1961-1975 Jaguar E-Type #2…
À la fin des années ’50, Jaguar en est à la XK 150 qui accuse sérieusement le poids des ans, la XK120, introduite à la fin des années ’40, s’est empâtée pour mieux coller aux canons esthétiques de l’époque et le résultat final est assez mitigé, à la conduite, la XK 150 pêche par une position de conduite typée vintage, ventre dans le volant, bras écartés, jambes de travers… la boîte Moss est horripilante et le châssis assez médiocre… bref, il est grand temps que la relève pointe le bout de son capot pour éviter le naufrage !
L’état sinistré de Jaguar est fondé sur une industrie anthropophage, maintenant en péril, l’usine (et l’activité qu’elle fournit) figure celle-ci comme une entité dangereuse qui retient auprès d’elle ses vassaux, leur dicte leur conduite, pour mieux les dévorer.
Tout ce cirque semble grotesque mais si ses ouvriers sont esclaves, c’est pour servir les nantis du monde entier qui ont fait de Jaguar une sous-Aston-Martin, deux marques rendues emblématiques destinées à se démarquer du Vulgum-Pecus… et devenues l’une et l’autre les symboles d’une tradition automobile bien plus importante à leurs yeux que les messes du dimanche matin pour les pratiquants, rien d’un chemin de croix mais un chemin de joie.
Les nuits pour s’enivrer, les journées à regarder des types taper dans des balles chacun derrière un filet séparant deux carrés de terre battue. Un détour par le très couru grand prix de Monaco et puis, les dernières choses à régler avant le départ pour les destinations prisées, Saint-Trop, Marbella, la Sardaigne…
Cette rêverie intellectuelle invite à une réflexion qu’on voudra légère : l’insignifiance érigée au niveau d’un cosmos divin… le rêve a un prix, l’évasion aussi… le propre de l’homme occidentalisé est d’être insatisfait de son existence même s’il a les moyens pour mener une vie intéressante… il n’est pas assez intelligent sans doute…
Mais les icônes qui anesthésient les âmes sont sacrées et nul n’osera entarter les clowns, on n’attaque pas les idoles mais on préfère lancer à la meute populace quelques remarques a l’indignation sélective.
Désolé, cette réflexion fleure bon le bistrot philosophique mais derrière ces évidences morales pour ne pas dire moralistes, c’est une certaine conception de la société qui se dessine : des gens dévots de tant de sots, vouant un culte à ce spectacle cul-cul et nullissime.
Salon de Genève, mars 1961… sur le stand Jaguar, trône une bombe : une GT d’une pureté unique, à la ligne fuselée et aux performances annoncées exceptionnelles !
L’accueil du public et de la presse est dithyrambique, d’autant que le prix est cruel pour la concurrence : Porsche offre sa 356 (qui ne compte qu’un 4 cylindres à plat) au même tarif ! La XK 150 est immédiatement oubliée ! Les premiers essais de la presse révèlent une vitesse de pointe de 240 km/h, un exploit pour l’époque, un mythe est né, élégance et pureté
La première mouture, la plus pure, faisait appel au moteur XK sous sa meilleure forme… cubant 3L8 ce 6 cylindres en ligne à double arbre à cames en tête fournissait 265 chevaux dans une sonorité grondante à laquelle s’ajoutait le bruit de succion des trois carbus SU…
La boîte, hélas, n’était pas au niveau du reste : il s’agissait de l’antique Moss à 4 rapports… indestructible, mais incroyablement récalcitrante à l’usage !
La partie châssis était, quant à elle, résolument moderne : caisse autoporteuse, quatre roues indépendantes, freins arrière inboard et suspension arrière à 4 amortisseurs télescopiques… mais sur une route imparfaite le constat était tout autre : la tenue de cap à haute vitesse exigeait une attention très soutenue, la conduite était assez virile (entendez par là que les commandes étaient très fermes) !
Enfin, le système de freinage qui apparaissait satisfaisant pour l’époque s’est peu à peu avéré sous-dimensionné aux standards en évolution constante.
En clair, tout n’était pas rose… et de plus :
– le moteur présentait une propension à chauffer plus que de raison, la faute à un circuit de refroidissement inadapté…
– le plancher plat des premiers modèles interdisait l’accès à bord pour les grands gabarits…
– les aspects pratiques étaient aux abonnés absents.
Après trois ans de bons et loyaux services, le 3L8 céda sa place à un 4L2 de même puissance, moins vif et moins fiable, mais donnant un caractère plus confortable à cette GT… de même, quelques détails évoluèrent, comme les sièges baquet remplacés par des éléments plus dignes aux séants… mais l’aluminium bouchonné du tableau de bord faisait place à un vinyle noir moins flamboyant…
A l’instar d’une jeune fille ravissante aux courbes fermes, mais aimant les pâtisseries, la Type E s’empâta de manière confuse… la pure et légère voiture de sport que l’on connaissait devint vite pataude, par la faute des législations américaines (l’Eldorado pour les constructeurs européens de prestige).
Ainsi, avec des phares agrandis et dénués de bulle, des clignotants grossièrement élargis, des pare-chocs et butoirs plus épais et des feux arrière alourdis… la Type E connût de multiples boursouflures et ses poignées d’amour n’avaient rien de très glamour…
Même la puissance dégringola pour les modèles destinés aux marchés d’Outre-Atlantique… de surcroit une boîte automatique Borg-Warner à trois rapports venait enfin finir de confirmer la philosophie plus bourgeoise du modèle.
Esthétiquement, le constat était plutôt amer, d’autant que les voies étroites s’accordaient mal à la carrosserie plus élargie, surtout pour les versions 2+2 au toit rebondi.
La version à 4.2 l se montrait plus confortable, mais perdait en vivacité… l’athlètique jeune fille ravissante aux courbes fermes, mais aimant les pâtisseries des débuts, qui ne dédaignait pas un sprint à l’occasion, penchait désormais vers l’endurance nécéssaires aux couples mariés pour ne pas divorcer, éventuellement à un rythme ménager.
Le moteur, moins vif, n’améliorait pas les performances, surtout les versions américaines, cependant, la boîte Jaguar était nettement plus aisée à manier que l’antique Moss.
Pour compenser la prise de poids et la chute de la puissance, Jaguar n’y alla pas par 4 chemins : un V12 alla trouver place sous le capot des dernières Type E (1971-1975) !
D’une cylindrée de 5L3 cette prestigieuse mécanique fournissait une puissance largement suffisante, redonnant des performances de premier plan au coupé britannique. D’une excellente fiabilité, ce groupe V12 bourré de couple, catapultait littéralement la Type E lui permettant d’être un véritable dragster en ligne droite !
Le moteur mugissait alors dans une sonorité grave, assez éloignée de celle des V12 transalpins… mais prière de maintenir un œil sur la température d’eau, ou de modifier le circuit de refroidissement en augmentant de 50% le volume du radiateur !
Pour plus de sensations, certains modifiaient la carburation en faisant monter six Weber double-corps.
En France, les Type E V12 étaient l’apanage de diverses bandes de pieds nickelés hirsutes et très parisiens, bien décidés à filer en vacances chaque weekend malgré une directive nationale rappelant la France au travail.
Passer de l’agitation urbaine à la tranquillité balnéaire, faisait vasouiller ces pantins sur les départementales, prétexte à toutes sortes de sorties de route.
Certes, pour qui connaît maintenant les Type E V12, ce choix de la surchauffe, comme vitesse de croisière… et du décrochage, comme logique de progression… n’a rien pour étonner.
En Type E V12, tout d’abord, parlons du plaisir, celui de retrouver tel quel, c’est-à-dire vif et intact, cet humour inventif et débraillé type des grands jouisseurs : en cette période diluvienne des années ’70, ce bombardement de pitreries ensoleillées se concevait comme une vraie réjouissance pour l’humeur.
La Type E V12 était attendue… et ses qualités manifestes, à ce titre, risquaient pour certains de paraître prévisibles… mais ce serait vraiment faire un mauvais procès que de lui reprocher d’avoir uniquement réussi à passer le cap… et rien d’autre.
S’il était une crainte, en revanche, c’était de voir cette surenchère se retourner… car elle était composée de mille astuces savamment placées à chaque recoin, mais qui tendaient parfois à la démonstration de puissance, donnant en finale l’étrange sensation que, malgré son aspect éblouissant, elle manquait d’air.
Dans l’ensemble, ça fusait… ponctuellement, ça patinait, manière du reste de se rendre compte que le manque d’adhérence était précisément ce qui faisait office de boussole : c’était une sorte d’auto-gag qui soumettait le conducteur à ses humeurs, à ses caprices.
L’humour était forcé, il rendait anxieux : le conducteur sursautait, tressaillait, s’inquiètait…, s’arrimait au volant, en chute libre… il y avait parfois une saturation qui pointait, de commun avec l’acharnement… en finale, c’était une très belle maîtresse sadomasochiste bourgeoise et empâtée !
La cote des Type E Séries I et II va de très cher (ami) à hors de prix (sale pute)… la version découvrable est forcément plus gratifiante pour qui aime rouler avec la tête dépassant le haut du pare-brise, mais le coupé est moins cher, plus confortable pour qui aime conduire la tête penchée selon l’opinion politique, la conduite est également plus rigoureuse et… encore plus chic-classe, surtout pour les premières versions… à méditer…
Distribution, circuit de refroidissement, allumage et carburation nécessitent des soins très attentifs, l’entretien est donc forcément extraordinairement onéreux, mais moins que pour une Aston Martin ou une Maserati de même époque.
De nombreux ateliers proposent de moderniser de manière plus ou moins prononcée les Type E, pour les rendre plus accessibles à la conduite et mieux adaptées au trafic actuel, cela bien entendu en contrepartie de montants stratosphériques indéfinissables et infinis…
Ainsi, la fiabilisation passe par un circuit de refroidissement très nettement amélioré, un faisceau électrique optimisé et l’allumage faisant appel à l’électronique… même chose pour les trains roulant, qui peuvent faire appel à des amortisseurs, ressorts et freins actuels… et pour augmenter les performances, tout est possible : boîte 5, carburateurs Weber voire injection, échappement libéré, arbres à cames plus pointus, la liste est longue et les budgets illimités… le comportement est alors transfiguré !
Il y a là un coté bling-bling et carpe diem… une sorte d’ultimité dans l’univers du paraître… avec les “améliorations” de toute Jaguar Type-E, le monde des vanités pousse sa logique jusqu’à l’extrême pointe du n’importe quoi consumériste des programmes sur-mesure emplis de bruits et de fureurs “à fond la caisse” pour tenter de faire oublier le vide et l’inanité profonde de ces types d’entreprises.
Dans la grande constellation des automobiles extraordinaires, la Jaguar Type E V12 (coupé et cabriolet) est un peu comme une étoile filante, un truc joli et éphémère qu’on a plaisir à regarder quand on l’a sous les yeux mais qu’on a zappé de son esprit 5 mn après lorsque l’esprit s’embrume avec les traites à payer, la famille à nourrir et mille autres soucis encore…
Jaguar, c’est une célébration vibrante, pétaradante et vrooomesque de la branchitude et de la coolitude des fringants chevaliers des temps modernes qui font de la route leur biatch… la Type E est une légende, sublime dans ses premières versions, elle proposait des performances inouïes à un prix défiant toute concurrence !
Encore performante aujourd’hui, elle distille un parfum de nostalgie et une authenticité que l’amateur de sensation serait bien en mal de retrouver avec des marques plus fiables… elle est à savourer sur des nationales sinueuses, au crépuscule, la lumière rasante du soleil se reflétant alors sur le sensuel capot…
Lorsque Sir Lyon présenta et commercialisa la Jaguar Type E en 1961, le choc et la séduction gagnèrent tous les esprits des passionnés avertis.
Par sa ligne, sa technique (les 4 freins à disques), ses performances et son prix très inférieur aux valeurs établies (Ferrari, Aston Martin…), la Type E allait marquer de son empreinte le milieu de la voiture sportive… mais en 1975, après une très (trop ?) longue carrière, la Type E dut s’effacer au profit de la nouvelle Jaguar XJS… mais les clients ne s’y retrouvèrent pas…
Jaguar qui avait su marquer son époque et forger son image avec des modèles comme la Jaguar Type E croyait être invincible et maître du jeu… dès 1969, le projet codé XJ 27 fut lancé pour créer une remplaçante à la Jaguar Type E.
La diva Type E commencait à accuser le poids des ans et avec les replâtrages successifs et le gros V12 sous son capot, l’esprit de départ s’était éloigné et les puristes de la marque attendaient avec impatience la relève.
Dans le cahier des charges de la future Jaguar XJ-S, le grand tourisme était à l’honneur, ainsi, le moteur devait être exclusivement le V12 de 5L3 de près de 300 chevaux monté dans une carrosserie fermée (coupé), la plate-forme utilisée étant celle de la berline XJ mais raccourcie de quelques dizaines de centimètres!
Le dessin, si controversé à sa présentation était l’œuvre initiale de Malcolm Sayer (également auteur des Type D et E), terminée par Doug Thorpe, le premier nommé étant décédé prématurément.
La Jaguar XJ-S aurait dû sortir dès 1971, mais Geoffrey Robinson, le responsable de la production Jaguar, avait alors deux impératifs : raffinement et qualité… il préféra donc différer le lancement de la Jaguar XJ-S pour fiabiliser l’auto et améliorer la qualité.
Deux chocs pétroliers plus tard, la nouvelle Jaguar XJ-S fut dévoilée le 10 septembre 1975 à la presse… la ligne plutôt massive et les ouies de custodes, étaient notamment très critiquées, à l’intérieur, les habitués s’interrogeaient sur la tradition Jaguar galvaudée, si le cuir était bien présent, le bois, marque de fabrique des intérieurs britanniques, avait disparu au profit du plastique noir mat, alors très en vogue dans les seventies… en outre, la batterie des compteurs “à rouleaux”, était peu esthétique, et un voyant marqué “overdrive” n’était même pas branché car le pont à double démultiplication ne sera jamais monté !
Clairement, au regard du look et de la conception de l’auto, la Jaguar XJ-S avait été conçue avec en point de mire le marché US, alors gros acheteurs de coupés prestigieux… dans cet esprit les pare-chocs à absorption d’énergie (comportant des vérins de cire) étaient montés d’office : oublié le sport et place au confort dans la plus grande tradition des GT… la consommation moyenne de la Jaguar XJ-S tournait autour des 20 litres au cent et le prix de l’essence ne cessait pas de flamber.
Evidemment, en France, les clients et passionnés furent donc quelque peu critiques, d’autant qu’à sa sortie, la Jaguar XJ-S était commercialisée à 115.500 francs lorsque la Jaguar Type E V12 valait 67.490 francs avec un pedigree bien supérieur… le temps, lui, se gaspillait immanquablement…
Se tenir si près du centre, dans sa chaleur irradiante, sans jamais complètement lui appartenir, être le premier des recalés à la porte d’un rêve commun, n’est-ce pas là tout le secret de l’immobilité ?
L’attente, l’attente d’une sortie, l’attente d’une condition meilleure, l’attente de Godot, cette fichue attente crée un rapport ambigu à l’espace… l’attente vous attache plus que tout au banc sur lequel vous attendez, aux murs, à la topographie qui devient une histoire affective, une collection sentimentale de tous ces rêves de départs auxquels se résume, dès lors, la vie.
La jaguar Type E documente le sentiment d’une génération qui attendait depuis longtemps de participer au rêve collectif… mais errant dans les banlieues de la vie, dans une jeunesse sans fin, maintenue sous perfusion !
Il a fallu l’abandonner avant même d’avoir pu lui faire rendre son jus…. on a dit que c’était la faute d’une jeunesse trop longue aux jours trop longs… tout comme les Beatles sont partis se ressourcer à Katmandou, Jaguar a suivi, rachetée à vil-prix, devenant Tataguar après une brève dérive Fordiènne !