1965 Shorty Mustang III…
Avec cette bien curieuse chose, américaine comme il se doit, réalisée à la va-vite avec un budget équivalent au SMIC albanais, il manque (sur les photos) une blondasse “pot-de-fleur” presque nue posant devant pour cacher les défauts…
Avec une bagnole comme celle-là, à quoi peut-on s’attendre… sinon à un monstre vorace qui ne va pas boulotter des kilomètres mais s’encanailler dans des shows pour faire saliver les beaufs lambda, avant de terminer sa vie dans le local d’un collectionneur qui va s’en gargariser ?
Eh bien c’est à peu près ça, à quelques détails près : quoique, en bref, c’est pas ça du tout : le monstre en question vient, tenez-vous bien, d’un coin d’Amérique !
Mais d’où exactement ?…
Vous allez le lire ci-après !…
Venons-en à l’histoire : si un jour vous vous retrouvez à la relance télévisuelle de : “Qui veut gagner des millions” et qu’on vous montre une photo de cette Mustang en vous demandant de choisir entre 4 réponses, si vous avez un trou de mémoire, choisissez l’option “appel”, et moi je vous dirais tout ce qu’il faut savoir…
– Mais t’es complètement malade, Vincent !…, la phrase de sa femme résonnait dans sa tête…
– Et puis quoi bordel ?… répondit-il…, il était comme ça Vincent, il pouvait prendre une décision sur un coup de tête et s’y tenir, aussi stupide soit-elle…, mais cette fois…, c’est vrai qu’il avait fait fort…, nombreux étaient ceux (et celles) à l’avoir traité de vieux fou…, mais au fond, ça ne l’avait pas surpris tant que ça…, une chose était sure, c’est que les gens de Ford ne la retrouveraient pas se sitôt…, il s’éloigna un peu du mur qu’il venait d’achever et s’assit à l’ombre sur une souche d’arbre pour contempler son travail.
Pendant plusieurs mois il avait travaillé d’arrache-pied et, un beau matin, sa direction lui avait dit que s’en était terminé, la voiture devait être détruite pour qu’il n’en reste rien…
L’émotion pointait dans sa voix et son œil encore valide pétillait (foutue cataracte…) quand il s’adressa à sa femme :
– Je pars, mais ne t’inquiète pas, je reviendrai…
Sa femme avait levé les yeux au ciel, persuadée que cette folie n’était qu’une mauvaise plaisanterie…, après quelques jours…, surement après une semaine, il reviendrait et rendrait l’auto…, il n’avait jamais commis un acte semblable de toute sa vie.
Vincent savait bien que ça pouvait sembler absurde au commun des mortels, mais, quand on a réalisé une voiture unique, il n’y a pas matière à tergiverser : cette épopée était toute tracée…
Et Vincent était parti…, son objectif : l’Ouest…, et plus précisément : la Californie…, le Saint du Saint…, le Graal des amateurs de performances : Carroll Shelby, un mélange déjanté de cow-boy borné, d’éleveur de poulets et de meneur de revue dans un cirque…, l’américain ultime…, un manœuvrier pas regardant aux détails situé dans le top 5 des escrocs-héros de tout amateur de sport automobile qui ne se respecte plus (pour autant qu’il se soit respecté lui-même un jour)…
C’était un long voyage…, en y repensant, Vincent ne put s’empêcher de laisser échapper un cri…, cela faisait maintenant trois jours qu’il s’en était allé, ce qu’il ne savait pas, c’était que sa femme, inquiète de ne pas le voir rentrer, avait alerté la police.
Aucun moyen de le pister, il avait tout son pécule en espèces et avec un budget aussi serré, c’était clair qu’il n’allait pas crécher dans des hôtels de luxe…, une seule solution : dormir chez l’habitant.
Un sourire éclaira son visage…, c’était ça la beauté d’un road trip, les rencontres humaines…., quoique toutes les rencontres ne sont pas chaleureuses : il y a toujours un connard pour klaxonner !
Pour se donner du courage il recommença à fredonner un tube d’Elvis (Presley), les seules paroles de ce machin étant revues à sa sauce, mais maintenant qu’il était en territoire inconnu, il avait peur…, tout ça ne pouvait pas se finir ainsi…, il avait pris tellement de plaisir à la construire…, au fond, c’était une aventure extraordinaire…
Les concept-car ont parfois des destinées bien étranges, ces stars laborieuses issues des bureaux d’études doivent faire rêver les foules, quel plus beau métier que celui-ci, puis de la manière la plus ingrate qui soit, disparaissent, retirées et mises au rebut après leur quart d’heure de gloire…, ingratitude du genre humain, bassement voué à l’économie de marché…, mais certaines rebelles se cachent parfois pour mieux renaitre…
La Mustang III avait été construite à la suite immédiate de la finalisation de la Ford Mustang originale, la célèbre “1964-1/2” pour laquelle aucun amateur n’a besoin de présentation…, Robert McNamara avait disparu de Ford, mais l’influence de l’ancien président de Ford au conservatisme quasi suspendu dans l’air avait exigé que la nouvelle Mustang conçue comme une biplace semi-sportive, soit une voiture familiale sportive (c’est à dire une quatre places, vendable à un marché plus important)…, le temps et plus d’un million de ventes prouveraient que la décision avait été bonne…., néanmoins, les rêves de “ce qui aurait pu être ou ne pas être” restaient accrochés dans l’air de Dearborn… et ce, de manière épaisse…
L’entreprise DSY avec laquelle Ford avait contracté pour la réalisation “unique” de divers concept-cars pour show’s et études de faisabilité industrielle, depuis le début des années 1960, fut chargée de construire une Mustang deux places.
Vincent E. Gardner avait postulé pour y œuvrer, avec un superbe CV, il s’y trouvait qu’il avait travaillé avec le légendaire designer Gordon Buehrig à la Auburn Automobile Company, aidant à modéliser la Cord 810…, puis avec Raymond Loewy, pour créer la gamme complète des 1956 Studebaker’s…
Vincent Gardner était effectivement un génie en devenir… et, comme beaucoup de génies, il était en proie à des problèmes de santé mentale qu’il ne pouvait guérir complètement…., il était bien apprécié par ses collègues, mais c’était aussi un solitaire qui avait ses propres idées… et il les défendait avec une vigueur inhabituelle…, il se retrouva chef de projet de la deux places Mustang sur base d’une Mustang à l’empattement raccourci de 16 pouces (406 mm), travail accompli a l’usine pilote de Ford à Allen Park, Michigan, en utilisant “le châssis” Mustang du 10ième prototype.
Ensuite, Vincent a malheureusement improvisé une carrosserie Fastback à angles droits en lieu du très beau coupé Fastback de production nommé 2+2…, s’en abstenir aurait avantageusement amélioré le design… et comme ce travail à déboulé sur la création d’un “nouveau” châssis, la caisse autoporteuse était sans utilité, donc par facilité la carrosserie a été reconstruite totalement en fibre de verre, un matériau avec lequel Vincent Gardner et DST avaient beaucoup d’expérience.
Sous le capot était installé une nouvelle version du 260ci V-8, réalésé pour obtenir 302ci et équipé d’une configuration à trois carburateurs, une version expérimentale de ce qui allait devenir un motopropulseur emblématique…, ce bloc a été marié à une transmission automatique reconstruite et spécialement renforcée.
Par contre, la suspension avant indépendante et l’essieu arrière hypoïde, ainsi que les freins hydrauliques : avant à disque et arrière à tambour, communs à toutes les Mustang’s des débuts, étaient conservés.
Typique de son personnage, s’impliquant à 200% dans cette aventure, Vicent Gardner était convaincu qu’il réalisait le chef-d’oeuvre absolu qui allait le faire entrer au pinacle, devenir le chef du design…, sans cesse dans le vif de son sujet avec la construction de ce qui était surnomé “la Mustang III”, il se mit à prophétiser que la construction en fibre de verre allait supprimer les complexes usines d’acier…
Il a non seulement conçu le prototype, mais a contribué à sa construction, c’est donc avec beaucoup de fierté qu’il a vu sa création acceptée par la Ford Motor Company pour qu’elle soit présentée en vedette N°1 dans le cadre d’une tournée itinérante de présentation : la “Custom Car Caravane”, chez divers concessionnaires Ford…, avec, en apothéose son exposition au Musée Henry Ford et un article élogieux dans le magazine Motor Trend.
Bien évidemment le Fastback de série, disponible dans les concessions à partir de 1965 lui faisait beaucoup d’ombre et se vendait très bien…, Ford n’avait pas de véritables plans pour construire une Mustang biplace après que sa “carrière” de vedette dans ces expositions/exhibitions était terminée…, la voiture affectueusement connue comme “Shorty Mustang”, ou simplement “Shorty”, a donc été condamnée à être réduite à des confettis de fibre de verre et d’acier par l’un des plus efficaces concasseurs de Ford.
Aucune suite ne serait donnée par Ford à ce concept de Mustang bi-place…, l’histoire de ce modèle exceptionnel aurait dû s’arrêter dans une casse…, personne ne s’en est trouvé plus bouleversé que Vince Gardner, qui était devenu extrêmement attaché à son œuvre d’art…
Le 2 mai 1965, Gardner a volé la “Shorty Mustang III”… et l’a murée dans un boxe-garage pour lequel il a payé le loyer d’un an d’avance.
Quels étaient les plans qu’il avait pour elle ?
Il voulait qu’elle devienne une super Mustang-Shelby-Gardner…, il est d’ailleurs parti vers la Californie après avoir muré “sa” Mustang, pour voir et papoter avec Carroll Shelby…, partenaire de Ford et vainqueur de bien des courses avec ses Cobras motorisées par Ford, afin qu’il en fasse une “Super Mustang Shelby Shorty”.
Les premiers exemplaires prototypes de la Mustang Shelby GT350 avaient été fabriqués en décembre 1964 par Shelby American, elles étaient basées sur des Ford Mustang “Hipo” ou encore “code K”, avec le V8 289ci à poussoirs mécaniques de 271 chevaux…., Shelby, en ajoutant une pipe d’admission et un carburateur 715CFM Holley, ainsi qu’une ligne d’échappement très libérée avec des collecteur spécifiques, annonçait une puissance de 306 chevaux.
Shelby modifiait également le train avant, ajoutait une boîte de vitesse Borg Warner T10 en aluminium à rapport rapprochés, un différentiel autobloquant “Detroit Locker”, enlevait la banquette arrière pour y installer la roue de secours et plaçait un capot en fibre de verre avec prise d’air fonctionnelle…, il ajoutait un volant en bois, un compte-tours avec un manomètre de pression d’huile sur le tableau de bord et des ceintures ventrales “Ray Brown”…., une seule couleur était disponible, le blanc… et des bandes “LeMans” bleues étaient en option…
Vincent Garner n’a pu rencontrer Carroll Shelby…, après deux semaines à tourner en rond, il est revenu à son domicile et, comme “sa” Mustang, il s’est muré dans le silence, certain d’avoir pu préserver une voiture exceptionnelle en exemple pour les générations futures…, peu importait en retour, le sort que lui réserverait le destin….
Le temps s’est moqué du temps… et “Shorty” dans sa tombe ne va passer que 16 mois, parce Vincent Gardner n’avait pris la peine de ne payer qu’un an de loyer…, le propriétaire du box-garage, excédé, après 4 mois sans paiements, l’à finalement ouvert et derrière un mur stupidement construit au centre du box pour la cacher (sic !), mur qu’il a fait abattre…, a trouvé une curieuse Mustang customisée… et il a immédiatement informé la police.
Ford avait signalé le vol de la Mustang III à la compagnie d’assurance Aetna, la voiture avait été assurée, la société Aetna ayant payé après s’être laissée convaincre que la voiture avait probablement été volée par des amateurs et envoyée à un atelier de cannibalisation-customisation.
La Mustang III, après un peu plus de 16 mois était de retour d’entre les morts… et Ford était dédommagé…, restait la compagnie d’assurance Aetna aux prises avec ce prototype bizarre, sans “papiers”…, un de leurs employés l’a acheté, et annoncé dans le numéro de Décembre 1968 du magazine Hemmings Motor.
La voiture fut achetée 10.000 dollars par son propriétaire actuel, Bill Snyder, le boss d’une entreprise de sérigraphie de l’Ohio, passionné d’automobiles, pas nécessairement un fanatique de Mustang’s…, il avait vu la Mustang III “Shorty” lors de son exposition dans sa région, et avait été l’un de ceux, déçus, lorsque le concessionnaire Ford lui avait dit qu’elle ne serait jamais mise en production…, il a reconnu la voiture dans l’annonce Hemmings… et, immédiatement, l’a achetée pour parfaire sa collection…
Néanmoins, avec les entreprises qu’il gérait et les autres voitures qui occupaient son temps, “Shorty” est restée cachée jusqu’au début du 21e siècle, lorsque Bill Warner gérant-propriétaire du Concours d’Elégance d’Amelia Island, a convaincu le propriétaire de rendre cette voiture à la vie en l’exposant au dit Concours d’Elégance d’Amelia Island (sic!).
La Mustang III a étonné les visiteurs et participants…, la revoir après quatre décennies d’oubli (presque 5) a créé un extraordinaire engouement…, la voiture a donc été de nouveau la vedette dans plusieurs magazines…, elle a également été l’objet de la “reconnaissance” de la Ford Motor Company, qui a délivré divers communiqués de presse la concernant.
Fièrement présentée par l’homme qui en était propriétaire depuis 47 ans, “Shorty” disposait d’une abondante documentation comprenant : des articles de journaux et magazines datant des années 1960, la totalité des documents de la compagnie d’assurance Aetna, des photographies prises au cours des quatre décennies passées, des communiqués de presse d’époque, ainsi qu’un rapport d’expertise réalisé par l’historien spécialiste en Mustang’s : Bob Fria.
L’authenticité de “Shorty” ne faisait aucun doute, son statut de véhicule original et authentique était même garanti par Ford, qui l’avait toutefois “sanctionnée” en tant que Mustang prototype, seule connue dans des mains privées…, de plus, ce qui rendait cette automobile étonnante, c’est qu’elle n’avait jamais été présentée dans une vente publique aux enchères.
La “Shorty” Mustang a été vendue par Auctions America le samedi 28 mars 2015 à Fort Lauderdale en Floride…, considérant son aspect unique, immortel et épique, Auctions America espérait tirer entre 400.000 et 600.000 $US pour la “Shorty” lors de sa mise sous le marteau…., l’évènement était très attendu, les paris étaient ouverts pour cette pièce de collection de haute voltige…, elle a atteint 1 million de dollars !
Vincent E. Gardner, son créateur, est né à South Bend, Indiana…, il a débuté sa carrière en tant que designer automobile en remportant le “Fisher Body Craftsman Guilde” de GM, tout en fréquentant l’école secondaire à Duluth, Minnesota.
En cette suite, à 23 ans, Gardner a obtenu un emploi au département design de Gordon Buehrig à la Auburn Automobile Company et a a œuvré sur la fameuse Cord 810, un des modèles les plus spectaculaires de l’histoire de l’automobile…, de là, il a été engagé à la Briggs Manufacturing en tant que dessinateur, puis à la Budd Manufacturing en tant que constructeur de prototypes et a fait son chemin jusqu’à y devenir concepteur en chef en l’espace d’un an !
En 1943, Vincent a rejoint Studebaker en tant que concepteur, il y a travaillé sous la direction de Raymond Loewy… et en 1947, il va créer la “Studebaker sportster Garnder spécial” qui sera présentée dans plusieurs magazines de l’époque… et remportera le premier prix en 1950 au National Roadster show d’Oakland.
Vincent a travaillé pour Studebaker jusqu’en 1951 puis a quitté son emploi et a travaillé free-lance et designer industriel de son bureau à South Bend, Indiana…, plus tard dans la même année, il a déménagé en Californie pour concevoir et construire ses propres voitures de sport…, son plan étant de fabriquer un jour une carrosserie en fibre de verre : la Vega, qu’il pourrait vendre en kit pour environ $ 1000…, ce n’est jamais arrivé, en partie parce que la Ford Motor Company a acheté le concept Vega et engagé Vincent à Dearborn pour préparer le 50e anniversaire de l’entreprise.
En 1963 Vincent a conçu la “Coyote Ford Custom Car”, un roadster deux places sur base de Ford Falcon raccourcie de 18 pouces.
Le dernier projet de Vincent Gardner fut une néo-classique “Bentleyesque” commandée par le feu magnat Bill Ruger…, peu après il s’est suicidé par asphyxie à Auburn, Indiana dans le garage d’un ami au printemps 1976…, il n’aura donc pas vécu la gloire et reçu les honneurs dus, parce que sa “Shorty” va se vendre 1 million de dollars le 28 mars 2015 !