1953 1954 1955 B.A.T. BERTONE…
Construites sur un châssis de série Alfa Romeo, le designer Scaglione de la Carrozzeria Bertone en Italie leur a donné un style si unique, que même les journalistes ne leur ont pas trouvé d’équivalents lors de leur apparition aux différents salons automobiles en 1953, 1954 et 1955.
Des sculptures sur roues, voilà ce que sont les extravagantes voitures d’exposition B.A.T. des années ’50.
L’histoire commence en réalité en 1912, lorsque Giovanni Bertone fonde la ”Carrozzeria Bertone” à Turin. Giovanni, qui naquit en 1884, était l’un des huit enfants d’une famille de petits fermiers de Mondovi. A l’âge de 12 ans déjà il décide de son avenir en entrant en apprentissage chez un constructeur de voitures. Il rêve d’une vie meilleure que celle que peux lui offrir l’austère ferme paternelle. En 1907, il trouve son premier emploi chez Diatto, une société qui, en plus de la construction de wagons de chemin de fer, avait commencé en 1905 à construire des véhicules à moteur. Cinq ans plus tard, il commence à travailler à son compte après que la ”S.P.A.”, fondée en 1906, lui enleva les soucis financiers du démarrage, en lui passant une commande de carrosseries adaptées à leurs châssis de type 9000. Les affaires sont florissantes avec un nombre croissant de fabricants demandant à Bertone de personnaliser leur châssis en les carrossant selon la demande du public. En 1921, il construit la première voiture selon son propre design, une voiture de sport deux places, basée sur la ”S.P.A. 9000”, laquelle est achetée par un certain ingénieur Alfredo Momo (l’homme qui développa les accessoires de voitures et qui fonda un empire en fabriquant des volants)… et gagne la fameuse ”Coupe des Alpes”.
Il ne se passe pas longtemps avant que Bertone ne travaille pour Lancia, Ceirano, Itala, Fiat et Scat, jusqu’à ce que ses relations avec Vincenzo Lancia le conduisent au bord de la ruine financière. Au début des années 20, Lancia demande à Bertone de développer un châssis autoportant, que Bertone doit livrer à Lancia en grandes quantités pour qu’ils soient adaptés à la carrosserie. Bertone n’est naturellement pas très heureux à l’idée de porter préjudice à ses propres activités. Malheureusement Vincenzo Lancia réplique d’une manière totalement inattendue : il construit sa propre usine et Bertone perd le contrat.
Bertone réussit lentement à redresser ses affaires durant les années ’20 et lorsque son fils Nuccio, né en 1914, abandonne ses études en économie à l’âge de 18 ans et reprend la direction de la société deux ans plus tard, la Carrozzeria redémarre lentement mais sur de bases solides. Nuccio s’empare avant tout le monde de la ”Fiat Ballila” et offre une gamme étendue de variantes intéressantes basées sur cette petite voiture de sport. D’autres contrats de moindre importance sont conclus avec d’autres sociétés.
Après la guerre, la société connait une nouvelle période difficile, car qui pouvait à l’époque s’offrir des voitures construites sur mesure ?
Le problème est encore aggravé par le niveau d’inflation élevé. Nuccio Bertone est l’un des premiers, parmi les industriels de l’automobile, à réaliser que l’époque où les clients venaient frapper à la porte est révolue, une promotion personnelle est nécessaire. Ainsi Nuccio et son père font l’acquisition de deux châssis de MG sur lesquels ils montent un coupé et un cabriolet et, avec le peu d’argent qu’il leur reste, ils louent un stand au Salon de l’automobile de Turin, où ils exposent les deux MG Bertone. L’espoir que la qualité de leur design et de leur travail soit reconnue n’est pas vain : Stanley Harold Arnolt II, un riche homme d’affaires de Chicago, fan de MG et le plus important distributeur de MG du Middle West, commande sur-le-champ 200 modèles, pour les vendre aux USA sous le nom de ”Arnolt MG”. Le miracle se produit, Bertone une fois encore enregistre des commandes. A cette époque, le chef designer est Franco Scaglione, un homme talentueux et introverti qui, encore aujourd’hui, jouit étonnamment d’une plus grande réputation auprès des professionnels de sa branche qu’auprès du grand public. Scaglione développe une Arnolt Bristol, sur la base du châssis d’une ”Bristol 404”, et créé aussi la très admirée Bertone Abarth, qui enchanta les visiteurs du Salon de l’automobile français à fin de 1952.
Dans l’histoire du design, Scaglione est toutefois encore principalement reconnu comme le ”père” des modèles ”B.A.T.”, ces trois incroyables modèles Alfa Romeo, qui causèrent tant d’émois chaque année entre 1953 et 1955. Tout commença par une visite des responsables d’Alfa Romeo à la ”Carrozzeria Bertone”, où un accord fut conclu dans la perspective de produire un légitime successeur à la ”Disco Volante”, en trouvant de nouvelles solutions dans le domaine de l’aérodynamique. Chez Alfa Romeo on savait que l’ancien pilote de course amateur Bertone, était capable de trouver une solution inédite; on lui donna ainsi un châssis ”Alfa 1900 Super Sprint”, le moteur 4 cylindres en ligne développant une puissance de 115 ch à 5500 tr/m.
Lorsque la ”B.A.T. 5” est dévoilée au Salon de l’automobile de Turin en novembre 1953, même les chroniqueurs chevronnés ont du mal à trouver les mots, dans un langage sobre et objectif, pour décrire la silhouette futuriste ; Scaglione avait appliqué à la lettre les principes aérodynamiques de manière telle que les autres véhicules avaient l’air ”vieux”.
”Berlinetta Aerodinamica Tecnica”, Scaglione prend les initiales de ces trois mots pour en faire le symbole d’une superstructure taillée sur mesure, aux ailerons incurvés à l’arrière avec un nez de requin à partir desquels la prise d’air sur les deux côtés se prolonge aux extrémités des ailes tape à l’œil.
Le fait que la ”B.A.T. 5”, avec sa nouvelle conception aérodynamique, sa vitesse de près de 200 km/h, environ 20 km/h plus rapide qu’une ”1900 SS” de série, fut si vite oubliée, n’a rien à voir avec Franco Scaglione et son design, mais plutôt au lancement, juste une année plus tard, de la “B.A.T. 7” avec une conception aérodynamique encore plus avancée.
Alors que la B.A.T. 5 de 1953 se montrait tape-à-l’œil (une véritable “provocation aérodynamique”) afin de donner un coup de publicité supplémentaire à Nuccio Bertone et à sa Carrozzeria, la “B.A.T. 7” (qui dans les salons de l’automobile des années suivantes relégua les modèles concurrents au rang de non-partants) présentait quant à elle, dans les années 50, la solution la plus radicale au problème de l’aérodynamique des quatre roues.
Une fois de plus, Scaglione s’était basé sur un châssis Alfa 1900 strictement de série, la société milanaise ne pouvant rien lui offrir d’autre à un prix moyennement raisonnable… et l’austère designer, que Nuccio Bertone décrivait comme étant un homme “de peu d’intérêt pour les aspirations et les intérêts personnels”, décida une approche de l’aérodynamique encore plus originale que pour le précédent modèle.
B.A.T. 5
Lorsque les ingénieurs s’emparèrent de la “B.A.T. 5” après ses débuts très admirés au Salon de l’automobile de Turin de 1953, ils mesurèrent des coefficients de résistance à l’air situés entre 0,19 et 0,21, valeurs jusqu’alors impensables pour des véhicules de tous les jours. Mais Scaglione entreprit d’améliorer encore ces valeurs avec la “B.A.T. 7“.
B.A.T. 7
Il y parvint, créant une œuvre d’art très stylisée qui possédait non seulement un coefficient de résistance à l’air extraordinairement bas, mais encore les ailerons arrières les plus grands, les plus fous et les plus arrondis de toute l’histoire de l’automobile.
Ceux qui proclament que la Cadillac 59 Eldorado avait “des ailerons” devraient examiner d’un peu plus près la “B.A.T. 7” et revoir leur jugement.
B.A.T. 9
Tout comme sur la “B.A.T. 5” qui l’a précédée ou sur la “B.A.T. 9” une année plus tard, le nez de la “B.A.T 7” était caractérisé par les larges prises d’air séparant les phares de l’étroite calandre de l’Alfa Romeo.
Les côtés étaient lisses et purs, quasiment directement inspirés du fameux manuel “Vehicle Aerodynamics” du doyen de l’aérodynamique Freiherr Reinhard von Koenig-Sachsenfeld.
Et lorsque vous examinez la “B.A.T. 7” d’en haut, vous découvrez l’habitacle biplace en forme de larme avec les portes fixées à l’arrière, assistant le moteur en ligne 1975 cm3 et ses comparativement insignifiants 115 CV pour atteindre une vitesse significative de 190 km/h.
La nouvelle définition de la forme de la carrosserie n’entraîna pas seulement une vitesse de pointe raisonnable mais, conséquence préméditée de Franco Scaglione, aussi une incroyable poussée vers le bas qui rendait la “B.A.T. 7” sensiblement sous-vireuse.
A une époque où peu de monde s’intéressait aux salons de l’automobile, il est très surprenant que la “B.A.T. 7” ait été l’une des voitures à tomber entre les mains d’un collectionneur américain quelques mois seulement après son lancement à Turin, pour être rapidement revendue.
Ce second modèle passa à cette époque entre les mains de toute une série de propriétaires, pour être finalement acquis par un riche Japonais, sensible à son importance dans l’histoire du design, pour son musée privé où elle peut maintenant être admirée aux côtés de la “B.A.T. 5“, montrant ainsi aux visiteurs japonais émerveillés ce que les designers européens étaient capables de réaliser au début des années 50.
Et l’on ne sera pas surpris si le propriétaire de la “B.A.T. 5” et de la “B.A.T. 7” s’efforce maintenant de compléter sa collection de “B.A.T.” en cherchant à acquérir la “B.A.T. 9” pour une somme importante.
Un rêve pour le passionné d’automobile… Essayez de vous imaginer au volant de votre Chevy, roulant d’Evart à Tonla dans l’État du Michigan, aux États-Unis.
Par une chaude soirée d’été, vous êtes sur la route avec votre cousine et vous rendez à la fête de votre école. La fête de l’école ? Ben oui, vous venez d’avoir seize ans, venez d’obtenir votre permis de conduire et voulez fêter l’événement. Nous sommes en quelle année ? Disons 1963. Pour cause de réfection de la chaussée, une déviation vous oblige à traverser Greenville, petit village retiré, et vous passez devant “Chapin Motors”, le concessionnaire Dodge-Plymouth local. Et c’est là que vous la découvrez, la voiture absolue, la plus extraordinaire que vous ayez jamais vue. Elle est là, parquée juste au milieu des américaines, telle une sculpture à vous couper le souffle. Évidemment, vous vous arrêtez immédiatement, admirez ses lignes, respirez l’odeur du cuir de la garniture et vous rendez à l’évidence : “Je n’ai aucune idée de ce que c’est, mais je dois l’avoir”…
Gary Kaberle avait 16 ans lorsqu’il tomba ce soir-là, à Greenville, sur l’Alfa Romeo “B.A.T. 9“, bien qu’à l’époque il n’avait aucune idée de qui avait construit cette merveilleuse voiture. C’est le genre d’histoire dont rêve tout amoureux de voitures. Après l’avoir revue sur le chemin du retour, au clair de lune, il se jura : “de découvrir ce que cela doit être que de posséder une voiture pareille”. Le samedi suivant, Kaberle retourna chez le concessionnaire, mais dut se rendre à l’évidence : l’Alfa Romeo appartenait au directeur administratif qui n’avait aucune intention de vendre l’objet de sa fierté et de son bonheur.
Mais Kaberle était obstiné : “Et si elle était à vendre, quel serait son prix ?” – “Probablement plus chère que n’importe laquelle des voitures neuves en exposition”.
De retour chez lui, le garçon de 16 ans rassembla toutes ses économies et, après avoir promis à sa mère de parquer la voiture chaque jour devant sa boutique pour mobiliser l’attention, il réunit le reste de la somme nécessaire en obtenant une avance sur son travail de corvées de ménage. Il parlementa avec le propriétaire de la voiture et l’acheta. Il trouva toutefois que l’Alfa portait un nom quelque peu inhabituel, ”B.A.T. 9”. Il ne soupçonnait pas qu’il avait fait l’acquisition d’un modèle absolument unique, une voiture d’exposition de Nuccio Bertone qui avait fait baver les fans dans les principaux salons de l’automobile. Il n’apprit cela que bien des années plus tard, lorsqu’un expert lui présenta la revue “Road & Track” de décembre 1958 avec la “B.A.T. 9” en couverture.
La “B.A.T. 9” était la dernière des trois voitures d’exposition construites par la Carrozzeria Bertone entre 1953 et 1955, dans la tradition des prototypes artisanaux avec lesquels, depuis les années 30, la société avait éveillé l’attention sur ses qualités. “B.A.T.” n’était pas un nom hérité d’un héros de bande dessinée, mais l’abréviation de “Berlina Aerodynamica Technica”, et le chiffre suivant les lettres indiquait le numéro du prototype de la série.
Le nº 1 a été produit en 1950 sur une base ”MG TD”. La Carrozzeria Bertone attribua aux Alfa Romeo les numéros 5 et 7, ainsi que le numéro 9 à celle de notre futur dentiste d’Evart dans l’État du Michigan, aux États-Unis.
Une bande de chrome sur les côtés, allant de l’avant à l’arrière, séparait les parties supérieures et inférieures. Si ses deux prédécesseurs avaient des formes néanmoins furieusement aérodynamiques, qui choquèrent et étonnèrent par l’absolu de leurs lignes, la “B.A.T. 9” était considérablement plus en retrait, bien que Franco Scaglione, à l’époque gourou du stylisme de la société de Turin, montrât toujours une tendance à l’extravagance. En outre, la “B.A.T. 9” présentait l’intérêt de posséder des roues à rayons chromés à demi encastrées. La peinture argentée renforçait le dynamisme de la forme lorsque le véhicule était à l’arrêt. Scaglione réalisa ces effets avec de remarquables secrets de designer. Les énormes prises d’air entre les phares encastrés et l’étroite calandre Alfa sur le nez donnaient l’impression d’un avion au décollage, alors que le véhicule se tenait immobile. Le pare-brise était fixé en retrait dans les coins, comme un cockpit d’avion, un effet accentué par la suite avec le montant A incliné vers l’arrière et le montant B en étroit parallèle. L’arrière était dominé par la massive vitre arrière divisée au centre, flanquée de deux plus petits ailerons arrière, en comparaison avec la “B.A.T. 5” et la “B.A.T. 7“. Ce spécimen unique fut construit autour du châssis et du moteur quatre cylindres de la version Super Sprint de l’Alfa 1900, développant 115 ch à 5 500 tr/m.
Après avoir été conduite par Gary lorsqu’il était étudiant, la “B.A.T. 9“, parfaitement restaurée, se promène plus souvent à l’arrière des camions que sur les routes, se rendant aux principales manifestations réunissant d’anciennes voitures où elle remporte régulièrement des trophées. Gary Kaberle, qui en est toujours le propriétaire m’a dit : “Ce fut le coup de foudre dès la première seconde ; il me fallait cette voiture. Et je la trouve toujours aussi attirante, comme au premier jour”…