1967 De Tomaso Mangusta…
Voici mes impressions de conduite d’un monstre de la route, mangeur de taureaux et de petits cavallini rampanti, qui se présente comme une mangouste, avec la grâce d’une bête de race et le cœur d’un ogre sanguinaire…
Un article coup de cœur en somme… pour une voiture que j’ai possédé fin des années ’90 et qui… pour une fois, ne m’a apporté que des joies et plaisirs masochistes inavouables… au contraire des quatre Pantera’s qui elles, m’ont possédées par la suite, sans que j’en retire la moindre jouissance “honnête” !
J’exagère quand même un peu…, pas pour les quatre Pantera’s qui ne m’ont amené que des déboires, mais pour cette Mangusta qui en réalité cachait divers défauts…
Pour comprendre, il faut prendre le recul de l’histoire…
Prendre un richissime Argentin et lui inculquer un amour immodéré du sport automobile…, amener Ford à lui vendre (à des prix acceptables) un V8 de 4,7 litres…, aller chercher en Allemagne une boîte cinq vitesses…, extirper à un talentueux dessinateur italien une silhouette particulièrement réussie…, acheter l’un des plus grands noms de la carrosserie italienne…, se débrouiller enfin pour persuader chaque année un peu plus de deux cents Américains de débourser 21.500 dollars…, voilà la recette d’Alejandro De Tomaso, gentleman-driver à l’origine…, devenu ensuite constructeur à Modena, après Ferrari, Maserati et autres maniaques de la fusée à roulettes.
Le résultat de cette recette aussi complexe qu’onéreuse, c’est la Mangusta !
Dans la réalité, la mangouste est une sorte d’écureuil de combat, ennemi farouche des serpents les plus venimeux, qu’elle attaque et qu’elle vainc souvent grâce à des attaques d’une promptitude affolante.
Kipling l’a chantée comme il lui sied et il me fallait également son talent pour tapoter un texticule bien couillu concernant cette voiture…, me suis-je dit avant de boire une bonne lampée de Rhum-Cola… et de me laisser aller à rassembler mes souvenirs…
Au milieu des années soixante, deux faits se juxtaposent…
– Alejandro De Tomaso souhaite construire une évolution de l’AC Cobra, qui serait équipée d’un même moteur V8 Ford… mais dotée d’une carrosserie Ghia dessinée par Filippo Sapino. La mayonnaise qui avait réussi pour Carrol Shelby, ne prend pas pour Alejandro De Tomaso…, le bouillant Italo-argentin décide alors de se venger, faute de Cobra, il sortira la Mangusta (la mangouste, ennemie mortelle du cobra), à propos de laquelle il demande à Giugiaro de créer l’anti-Cobra.
– Giorgietto Giugiaro souhaite quitter Bertone, dont il est le directeur du style. A la recherche d’une forte personnalité et d’un grand talent pour relancer Ghia et lui permettre de renouer avec l’avant-garde, Giacomo Gaspardo Moro, le directeur de la carrosserie, ne rate pas l’occasion, il le fait venir chez lui. Les débuts de la nouvelle recrue ont pour cadre le salon de Turin de 1966. Ils sont fracassants. Le stand Ghia présente les “torpilles” du maître Giugiaro, la Pampero et surtout deux chefs-d’œuvre absolus, la Ghibli et la Mangusta (une quatrième voiture moins intéressante est exposée : la Vanessa).
Le monde de l’automobile assiste à la naissance de deux étoiles, Giugiaro s’installant d’emblée au firmament du design avec De Tomaso à ses cotés…
La Mangusta a pour origine une barquette de compétition De Tomaso à moteur central arrière : le prototype P70.
Dessinée par Pete Brock, le styliste de Carroll Shelby… et motorisée par un V8 Ford de cinq litres, la De Tomaso P70 a été construite par la carrosserie Fantuzzi.
Exposée au salon de Turin de 1965, cette machine n’a pas connu de suite, sa participation au championnat du monde ayant été reportée sine die par manque de moyens.
Pour la Mangusta, Alejandro De Tomaso ressort ce châssis qu’il confie à Giugiaro qui en est bien inspiré, puisque son style va constituer une rupture dans l’histoire Ghia, tranchant avec les précédentes créations de la carrosserie.
Aux lignes douces de Filippo Sapino succède ainsi un design d’une grande vigueur.
Agressive et gracile tout à la fois, la ligne de la Mangusta jouit d’une grande pureté.
Le magnifique fastback se soulève entièrement pour accéder au moteur, mais en deux parties articulées dans l’axe de la voiture.
Si elle ne favorise guère la visibilité, cette formule spectaculaire ne manque pas d’attirer les curieux…
La Mangusta entre en production en 1967.
La caisse est réalisée par Ghia et la mécanique est montée chez De Tomaso à Modène.
La motorisation est confiée à un Ford V8 implanté en position centrale arrière.
Il s’agit du 289ci. (4,7 litres), qui développe 305 ch et permet à la voiture de filer à près de 240 km/h.
Il est accouplé à une boîte de vitesses ZF à cinq rapports.
La transmission est dotée d’un différentiel à glissement limité.
Construite jusqu’en 1970, la Mangusta connaîtra le succès commercial, sa diffusion atteignant environ 400 exemplaires, dont plus de la moitié aux États-Unis (en version 4,9 litres).
Un an après sa présentation, la berlinette donnera le jour à un prototype de spider, toujours dû à Giugiaro, mais il n’aura pas de suite.
Il est possible de faire la petite bouche en regardant les ouïes latérales d’aération, les passages de roues arrière rebondis, ou même le dessin de la lunette arrière…, mais l’ensemble atteint néanmoins une pureté qui laisse pantois.
Avec la grâce un peu monstrueuse et méchante qu’affichent volontiers les jets de combat, la Mangusta glisse littéralement au ras de la route !
1,1 mètre de haut, s’il vous plaît… et ses proportions sont harmonieuses à un point tel qu’il est difficile à l’œil d’apprécier ses dimensions exactes.
Toutefois…, si la belle bête est plus ou moins stable jusque 160 km/h, au delà et quoique les sifflements aérodynamiques restent pratiquement absents…, le train avant commence à manifester quelques velléités de vouloir passer dans une troisième dimension, ce qui est généralement peu apprécié, par les intrépides (pilotes)…
Il faut donc retenir que jusque 160 km/h tout va plus ou moins bien, mais qu’au delà, l’au delà se dessine derrière le pare-brise…, mais qui peut encore rouler à plus de 130 km/h ?
La Mangusta est très confortablement chaussée, ses splendides jantes en alliage de magnésium sont garnies à l’avant de 185 x 15 et, à l’arrière, de 225 x 15, à rendre jaloux tout propriétaire de Ferrari.
Ces pneus extra-larges achèvent de donner à la voiture un cachet assez extraordinaire… et lorsqu’on ouvre les portières qui, ô miracle, n’accrochent pas toutes les bordures de trottoir, la sobriété fonctionnelle avec laquelle l’intérieur est traité, correspond à la discrétion élégante et à la magnifique finition de la carrosserie dessinée par Giugiaro et réalisée à Turin dans les ateliers de Ghia.
Sans emprunts à l’astronautique, le tableau de bord comporte une instrumentation de choix avec un petit volant fort sympathique mais dont le faible diamètre surprend beaucoup par rapport à la largeur de la voiture.
Les sièges sont bien dessinés, suffisamment moelleux et l’accessibilité est correcte pour les corps souples (sic !), bien que la fin de la trajectoire puisse réserver des contacts inattendus…, avec un pare-soleil d’ailleurs rembourré, ou avec un rétroviseur diablement encombrant, ne serait-ce qu’en raison de son orientation.
La Mangusta ne peut accueillir que deux passagers mais elle les accepte en revanche à demi-couchés, dans la position “chaise longue” mise à l’honneur par les Formule 1 et que l’on apprécie tellement après accoutumance (gag !), bien que dans le cas présent, les têtes ne disposent pas des appuis confortables que la puissance des accélérations (environ 25 secondes au kilomètre), autant que la position générale, rendent indispensables.
Mais en comparaison de la position dite “de la grenouille”, obligatoire si on veut conduire une Miura, celle de la Mangusta est une bénédiction reçue au milieu des flammes de l’enfer…
Derrière les deux sièges, c’est l’écurie…
On la distingue à peine ; changer une bougie ou vérifier l’huile, c’est toute une affaire mais tant que ça fonctionne, personne ne s’en préoccupe.
A l’extrémité d’un châssis-poutre d’une rigidité absolue, le moteur est planté en avant des roues arrière motrices, avec une répartition théorique des masses de 44% sur l’avant et de 56% sur l’arrière.
Seulement, ce moteur n’est pas un échantillon de ces pur-sang de la technique auxquels Ferrari ou Lamborghini nous ont habitués.
Certes, il y a quand même huit cylindres, ils sont en V, mais la traditionnelle batterie de carbu est absente (l’unique élément comporte quand même quatre corps)…, ainsi que les arbres à cames en tête.
Pour séduire les Américains et aussi afin de ne pas trop se compliquer l’existence, Alejandro De Tomaso a tout simplement choisi un V8 Ford de 4728cc (4,9 litres en option), travaillé au point de vue culasses, arbre à cames et courbe d’allumage, afin de développer la coquette puissance de 305ch DIN à 6200 t/min.
Mais parler c’est bien joli…, il vaut mieux conduire !
Au volant de la Mangusta, j’ai remonté de nuit en automne, par temps sec, les Champs-Elysées, dévalé l’Autoroute du Nord, pour terminer par quelques sprints à 6200 t/min en cinquième, au petit matin.
La vertu majeure de la Mangusta, c’est la docilité étonnante avec laquelle elle s’adapte à toutes les circonstances lorsqu’il n’y en a pas…, c’est à dire que sur route pas encombrée, lorsqu’il fait froid dehors, elle ne chauffe pas trop et les freins peu sollicités restent à moitié efficaces.
Elle est par ailleurs souple en ville et sa direction à crémaillère n’est pas dure…, sauf à l’arrêt ou il m’est arrivé de jurer tant j’avais mal aux bras.., il est d’évidence que ce n’est pas la voiture idéale pour un créneau…
Sur autoroute, sa stabilité de trajectoire à très grande vitesse (jusque 160 km/h) apparaît presque miraculeuse par rapport à toutes les voitures du même style et sur longues lignes droites, elle s’avère d’une maniabilité que sa puissance, ses dimensions et son poids (près de 1200 kg), ne laissent pas soupçonner a priori (gag !).
Grâce au moteur central qui élimine toute tentative d’écouter la radio, même à fond…, aux réglages de son train avant qui requiert une attention soutenue…et de ses suspensions à la fois souples et rigides à l’inverse de ce qu’il faudrait en situation critique (et elles le sont souvent), la Mangusta pose à son pilote des problèmes dont l’acuité technique se classe au moins cent kilomètres plus haut que les vitesses effectivement réalisées…., mais dans les rectilignes, elle file tout droit et toute seule…
Les grandes courbes peuvent s’absorber avec une nonchalance affectée du plus impressionnant effet…
Quant aux virages serrés, s’ils se passent à l’accélérateur, avec divers déboîtements de l’arrière, comme pour la plupart des voitures munies d’un pont auto-bloquant qui, en virage, pousse plus ou moins en ligne droite si l’on n’a pas pris soin d’accompagner la voiture du pied droit, généralement les situations de stress s’estompent après quelques minutes lorsqu’on revient aux maxima légalement autorisés…
D’ailleurs, la Mangusta était réglée à l’origine en sous-dirigée… et de ce fait (ainsi que la direction un peu trop démultipliée), cela facilitait la conduite sur autoroute à grande vitesse tout en garantissant de rester en bonne santé mentale eu égard aux réactions vécues à vitesse moyenne, même avec un pied droit un peu nerveux (attention quand même !)…
La Mangusta est une voiture extraordinaire, par exemple elle possède, bien entendu, des lève-glace électriques…, mais les glaces se baissent peu, hélas… seulement à mi hauteur…, ce qui rend ce “confort” totalement surréaliste…, mais par contre, pour autant qu’elles remontent (ce qui n’est pas toujours le cas) un très efficace climatiseur est monté en série.
Avec de grandes surfaces vitrées et les vitres à fermetures incertaines, comment concilier autrement les deux nécessités contradictoires : fermer les vitres et ne pas mourir de chaleur ?
Il est vrai qu’on peut formuler d’autres critiques : ainsi, la visibilité vers l’arrière est purement symbolique…, les pédales sont décalées vers le centre de la voiture et laissent peu de place pour le repos du pied gauche…, le pitoyable petit frein à main est mal placé… et les commandes des essuie-glace ainsi que du lave-glace sont situées trop loin du volant.
Tout cela, c’est vrai, est inacceptable…, mais lorsqu’on sent dans chaque fibre de son corps la puissance des accélérations… 1ère: 90… 2ème: 150… 3ème: 180… 4ème: 215… 5ème…, la suite… Ziiiiiiiii… Youppppppppppp… Whaaaap…. Boum…
On oublie les détails, même si le battement assez impétueux (insupportable plus de 100 kms) du V8 ne peut se comparer au rugissement des douze cylindres d’une Ferrari (insupportable plus de 200 kms)…
La Mangusta, c’est d’abord (et seulement) une magnifique carrosserie… et puis ensuite, rien d’autre… si ce n’est une désinvolture toute italienne dans la finition (qui rend au mot “précaire” toute sa substance)… et une certaine insécurité masochiste dans le monstrueux vécu en attente d’une fin possible (assez douloureuse dans le métal tordu) qui compose un cocktail que l’on n’espére vivre que dans les mains expertes d’une Maîtresse BDSM…
Elle n’est sans doute pas la voiture idéale (sic !), mais une chose est certaine : quand on l’a conduite, on ne l’oubliera jamais !
J’en déconseille l’usage, par contre c’est une fabuleuse voiture “Casino” à acheter à vil prix à un fou qui ne la supporte plus…, pour revendre à un nigaud qui n’y connaît rien sinon les commentaires dithyrambiques de journaleux qui ne l’ont essayée que dans un salon…
La suite, ici : 1972 De Tomaso Pantera…
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