en avait en effet beaucoup qui étaient posées, beaucoup qui se posaient, beaucoup que se posaient la clientèle et les fournisseurs, et les ouvriers, et les employés préférant les visions plus avant-gardistes du fils Jean Bugatti. Beaucoup de questions sans réponses sans compter les réponses inadaptées, les réponses évasives, les réponses suscitant elles-mêmes des questions. Une sorte de début de la fin annonçant des temps nouveaux, autres, sombres et la guerre.
Dans le milieu des années trente, le malaise économique que traversait la France et le monde, a finalement touché la firme et altéré la production des Bugatti, il n’y avait aucune autre réponse, seulement une angoisse. Il y avait de quoi, de 632 voitures produites en 1930, la plupart hautement rentables et luxueuses, surtout les types 44 et 46, la production a chuté jusqu’à 376 Bugatti en 1931, à 136 en 1932 et à seulement 61 en 1933, l’usine devant fermer complètement dès l’hiver 1933 jusqu’au printemps 1934. La survie a été plus ou moins assurée par la construction de motrices de train dénommées “Les Autorails Bugatti” (les fameuses “Michelines” qui circulaient sur des pneus Michelin), pour les chemins de fer français, des engins plus où moins révolutionnaires en ces temps lointains, qui de plus étaient propulsés par les moteurs huit cylindres en ligne, des pièces de fonderie gigantesques conçues pour la type 41 “Royale” qui ne trouvait pas preneur, mêmes les rois, à qui cette extravagance sur roues, quasi inconduisible, était destinée…
Bugatti a été ainsi capable de survivre sur cette forme de “financement” par l’Etat-Providence Français, malgré une très mauvaise année 1933 qui a engloutit une grande part des réserves accumulées, la production des motrices étant de12 exemplaires en 1934, de 30 en 1935, de 28 en 1936 et de 15 en 1937…
Bien que les travailleurs de l’usine Bugatti de Molsheim avaient ainsi de quoi être payés et passer la crise… et bien que cela a ajouté un élément industriel radicalement différent de la culture artisanale des voitures de course et de luxe…, cela a abouti à un “lock-out” de l’usine en 1936. Cela a confirmé Ettore Bugatti dans sa volonté de rester à Paris où il avait mis en place un bureau de design au début des années 30, le travail de conception sur les autorails étant devenu sa principale préoccupation, alors que son jeune fils Jean gérait l’usine de Molsheim. Tout cela, finalement, était bien loin d’un succès d’affaires : des solutions techniques dépassées, une production pléthorique, des aberrations mécaniques entrainant de complexes interventions d’entretien, très coûteuses donc… excessivement ruineuses !
Il n’y avait rien d’industriel là-dedans, c’était simplement de l’artisanat familial assez mal géré par un despote illuminé et charismatiquequi, au début de la tourmente, a quitté son bateau face aux récifs de la vie pour s’enfuir en autorail et jouer un certain paraître dans le snobisme parisien… Sans Jean Bugatti, l’affaire en serait restée là. Jean Bugatti avait été élevé dans une tradition familiale de qualité artistique, transmise de son père et de son grand-père Ettore Carlo. Il avait grandi parmi les artisans qui ont créé chaque automobile Bugatti aux normes élevées d’Ettore. Ses aptitudes à la conduite ont été affinée par un contact constant avec les clients et pilotes qui fréquentaient à Molsheim ce genre d’Hostellerie de Purs-Sang et testaient les dernières créations entreprises par Ettore Bugatti, sur les routes environnantes à grands renforts de “Cher ami” entre gens de “la Haute” et de “bonne compagnie”. Il y a tant de mauvaises compagnies sans nul doute !
Il était un excellent pilote, n’avait aucune crainte des grandes vitesses et aurait réussi à obtenir des lauriers dans la compétition automobile, sauf que son père, soucieux de sa succession dans l’entreprise familiale, l’interdit de course. Jean est alors retourné à ses talents créatifs, une décision qui devait empêcher qu’il ait un accident mettant l’usine Bugatti en péril et qui au contraire va entraîner son décès prématuré dans un accident en Bugatti… Est-ce la gloire ou une déchéance que de mourir dans ce qu’on a créé ? Assurément il y a là une dérision du destin ! Sans création, donc, Jean survit, vivre sans gloire prévaut-il de mourir en la cherchant ? Et… y a-t-il une gloire à mourir pour une création, qui en soit, n’apporte pas grand chose au monde puisque celle-ci, en l’espèce, est un ensemble d’automobiles surranées, quoique belles, mais c’est subjectif, qui n’enrichiront que des spéculateurs maniaques, déïfiant les boulons d’origine dans un culte obligé, mais n’hésitant pas à modifier les couleurs et les matériaux sans aucune considération pour la patine du vrai et les altérations du temps…
Même pour Jean Bugatti, il devenu évident que les Bugatti devenaient inappropriées, à la fois pour le marché qui se restreignait et, pour ce qui en restait, était en pleine mutation… et aussi parce que les capacités d’approvisionnements devenaient complexes, nuisant à la fabrication, mais aussi parce que les finances étaient en mauvais état… Alors même que la production avait drastiquement baissé en 1931 et 1932, dans un sursaut, poussé par l’optimisme de sa jeunesse, ce qui incluait une solide dose d’inconscience, Jean Bugatti a construit sept modèles différents, épuisant ce qui restait de la trésorerie familiale. La situation était en effet plus que désastreuse en 1933, avec seulement 61 véhicules construits en cinq types différents.
Jean Bugatti a reconnu que la solution de ce problème serait de concevoir et développer un modèle unique de châssis qui pourrait servir pour tous les types de carrosseries et sur la plupart des marchés, aussi bien pour les berlines, les tourings, les sports et même les voitures de course. La base de ce nouveau modèle devait pourtant rester le moteur double arbre à cames en tête des Type 51 et 55 GP de haute performance des voitures de route, dérivé des moteurs suralimentés du type 91 mis au point par Leon Duray en 1929. Un étrange renouveau… Bien que liée à ce moteur, le nouveau modèle, la Bugatti Type 57,, était d’une conception entièrement nouvelle, établie aux départ de feuilles de papier vierge… par les ingénieurs de Molsheim sous la direction de Jean Bugatti. Ettore étant occupé à Paris sur les autorails et les parisiennes, il laissait Jean avec la charge complète de Molsheim sous la seule réserve d’avoir des communications régulières avec lui, son père, via un courrier quotidien et une visite hebdomadaire à Paris.
La Bugatti Type 57 a alors pris un caractère très différent que la concrétisation d’un rêve éveillé, reflétant la maturation de Jean Bugatti, alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années. S’il y eut un coup du destin, un coup de génie, c’est ce simple déclic… Le premier prototype de la Type 57 avait un essieu avant divisé, un essieu rigide, devenu ainsi semi-rigide, avec les caractéristiques d’une suspension avant indépendante et le look d’un essieu rigide… Ce fut un changement radical de la pratique établie par Ettore Bugatti, si radical que, dès qu’Ettore en a eu connaissance, il a demandé à Jean de l’abandonner ! Le génie en marche à reculons, en quelque sorte… Le moteur à la base de la Type 57 était le huit cylindres en ligne à double arbre à cames, avec le bloc-cylindres “borgne“, réalisé dans une seule pièce et boulonné à un carter en aluminium avec six paliers principaux pour le vilebrequin.
Les arbres à cames, fixés à un angle de 93 degrés, étaient entrainés par des engrenages hélicoïdaux situé à l’arrière du moteur…, alors que tous les moteurs Bugatti antérieurs avaient l’entrainement des arbres à cames à l’avant. Une autre innovation importante de la Type 57 était la nouvelle boîte à quatre vitesses avec “syncro” dans les trois premiers rapports. L’embrayage, aussi, a marqué un changement dans les pratiques d’Ettore Bugatti qui utilisait des disques multiples, Jean favorisant un embrayage avec un seul plateau. Avec un alésage 72mm et 100mm de course, le moteur de la Type 57 affichait 3.257 cc pour 170 cv. Les freins à tambours, par contre ont continué d’être actionnés par câble, toutefois montés avec des ajusteurs de compensation élaborés et efficaces. La production a commencé en 1934 et s’est poursuivie jusqu’au début de la guerre en 1939. Un certain nombre de variantes ont été développées, notamment une suralimentation sur la Type 57C, introduite en 1937.
La plupart des types 57 construites ont été dessinées par Jean Bugatti qui concevait les carrosseries selon des concepts personnels de fluidité, d’élégance, d’équilibre, de proportion…, avec une utilisation créative des couleurs. Les berlines Galibier et Ventoux ainsi que la Stelvio Drophead Coupé, résument l’essentiel du Type 57. Elles seront rejointes plus tard par la Bugatti Atalante, le chef-d’œuvre absolu, une carrosserie construite à Molsheim, soit à proximité des ateliers Gangloff de Colmar. Des versions sportives ont également été réalisées sur base du châssis Type 57, tel le Roadster Grand Raid en 1934, montrant son adaptabilité pour les hautes performances, ce qui va donner naissance à la Bugatti ultime, la Type 57S. La base de la Type 57S a été un châssis radicalement révisé, à travers duquel l’essieu arrière passait, afin d’obtenir un surbaissement. Le conducteur et le passager étaient assis dans les longerons du châssis et non plus au dessus, avec leurs pieds au même niveau que l’extrémité inférieure des longerons.
L’essieu avant n’était plus rigide, mais scindé en deux parties réunies en leur centre avec un collier et une bague interne permettant aux deux moitiés de bouger de manière indépendante mais avec un look d’essieu rigide. Le moteur a dû être modifié en raison de sa fixation dans ce châssis surbaissé et a été modifié avec un carter sec avec récupération séparée de l’huile via des pompes qui s’approvisionnaient à partir d’un réservoir de 20 litres (21 pintes). Jean Bugatti a ajouté des amortisseurs hydrauliques Deram fixés directement à l’avant du bloc moteur et a aussi installé un surpresseur Roots entrainé par l’arbre à cames à l’arrière du moteur… et cadencé à 1,17 fois la vitesse du bloc avec 5-6 psi de pression de suralimentation. Le moteur Type 57C développait alors 200 chevaux au lieu de 170. Le compresseur restait une option seulement disponible sur les premiers modèles livrés.
La 57S a fait ses débuts au London Motor Show de 1935 avec la carrosserie fastback “Aérolithe” d’un effet tout bonnement dramatique, un style qui a finalement été encore plus raffiné avec le coupé Atlantique. Finalement, seules 48 de ces Bugatti sophistiquées, rapides et magnifiquement construites, seront construites, dont dix-sept seulement avec la belle et élégant carrosserie du coupé Atalante. La Bugatti Type 57S châssis #57-551 qui illustre cet article a été achevée le 23 Juillet 1937 avec une carrosserie Atalante noire et un intérieur beige avec des sièges en peau de porc… La configuration était identique à la Bugatti Atalante exposée en octobre 1937 au salon automobile de Paris. Elle a été livrée par l’usine juste une semaine plus tard à son premier propriétaire, Jean Lévy de Strasbourg, administrateur adjoint de l’entreprise familiale “Les Grands Moulins de Strasbourg”, une société prospère de grains, établie par son père, qui est toujours en activité aujourd’hui.
Lévy a utilisé son Atalante jusqu’au début de la guerre et l’a vendue en 1941 à Maurice Weber, qui l’a cachée en lieu sûr. En 1946, l’Atalante a été vendue par Maurice Weber à Pierre Prouvost de Bezons qui a inscrit sa voiture le 15 juin 1949 dans un concours d’élégance qui se déroulait dans le Bois de Boulogne.
Elle a été ensuite vendue en 1951 à un célèbre artiste français : André Derain, un contemporain de Matisse et Vlaminck, qui a peint “La Cage aux Fauves” inaugurant le Fauvisme, que Pablo Picasso copiera plus tard. Après la Seconde Guerre mondiale Derain était activement engagé dans la conception des productions théâtrales et de livres illustratifs, mais, également féru de mécanique, il va transformer la commande par câble des freins à tambours, par un système hydraulique assez ingénieux. Derain a confié son Atalante en 1959, à un gagiste de Nice : Ernest Friderich, qui a vendu la voiture à Jean-Louis Fatio, qui l’a vendue ensuite à Robert Baer qui l’a vendue peu après à Colin Doane, un officier de l’US Air Force qui a amenée la Bugatti Atalante aux États-Unis….
En 1961 il l’a vendue au magnat et légendaire William Harrah qui possédait un Casino à Las-Végas. Placée en vedette dans ce qu’on nommait en ce temps éloigné “La collection Harrah”, elle a fait l’objet d’une restauration complète effectuée par O.A. “Bunny” Phillips. Plusieurs aspects de l’Atalante ont été remis dans leur configuration d’origine, y compris re-créer la paire originale des petites fenêtres arrière et enlever une partie des ornements chromés qui avaient été ajoutés en France à la fin des années quarante. Avec une rigueur et des recherches approfondies, qui caractérisaient les voitures restaurées pour Harrah’s, les freins hydrauliques qui avaient été installés à un moment donné, ont été remplacés par les freins mécaniques à câble, tels qu’à l’origine… Les chromages imparfaits ont été enlevés et les pièces traitées et replaquées avec le nickel correct avant un chromage final.
Achevée en 1976, l’Atalante a obtenu cette même année, la consécration suprême en matière de qualité, d’apparence, de conception et de performance, en remportant le “Best of Show” au 26e Concours d’Élégance de Pebble Beach. Elle a été ensuite acquise au cours de l’aliénation de la collection Harrah’s par le Dr Herbert Boyer qui, plus tard encore l’a vendue au propriétaire actuel (qui désire rester anonyme) et qui a continué de l’entretenir soigneusement et méticuleusement durant plus de trente ans.
– Placée dans une des ventes aux enchères de RM Auctions en Arizona en 2008, cette Bugatti 57SC Atalante n’a pas été vendue malgré une dernière enchère de $ 4,500,000…
– Une seconde Bugatti 57SC Atalante, mais dans un état strictement d’origine, jamais retouchée ni restaurée, qui faisait partie d’une collection privée de Bugatti, a été vendue $ 7,920,000 par Gooding & Company le 21 août 2009 à Monterey…
– Une troisième Bugatti 57SC Atalante, dans un état “sortie de grange”, avec sa rouille et ses sièges déchirés et semi-pourris…, mais 100% authentique et intouchée, à été vendue par Bonhams en janvier 2009 à Paris pour 3.417.500 d’euros (+- $ 5,000,000)…
– Une quatrième Bugatti 57SC Atalante restaurée à la perfection, encore plus belle que celle qui illustre cet article, qui plus est noire et rouge…, a été vendue à Pebble Beach par Gooding & Company le 16 août 2009 pour seulement…. $ 800,000…
Pourquoi de telles différences ? Et pourquoi sont-ce les plus belles et mieux restaurées qui, soit ne se vendent pas, soit se vendent beaucoup beaucoup moins que celles dans un état pitoyable proche de l’épave ? C’est une démonstration de la justesse de mes commentaires concernant l’authenticité qu’une restauration poussée à l’extrême détruit plus qu’elle ne recompose… Il va vous falloir, chers “tousses” modifier votre état d’esprit concernant la restauration des voitures de collection…