1965 Fiat 8V-John Willment Cobra 427sc…
Impossible de passer à coté sans se “dropper” la mâchoire…
Elle est tellement moche qu’on a de la peine à en croire ses yeux.
On se colle des baffes, on se pince, on n’en reviens pas.
L’atrophié des méninges qui a pondu cette horreur se shootait au mazout…, c’est pas possible une auto pareille !
Et pourtant, le plus incroyable, à propos de cette Cobra/Willment, c’est que même ceux qui tombent sous le charme (et j’en suis un … ) de ses lignes tarabiscotées, trouvent la voiture plutôt horrible.
On l’excuse, on lui pardonne de bon cœur, on prend sa défense…, un peu comme avec ces filles moches mais sympathiques auxquelles certains trouvent une “beauté intérieure”… !
Les raisons de cet envoûtement incompréhensible, c’est justement que sous sa carrosserie bâtarde de Fiat 8V dont les rares survivantes en version d’origine, se négocient des fortunes…, la Cobra/Willment cache un véritable et rarissime moteur AC Cobra de compétition (ainsi que le châssis complet d’une 427 SC), un vrai de vrai avec son bloc 7.0-Litres et tout et tout !
C’est une voiture unique, dont l’histoire (quoique brumeuse) mérite d’être contée.
Il était une fois Lana Turner, Carroll Shelby, John Willment, Rod Leach, Fiat… et la carrosserie Ghia à Turin…
On ne sait pas trop par quel bout commencer.
Commençons donc par la voiture elle-même, la Fiat 8V (“Otto Vu” à l’italienne), est un coupé deux places présenté pour la première fois au Salon International de Genève de mars 1952.
Cette voiture était entièrement nouvelle et n’utilisait aucun composant déjà connu sur un autre modèle de la marque Fiat, le nouveau moteur, un V8 à 70° de 1996 cm3 était équipé de 2 carburateurs et développait 105 chevaux.
Les versions commercialisées comportaient 3 carburateurs et développaient 127 chevaux, leur vitesse atteignait les 190 km/h, ce qui était exceptionnel pour une voiture de série à l’époque.
L’aérodynamique avait été soignée grâce à une mise au point réalisée dans le tunnel-soufflerie Fiat d’Orbassano.
Disposant d’un châssis tubulaire, plus rigide et plus léger qu’une coque intégrale, la carrosserie en acier était le fruit de l’étude de l’ingénieur Rapi.
En 1954, peu de temps avant l’arrêt de sa fabrication, une version prototype avec une carrosserie en fibres de verre a été présentée, mais elle ne connaîtra pas de développement industriel.
114 exemplaires de ce modèle ont été fabriqués, y compris les versions carrossées par Ghia et Siata. D’autres ateliers de carrosserie comme Vignale, Pininfarina et Zagato réaliseront aussi d’intéressants exemplaires.
John Willment, comme chacun le sait, fut le responsable de F.A.V. à l’époque où Ford engageait les AC Cobra 4,7-Litres, puis les 7.0-Litres Mkll en compétition… et il se trouve que l’un des chassis Mkll livrés à F.A.V. par AC ne fut jamais utilisé.
C’était le CSX3055,et nous étions alors en 1965.
On passe d’Angleterre en Italie, on remonte dix ans en arrière et on se retrouve au Salon de Genève 1954. Je sais que Genève n’est pas en Italie, mais c’est là que le carrossier Ghia y dévoilait une carrosserie spéciale sur châssis Fiat 8V.
Deux ou trois voitures furent ainsi carrossées par Ghia… et la légende veut que l’actrice anglaise Lana Turner en ait possédé une, de même que Lady Campbell (l’épouse du recordman de vitesse Sir Malcolm Campbell).
Le style quelque peu particulier (sic !) de cette carrosserie Ghia n’était pas une grande première à Genève en ’54, on l’avait déjà vu sur une Alfa Romeo qui participa aux Mille Miglia de 1953 sous une forme absolument identique, y compris les jantes à voile plein et papillon central.
En 1956, Ghia remettait cela sur une Aston Martin, puis sur une Jaguar à jantes à rayons… et l’on peut donc se demander si le style de la Jensen 541 qui fut présentée en 1953 était vraiment une création inédite… Toujours est il que lorsqu’on regarde une photo de la Fiat 8V Ghia de 1954, on comprend mieux l’allure hybride et déséquilibrée de la Cobra/Willment, car…, le croiriez-vous, Willment aurait trouvé en 1965 une Fiat 8V Ghia abandonnée chez un démolisseur… et en aurait prélevé la carrosserie tout aluminium pour
habiller ce châssis Cobra CSX3055 qui prenait la poussière dans son atelier… !
Le hic, comme aurait dit Ghia si on lui avait posé la question, c’est que la Fiat 8V avait un empattement de 2400 mm et que sa carrosserie était construite autour de ses dimensions, alors que le châssis Cobra avait un empattement de 2286 mm et des voies sensiblement plus larges…
Il a donc fallu découper, tronçonner, ressouder dans tous les sens.
Le résultat des courses, c’est que le nez de la Cobra/Willment reste identique à ce qu’il était sur la Fiat 8V Ghia, mais les passages de roues avant ont dû être re-sculptés.
Les ailes arrière, quant à elles, ont été complètement reconstruites pour avancer les passages de roues et les élargir en même temps, ces modifications étant plus ou moins maquillées par des fausses prises d’air en avant des roues.
Bref, l’idée de John Willment avait été de se faire construire une GT routière capable d’un bon 320 km/h grâce à sa carrosserie plus aérodynamique que celle de l’AC Cobra Mkll : avec 480 CV et quelques poneys de plus ou de moins, la voiture aurait normalement dû reprendre en 4ème de 50 km/h à 1000 t/min jusqu’à
320 km/h à 7600 t/min.
Ca…, c’était la théorie.
En pratique, la voiture fut mise en chantier aux alentours de septembre 1965 et sa construction dura deux ou trois ans pendant lesquels John Willment perdit tout intérêt pour la belle (sic !) …
Il l’essaya malgré tout lorsqu’elle fut terminée, la trouva un poil étriquée à l’intérieur, avec une température de cockpit torride dès que le moteur était mis en marche ; en conséquence de quoi, conscient de l’horreur de la chose, il donna instruction de vendre la voiture alors qu’elle n’avait que 1.500 kilomètres.
En 1968, la Willment/Cobra était annoncée à 4.000 Livres Sterling dans un magazine anglais qui indiquait, que sa construction avait coûté le double.
Parmi la cohorte de propriétaires successifs qui achetèrent puis revendirent la voiture, citons David Brown et Ken Feeney qui terminèrent sa finition et lui donnèrent la plaque d’immatriculation “COB 2”.
Ces deux enthousiastes revendirent la voiture en 1974 mais conservèrent la précieuse plaque.
Horward Cowen acquit la Willment/Cobra avec la plaque “MLY 165M” par l’entremise de “Hexagon of Highgate”, mais ne s’en servit pratiquement pas, puis chargea Rod Leach (Nostalgia, le grand spécialiste anglais des AC Cobra) de la vendre pour son compte.
Durant dix ans, la Willment/Cobra ne va pas arrêter de renter et de sortir de chez “Nostalgia”.
Ce sera finalement Rod Leach lui-même qui aura fait le plus de kilomètres au volant de la voiture.
Il la vendit d’abord à Philip Sears, dont on dit qu’il utilisa la bête aussi bien pour circuler en ville que pour quelques excursions véloces.
Elle revint chez Rod Leach, qui la revendit à un fermier écossais, un collectionneur qui l’utilisa localement.
Elle revint chez Rod Leach, qui la revendit à Robin Forbes, un homme du Dorset qui conserva la voiture 5 ou 6 ans sur l’île de Guernesey.
Elle revint chez Rod Leach… et la voiture se trouve aujourd’hui aux U.S.A., destination inéluctable des joyaux et raretés automobiles en tous genres.
Marvin Friedman l’a sortie pour nous du show-room AUTOPUTER.
A part les deux feux arrière qui ont été endommagés lors du transport, la Willment/Cobra est restée fidèle a elle-même : bestiale.
Sa peinture rouge est celle d’origine, son big-block est toujours le Ford 7-Litres Holman & Moody avec deux carburateurs Holley quadruple-corps et 485 CV.
La boîte manuelle permet de dépasser la limitation de vitesse dans son 1er rapport… et, en dépit d’une démultiplication plutôt longue, le couple pro-di-gieux du gros V-8 permet de flâner en 4ème sur les boulevards ensoleillés.
Pas trop longtemps cependant, car le moteur chauffe !
On descend les vitres mais l’habitacle devient torride, irrespirable, on a les mains moites et les semelles qui fondent.
Ça manque d’air ( … conditionné).
Avec moins de 25.000 kilomètres au compteur sur un demi siècle de vie, la Willment/Cobra est encore capable d’accélérer de 0 à 120 mph (192 km/h) en 14,5 secondes, de quoi ridiculiser quelques GT beaucoup plus modernes, tout aussi rouges, mais “tellement plus jolies” !