1954 Plymouth Belmont…
Vous “causer” de la Plymouth Belmont est inutile, la voiture en elle-même l’est également, on ne “cause” donc pas de la Plymouth Belmont… sauf pour paraître utile…, parce qu’elle s’est vendue aux enchères à plus d’un million et demi de US$ en 2018 et qu’elle pourrait se vendre 2.000.000 US$ en 2020…, donc, ce serait dommage de ne pas “en causer” !
Le ressenti d’utilité dépend de 3 facteurs :
– La personnalité : ce qui est utile à l’un est inutile à l’autre. C’est inhérent à la hiérarchie des besoins de chaque personne à un moment donné : un naufragé a plus besoin de nourriture que d’une toile de Van Gogh.
– L’époque : le parachute inventé par Léonard de Vinci était inutile au 16ème siècle.
– Le lieu : une cafetière est inutile pour des indiens d’Amazonie, un arc et des flèches sont inutiles pour des parisiens.
Le ressenti d’utilité est donc proportionnel à l’assouvissement des besoins d’une personne à un moment et dans un lieu donné.
Il est bien délicat d’affirmer qu’une chose est utile ou inutile…., quelque chose d’apparemment inutile peut parfois devenir utile avec le temps, ou être utile à quelqu’un d’autre.
Il s’agit donc d’être prudent avant d’affirmer que quelque chose est inutile… et, à la limite du raisonnement, on peut utilement penser que l’inutile n’existe pas, car si on décide de faire quelque chose d’inutile, ce sera utile puisque cela servira au moins à satisfaire la décision…, c’est métaphysique…, la question de l’utilité soulève la question métaphysique du sens de la vie !
Il peut être dangereux de classer les choses en deux catégories et de juger de l’utilité des choses de façon trop stricte…, il serait préférable de se demander quelle est la part plus ou moins grande d’utilité apparente de chaque chose…
Et, paradoxalement, les choses les plus inutiles peuvent être les plus importantes car on les fait pour elles-mêmes et non pour une autre raison…, ce sont des buts en soi.
Il n’est pas vrai, pas même en temps de crise, que seul ce qui est source de profit soit utile…, il existe dans les démocraties marchandes des savoirs réputés “inutiles” qui se révèlent en réalité d’une extraordinaire utilité…
L’écrivain-philosophe Nuccio Ordine a d’ailleurs attiré l’attention des masses sur l’utilité de l’inutile et sur l’inutilité de l’utile… et ce, à travers les réflexions de grands philosophes : Platon, Aristote, Tchouang-tseu, Pic de la Mirandole, Montaigne, Bruno, Kant, Tocqueville, Newman, Heidegger… et de grands écrivains : Ovide, Dante, Pétrarque, Boccace, L’Arioste, Cervantès, Lessing, Dickens, Okatura Kakuzô, García Márquez, Ionesco, Calvino…
Nuccio Ordine a ainsi voulu montrer comment l’obsession de posséder et le culte de l’utilité finissent par dessécher l’esprit, en mettant en péril les écoles et les universités, l’art et la créativité, ainsi que certaines valeurs fondamentales telles que la dignitas hominis, l’amour et la vérité !
Il a souligné que les sciences, elles aussi, nous enseignent l’utilité de l’inutile…, ainsi, s’il élimine la gratuité et l’inutile, s’il supprime les luxes jugés superflus, l’homo sapiens aura bien du mal à rendre l’humanité plus humaine…
Abraham Flexner :
« N’est-il pas curieux que, dans un monde pétri de haines insensées qui menacent la civilisation elle-même, des hommes et des femmes de tout âge, s’arrachant en partie ou totalement au furieux tumulte de la vie quotidienne, choisissent de cultiver la beauté, d’accroître le savoir, de soigner les maladies et d’apaiser les souffrances, comme si, au même moment, des fanatiques ne se vouaient pas au contraire à répandre la douleur, la laideur et la souffrance ? Le monde a toujours été un lieu de misère et de confusion : or les poètes, les artistes et les scientifiques ignorent les facteurs qui auraient sur eux, s’ils y prenaient garde, un effet paralysant. D’un point de vue pratique, la vie intellectuelle et spirituelle est, en surface, une forme d’activité inutile, que les hommes apprécient parce qu’ils y trouvent plus de satisfactions qu’ils n’en peuvent obtenir ailleurs. On se demandera ici dans quelle mesure la poursuite de ces satisfactions inutiles s’avère en réalité, contre toute attente, la source dont procède une utilité insoupçonnée. »
Eugène Ionesco :
“Regardez les gens courir affairés, dans les rues. Ils ne regardent ni à droite, ni à gauche, l’air préoccupé, les yeux fixés à terre, comme des chiens. Ils foncent tout droit, mais toujours sans regarder devant eux, car il font le trajet, connu à l’avance, machinalement. Dans toutes les grandes villes du monde c’est pareil. L’homme moderne, universel, c’est l’homme pressé, il n’a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu’une chose puisse ne pas être utile; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c’est l’utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprends pas l’art; et un pays où l’on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit; où il n’y a pas l’humour, où il n’y a pas le rire, il y a la colère et la haine.”
Okakura Kakuzô :
“En offrant la première guirlande de fleurs à sa compagne, l’homme primitif a transcendé la brute. Par ce geste qui l’élevait au-dessus des nécessités grossières de la nature, il est devenu humain. En percevant l’usage subtil de l’inutile, il est entré dans le royaume de l’art.”
Leon Battista Alberti :
“La pauvreté, l’hostilité, les injustices, et non des moindres, comme le savent pas mal de gens, que j’ai subies au moment même d’achever mes études, j’y ai fait face avec courage et résolution rien que par amour des lettres, et par reconnaissance pour elles. Et je n’ai pas fait cela par plaisir, pas plus que pour l’argent, comme le passage des livres aux affaires me l’aurait permis, si je l’avais voulu. Que l’esprit des lettrés soit enflammé d’un désir qui ne se tourne pas vers les richesses et l’argent, mais vers la sagesse.”
Hippocrate :
« Je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’œuvres droites, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre et dans ses immenses cavités, fondant l’argent et l’or, ne cessant jamais d’en acquérir, se démenant toujours pour en posséder davantage afin de ne pas déchoir. Et il n’éprouve aucun remords à se déclarer heureux, lui qui fait creuser à pleines mains les profondeurs de la terre par des captifs enchaînés, dont les uns périssent sous les éboulements d’un terrain friable, tandis qu’interminablement soumis à cette contrainte, les autres survivent dans le châtiment comme dans une patrie. On va chercher l’or et l’argent, on examine les traces de poussière et de raclures, on entasse ici le sable qu’on avait extrait de là, on ouvre les veines de la terre, on fend les mottes pour s’enrichir ; de notre terre maternelle, on fait une terre ennemie ; elle qui reste toujours la même, on la foule aux pieds. »
La Plymouth Belmont est donc utile dans son inutilité…, elle aurait pu être un challenger à la Chevrolet Corvette et à la Ford Thunderbird dans le domaine des voitures de sport à deux places, les historiens de l’automobile pourraient débattre de cette question ad nauseam !
Au début de 1954, les ventes de Plymouth étaient tombées à une fraction des taux autrefois considérés comme normaux…, dans un effort pour consolider la performance de Plymouth et de construire une certaine excitation autour de la marque, le chef de style de Chrysler, Virgil Exner, a conduit son département dans la production d’une paire de concepts-cars pour la saison 1954 la Plymouth Belmont construite par Briggs Manufacturing Company… et la Plymouth Explorer construite par Ghia.
La Belmont a été réalisée sur un châssis plymouth “114 pouces”, c’était la première Plymouth avec carrosserie en fibre de verre au lieu d’acier, et son moteur V-8 241-cu.in de 157 chevaux était soutenu par une transmission semi-automatique Hy-Drive… et c’est ainsi qu’elle a fait ses débuts au Salon de l’auto de Chicago 1954 dans une teinte bleu clair métal, montrant ce que Exner et son équipe considéraient comme une conception aérodynamique.
Contrairement aux concept-cars “show only” ultérieurs, la Belmont était une automobile fonctionnelle, tant que le conducteur et sa passagère (ou l’invverse) étaient prêts à faire quelques concessions au style…., le pare-brise, par exemple, avait été formé à partir de plexiglas épais, ce qui signifie que la vue en avant était déformée…, il n’est pas clair combien d’efforts ont été mis (inutilement) dans l’étanchéité, d’autant que la voiture n’a jamais été destinée à être conduite sur n’importe quelle distance sous la pluie…., de plus la voiture n’avait pas de poignées de porte extérieures,
Après son apparition en 1954 dans un film mettant en vedette Eddie Fisher et Debbie Reynolds, la Belmont a été remisée car jugée “vieille de style” pour créer une image d’avenir de la société…, à ce stade, la plupart des concepts sont enfermés dans des hangars de “souvenirs” et dépouillés de pièces utilisables avant d’être expédiés au broyeur…
Mais Exner avait eu un coup de cœur pour la Belmont qui a donc survécu, le styliste concluant un accord avec Chrysler, lui donnant la propriété une fois qu’elle sera retirée du circuit d’exposition (un exploit, ce n’est plus possible actuellement que les modèles “usine” de pré-production d’aujourd’hui puissent être immatriculés et utilisés).
Exner et sa famille ont possédé la Belmont jusqu’en 1968 ou elle a été vendue à Marie DeAngelo… qui l’a revendue à Don Heckler en 1970…, qui l’a conservée jusqu’en 1989… année ou Loren Tyron l’a acquise pour la revendre avec grands profits à la collection Blackhawk ou elle a fait l’objet d’une restauration complète (au cours de laquelle la voiture a été repeinte en rouge au lieu de son bleu d’origine)… et en 2001, la voiture a été vendue 1.000.000 US$ à la vente aux enchères Barrett-Jackson Scottsdale à Ele Chesney vivant dans le New Jersey, et de là l’histoire de la propriété a été provisoirement perdue, mais la Belmont est réapparue en 2014 à la vente Barrett-Jackson organisée à Scottsdale (Arizona) ou elle a été vendue 1.200.000 US$…, puis en janvier 2018 même endroit toujours vendue par Barrett-Jackson, a 1.320.000 US$ !