1955 Flajole Forerunner “convertissable”…
Que les designers, qu’on nommait “dessinateurs d’automobiles” dans les années ’50, laissaient courir leur imagination sans aucun souci de rationalité, personne n’en doute…, ni quiconque ne songerait à contester que certaines de leurs “créations” étaient en réalité des horreurs roulantes…
La majorité de ces engins étranges n’étaient considérés que comme d’anecdotiques choses, des œuvrettes d’illuminés dont les “bien-pensants” se gaussaient…, des bizarreries plus ou moins roulantes qu’on retrouvait des dizaines d’années après leur création, au hasard d’une allée dans un musée éphémère… et qu’on n’imaginait pas valoir plus qu’une considération polie !
Depuis quelques années, certains visionnaires de la spéculation achètent les “concept-cars” qui passent à leur portée, imaginant avec raison et intelligence, qu’il pourrait s’agir d’oeuvres-d’art témoins de la candide illumination de designers incompris…, au même titre que les oeuvres d’artistes considérés comme des fous géniaux qui finissent par se vendre des fortunes…
L’inspiration qui a donné naissance à la Flajole Forerunner vient réellement de la copie de l’Astra de Jay Everett…, mais pour des questions de procès et règlements de comptes plus directs…, “officiellement” elle est une inspiration américanisée de de la Jaguar XK120…, une automobile qui a marqué son époque comme l’archétype du bon-goût (Françoise Sagan en avait une)…
Elle est pourtant inconfortable, mal pensée, mal construite, lourde, rouillant et pourrissant de partout rapidement, un “bitza” d’usine qui continue de marquer les cerveaux via les sempiternels dandy’s sapins-verts (ceux qui se déguisent en BCBG à l’anglaise, veste pied-de poule beige assortie à une bouche en cul-de-poule, pantalon en velours côtelé marron, loden et chapeau vert, parapluie, mocassins immaculés ou chaussures vernies et… imperméable Burberry)…
En comparant les deux voitures, on découvre plus qu’une inspiration “officielle”…, en dehors de son esthétique douteuse et de sa base de XK120 pachidermique (en effet la Flajole est tout simplement une Jaguar XK120 recarrossée et motorisée par le 6 cyl. 3L8 qui y était installé), cette étrange automobile présentait quelques solutions innovatrices pour son époque.
Par exemple, le toit de l’habitacle…, plus qu’un coupé, c’était un “convertissable“…, le système rétractile du toit cachait celui-ci dans l’énorme compartiment arrière, grâce à un système mécanique, sans pour autant compromettre la capacité de chargement du coffre, exclusivement accessible en déverrouillant et basculant le dossier des sièges, qui, vu leur taille éléphantesque (des sièges d’avion de ligne modifiés), ne peuvent pas basculer…, le siège conducteur buttant sur le volant, le siège passager allant seulement 10 cms plus avant jusqu’au tableau de bord… terminus…, le coffre est en réalité inaccessible en toutes circonstances…, c’est un grand coffre inutilisable !
En parlant du toit, ne vous préoccupez pas de la position du rétroviseur, puisque le toit était transparent. Ainsi il joignait le plaisir de conduire à ciel ouvert dans les deux configurations…, comprenez que, tout simplement, le toit “roulait” électro-mécaniquement vers l’arrière, caché par l’arrière de la carrosserie, semblable à une coquille d’escargot…, inconfortable système, assurément…, ne doutez pas de cela…, mais appréciez-en l’audace et l’originalité…
Et comme William “Bill” Flajole avait aussi tenu compte de certains aspects de la sécurité passive, il aavait laissé le rétroviseur dans cette position si peu usuelle…, quelque chose que nous considérons comme normal actuellement…, il y a 60 ans, était pratiquement inédit.
Bien que c’était un prototype en fibre de verre, son créateur l’a utilisé comme sa voiture personnelle jusqu’aux années ’70…, bien sûr, il s’agissait d’une unité unique (sic !), ce qui devait augmenter sa valeur à l’heure de la vente, mais elle n’augmentait pas plus encore même si on la regardait comme un Objet Roulant Non Identifiable !
Posséder cet engin, l’avoir cet engin dans son garage, signifie que plus personne au monde ne l’aura, c’est le même principe que posséder une peinture…, même si c’est laid comme un Picasso, comme l’œuvre est unique, même réellement merdique…, elle est rare donc chère… et tant qu’il y a des idiots pour y croire en sus d’un battage médiatique assorti de commentaires volontairement abscons et incompréhensibles…, ça marche !
D’ailleurs, personne au monde ne serait capable d’expliquer pourquoi Van Gogh est mort dans la misère alors que ses peintures assez laides se vendent actuellement plusieurs centaines de millions d’euros…, posez la question à un commissaire-priseur et amusez-vous de ses tentatives de non-réponses sur un ton très docte et hyper snob… pour vous apercevoir que c’est creux…
Pour en revenir à cet engin, sachez que Bill Flajole (un nom français qu’il faut prononcer “Flay-Joel”)…, avait déjà établi ses propres conceptions-constructions d’automobiles hors-normes en janvier 1939 en association avec John Kehrig, un manufacturier qualifié.
Bill Flajole était un graphiste indépendant qui avait commencé sa carrière dès sa sortie de l’école secondaire, en 1933, chez Chrysler… et a par la suite œuvré chez General Motors, puis chez Ford et ensuite chez Murray Corporation, où il a travaillé avec Bob Gregorie sur la conception originale mais hideuse de l’Edsel Ford (mais est-ce vraiment une référence ?)…
La société Flajole-Kehrig s’occupait avec bonheur de la conception-construction en sous-traitance pour Chrysler, Ford, GM, Nash et Murray dès mai 1939, mais pas que pour ces seules firmes, en effet, le prototype Nash NXI Sportster 2 places, basé sur une Fiat 500 Topolino… (preuve de l’incapacité créative, puisque ne partant pas d’une idée révolutionnaire dessinée de rien au départ d’une feuille blanche), y a été construit.
L’entrée en guerre des Etats-Unis a ensuite tout chamboulé…, ruinant la jeune société, mais, le concept NXI va finalement et quand même déboucher sur la mise en production de la Metropolitan Nash, petite mais importante voiture aux yeux des “connaisseurs” auto-proclamés de la “chose automobile”…, une petite bêtise roulable…, influencée par le désir de Charles Nash et George Mason de fabriquer et vendre une petite voiture personnelle…
Après la Seconde Guerre mondiale Bill Flajole est devenu conseil en design indépendant, c’était l’époque des conceptions industrielles de Raymond Loewy, Albert Kahn, Walter Dorwin Teague et Norman Belle Geddes…, comme eux, Bill Flajole était un généraliste qui concevait toutes sortes d’objets fonctionnels dans des formes simplifiées, décrites comme “une conception des machines”…, comprenant des jouets, des emballages, des bateaux, des appareils divers et même des maisons…, sans oublier l’automobile…
Normalement, en design, l’objet crée la forme, c’est à dire que c’est la base technique qui précède l’habillage et le conditionne…, or, cela a été dévoyé par “le dessin de formes pour les formes”, les techniciens devant bricoler pour faire entrer les éléments techniques (mécaniques) dans la forme…, ce qui débouche sur des stupidités (l’obligation d’enlever le moteur pour changer les bougies d’une Porsche 930 Turbo, par exemple, ou celle de démonter la carrosserie d’une Bizzarini pour accéder au moteur, ou celle d’être contorsionniste breveté pour entrer et sortir d’une DeTomaso Pantera)…
Comme de nombreux “concepteurs” de la fin des années quarante, Flajole n’était pas un innovateur créateur, puisque, “officiellement” captivé par la Jaguar XK120, son attitude agressive, son six cylindres double arbre à cames, il en a acheté une en 1951 et a commencé à expérimenter des nouveaux design sur le châssis de la Jaguar sans même chercher a améliorer la voiture…
En 1953, il va acheter sa deuxième XK120 et tester son moteur 3,4 litres de 180cv dans les mains de Duncan McRay, un obscur pilote, destiné à donner une sorte de garantie morale technique en laissant supposer que ces essais débiles et inutiles, avaient contribués à peaufiner une création avant-gardiste suite aux “excellents résultats obtenus”, incitant Bill Flajole à décider de l’utiliser comme base pour ses propres voitures futuristes deux places de sport…
Chez Chevrolet, Harley Earl et Bill Mitchell ont également testé une Jaguar XK120, appliquant ses principes à leur propre voiture de sport naissante, la Corvette… qui fit ses débuts au Motorama GM de 1953…, Bill Flajole n’était donc pas le seul graphiste américain qui a vécu un “appel” du coeur pour les Jaguar XK120.
Flajole et Kehrig, plongés dans la même voie que GM dans l’expérimentation de la nouvelle matière qu’était la fibre de verre, ont créé un projet 1/1 en argile incarnant leurs concepts très inspirés de ce que réalisait dans le même temps Jay Everett avec son Astra : ailes hautes, calandre large intégrée avec pare-chocs, toit rétractable…
La Forerunner Flajole a débuté son existence d’automobile en 1955, pile-poil en même temps que l’Astra de Jay Everett dont le dramatique profil avec une chute de l’arrière en “Fast-Back”, avait été “pompé”, preuve s’il en est besoin de souligner qu’aucune XK 120, 140 et 150 ne disposent de cette forme en carrosserie arrière…, mais, pour éclipser l’Astra, la Flajole disposait d’un panneau translucide en plexiglas servant de toit rétractable.
Elle a reçu une large publicité dans divers magazines : “Motor Trend”…, “Road & Track”... et “Sports Cars Illustrated”…, mais, elle eut tant de succès (sic !), qu’elle resta un modèle unique !
(Laissez-vous aller à une quinte de rire, même bruyant, cela ne peut que vous faire du bien)…
Bill Flajole, pour tenter d’alpaguer un client “lunaire” a donc dû se résoudre à personnellement utiliser sa voiture pour ses déplacements jusqu’au début des années ’70, attirant une attention constante du public sur ses bizarreries… un public médusé… dont Jeff Tamayo et son épouse Sara faisaient partie…, personnages atypiques qui lui feront une offre financière tellement alléchante (gag !) que Bill Flajole ne la refusera pas…
Une sorte de geste qui va faire croire à Bill Flajole que cela lui ouvrait les portes de la félicité…, alors que ce n’était que de l’auto-suffisance “égotique”…, doublée de l’avantage de ne plus devoir payer un garage chaque mois… ni de devoir continuer d’appliquer son calcul savant et mercantile consistant à exposer l’œuvre d’art “partouze” avec une petite carte : “A vendre”…
En 1998, la voiture, toujours fraîche et pimpante, a été acquise par Sidney Craig, un personnage tout aussi illuminé que Bill Flajole et Jeff Tamayo, parce que, selon lui (la citation est d’époque) : “Cet engin époustouflant est un exemple significatif de la conception typiquement américaine des années cinquante pour des voitures qui étaient commandées et acquises par des célébrités, préfigurant la Kustom Kulture et mettant en vedette des personnages exceptionnels comme Georges Barris”…
Des fausses vérités, pas totalement vraies ni fausses… et qui en fait… ne dérangent personne…, en effet Sid Craig n’a eu de cesse de louer le design excentrique de la Flajole Forerunner 1955, affirmant que son concepteur était un novateur-designer américain imaginatif, ayant expérimenté le premier la fibre de verre et le plexiglas ainsi que divers concepts de sécurité.
Les années cinquante, furent une époque où les concepts individuels pouvaient trouver leur expression, l’admiration du public et la réussite par la persévérance, l’expérimentation et l’ouverture à de nouveaux concepts et matériaux…, Bill Flajole a jouit de la sorte, d’une place d’honneur dans le monde du design automobile aux USA…
Annoncée sans prix de réserve, lors de la vente aux enchères Bonhams de la “Sidney H. Craig Collection and property from the Reggie Jackson Collection”… qui se déroulait au “Quail Lodge Resort and Golf Club”, Carmel, Californie, le 14 août 2009…, la Flajole Forerunner 1955 Chassis n°S673772, moteur n°W7884-8S, lot 222, a été vendue $188,500 en ce compris le “Buyer’s Premium”…
Mais, surprise, quelques jours plus tard, cette même voiture était annoncée par Hyman Ltd à St-Louis, USA, un des plus importants garages spécialisés en voitures de “collection” pour le montant de $ 350.000…, une belle marge bénéficiaire potentielle de presque 100%…, soit exactement 161.500 dollars de profit, une belle affaire pour une Jaguar XK120 bizarrement re-carrossée…
Loin de moi, de critiquer Hymans, qui “joue Casino”, il sait parfaitement ce qu’il fait en affichant ce prix, il ne s’agit plus ici de la vente d’une voiture de collection, mais de la vente d’un engin étrange glorifié comme étant une œuvre d’art unique au monde…, c’est un art subtil que l’art de la psychologie..; et cela “a marché”…, la Flajole a été vendue et son nouveau propriétaire écume toutes les grandes manifestations automobiles pour y gagner des Coupes…, un destin fabuleux !