1968 Mustang Transsexe…
Californie, April Fool…, premier avril…, comme chaque année, sur Stevenson Avenue, a lieu le Mustang-Kill…, en résumé, une joute mi-porno, mi-ultra violente entre “Mutants-Mustang-maniaques” conduisant d’incroyables Mustang “poubellisées” dont les divers look défient les imaginations et tout vocabulaire.
Ambiance Mad Max, ferrailles, armures, flammes, têtes de mort, masques qui font peur, jets d’objets, baise.
Et bière…
Les verres cassés jonchent le sol, il me faut regarder où je marche pour ne pas me faire transpercer par divers objets qui volent, ou écraser par un quelqu’un d’autre que moi-même, d’un peu trop titubant.
J’arrive à la fête organisée.
Des cadavres de Mustang entourés d’une faune plutôt terrible.
Des chiens, des barbus “piercés” et des filles à damner les saints.
Leur maquillage a coulé, et le sang séché fait des croûtes…
Un matelas posé dans un recoin, une merde de chien au milieu.
Je fais un pari avec moi-même : 10 secondes.
Au bout de sept, une fille vient s’effondrer dessus.
Il est temps de changer d’air.
Un peu plus loin, la grande “jackasserie” générale continue ; il y a même un crétin qui se roule sur le sol plein de pisse en se battant avec un porte-manteau…
Il y a des gens qui marchent comme s’ils montaient des escaliers… et là-bas, un mec qui trouve une curieuse Mustang Station-Wagon sur son chemin et s’arrête devant, incapable de trouver une solution pour contourner cet obstacle de taille.
A côté de moi, trois filles-bière ne pouvant plus se retenir, baissent leur pantalon et s’oublient devant tout le monde.
Voilà pour l’ambiance.
L’année dernière m’apprend-on, une fête avait été organisée au même endroit.
Concept : ramener le plus de Mustang “poubellisées” promises à la destruction.
Voilà, ici, on fait tout soi-même… et dans la sauvagerie si possible.
Mais tout ça, bien sûr, est sous-tendu par des convictions profondes.
Si vous demandez où acheter ces Mustang pourries, vous vous entendrez répondre : elles ne s’achètent pas : elles sont destinées à la casse.
Portée donc par une philosophie fortement anti-consumériste, la communauté des “Mutants-Mustang-maniaques”, est farouchement opposée à toute récupération médiatique ou commerciale.
Les vitrines des magasins qui avaient exposé des pièces de carrosseries pourries ont été taguées “Shit-Car-Culture, Not for Sale”.
Et évidemment MTV, attirée par cette sous-culture radicale et porteuse d’un gros potentiel cool, aurait tenté d’approcher ce groupe, sans succès.
Le “Mutant-Mustang-maniaque” serait donc en fait la partie émergée et “entertainment” d’un mouvement qui milite plus largement.
Il reste qu’ici, ce soir, ma vision ultra-civilisée de la fête est un peu bousculée : ici ça sent bon l’apocalypse (à la sauce grand guignol) et la régression.
Confusément, je me dis qu’il doit y avoir un défoulement nécessaire dans cette ultra-violence mise en scène, dans cette fête très primale, quelque chose d’assez loin du monde de la consommation et qui nous manque peut-être à toutes et tous sans le savoir.
Ces mecs sont trentenaires, ils se mettent sur la gueule pour rire, et on a le droit de dire que c’est très américain… et celui de ne pas savoir trop quoi en penser.
En quittant ce rassemblement, je me suis arrêté devant la Mustang Station-Wagon en parking à l’entrée de l’impasse…
Son propriétaire, mi homme, mi femme, m’a dit que dans un premier temps, la base, une Mustang Coupé 1968, ne lui avait pas semblé devoir être détruite…
Rêve de gosse…, rêve d’une automobile qui n’a jamais vraiment existé, sa Mustang 1968 Station Wagon, transpire une transsexualité irrespectueuse, comme la sienne, envers le mythe dont elle est issue.
Caprice de démiurge, évidemment, mais qu’est-ce que cette automobile apporte ?
Sa réponse claque comme une évidence… et justifie à elle seule toute l’entreprise : “Rendre possible (tangible) la représentation d’un non-sens”…
Le challenge était risqué… et ce pour deux raisons : d’abord parce que la Mustang basique a été mythifiée par divers films puis par une horde de fans de l’époque Rock’N’Roll…, ensuite parce que son “identification” devait être aussi immédiate qu’avec un Coupé, un Fastback ou un Cabriolet… dans une sorte d’anthropomorphisme mécanique, un dosage entre liberté d’interprétation et rigueur d’une apparente restauration.
Une exigence qui, finalisée après deux ans de labeur, doit beaucoup, on s’en doute, au travail stupéfiant de son auteur puisque non content de s’être tué le dos dans ce savant bricolage…, il a passé plusieurs semaines à observer de vraies Mustang remise en état dans diverses carrosseries.
Toujours est-il que le résultat impressionne, relayé par une finition dont la précision est sans failles (dans ses excès comme dans ses défauts), mais qui aura besoin d’être réévaluée avec le recul de quelques années.
La transformation en Station-Wagon est convaincante, conférant à sa réalisation une épaisseur quasi dramatique qu’on ne connaissait guère aux autres modèles, lui imprimant un dosage idéal entre grandeur, pathétique et ce brin de bouffonnerie qui lui est propre.
Performance fascinante et passionnante, dans lequel ce transsexuel a mis toutes les métaphores possibles du genre, comme passion dévorante, symptômes de toutes les décadences…, sans perdre de son aura quasi héroïque, mais pas forcément pour le meilleur.
Mais, mis à part lui/elle…, à qui peut bien s’adresser ce truc, objectivement ?
À des déjantés ?
À des gourous de secte ?
À des satanistes aimant laper de l’eau bénite ?
À des astrophysiciens et des paléontologues hippies ?
À des fans de Rock’N’Roll ?
À des représentants de commerce nostalgiques des années ’60 ?
Certes, le message philosophique caché de cette œuvre, à grands renforts de mélodies d’Elvis, aurait presque autant de légitimité qu’un autre (je ne suis pas rigoriste), mais quand même, la forme arrière, le cul, est pénétré avec tellement de perversité…, qu’il est impossible de ne pas y voir une ex-Mustang Coupé modifiée (gag !)…
C’est bien gentil de vouloir convertir la masse ignorante aux voix impénétrables du transsexe, aux arcanes de la vie et de la Grâce, aux passages entre les mondes, mais son engin m’a plutôt donné des envies de profanations d’autels, de sabbats sataniques et d’orgies païennes, tout recouvert de sang de bœuf et enculant sans discernement… et sans discontinuer.
Ainsi, ce qui semblait établi dès le départ comme une sorte de permutation des règles et d’influence… (d’emprise ?), a été remis en jeu(x) et en question(s)…