Appâté par l’envie de calme et de silence, je suis parti… loin… au bout du bout du monde… Venu du continent Européen depuis Halifax, puis depuis l’île principale dans un petit bimoteur à 6 places sous la quotidienne averse atlantique… et ensuite en barque jusqu’à cette île… je m’y suis retrouvé dans un Bed & Breakfast aux murs extérieurs recouverts de tôles ondulées comme c’est de rigueur dans les pays exposés aux vents polaires et aux intempéries hivernales… il n’y avait rien à faire là qu’à attendre mourir… quoique… j’étais là pour rien d’autre que survivre loin du monde… et rien d’autre à faire, sinon regarder la teinte huileuse de l’océan, donc je la regardais… et, j’imaginais quel bonheur ce serait de survivre ici chaque jour, ce qui m’a toutefois rendu pré-neurasthénique ! !
Après presque deux heures, j’en avais totalement marre… presque pas de faune, sinon des oiseaux que j’étais bien en peine d’identifier, je ne me souviens même plus des autochtones, ni même de leur accent que je suppose encore devait être à couper au couteau.
J’imaginais comme dans un cauchemar devenir comme eux : alcools détaxés et dérisoires virées le long de la seule route goudronnée, celle qui va du bourg à la quarantaine et qui en revient vers le néant… une boucle d’à peine un kilomètres et demi pour les damnés qui ne pouvaient venir sur l’île qu’en barque à marée haute ou en participant à un jeu qui consistait à franchir l’isthme à fond de train sur la piste de terre battue et à ne piler qu’au dernier moment, juste avant le brusque virage en arrivant à Langlade.
J’ai acheté un Pick-up Chevy de 1954, pour 5.000 US$… c’était une antiquité actualisée, modernisée, gris métal, intérieur rouge sang, changement des 4 vitesses manuelles au plancher, moteur V8 Corvette de 327ci…
Avec sa tenue de route déficiente (les bagnoles customisées pour les “Blue-Collars”… ne sont pas vraiment adaptées au tout terrain), j’ai manqué perdre le contrôle et me foutre à la baille… dès que je dépassais le “55 miles per hour” sur cette langue de terre large d’à peine 10 mètres à son point le plus étroit… c’était l’enfer !
La route se délitait en faisceaux de sentiers muletiers sans qu’il n’y ait jamais eu l’ombre d’un mulet…. alors je me suis garé près d’une grève et assis sur le sable pour contempler les vaguelettes moribondes durant des heures, espérant dieu sait quoi, que je me dissolve à mon tour comme le quartz et le feldspath de la plage. J’attendais des miracles… que le soir n’allait pas arriver avant que l’sthme soit noyé de la marée haute… que tout n’allait pas rester figé pour des années (et moi avec)… que la nuit serait éternellement repoussée jusqu’au pôle où elle demeurerait prisonnière jusqu’à la fin des siècles… pour ne pas avoir à rentrer dans la minable chambre du Bed & Breakfast, où seule une serveuse édentée aux seins flasques m’attendait…, tandis, qu’à l’extrême pointe nord, dans la quarantaine, des lamas se languissaient de leur prochain transfert vers le Manitoba.
Finalement, en plus du Pick-up, pour 3.000 US$ j’ai acheté une vieille usine semi-pourrie, le toit recouvert de tôle ondulée, au bout d’un sentier poussiéreux en été et boueux en hiver, soit 8 mois sur 12… le but étant de me reconstruire loin de la civilisation… Je n’y ai jamais vu personne après 6 mois d’attente… mais c’était le but de la manœuvre.
J’ai installé Internet et une antenne parabolique pour capter toutes les émissions radio et télé… Loin du monde… Les gens de l’épicerie viennent me livrer entre deux et quatre et déposent mes achats dans le petit appentis. Je suis toujours à ce moment en haut des micro-falaises à contempler les oiseaux se faire balayer par les rafales au ras des vagues. Je leur laisse l’argent sur la table, avec mes instructions pour la prochaine livraison.
Il n’y a pas grand chose sur cette île ; patates, bacon canadien, poisson fumé. Pas de surgelés, le groupe électrogène n’étant là qu’en secours pendant la mauvaise saison quand il faut démonter les panneaux solaires avant qu’ils ne soient emportés par les trop fréquentes tempêtes. Le frigo fonctionne au gaz, tout comme la cuisinière et la chaudière. Si quelque chose a augmenté, les épiciers me le notent sur une feuille de papier et je fais l’appoint la fois suivante. On fait toujours confiance aux timbrés.
La visite à mon banquier, avait été mon dernier acte social, les ultimes visages entrevus avant mon exil volontaire d’Europe et le refus des conneries. L’argent du premier prix de l’Euromillion après un an à augmenter… que j’avais gagné juste avant de prendre ma décision de partir loin… m’aide à m’en sortir (sic !) et les courriers postaux sont scannés et envoyé par la copine d’un ami qui a ma procuration et à qui je donne 50 euros par mois pour sa peine.
Et le sexe, me direz-vous ? Aux branlettes frénétiques du début ont succédé un morne effritement de ma libido. Ce qui était prévisible. Sans désirs en général, sans désir pour la chair en particulier. Ce n’est ni bien, ni mal. C’est comme ça. La vivacité du lichen et ses grands élans lyriques.
La vie n’est certes pas belle, mais pas douloureuse non plus. Elle est cireuse, d’un morne reposant. Végétative. Les gens dont je dépends (mais que je paie) profitent de la situation pour me voler, m’imposer des prix que je n’irais jamais vérifier ainsi qu’ils le savent fort bien ? Sur le fond, je m’en moque : non seulement je parviens à survivre dans des conditions assez douillettes, mais il me reste en fin de mois un petit reliquat que j’entasse dans un bocal à confiture sur le buffet de pin blanc. J’ai également gagné au Win-For-life… je n’ai qu’une idée très vague du montant, lequel, semble-t-il, augmente doucement d’une année sur l’autre.
La seule femme de l’ile, la serveuse édentée aux seins flasquesdu Bed & Breakfeast, m’a un jour laissé un mot pour s’excuser de ce qu’elle avait fait, pour exprimer sa honte et me dire qu’elle allait me rembourser ce qu’elle m’avait pris. Je lui ai répondu que ce n’était pas grave et qu’elle pouvait bien le garder (les billets-navettes à son intention sont postés dans une boite de cacao vide, ceux pour l’épicier dans le tiroir). Mais j’ai retrouvé un beau jour près de 600 euros dans la boite de cacao… qui sont allés rejoindre ses frères dans le bocal à confiture. Elle en avait surement plus besoin que moi, mais qu’y faire ? Je repense souvent à sa lettre : elle était détrempée, comme si elle avait pleuré comme une madeleine en la rédigeant. Ce que j’avais trouvé et continue de trouver excessivement mélodramatique. Mis en scène pour être plus exact. Je n’en demandais pas tant…, c’est pas spécialement mon truc. Tellement pas qu’en général, j’hésite entre la crise d’angoisse mal jugulée et la fuite sous le moindre prétexte.
Le monde en tant que lieu d’existence et le monde, au sens des gens… me fait flipper. Pourquoi encore m’infliger ça ? Je vais arrêter ce petit numéro de goulash tripal, parce que sur le fond, c’est parfaitement indicible, même pour moi. Comme quoi, je suis un mec vraiment compliqué, vous ne vous rendez même pas compte à quel point. J’ai usé 4 analystes comme ça. J’ai malencontreusement forcé sur le 40° Mojito, craignant des bouffées d’horreur qui ont eu le bon goût de rester à la porte. Ce n’est pas toujours facile de doser (le 40°). Moyennant quoi, je m’aperçois que 70% des personnes visibles me sont absolument inconnues et que j’ai d’énormes blancs dans la chronologie. Mais vraiment énormes. Je ne sais, en particulier, pas, non, si je suis resté une ou quatre heures, par exemple.
Et si quelques épisodes très marquants sont gravés au fer rouge dans ma mémoire (comme on dit chez Dumas père), les transitions sont des plus floues.
La dernière en particulier : je me retrouve tout seul dans la pièce du fond (un comble vu la densité de la population) de très mauvaise humeur (pourquoi ? mystère …). C’est à ce moment là que j’ai décidé de me casser l’année prochaine (de toute façon, je risque la liquéfaction à brève échéance).
Dehors, c’est comme tous les soirs, je hurle : “Reviens, reviens, reviens“, pour qu’elle revienne, mais rien du tout… et je tourne en rond, la démarche aléatoire de celui qui est bien content de ne pas devenir fou. Nonobstant ma tête de zombie hépatique…
C’est le réveil qui m’a tiré d’un sommeil agité. Tout ça n’était qu’un cauchemar !!!
Le lendemain fut pénible à geindre, le surlendemain nauséeux à contempler huit heures durant l’écran de mon PC comme si c’était une araignée répugnante… Encore un Mojito et j’y retourne… Demain, tout ira mieux… De plus, je vais acheter un second Pick-Up presque identique, au cas où l’autre tomberait en passe… on ne sait jamais…