Virgil Exner Duesenberg…
Bien avant Bugatti ou Maybach, la marque Duesenberg tenta-t’elle réellement un retour sur scène au coeur des années ’60… ?
Sur les plans de Virgil Exner, ancien directeur du style chez Chrysler, Ghia construisit-il réellement une berline au style particulièrement baroque motorisée par un V8 Chrysler de 7 litres, d’une puissance de 431 cv ?
L’Auto Journal, dans son édition du salon 1966, indiquait : “Ce monstre de près de 3 tonnes en ordre de marche, doit être fabriqué en petite série … Plus somptueuse que les Cadillac, Lincoln et autre Imperial, la Duesenberg concurrencera directement la Rolls Royce Silver Shadow et la Mercedes 600“.
La production en petite série ne démarra jamais, une seule voiture fut produite…, mais quelques années plus tard, un pilleur de marques perdues s’étant approprié le non-droit d’utilisation de Duesenberg, va la faire réapparaître (de nouveau), en construisant des répliques des modèles Duesenberg emblématiques des années ’30.
Pour comprendre l’histoire, il faut remonter au début des années soixante et se rappeler comment Virgil Exner s’amusait à “ressusciter” des automobiles…, c’était simple : en tant que Designer il dessinait son interprétation de ce qu’auraient pu devenir les voitures mythiques d’avant guerre.
La marque Duesenberg n’a en réalité jamais essayé de renaître de ses cendres via ses ayants-droit et l’opération “Duesenberg revival” ne s’apparentait pas à celles entreprises par Bugatti ou Maybach…
Entre autres projets, Virgil Exner s’était attardé sur quelques marques précises :
– Une Packard, qui ne dépassa pas le stade de maquette et qui fut vendue quelques années plus tard sous forme de jouet chez Renwal…
– Une Pierce Arrow, très inspirée de la Silver-Arrow (roues de secours cachées, lunette arrière en périscope), qui ne dépassa pas, non plus, le stade de maquette et qui suivit le même chemin que le projet Packard chez Renwal…
– Une Duesenberg Phaéton cabriolet à double pare-brise, un extraordinaire projet qui aurait mérité de voir le jour…, mais qui resta un projet et se transforma, aussi, en jouet chez Renwal…
– La Stutz Coupé deux portes sera mise en production, elle se positionnera d’emblée (par forcing et parce qu’Elvis Presley va en acheter plusieurs) comme l’égale des Rolls-Royce, du moins dans son prix de vente…, elle sera achetée par les stars d’Hollywood parmi les plus excentriques…, elle sera également produite en jouet chez Renwal…
– La Mercer Cobra, fut une vision échevelée et “bâtarde” (mais réelle puisque réalisée sur la base d’une véritable Cobra 427S/C), de la Mercer de course des année 1911/1912…, elle ne fut réalisée qu’à un seul exemplaire, mais Renwal la produisit en jouet…
– La Bugatti type 101, basée sur un authentique châssis Bugatti (l’un des tout derniers produits à Molsheim, acheté par Exner lui même), fut également une œuvre unique en grandeur nature, mais produit à des dizaines de milliers d’unités en tant que jouet chez Renwal…
La belle ressuscitée sera présentée à Turin en 1965, dans une livrée bleue, comme il se doit pour une Bugatti “bien née” !
Pour réaliser l’Exner-Bugatti type 101, notre homme essaiera en vain de surbaisser le châssis Bugatti, finira par le raccourcir de presque cinquante centimètres… et fera carrosser le tout par Ghia selon son dessin : un cabriolet assez élégant nanti d’une calandre placée “en avant des roues directrices” (une constante chez lui …).
Les puristes feront la fine bouche, mais tous les autres (américains surtou t!) vont encourager le styliste à poursuivre …
Mais poursuivre quoi ?
La Bugatti 101 qu’il venait de dévoiler n’était rien d’autre qu’une véritable Bugatti re-carrossée de façon néo-classique, il ne restait plus de châssis authentiques à “revisiter“, l’aventure était terminée.
Virgil Exner s’est alors lancé dans un rêve encore plus fou : faire revivre la mythique voiture américaine des années dix et vingt : la Mercer Racebout…, pour ce, il achète un châssis de Cobra chez Carrol Shelby, le n°CSX2451 (équipé d’un V-8 289ci), qu’il habille d’une carrosserie totalement kitch et surréaliste, à la fois d’avant garde pour l’époque, et en même temps surannée…
Une seule voiture sera fabriquée, tout comme la Bugatti 101.., les phares avant pivotent à 90°, le pare-brise n’est qu’un coupe-vent en plexi, il n’y a quasiment pas de coffre, mais elle est “soufflante”…, c’est une voiture totalement en marge, fabriquée en cuivre et en laiton !!!
Elle est actuellement vénérée par les afficionados de Virgil Exner comme le St-Graal de l’automobile “revival” et vaut plus d’un million et demi de US$ !!!
C’est en travaillant sur ces voitures uniques que lui vient une idée : celle de recréer l’esprit d’une marque disparue à travers une série spéciale basée sur l’un ou l’autre des modèles de série américains…, commence alors le projet “Duesenberg” dont le but n’est autre que de déboucher sur une production en grand nombre dans le giron d’un grand constructeur auquel le projet aura été vendu “clé en main“.
Le prototype sera réalisé chez Ghia et présenté en grandes pompes au Sheraton Lincoln Hôtel d’Indianapolis le 29 mars 1966.
Pour des raisons de publicité et de prestige, une série “limitée” est proposée à prix d’or… et l’on annonce les noms de quelques stars comme étant les premiers clients (Elvis Presley, Jerry Lewis etc.), mais derrière l’écran de fumée médiatique, Exner est en pleine tractations commerciale avec Chrysler, le but étant de faire accepter au constructeur de produire une Impérial “série spéciale” baptisée Duesenberg qui serait vendue par le réseau Chrysler à une clientèle plus aisée et en quête d’exclusivité.
Mais plusieurs problèmes se profilèrent à l’horizon.
Premièrement, les droits sur le nom Duesenberg ne semblent pas totalement acquis à l’équipe de Virgil Exner qui avait pourtant en poche l’accord d’un des membres de la famille.
Plusieurs autres ayants-droit se sont fait connaître et veulent en découdre pour toucher le pactole, tandis que d’autres refusent que le nom mythique de Duesenberg soit accolé par Chrysler sur une berline recarrossée…, on allait assister à une de ces belles empoignades juridiques dont l’Amérique a le secret !
Certes, l’idée d’évoquer une marque célèbre et disparue n’était pas mauvaise, mais la clientèle pour ce genre de véhicules était trop peu nombreuse, se situant entre ceux qui n’ont pas réellement les moyens de payer plus cher que le modèle de base… et ceux vraiment riches pour lesquels la version “Duesenberg customisée“, trop proche d’une Impérial de série, ne pourrait soutenir la comparaison avec une Rolls, une Bentley ou une Mercedes 600.
D’autre part… et beaucoup plus grave : l’équipe marketing de Chrysler chargée d’étudier la viabilité et l’impact commercial de l’opération “Duesenberg” rend des conclusions particulièrement négatives : Trop cher pour les uns, pas assez exclusif pour les autres : aux oubliettes, la Duesenberg !
Dès lors, il ne fut plus question de perdre du temps à produire la série initiale de cinquante exemplaires qui n’avait pas d’autre but que de faire fantasmer les foules en attendant d’introduire la “Duesenberg de série“.
Sur le plan de la publicité pourtant, la mission était assez bien remplie…, il suffit pour s’en convaincre de lire le commentaire dithyrambique d’un journaliste de l’Auto Journal qui va même jusqu’à ajouter des une centaine de chevaux au moteur (500 !)… et plusieurs centaines de kilos à la voiture : “près de trois tonnes“, alors qu’en fait, la Duesemberg de 1966 pesait à peu de choses près le même poids qu’une Chrysler Impérial : 2400 kg environ !
Cette voiture devant être produite en très petite quantité… elle ne fut finalement pas fabriquée !
Virgil Exner ne perdit pas espoir… et tenant compte des conclusions apportées par l’équipe marketing de Chrysler, il décida de pousser plus loin encore le délire néoclassique et de proposer une voiture suffisamment exclusive et luxueuse pour concurrencer les valeurs sûres du marché mondial.
Il rencontre un financier de New York (James. O Donnell) qui lui permet de concrétiser son rêve et de déboucher sur l’aventure Stutz, qui elle, s’apparente d’avantage à une entreprise de “renaissance” vaguement comparable à la réapparition de Bugatti.
Ce flou artistique est du en grande partie aux différentes bases mécaniques utilisées successivement (de début 70 à la fin des années 80, les voitures servant de base de travail aux différent modèles ayant été remplacés) et au désir de conserver à la gamme Stutz (sans cesse agrandie !) une certaine cohérence esthétique dans la folie…
Sans exagérer, l’ensemble de la production Stutz, représente une “gamme” particulièrement “bordélique” face à laquelle l’arbre généalogique des Maserati Biturbo (pourtant gratiné, au demeurant…) pourrait paraître d’une clarté limpide ! ! !
Ajoutez à tout cela les problèmes rencontrés avec les différents carrossiers italiens, les modèles “spéciaux” carrossés pour moitié en Italie et terminés aux USA et d’autres encore, construits 100% US, et vous aurez une petite idée du portrait de famille “labyrinthique” des Stutz.
Dans le désordre, les Stutz berlines, limousines, coupés et cabriolets, seront réalisés à partir de Pontiac Grand Prix (versions 70 et 80), Pontiac Bonneville et Firebird, Oldsmobile Delta, diverses Cadillac, etc…
Dans le tourbillon de cette production cacophonique (et pourtant assez réduite), on fera même appel au designer Paolo Martin (ex Pininfarina, nous lui devons, entre autre, le prototype Ferrari Modulo) qui sera chargé d’harmoniser la gamme, de dessiner la version limousine “royale” et d’établir une version définitive de la berline…
Toutes les versions trouvent leur signification dans les différentes bases de séries sur lesquelles elles furent développées et dans les différents accords passés avec les carrossiers italiens qui furent consultés ou utilisés comme partenaires.
Martin s’acquittera honorablement de sa tâche en ce qui concerne les deux premières missions, mais en ce qui concerne la berline, il faut bien avouer que c’était de la poésie pure !!!
Beaucoup d’amateurs et de spécialistes reprochent aux Stutz leur côté kitsch, les mieux informés vous dirons que ces voitures n’avaient pas d’existence réelle, dans la mesure où, basées sur des modèles de série sans cesse différents, elles n’avaient pas de personnalité propre… et on ne peux pas donner tort à ces détracteurs.
Seule valeur ajoutée à part la carrosserie : une finition intérieure revue à la hausse et un nombre impressionnant d’équipements…, en effet, une Blackhawk de 1974 n’est rien d’autre qu’une Pontiac Grand Prix recarrossée avec les défauts et les qualités (modestes) de ce coupé de grande série, c’est pour cela qu’il est difficile de parler d’une véritable renaissance de la marque.
A la limite on pourrait presque dire que les ingénieurs et les artisans qui ont produit les Stutz contemporaines ont, dans la réalité, habilement “maquillé” de confortables voitures américaines de série en “fantasmes néo classiques“.
Mais ce serait trop simple, la qualité de leur travail et la cohérence esthétique des différents modèles qu’ils ont engendrés (surtout après 1975) constitue un véritable “fait unique” dans l’histoire de l’automobile d’après guerre…, en effet, qui d’autre pourra un jour prétendre avoir atteint un tel résultat ?
Si l’on compare la production Stutz (dans sa cohérence et sa diversité, mais aussi dans sa longévité) aux autres entreprises “néo classiques” comme Clénet, Phillips, Knudsen, Johnson, Zimmer et autres Di Napoli ou Cumberford, force est de constater qu’aucun d’entre eux ne peux prétendre soutenir la comparaison, mis à part Excalibur, dans une certaine mesure.
En observant son travail sur les dix dernières années de sa vie on finit par découvrir que Virgil Exner a dessiné sans cesse la même voiture : la ligne générale qu’il avait inaugurée sur les Mercer Cobra et Bugatti 101 va être systématiquement adaptée à travers différentes variations, pour tourner à l’obsession .
Mais il faut également reconnaître à Virgil Exner une réelle habileté de dessin : au delà de l’aspect voyant de l’ensemble et de certains détails et finitions que certains jugeront outranciers, la ligne générale ne manque pas d’allure, elle est élégante et équilibrée, surtout si l’on tient compte des dimensions du véhicule.
Pierce Arrow, Jordan, Packard et Duesenberg : autant de projets “revivals“, autant de voitures se ressemblant comme des soeurs jumelles !
Ce designer qui fut employé au bureau de style Pontiac avant guerre et chez Studebaker jusqu’en 1949 ne parvint toutefois pas à s’adapter au modernisme affiché par les états majors “consuméristes” d’une industrie automobile américaine en pleine expansion, sauf pour son missile de route réalisé pour Chrysler-Plymouth-Dodge, largement inspiré des Jaguar Type “D” anglaises.
Beaucoup d’amateurs d’aujourd’hui se complaisent à décrire Virgil Exner comme un mégalomane épris de gloire et de publicité, parti fonder son studio de style, s’enfermer dans sa tour d’ivoire et laisser libre cours à sa folie créatrice …
Sa conception “Art-Déco” et sa recherche d’une élégance d’avant guerre remise à la mode des sixies et seventies, vont peu à peu l’éloigner du “pragmatisme” ambiant.
C’est une vision réductrice !
En 1961, Exner quitte le poste important de décideur qu’il occupait au sein du groupe Chrysler…
Parce qu’il n’est plus en phase avec la direction de l’époque et qu’il sent son pouvoir et ses prérogatives se réduire de plus en plus.
C’est un homme plutôt isolé qui fonde son studio de style cette même année.
Cette nouvelle position va lui permettre, de développer ses projets avec une liberté et des moyens que Chrysler n’a pas jugé opportun de lui accorder.
L’aventure Stutz des années ’70 n’est rien d’autre qu’une radicalisation d’une vision que notre homme défend depuis le début des années soixante.
C’est dans cette ambiance d’outsider qu’il va entreprendre ses différents projets de “résurrection” et c’est à la porte de Chrysler qu’il reviendra frapper cinq ans plus tard, persuadé cette fois, que son projet “Duesenberg” finalisé remportera tous les suffrages …
C’est aussi, en quelque sorte, un constat d’échec sur le plan professionnel pour l’homme d’industrie qu’était Exner : les Stutz ne seront produites qu’au compte-goutte et resteront des voitures marginales (c’est un euphémisme !).
Ironie du sort : Chrysler a proposé un Hot-Rod en production (le Prowler) et des automobiles néo classiques de grande série (sans compter les prototypes nostalgiques Phaeton, Atlantic…), en cette suite, de nombreux industriels se sont acharnés à faire revivre des marques disparues (Bugatti, Maybach).
Exner était mégalomane et “psycho-rigide”, sans nul doute trop en avance à moins que, finalement, il était un passéiste d’avant-garde !
Les événement d’aujourd’hui tendraient à prouver qu’il avait eu, au moins, une intuition aux accents prophétiques…, lui qui déclarait en 1970 : “Le style américain est en train de mourir à petit feu“.
Nous connaissons la suite, et il suffit par exemple d’évoquer la longue crise d’identité stylistique traversée par Cadillac pour comprendre qu’il n’avait pas tout à fait tort.
Ses propositions trop radicales et son refus de “composer” avec son temps sont également pour beaucoup responsables de sa marginalisation.
Restent les Stutz, voitures de luxe exubérantes au parfum de show biz… et j’ai pour ces mastodontes un regard amusé et amical parce qu’elles marquent la trace laissée par un créateur un peu fantasque, talentueux et singulier qui essaya, sous d’autres cieux et en d’autres temps, de faire accepter sa vision à une industrie froide et, déjà à l’époque, peu encline à laisser libre court aux délires originaux.
Texte de Philippe Pernodet ré-aménagé par Patrice De Bruyne avec son aimable autorisation…
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