1961-1975 Jaguar E-Type #1…
“Tout est sexuel” aimait à écrire le père de la psychanalyse. Bien que l’on n’hésite plus à brocarder ce brave Sygmund à longueur de best-seller pamphlétaire, la pensée freudienne conserve encore un crédit certain appliqué à l’automobile. Nul besoin à vrai dire d’entamer un doctorat de psychologie pour s’apercevoir que le coupé sportif est à la berline ce que la maîtresse est à l’épouse. Mais alors où classer la Jaguar E-Type ?
Après la mythique E-Type 3L8…, la 4L2 Series II (toujours le même vieil illustre moteur XK conçu en 1940), demeura l’objet ultime sexuel dans nombres de cas pathologiques. Chacun le sait, ce squale traîna toute sa carrière la tare rédhibitoire d’appartenir à la catégorie GT sexy-alanguie pour hommes murs rangés des tape-culs : MG, Triumph et Austin Healey…, mais appréciant diverses pulsions lubriques. Mais la E-Type Series III annonçait la frigidité à venir dès 1972 avec son V-twelve policé et son esthétique édulcorante… Le marasme libidineux prit une dimension suffisamment préoccupante pour justifier l’introduction d’une XJS plus érogène, une gageure ! En fait, l’héritière maudite s’avéra n’être qu’une putain de luxe pour grisonnants non encore impuissants… Au fil du temps, vernie en rouge catin ou en noir fétichiste, le corps bodybuildé comme une poupée gonflante et les phares cernés d’anthracite tels les yeux sur-maquillés d’une porno star, la XJS semblait aussi bien jouer les racoleuses qu’une “Camilla Parker Balls” déguisée en bunny-girl.
Les dépravations cessèrent en 1993 avec la généralisation du V12 6 litres alors que la mal aimée s’imposa sur le tard comme la Jaguar à deux portes la plus vendue. A la lumière de l’expérience, n’en déplaise à ceux qui ne pensent qu’à jouir trop vite, trop mal, il semblerait bien qu’il faille laisser aux bêcheuses le temps de révéler leurs charmes trop longtemps refoulés.
Lorsque Jaguar dévoila sa E-Type au salon de Genève en mars 1961, ce fut la surprise totale? car personne n’avait eu d’informations préalable sur la future Grand Tourisme de la marque de Coventry… et également parce que la ligne de la E-Type subjuguait les foules.
La recette : une ligne signée William Lyons…, un châssis sportif tout en restant confortable (pour l’époque) et des performances de premier ordre. Sans parler du prix sans concurrence alors, puisque 3 fois moins cher qu’une Ferrari et deux fois moins qu’une Maserati…
Depuis la fin de la guerre, Jaguar symbolisait à merveille le Grand-Tourisme à l’anglaise. Toute la généalogie des roadsters XK (120 à 150) avait largement contribué à construire cette image sportive en complément des nombreuses victoires dans des compétitions majeures. Mais à l’orée des années ’60, malgré toutes leurs qualités, les XK ne pouvaient plus masquer leur âge. Alors, en secret, Coventry travailla sur la remplaçante.
Les journalistes de l’époque…, furent tenus à l’écart et les quelques dessins de perspective qui furent dévoilés étaient loin de la réalité.
Ce secret avait été jalousement gardé, mais quelques journalistes français, dont le très critique Auto-Journal porteront à la sortie de la Jaguar E-Type, un jugement absolument vrai concernant la mécanique : “Il ne peut s’agir que d’un modèle de transition conçu pour écouler un stock de vieux moteurs, car plusieurs prototypes tournent avec des moteurs alu”. Ce fut donc avec un moteur antique positionné dans une carrosserie futuriste (pour l’époque) que la Jaguar E-Type va entrer dans l’histoire de l’automobile…
Le 15 mars au salon de Genève, ce fut la cohue des journalistes dans le parc des Eaux-Vives qui pouvaient admirer en avant-première la nouvelle star de Coventry…, puis, ce fut le grand bain de foule. Les commentaires et réactions étaient dithyrambiques. A chaque apparition d’une Jaguar E-Type, dans la rue, c’était l’attroupement. Chez l’importateur Français : Royal-Elysées, un flot de stars et de personnalités s’empressaient de prendre commande de la belle anglaise : Françoise Sagan, Johnny Haliday, Bernard Consten, Charles Trenet, Pierre Bardinon, Robert Hirsch…, sans parler de quelques têtes couronnées et divers dictateurs africains.
On a souvent attribué le design de la Jaguar E-Type à Sir William Lyons. Mais comme dans chaque genèse d’automobile, il y a un capitaine à la barre et toute une équipe derrière lui qui travaille dans son ombre. C’est exactement le cas de la conception de la Jaguar E-Type, puisque c’est Malcom Sayer, aérodynamicien qui venait de l’industrie aéronautique, qui a assumé la paternité de son coup de crayon. Le style épuré et aérodynamique de la Jaguar E-Type s’expliquait ainsi par le parcours préliminaire de son géniteur. Habillant un châssis tubulaire très léger, le designer anglais avait créé un capot immensément long et plat qui a vite contribué au magnétisme opéré sur le public par la GT de Coventry. L’ouverture du dit capot était totale avec le bloc complet basculant vers l’avant et découvrant intégralement la mécanique. Les deux phares ronds étaient sous globes et encastrés. L’arrière était de type Fastback avec le toit descendant jusqu’aux fins feux arrière. Les surfaces vitrés se distinguaient par des montants très fins et élégants recouverts de chrome. Enfin, l’arrière de la Jaguar E-Type se singularisait par des ailes aux courbes très prononcées.
Il y avait beaucoup de charme et de féminité dans ce design sans verser dans la mièvrerie. De fins pare-chocs en chrome (la période des boucliers complets en plastique était encore bien loin…) avec des butoirs faits du même métal ceinturaient les faces avant et arrière. Les jantes rayons étaient à fixation centrale. L’accès à bord n’était pas aisé, car la Jaguar E-Type était basse et l’espace intérieur compté. L’habitabilité intérieure restait mesurée malgré les dimensions extérieures de la voiture. Le design de la planche de bord était bien dans le ton de l’époque avec une batterie de compteur qui venait même déborder sous les yeux du passager. Le volant avec jante en bois possédait trois branches ajourées. Le réglage du dossier était, par contre… absent !
La position de conduite était heureusement excellente mais quasiment imposée puisque seule l’assise pouvait être avancée ou reculée. Par la suite, les autres générations de Jaguar E-Type recevront un réglage des dossiers de série. L’aluminium guilloché recouvrant toute la partie centrale de la planche de bord était du plus bel effet. La finition à bord ne souffrait pas la critique, bien au contraire… et un coffre conséquent accessible depuis l’intérieur ou par le hayon avec son ouverture originale permettait d’envisager les voyages au long court. N’était-ce pas là justement la vocation première d’une GT ?…
Si lors des études préliminaires, une carrosserie tout alu avait été envisagé dans un premier temps, ce fut une structure classique en acier qui l’a emporté essentiellement pour des raisons de coûts. Le moteur 6 en ligne était le même que celui qui équipait les XK120, 140 et 150; mais il avait désormais une cylindrée de 3,8 litres (87×106 mm) et conservait son caractère de moteur longue course. La puissance annoncée par l’usine était de 265 ch SAE à 5500 tr/mn avec un couple de 35,9 mkg à 5500 tr/mn. Le XK de la Jaguar Type E était équipé de trois carburateurs SU HD8, montés au-dessus de la tubulure d’aspiration. La pompe à essence était située dans le réservoir et était électrique…, elle était même capable d’assurer une alimentation par injection, en prévision des éventuels développement moteurs. Sur la première génération de la Jaguar E-Type 3L8, c’est la boîte de vitesses Moss à 4 rapports marche arrière qui était montée. La première vitesse était donc non synchronisée. Les performances que procurait le moteur XK 3.8 à la Jaguar E-Type étaient peu communes. Avec 240 km/h en vitesse de pointe, moins de 8 secondes pour le 0 à 100 km/h et moins de 29 secondes pour le kilomètre départ arrêté, de nombreux automobilistes dans leur voiture “moderne” (d’époque) étaient surpris de la bonne santé des E-Type.
Mais au-delà des accélérations pures, c’était dans le domaine des reprises, grâce à sa typologie longue course, que la Jaguar E-Type excellait.
Plus on pressait la pédale d’accélérateur, plus la poussée semblait inaltérable et infinie. Une sensation rare procurée habituellement par les très grosses cylindrées.
Pour son châssis, la Jaguar E-Type avait fait l’objet des soins les plus attentifs. En effet, de nombreuses solutions avaient été reprises de la compétition : le meilleur terrain de test pour les dernières innovations techniques. Ainsi, pour la nouvelle GT de Coventry les ingénieurs châssis (Bob Knight et Norman Dewis) avaient imaginé un berceau indépendant de la coque qui recevait la suspension arrière, les freins et le différentiel. Il était ensuite rattaché à la coque par des silents-blocs en forme de V…, ce qui permettait ainsi d’isoler l’habitacle de tout bruit parasite provenant des suspensions et/ou des irrégularités de la chaussée. La suspension était assurée par des ressorts hélicoïdaux avec amortisseurs hydrauliques télescopiques montés obliquement. Deux jambes de force en tôle emboutie complétaient le dispositif pour enrayer la poussée et les réactions de freinage. Pour la partie avant, c’était presque la structure de la D-Type de course : deux leviers triangulés superposés, dont celui du bas qui accueillait l’extrémité antérieure du bras de torsion longitudinal. Jaguar avait repris le principe des freins à disques inauguré avec succès aux 24 Heures du Mans en juin 1953 avec la Jaguar C-Type. Les quatre roues en étaient équipées et un double circuit de freinage séparé était monté (un pour l’avant et un pour l’arrière).
A noter que sur les freins arrière, les disques étaient montés en sortie du différentiel afin d’améliorer l’équilibre de l’auto et diminuer le poids des masses non suspendues. La direction était à crémaillère. Avec un poids contenu de 1220 kg, la Jaguar Type E se targuait d’un rapport poids/puissance très flatteur qui lui permettait de postuler au statut de véritable sportive, surtout pour l’époque. La tenue de route était presque très moderne et c’était surtout le confort de roulement qui étonnait. On comprend mieux maintenant pourquoi Jaguar se taillera une réputation à part dans le domaine des châssis. Les freins, malgré les disques (d’époque) avaient une efficacité très douteuse comparée à nos repères actuels. Il ne fallait pas hésiter à taper dedans très fortement et anticiper tout ralentissement. Il n’y avait qu’à très haute vitesse que la rigidité globale de la Type E était mise à mal. Si le moteur n’était qu’une simple évolution d’une mécanique élaborée dans les années ’40, le châssis avait eu recourt aux techniques les plus modernes d’alors et cela se ressent aujourd’hui encore.
ÉVOLUTIONS…
15 mars 1961, Jaguar présentait au salon de Genève de la nouvelle Jaguar E-Type.
Octobre 1961, premières modifications mineures avec les crochets de capot de verrouillage extérieurs qui laissaient place à deux commandes intérieures (Gauche/droite).
Janvier 1962, le plancher n’était plus plat, mais surbaissé au niveau des pieds (On différenciera ainsi les premiers millésimes des suivants en les appelant “les planchers plats”). Dans le même temps pour le roadster, le hard top devenait disponible en option.
Août 1963, la planche de bord était entièrement noire et possédait un accoudoir central relevable. Pour son dernier millésime de production, en 1964, les derniers exemplaires profitaient du premier rapport synchronisé (enfin !). Au salon de Londres de la même année, le moteur 4,2 litres remplaçait le 3,8 litres. En fin d’année Jaguar arrêta la production des Jaguar E-Type MkI 3L8.
1961 : 1.625 roadsters 0.388 coupés
1962 : 2.749 roadsters 3.504 coupés
1963 : 2.042 roadsters 2.079 coupés
1964 : 1.399 roadsters 1.696 coupés
TOTAL MkI 3.8 : 7.815 roadsters 7.667 coupés, soit 15.482 exemplaires MkI 3L8 (1961-64)
TOTAL E-Type : 72.473 exemplaires (1961-75)1965 : Lancement des E-Type MKII 4L2
1972 : Lancement des E-Type MKIII V12
1973 : En septembre, arrêt de la production des coupés Type E MkIII.
1974 : Fin de production des derniers roadsters E-Type MkIII.
1975 : Écoulement des derniers exemplaires de E-Type MkIII. Lancement du nouveau coupé Jaguar XJ-S.
Essais d’époque… :
“Nous reprenons notre route et commençons à “tâter” plus sérieusement le comportement du véhicule. Nous profitons d’une route dégagée pour procéder à quelques expériences répétées : exagérant un peu l’accélération à la sortie de plusieurs virages courts et mal pavés, nous pouvons constater que la voiture se met franchement en dérapages des quatre roues, et revient docilement en ligne droite sous l’action combinée du contre-braquage et d’une pression un peu plus forte sur la pédale d’accélérateur. Aucune réaction brutale ou malsaine donc.”
SPORT AUTO – 1962 – Jaguar Type E MkI 3.8.”A 220 km/h, vitesse que nous atteignîmes à plusieurs reprises, l’accélération est encore sensible et laisse supposer que la vitesse de 240 km/h doit pouvoir être réalisée avec le rapport de pont normal de 3,31 :1. A 160 km/h, le compteur indiquait une vitesse inférieure à la réalité.”
1961 – Jaguar Type E MkI 3.8. “Indépendamment de la Mark X, nous avons reçu de la maison Jaguar un coupé type “E” dont nous avons également pu faire l’étude complète. Le moteur de la “E”, ainsi d’ailleurs que la boîte et la transmission sont ceux de la Mark X, en dehors des réglages des carburateurs et d’avance à l’allumage, ainsi que de quelques détails. Il s’agit donc du même six cylindres en ligne à double arbre à cames en tête de 3781cc, donnant 269ch à 5500 t/min avec un rapport volumétrique de 9.Il existe par ailleurs un modèle E “Compétition” doté depuis peu d’un bloc moteur en alliage léger mais notre voiture était munie du bloc en fonte normal. La boîte de vitesses possède les mêmes rapports que la Mark X mais le rapport de pont est nettement plus long que sur la berline (3,07 sur notre voiture au lieu de 3,77 sur la Mark X ; de plus, le coupé est équipé de jantes de 15 alors que la voiture de tourisme est munie de roues de 14. IL n’existe pas sur cette voiture d’overdrive et elle n’est pas livrable non plus avec la boîte automatique. En revanche, le pont autobloquant fait partie de l’équipement de série et la direction à circulation de billes a été remplacée par une direction à crémaillère. Quant à la carrosserie, elle est constituée par un avant de Jaguar “C” Le Mans, suivi d’un habitacle extrêmement profilé et l’ensemble a bénéficié d’une étude aérodynamique assez sévère.
Nous touchons avec la Jaguar E, à un domaine presque irréel, réservé à une faible minorité. Pour le conducteur moyen, les possibilités de cette voiture sont pratiquement sans limite et quoique ce monstre s’avère en ville d’une docilité exemplaire, il suffit de parvenir sur une route tant soit peu dégagée pour comprendre en l’espace de quelques secondes qu’aucune côte ne peut résister et que les assauts perpétuels que livre la E au chronomètre, n’ont guère leur égal, à deux ou trois exceptions près, dans le monde.
Lorsque nous avons amené notre coupé E à Montlhéry, nous étions sans grande illusion quant aux possibilités de mesurer avec précision sa vitesse de pointe : l’anneau ne suffisait plus. Nous avons essayé pourtant mais à vrai dire, les choses ont failli fort mal se terminer. Tout d’abord, l’état de la piste de Montlhéry n’a guère été amélioré pour les grandes vitesses depuis les récents travaux et la souplesse de la suspension de la Jaguar E est trop grande pour que l’on puisse maintenir la voiture, au milieu des cahots perpétuels auxquels elle se trouve soumise. De plus, cette suspension permet à la voiture de s’incliner vers l’extériur et c’est ainsi qu’après quatre ou cinq tours d’essai accomplis à 190 km/h, nous nous sommes aperçus en vérifiant les pneumatiques qu’un pli de tôle situé à l’intérieur de l’aile avant droite avait tout simplement pénétré dans le pneumatique, le tailladant jusqu’à la toile, sans que nous nous en soyons rendu compte. Une chose est certaine, les pneus étaient absolument intacts après plusieurs centaines de kilomètres parcourus sur route, à des vitesses parfois nettement supérieures à 190 km/h. Par ailleurs, une vérification nous a permis de nous rendre compte que notre voiture était légèrement plus basse qu’un autre coupé E de série, rencontré dans les ateliers de l’importateur. Il est donc possible que le constructeur ait mis à notre disposition une voiture disposant d’une garde aux pneus légèrement plus faible qu’à l’ordinaire, mais, quoi qu’il en soit, il est certain que ce pli de tôle agressif représente un danger latent et que les carrossiers de Coventry seraient fort bien inspirés en le supprimant. Il n’est pas agréable de dépasser 200 km/h avec une lame tranchante suspendue en permanence, à quelques centimètres des pneumatiques avant. Connaissant très exactement les vitesses au compteur auxquelles nous étions parvenus sur route, nous avons pu procéder sur la piste à un étalonnage précis, destiné à nous éclairer sur les possibilités de l’engin. Le compteur s’étant révélé absolument exact, nous pouvons en déduire que le coupé Jaguar E que nous avions essayé nous pouvons en déduire que le coupé Jaguar E que nous avions entre les mains dépasse réellement 230 km/h car nous acons atteint à plusieurs reprises cette vitesse sur route, alors que la voiture continuait encore à accélérer. Malheureusement la longueur des lignes droites diminue fortement lorsqu’on atteint des vitesses de cette ordre et la moindre voiture aperçue à l’horizon se trouve immédiatement devant le capot, sans que son conducteur ait eu le temps de s’en apercevoir et bien que nous ayons parfois roulé en plein jour, tous phares allumés. Malgré le pneumatique défaillant, nous avons pu effectuer comme à l’ordinaire nos essais d’accélération. Les 1000m départ arrêté ont été couverts en 28s 2/5 et les 400m en 15s 4/5. Rappelons qu’avec une Ferrari 250 GT à châssis court, équipée d’un moteur de 280ch, nous avions couvert le 1000m en 27s 4/5. Avec un pont plus court -il existe trois équipements de série- il serait sans doute possible d’égaler la performance italienne.
Hélas ! Nous avons retrouvé la même boîte que sur la Mark X, dure et mal synchronisée. La première monte à environ 60 km/h, la seconde à 120 km/h, la troisième à 175 km/h et la quatrième… au goût du client.
La Jaguar E permet, telle qu’elle est, des randonnées exceptionnellement rapides et les moyennes réalisées au cours de notre essai peuvent en témoigner. Nous n’avons cependant pas toujours pris garde à ne pas nous laisser enivrer par cette puissance qu’on déchaîne d’une simple pression du pied et nous avons toujours conservé une large marge de sécurité, ralentissant à la moindre inquiétude. Malgré ces précautions, la Type E dévore le temps et l’espace. Et pourtant, lorsqu’on se contente d’effleurer l’accélérateur, la E accepte de ronronner comme un gros matou bien sage et la souplesse de son moteur permet de rouler en ville ou dans les encombrements sans aucune inquiétude. Le temps n’est plus où il suffisait d’une demi-heure dans le quartier des Champs-Elysées pour que l’eau de refroidissement commence à bouillir ; la Jaguar E est munie d’un minuscule ventilateur mû par un moteur électrique couplé au thermomètre et nous ne l’avons vu que bien rarement en marche, avec une température d’eau stabilisée à 75-80°. Quelle ne fut pas notre surprise de nous rendre compte à l’issue de notre essai routier, accompli à plus de 130 km/h de moyenne, que nous avions consommé en tout et pour tout 17,8 litres aux 100 km ! Nous étions alors prêts à douter de nous-mêmes lorsque notre essai de consommation moyenne vint confirmer nos premières constatations : 12,6 litres aux 100 km à 90 km/h de moyenne. Après Porsche -qui n’en est d’ailleurs plus là sur ses modèles les plus rapides- Jaguar prouve qu’on peut donc aller très vite sans consommer énormément de carburant. Comme la Mark X, la E a subi une refonte totale de suspension et nous sommes très loin de la XK-120. Pourtant, les voitures capables de dépasser nettement 200 km/h, posent d’une manière aiguë le problème des pneumatiques. Certes, on trouve maintenant des enveloppes confortables, dotées d’une bonne adhérence sur sol mouillé et qui permettent de rouler extrêmement vite mais, malheureusement, il est encore nécessaire de modifier les pressions de gonflage dans des proportions assez considérables. Lorsque la voiture d’essai nous fut livrée par le groupe Delacroix, elle était gonflée “pour la ville” et son moelleux était sans défaut ; malheureusement, la première pointe à 180 km/h nous trouva aux prises avec une voiture qui se tortillait sournoisement sur ses pneus et qui n’était guère agréable à conduire. A deux reprises différentes nous augmentâmes la pression des pneus pour adopter finalement 2,1 kg à l’avant et 2,5 kg à l’arrière. Le comportement de la voiture à grande vitesse devint alors beaucoup plus satisfaisant mais, en ville, les pavés furent assez durement ressentis. Bien sûr il paraît difficile de prévoir au tableau de bord quatre manettes combinées avec quatre manomètres de pression et permettant de faire varier instantanément la pression des pneus ; le problème existe pourtant et dans l’avenir, les fabricants de pneumatiques devront tenter de le résoudre.
Cela dit, nous avons été très satisfaits du comportement de la E à toutes les vitesses. La puissance étant libérée, alors que le pilote commence à chercher le bout de la piste avant le décollage, la puissance tient parfaitement sa ligne de route et, après quelques heures de prise en main, l’on s’aperçoit avec surprise que bien des longues courbes à grand rayon peuvent être prises à près de 200 km/h, sans qu’on ressente une quelconque impression d’insécurité au volant. Une chose est certaine cependant : la brutalité au volant n’est absolument plus de mise et tous les changements de direction doivent être effectués parfois rapidement mais toujours avec douceur et progressivité. D’ailleurs, la direction à crémaillère de la E est très directe et elle risque même d’effaroucher au premier abord. Il faut pourtant se rendre compte qu’avec son énorme puissance disponible, la E demande à être menée avec une grande précision et que seule une faible démultiplication permet d’obtenir ce résultat. Dans les virages plus ou moins serrés et surtout lorsque la route est mouillée, il faut toujours se souvenir qu’on dispose de 270ch avec un couple très important. De plus, le tempérament têtu du pont autobloquant apparaît très vite : là où une voiture ordinaire ralentira ce lorsque la roue arrière intérieure commence à patiner, il suffit ici qu’une de ces deux roues trouve de l’adhérence pour que la voiture soit toujours poussée vers l’avant, dans une direction qui ne sera pas automatiquement la bonne. La conduite doit être souple, même lorsqu’on désire effectuer de hautes moyennes, et beaucoup plus qu’avec une petite voiture de série, il faudra toujours se souvenir qu’il ne sert à rien de rentrer trop vite dans un virage et qu’il convient avant toute chose, de placer exactement le véhicule au bon endroit, pour accélérer progressivement le plus tôt possible. Cette difficulté est l’une des plus grandes -avec le passage des longues courbes- que puisse rencontrer le conducteur d’une voiture très puissante et cela explique que sur des petites routes très sinueuses, des petites voitures moins puissantes mais plus maniables, arrivent à tenir tête aux monstres.
Quoi qu’il en soit, le comportement de la E ne peut donner lieu à des critiques particulières et la souplesse de sa suspension engendre une adhérence qui permet d’utiliser au mieux la puissance du moteur. La voiture est normalement réglée pour être plutôt sous-vireuse dans les virages courts,mais l’accélérateur est là pour faire glisser l’arrière sur commande, tandis que la trajectoire se trouve précisée au volant.
Les premiers conducteurs de la Jaguar E s’étaient plaints d’une certaine insuffisance de freinage due à une assistance trip faible. Aujourd’hui, ce défaut a été corrigé et lorsqu’on roule à 100-120 km/h et qu’on approche du virage, il convient même d’appuyer sur la pédale avec ménagement sous peine de bloquer parfois les roues. La pédale est néanmoins très moelleuse en ville et le freinage à très grande vitesse est à la fois endurant et très puissant. On enregistre toutefois de temps à autre un léger déséquilibre au freinage, qui se contrôle d’ailleurs sans difficulté au volant : il est possible que ce défaut soit dû au fait que la température paraît plus élevée sur le côté gauche du moteur, côté échappement. Nous l’avons dit, la direction est très directe et elle se révèle même très dure lorsqu’on veut braquer à l’arrêt. Il suffit pourtant que la voiture s’ébranle pour qu’une certaine douceur apparaisse et il est certain, en revanche, que ses caractéristiques procurent aussi bien en ville que sur route une maniabilité parfois surprenante. En revanche, le rayon de braquage pourrait être plus faible. La Jaguar E se veut dans la tradition des voitures rapides modernes qui ont compris qu’une bonne tenue de route ne doit pas obligatoirement s’accompagner d’une suspension trop raide. Les passagers de la E sont donc bien portés à toutes les vitesses et le seul problème qui subsiste est celui des pneumatiques, évoqué plus haut. En ce qui concerne l’insonorisation, nous n’avons pas affaire à une voiture totalement silencieuse mais à tout le moins, on ne rencontre pas des fréquences très fatigantes pour l’organisme humain et les grondements graves du moteur, s’ils empêchent à très grande vitesse toute conversation, d’ailleurs superflue, laissent le pilote encore frais après plusieurs centaines de kilomètres sur route. De plus le moteur est réellement silencieux à régime moyen. On se rend compte que certains problèmes d’accessibilité peuvent se poser. En fait, les personnes corpulentes ou manquant de souplesse ne seront pas satisfaits, mais pour les autres, il suffira vraisemblablement de quelques essais pour trouver la bonne manière de prendre place derrière volant et, quant à nous, nous pénétrons dans la voiture sans avoir à nous servir de nos mains. Ceci dit, il s’agit quand même d’une voiture très basse et par exemple, les femmes qui affectionnent les jupes droites, se trouveront placées en face de problème dont l’importance n’échappera pas à l’œil averti.
Contrairement à ce qu’on pourrait supposer la visibilité est bonne, saut peut-être vers l’arrière, car la lunette est réellement très horizontale. Le pilote se trouvant assis au ras de la route, ses dépassements ne seront pas toujours facilités lorsqu’il se trouvera derrière une berline ancien style ; sa vision sera bonne en revanche au travers de la lunette des voitures modernes et il pourra inspecter la route par dessous un poids-lourd, en haut d’une côte.
Le chauffage de la Jaguar E paraît très au point et, par ailleurs, la boîte de vitesses y contribue efficacement, ce qui, à partir du printemps, peut aisément passer pour un inconvénient. Quant à l’aération, elle est très insuffisante et les volets placés sous le tableau de bord possèdent un débit beaucoup trop faible. On rêve de gros aérateurs de tableau et ce, bien qu’il soit possible de rouler glaces ouvertes à assez grande vitesse.
Il est certes permis de ne pas apprécier le style du coupé E mais, personnellement, nous lui trouvons une sorte de beauté farouche qui attire d’ailleurs tous les regards. Il est cependant peu admissible que sur une voiture appelée à stationner en ville, il n’ait pas été prévu de pare-chocs efficaces.
En ce qui concerne l’équipement général, il est relativement complet, mais nous regrettons cependant le ridicule petit cendrier de tableau de bord, l’avertisseur central et enfin le très faible volume du coffre à gants. Le frein à main est, en revanche, très bien placé et il faut noter que la position du volant – dont les branches métalliques se reflètent dans le pare-brise – peut être réglée selon les plants horizontaux et verticaux. Sur le coupé, la porte arrière s’ouvre de droite à gauche et démasque une vaste plate-forme où les bagages de deux personnes peuvent facilement être installés. Malheureusement, la roue de secours se trouve située sous le plancher. Quant au capot, il comprend également les ailes avant et laisse apparaître toute la mécanique en basculant d’arrière en avant. Un détail : la Jaguar E est la seule voiture à notre connaissance à être munie de trois essuie-glace qui permettent de rouler sous la pluie avec une visibilité encore acceptable à près de 200 km/h. Les qualités de la Jaguar E apparaissent immédiatement lorsqu’on oppose à son comportement son prix de vente et celui des deux ou trois autres voitures qui peuvent accepter la confrontation. En jugeant d’un point de vue strictement comparatif, la E est une très bonne voiture et son acheteur en aura réellement pour son argent : il entrera en possession à bon compte d’une voiture extrêmement rapide, souple, consommant peu, tenant bien la route, freinant puissamment, et nous lui reprocherons seulement, mais avec énergie, la vétusté de sa boîte de vitesse et cette arête coupante sous les ailes qui faillit bien nous jouer un fort mauvais tour à Montlhéry”