1955 LaSalle II Roadster & Sedan…
Pendant les années cinquante, General Motors avait trouvé, avec son show itinérant : le Motorama GM, une technique de marketing très réussie pour exposer ses produits dans tous le pays, mettant en avant ses innovations technologiques et de ce fait, stimulant les ventes.
Chaque édition avait son lot de dream-cars, des voitures de rêves extravagantes et démesurées (des concept-cars dit-on maintenant), conçus sous la direction de Harley J.Earl, en charge du style pour l’ensemble des produits et des projets avancés de la General Motors.
De 1953 à 1956 (en raison de la guerre de Corée, il n’y eu pas de Motorama en 1951 et 1952), furent les années les plus remarquables grâce à des prototypes tels que la GM LeSabre…, la Cadillac Le Mans…, la Buick Wildcat…, la première Chevrolet Corvette…, les concepts GM Firebird I, II, et III…, les LaSalle II Roadster et Sedan… et la GM Biscayne.
Chaque concept participant au show itinérant se voyait attribuer un thème, celui de la La Salle Sedan était l’exploration dans l’élégance selon la philosophie de GM…, celui de la LaSalle Roadster était la sportivité humaine…, ses lignes laissant déjà préfigurer les Chevrolet Corvette.
L’éloquent pare-brise de la Sedan fut qualifié, encore mieux que panoramique : de stratosphérique…, incurvé vers le haut dans le toit, sa partie supérieure était teintée pour réduire l’éblouissement du soleil.
Dans les années cinquante et soixante, ce qui était nouveau était précieux, l’instinct de préservation était jugé inutile et ridicule : “Tout va si vite, l’an 2000 est devant nous, pourquoi conserver des jouets désuets quand ils sont rapidement remplacés par des nouveaux encore plus modernes et sophistiqués ?”…
Le collectionneur étant alors une espèce en voie d’apparition…, sans l’ombre d’un remord, les deux LaSalle vont se retrouver à la casse Warhoops de Sterling Heights dans le Michigan, prêtes à être massacrées parmi un lot comprenant d’autres voitures du Motorama à mettre au rebut, un ordre impératif donné par quelques personnes haut placées de la GM.
Il n’est pas difficile de comprendre l’échec de LaSalle entre 1927 et 1933, la crise économique n’a laissé aucune chance à cette marque prestigieuse, dès 1931, aucune voiture de luxe ne se vend bien… et plusieurs grandes marques ont disparu pour cette raison, mais la piètre prestation de LaSalle entre 1934 et 1940 est plus difficile à expliquer.
À partir de 1935, Lincoln et Packard lancent des modèles concurrents qui, au contraire de la LaSalle, portent le nom de leurs prestigieuses aînées… et cela change tout aux yeux des clients, en outre, à la fin des années 1930, les Cadillac et LaSalle se ressemblent beaucoup trop…
En 1940, la LaSalle 52 et la Cadillac 62 sont identiques que ce soit à l’extérieur, à l’intérieur ou au niveau des performances…, pourtant, la LaSalle ne coûte que le prix d’une Buick…, cette politique n’a aucun sens pour la GM, sa décision est logique.
Périodiquement, des rumeurs apparaissent au sujet d’une résurrection de LaSalle, le nom et l’emblème réapparaissent en 1955 à l’occasion de deux Motoramas de la GM…, une première fois pour une berline hard-top Sedan à quatre portes, une seconde fois pour un Roadster deux portes, ces deux voitures sont baptisées LaSalle II.
Dans les années 1960, des prototypes de Chevrolet Corvair et de Buick Riviera adoptent ce même nom de façon éphémère… et au début des années 1970, c’est la nouvelle compacte de Cadillac qui est présentée aux directeurs de la GM sous ce nom…, mais c’est finalement celui de “Séville” qui est retenu…, la principale raison qui pousse la GM à ne plus utiliser ce nom est que, pour quelques personnes, il reste associé à ce que l’on peut appeler le seul échec de Cadillac…, un document interne de la division explique ainsi que baptiser la nouvelle petite Cadillac de 1975 “LaSalle” aurait enchanté les trois-quarts des concessionnaires, mais lui aurait aliéné le quart restant !
Pour les collectionneurs, LaSalle est une marque très respectée ; elle reste la marque qui a produit quelques-unes des voitures les plus raffinées en Amérique avant la seconde guerre mondiale…, mais les collectionneurs ne représentent qu’une quantité infinitésimale du marché actuel.., il semble donc vraisemblable que LaSalle ne soit plus jamais utilisé à l’avenir.
Il y a deux noms bien connus dans le monde des collectionneurs d’automobiles américaines : l’un est Jay Leno (ci-dessus à gauche) et l’autre Joe Bortz (ci-dessus à droite)…, je sais qu’il y a beaucoup d’autres noms de collectionneurs, mais ces deux hommes sont arrivés au sommet par leur volonté, leur persévérance, de la chance et beaucoup de dollars.
Jay Leno est sans doute le mieux connu des deux, sa collection de véhicules est variée et montre son intérêt général pour la culture automobile.., Joe Bortz quant à lui, a fait sa spécialité du sauvetage des concept-cars américains, des voitures d’exposition que les constructeurs d’automobiles construisent pour ouvrir l’appétit des acheteurs potentiels venus glander dans divers shows…, mais, après que ces voitures ont fait leur temps et leur oeuvre consumériste, elles sont censées être détruites.
La plupart des concept-cars ne sont pas des voitures réelles, elles n’ont aucun système de transmission ou systèmes électriques opérationnels et sont considérées comme “des mobiles à pousser” manuellement sur les stands d’exposition…, quelques soient les intentions et les buts recherchés, quoiqu’il est rarrissime que ces engins étaient fabriqués pour le seul plaisir de créer…, ils sont des supports pour les expositions et non pas des véhicules destinés à être fabriqués en série.
Mi des années ’80, Marc Bortz, fils de Joe Bortz, parcourt un article sur les voitures du Motorama GM selon lequel les épaves seraient toujours en attente de destruction dans la casse Warhoops…, stupéfait, le jeune homme s’empresse de téléphoner au récupérateur, un nommé Harry Waholak, qui lui demande s’il a un lien de parenté avec un certain Joe Bortz qui avait déjà récupéré certaines voitures d’exposition dont la Buick Wildcat de 1953.
Confirmant ce fait, Joe Bortz en personne se rend à la casse et négocie pour un prix dérisoire l’achat des deux La salle 1955 ainsi que deux autres voitures de rêve : la Cadillac Eldorado Brougham 1956 et la Biscayne 1955.
Toutes sont en en piteux état, découpées en plusieurs morceaux…, mais cela ne décourage pas Joe Bortz qui va entreprendre une restauration de 22 ans avant de la présenter pour sa première sortie au Concours d’Elégance de Meadowbrook en présence des concepteurs du passé, y compris Chuck Jordan et Wayne Cherry, anciens chefs de GM Design…, ainsi que le leader actuel de GM Design, Ed Welburn.
Je ne suis pas sûr du comment je suis venu à m’intéresser à Joe Bortz, mais je sais que je l’ai rencontré, il y a quelques années lorsque, en tant qu’éditeur des magazines TopWheels et Chromes&Flammes, je réalisais un grand reportage sur la marque Excalibur et que j’avais été invité chez Brooks Stevens qui avait inventé un nouveau style d’automobile : le néo-classique !
Il avait conçu la Jeepster, peu après l’Excalibur Hawk… et ensuite la Cadillac Valkyrie qui se trouvait être aussi un des concept cars que possédait Joe Bortz… qui, hasard inouï se trouvait à Milwaukee chez la famille Stevens occupé à manger des pancakes maison…, j’ai donc approché à la fois Brooks Stevens et Joe Bortz avec l’intention d’ obtenir une interview…, Brooks a été volubile avec son fils Steve…, mais Joe m’a évinçé sans explication…, c’est la vie.
Vers 17 heures, j’avais terminé, je devais revenir le lendemain pour un test routier de la dernière Excalibur Coupé Royale SIV… et Joe Bortz partait de son coté…, avec sa LaSalle II Roadster… qu’il était venu récupérer d’une brève exposition au musée de Brooks Stevens…, il l’avait achetée quelques semaines plus tôt avec la LaSalle Sedan, elle n’était pas encore restaurée, elle ne fonctionnait pas… et on devait la pousser jusqu’aux rampes afin de pouvoir fixer le cable du treuil, pour entrer dans la remorque…
Il y avait de la vapeur montant, non pas de la voiture, mais du col de la blouse de Joe Bortz…, j’ai voulu photographier la scène, mais manifestement je cassais les pieds de Joe…, on m’a demandé de reculer, ce que j’ai fait… et finalement les employés du musée Stevens ont poussé le Roadster….
Il faudra attendre le 3 décembre 2010 pour que le Roadster LaSalle roule de par lui même pour la première fois de son existence, qui plus est avec une motorisation soi-disant hybride, le moteur d’origine, 6 cylindres, ne servant plus, selon divers bruits de couloir, qu’à recharger un ensemble de batteries positionnées dans le coffre arrière alimentant un moteur électrique qui transmet sa puissance aux roues arrière par des chaînes…, bizarre…, trouvant tout cela étrange et n’en croyant pas grand chose, j’ai donc manoeuvré pour pouvoir réaliser un essai…
Stetson enfoncé sur la tête, Ray-Ban vissées sur le nez et Santiag aux pieds, bercé par une bonne vieille musique Country, je la regarde, elle est là, tapie dans le garage…, clinquante au dehors et dedans l’instrumentation se limite à deux gros compteurs surmontés chacun de deux satelites, tandis que l’équipement est aussi riche qu’un sandwich King Size…, mais le tout respire la même qualité que la montre en toc pas chère vendue au marché de la gare…
Bref, c’est du clinquant, mais ce qui est curieux, c’est la position de conduite : si les dimensions extérieures impressionnent, au volant, je me sens assez confiné…, nostalgie…, fébrilement, je dois bien l’avouer, je tourne la clé de contact…, rien…, cet antique V6 qui provient en droite ligne du paléolithique automobile ne se réveille pas dans un grondement contenu, un peu saccadé…, pourtant des lampes se sont allumées…, kekcekça ?
Joe Bortz qui m’observait en souriant, vient me dire en riant que le moteur ne fonctionne pas, qu’il est vide, qu’il a simplement tout chromé et lustré…et m’explique qu’il a inventé un “bazar électrique”, un simple moteur entrainant l’antique pont arrière via une chaine…, que pour cela le réservoir d’essence a été viré pour agrandir au maximum l’espace du coffre afin de loger le moteur électrique et les batteries… et que j’ai le choix entre marche avant et marche arrière…, quel bazar…
Ok, j’appuie doucement sur l’accélérateur et…, les premiers mètres sont plutôt laborieux…, avec mon popotin assis sur un siège dur comme une selle de cheval… et un levier de marche AV-AR aussi léger qu’un steak T-Bone…, ce n’est pas l’engin idéal pour une séance d’emplettes en centre urbain…, mais que soit, c’est parti !
J’essaye de trouver une position de conduite “actuelle”…, peine perdue, j’ai le volant contre le ventre, les jambes compressées en zigzag, avec pédalier droit, un dossier droit, un volant droit…, assis au plus mal…, mission impossible…, alors je compose…., plutôt que de me caler dans le siège, je comprends qu’ici, il va me falloir ramer…, la galère…, pas de grand soutien latéral, un cuir bien lisse, bref, la mise en bouche n’est pas terrible…, Dieu que c’est dur…
La direction pourrait être plus directe, la masse importante crée une inertie assez handicapante et les dimensions ne lui confèrent pas une prodigieuse agilité…, le comportement de cette antiquité de 1955, revenue de l’enfer (et électrisée) est semblable à une voiture pour grands enfants à échelle 1/2 !
Quant à la motorisation, là, je suis dérouté : l’accélération est semblable à une voiture de golf… et cela dans un silence… assourdissant…, ce n’est pas une poussée de missile…, ce n’est pas explosif…, la suspension est inexistante, sauf que l’engin sautille sur toutes les bosses comme si j’étais un cow-boy sur le taureau qu’il mène à l’abattoir…, quant à la bande son, elle est forcément inexistante !
C’est peut-être dans l’utilisation que quelque chose cloche, je suis venu chercher ce qui n’existe pas…, je me repasse donc une bonne vieille série B américaine, style Humphrey Bogart… et… c’est le déclic, c’est le bonheur…, je roule cool et relax comme un golfeur savourant le silence, avec vue sur l’immense capot et les petites aiguilles qui s’agitent…, bienvenue dans un nouveau monde !
Côté pratique…, bon…, en dépit de dimensions dignes d’un Ranch texan, le Roadster LaSalle 1955 n’est pas la sportive de rêve idéale, loin de là…, quant au coffre, Joe Bortz l’a bourré de batteries pour alimenter son système de déplacement…, mais qu’est ce que c’est beauuuuuuuu !
Voilà, c’est fini…, pour pasticher une vieille série télé en noir et blanc avec Raymond Souplex : “Bon sang ! Mais c’est bien sur !” …, le résumé de toute cette affaire est que les deux concept-cars LaSalle II Roadster et Sedan n’étaient pas roulables lorsque General Motors les a utilisé pour ses Motorama…, d’ou son désintérêt de ne pas les conserver…, Joe Bortz a donc eu l’idée, après avoir acquis les carcasses pour une croûte de pain, de finaliser ce que GM n’avait pas imaginé en 1955…, du moins pour le Roadster !
Fi des soucis techniques liés au fait que les voitures n’étaient que des scultures, il était plus simple d’imaginer placer un moteur électrique à l’arrière commandant le pont via une chaine (voyez la vidéo), des batteries un peu partout après avoir supprimé le réservoir d’essence devenu inutile puisque le moteur est vide ne faisant que de la figuration… et hop…, c’est suffisant pour que la voiture bouge pour quelques kilomètres à l’allure d’un hippopotame, sous les vivas des beaufs ahuris de tant de technologie américaine… de plus, Joe Bortz s’est simplifié la vie en ne restaurant pas les panneaux les plus endommagés du Roadster (tout l’arrière particulièrement), mais en les moulant en polyester !