1969 Alfa Romeo Tipo 33…
Bien des années se sont écoulées depuis que les voitures de course vrombissaient à travers la Sicile lors de la dernière Targa Florio…, cette course ne fait plus partie des épreuves du championnat mondial des marques depuis 1973… et elle ne sera plus courue après l’édition de 1977, date à laquelle la course sera interdite, suite à la sortie de route d’un bolide qui faucha un groupe de spectateurs…, une épreuve de rallye et une épreuve historique continuant à être organisés chaque année…, envoûté par cette course, j’ai profité de la dernière épreuve historique pour refaire ce parcours de 72 km avec une Alfa Romeo Tipo 33.
Pas d’odeur d’huile de ricin brûlée…, les moteurs ne chantent plus les plus hautes notes de la gamme… et le public ne hurle plus sa passion pour les coureurs téméraires…, en fait d’odeur, ce sont les fritures locales…, en fait de bruit, ce sont les tac à tac des tricycles Vespa 2 temps…, en fait de hurlements, c’est le brouhaha des cris des enfants mêlé au bruit du trafic…, tout est parti, le circuit de course le plus riche en traditions est mort…, la Targa Florio qui déjà en son temps faisait figure d’ancêtre, ne se réveillera plus…., là où avait lieu le cérémonial du départ, où toutes les 20 secondes une voiture s’élançait sur le circuit de 72 km, on se croirait au milieu d’une ville fantôme, carreaux brisés, murs lézardés et canalisations crevées…, ça fait trente-six ans que sur le tracé sicilien, les dernières voitures de course partaient en chasse pour les douze tours qui totalisaient 860 km et 8.000 virages (ou plus)…, le changement de pilote se faisait habituellement après trois tours et quand l’un d’eux roulait particulièrement vite, il bouclait les trois tours à 216 km/h de moyenne en un peu plus de 100 minutes et 2000 virages…, toutes les trois secondes en moyenne : un virage !
Comme par enchantement, le circuit routier sicilien se présente comme auparavant, avec des enchaînements de virages encaissés dans un site unique et des traversées de villes et de villages d’un autre monde, l’atmosphère italienne est bien particulière, mais celle de la Sicile est envoûtante…, on peut s’imaginer quelle activité il fallait déployer dans l’habitacle pour ne pas dévier de sa trajectoire, peu de pilotes y sont parvenus…, en 1955, Stirling Moss est entré dans un mur avec sa Mercedes…, en 1973, Clay Regazzoni en Alfa Romeo avait déjà une perte totale à l’entraînement…, son collègue dans le team, Andrea de Adamich, avait si bien imité Clay Regazzoni que la seconde Alfa Romeo a également été détruite avant même que la dernière Targa Florio ne soit partie.
Sur ce dernier parcours, Jacky Ickx en Ferrari a terminé en crash dans un virage où la visibilité était nulle…, un bloc de rocher était en plein milieu de la route…, Stirling Moss, l’éternel second dans le championnat du monde des conducteurs entre 1955 et 1958…, en 1956, il pilotait une Porsche avec son compatriote Graham Hill et était en tête de la Targa Florio, mais il a du s’arrêter à moins de 500 mètres de l’arrivée : “Dans la Targa Florio rien n’est certain, tout est aléatoire, la course ne se laisse pas calculer. Dans cette course sicilienne, il faut toujours rouler à toute vitesse car on ne sait jamais quelle position on occupe et où sont les concurrents. Mais à ce rythme, le moteur peut casser à 500 m de l’arrivée”…
La Targa Florio vient de la famille Florio…, Ignazio Florio père avait longtemps fait le commerce des agrumes, avant le début du siècle…, on pouvait également acheter chez lui du vin et de l’huile d’olives… et rien ne changea quand naquirent ses fils Ignazio junior et Vincenzo.
Vincenzo, le cadet, fit, à partir de 1883, beaucoup de bruit dans et autour de Palerme en se rendant célèbre dans diverses épreuves sportives…, son premier exploit était remarquable…, avec un tricycle, il paria de battre un cavalier à cheval et un coureur en bicyclette… et il perdit !
Quand les premières automobiles se mirent à rouler, Vincenzo fut grisé par les odeurs d’essence et se dit qu’il tenait sa revanche…, il organisa un concours de vitesse pour voitures automobiles dans sa Sicile natale, le gagnant remporterait une médaille d’or créée par Vincenzo…, c’était en 1906, la Coppa Florio était née…., personne n’avait aucune idée de ce qu’allait provoquer cette médaille dans le trois-quarts de siècle qui suivait.
La Coppa Florio menait les courageux pionniers de Brescia à Cremone en passant par Mantoue…., Vincenzo Florio n’était pourtant pas encore satisfait…,. rien ne semblait pouvoir arrêter Florio dont la course fut courue 57 fois en 67 ans et qui a trouvé sa fin parce que le parcours n’était plus approprié et trop dangereux…, en fait ce n’étaient pas les voitures qui devenaient inappropriées au circuit mais le circuit inapproprié aux voitures… !
Porsche prit le départ seize fois de suite et remporta onze victoires…, toutes les marques en retiraient honneur et gloire même quand les teams italiens de Ferrari et d’Alfa Romeo ne ménageaient aucun effort…, la Targa Florio était toutefois pleine d’imprévus, par exemple :
– En 1959, le pilote Olivier Gendebien et son copilote Tony Brooks l’ont appris à leurs dépens…, Gendebien conduisait “paisiblement” une Ferrari Testa Rossa 3 litres 12 cylindres quand il perdit, on ne sait trop pourquoi, le contrôle de la voiture et se retrouva dans une prairie…, les spectateurs ont alors réalisé le tour de force de porter la voiture pour la ramener sur la route…, Gendebien continua la course et au premier arrêt passa le volant à Tony Brooks.
– Bobby Allison avait pendant des jours reconnu le parcours en voiture de location… et, à Cottavuturo qui, pendant la course, est traversée à grande vitesse, l’Américain se trouvait à 150 km/h dans sa voiture de location, ce qui n’était pas du goût des habitants du village…, un paysan est allé chercher son fusil et prévint ses concitoyens que le prochain passage du bolide serait aussi le dernier : “La course, passe encore, mais pas dans la semaine avec les enfants dans les rues”…, la voiture réapparut bien plus tard mais à une vitesse normale, ce qui sauva la vie du conducteur qui n’était d’ailleurs plus Allison, mais Jerry Grant qui ne comprenait rien des jurons et imprécations du paysan.
Il est temps de rouler dans l’Alfa Romeo Typo 33/2 ex-Nino Vaccarella, sicilien né à Palerme en 1933, Nino Vaccarella était le héros de toute la population à l’époque de la Targa Florio qui se courrait à travers les rues avec des véhicules de type Le Mans…, il remportera d’ailleurs cette épreuve 3 fois, en 1965 avec Lorenzo Bandini sur Ferrari puis en 1971 et 1975 sur Alfa Romeo…, il courut aussi 4 Grands Prix de Formule 1 ( et une non-qualification) sans marquer de points.
Grand vainqueur en 1964 des 24 heures du Mans sur une Ferrari 275P devant des Ferrari 330P, avec le gentleman-driver français Jean Guichet en battant le record de l’épreuve à plus de 195 km/h, il s’associera encore avec lui en 1969 pour finir cinquième sur la vieille MATRA 630…, Nino Vaccarella est un des très rares pilotes de voitures de sports à avoir remporté les 4 grandes épreuves de type Le mans des années 60/70 à savoir 12 heures de Sebring avec Mario Andretti et Giunti, 1000 km du Nürburgring avec Ludovico Scarfiotti, Targa Florio et 24 heures du Mans avec Jean Guichet et qui plus est sur Ferrari.
Vaccarella qui a maintenant 77 ans prétend qu’il connait toujours le parcours de la Targa Florio par cœur et il faut le croire, car celui qui parvenait à l’époque à le battre, pouvait se considérer comme un champion mondial au volant…, il a toujours le charme d’un curé de campagne et me déclare en phrases bien choisies : “La Targa Florio, on doit apprendre à la connaître, car ici tout est différent des autres circuits récents de course. Le pilote Targa Florio divise le circuit en trois parties : tout d’abord il y a la descente qui peu avant Cerda dure 27 km jusqu’à Caltavuturo ; à partir de là, il y a des montées et descentes jusque Campofelice (km 60), après être passé par Scillato (km 36) et Collesano (km 48) ; puis la troisième partie se présente sous forme d’une ligne droite de 6 km qui est en retrait de la côte et parrallèle à celle-ci, sur cette ligne droite, certains bolides grimpaient à 350 km/h, après il y a un virage très sec, à gauche une forte montée, et on passe la ligne d’arrivée. Une orgie de virages entre le départ et l’arrivée, 700 changements de direction de débrayage et changements de vitesse: Ici personne n’a encore conduit à la perfection, pour dire vrai, les meilleurs n ‘y parviennent que durant moins d’une demi-heure”…
La voiture développe 270 Chevaux, atteint 298 km/h, pèse 530 kg… et vient en droite ligne de Francfort via Milan et Palerme…, c’est elle qui avait participé à la 53e Targa Florio 1969…, les spécialistes du département sport d’Alfa Romeo, Auto Delta, y ont travaillé sans relâche durant quelques jours pour me permettre de circuler au volant d’une voiture de course au mieux de sa forme.
Nino Vaccarella, qui est en Sicile une légende vivante, est donc de la partie et me donne des indications pour la conduite de son ancienne voiture de course, il se glisse lui-même derrière le volant en maugréant qu’il est devenu trop gros… et prend plaisir à un essai d’accélération jusqu’à la première combinaison de virages : “Tu verras qu’il n’y a pas plus tenace en courbes que la 33”... et je m’installe dans le baquet…, plein d’angoisse…, je serre le harnais au maximum, puis quelqu’un d’autre que moi-même me met un casque sur la tête…, beaucoup trop grand, le casque, deux tailles au moins…, lla jugulaire serrée au maximum, je peux toutefois encore l’enlever sans défaire la sangle…, enfin… , tant pis, je ne vais pas déclarer forfait pour si peu.
Contact… Bzuuuuuuuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii… , les pompes sifflent le grand air de Marelli-Magneti, le levier est au point mort et je tape le starter… CRAPRATRAOUM… pouf.., le formidable moulin bourré de bourrins explose dans mon dos dans un tonnerre métallique…, z’ont sûrement oublié l’échappement à l’usine…, l’auto secoue au rythme de la pédale, VRAOUM, VRAOUM, VRAOUM, elle recule imperceptiblement et je pose mon pied sur le frein…, clac, la première passe sèchement, j’emballe sec avant de lâcher l’embrayage, et VRAAA c’est parti…
L’arrière se dérobe, la jante tape la bordure, je corrige au volant en relâchant un poil les gaz et WOUUPS, la 33 se catapulte en avant…,,tudieu, j’ai dû laisser dix kilos de gomme sur le bitume de Palerme…, je regarde dans le rétro, je devine une casquette rouge au travers du nuage de fumée…, je passe la seconde…, j’ai les yeux qui pleurent…, le bruit est infernal, je sens mes tympans qui se lézardent… et ce foutu casque qui me tape sur la nuque à chaque accélération.
VRAAAR… , ça doit hurler dans les chaumières…, les qens qui bordent la route me font des signes déments…, qu’est-ce qu’ils veulent, ces cons ?
Je roule sur trois jantes, ou quoi ?
Ou alors c’est le bruit qui les énerve ?
Je m’en f…, je fonce…, le virage approche à toute allure…, je tâte la pédale du milieu… WHAMM…, les roues avant se bloquent, le casque f… le camp sous la violence de la décélération… (qui a éteint la lumière ?)… zut, je ne vois plus rien… et ce virage, l’est ou…?
Olé… , bravo torero, j’ai frisé la sortie de route mais il n’avait qu’à rester dans les gradins.., je donne un coup de volant au hasard vers la gauche, un grand coup de menton vers le haut pour faire remonter le casque qui a glissé devant mes yeux… et j’ai juste le temps de voir un type sauter en arrière pour éviter mon capot…,plus de peur que de mal, j’ai à peine effleuré le gazon et je remets toute la gomme en sortie de virage…, clac 3ème… VRAAAR, 4ème et je soulage.
Ça doit marcher à 200.., c’est trop vite.., la route n’est pas assez large.., je repasse en 3ème, avale une épingle en léger travers… GULP.., le décor défile encore trop vite à mon goût, je ne distingue plus que des taches de couleur sur un fond vert filé.., je freine… OUUUPS…., le casque est de nouveau devant mes yeux…, black-out…, j’entends des gens qui hurlent…, coup de menton vers le haut en rétrogradant la 2ème… CRAAC, ça passe en accro mais je vois à nouveau la route.
Je réagis au dernier moment, mais la 33 vire sans glisse aucune… elle tourne…, sur des rails…, encore un bout de ligne droite, bordée d’une haie humaine qui semble hostile…, on me fait des gestes obscènes, mais je mets toute la gomme, histoire de leur rincer les oreilles… VRAAAR… ça tire l’enfer… CLAC, 3ème d’un geste sec, l’accélération est encore prodigieuse, le dessus de la côte est en point de mire, je soulage un peu car il me semble que la route rétrécit…, des gens l’envahissent, la haie se resserre mais je ne lève pas le pied…, double-débrayage.. VRAOUM, 2éme à 8000 tours et le sommet se rapproche…, puis soudain…
SPLASH, le pare-brise devient tout rouge…, les salauds, ils me jettent des tomates.., charmantes coutumes…, population locale…, préservation de l’environnement…, pollution bruyante… , on aurait pu me prévenir qu’ils venaient voir une course cycliste…, j’atteins le sommet de la côte en roue libre, puis j’entame la descente sans demander mon reste…, ils m’auraient étripé puis lynché si je m’étais arrêté.
Le 33 ronronne comme un gros tigre enroué, en 2éme, le frein-moteur ralentit trop… et je rejoins les mécanos sur un filet de gaz… VRA-VRA-VRA… CLOUPS… le silence…, moteur coupé, j’ôte le casque sans défaire la sangle, un type me tape sur le ventre pour défaire la boucle du harnais, et je m’extirpe en sueur de la voiture…“E allora ?”… me fait le mécano en salopette rouge…, je lui ai dit que c’était bien, que j’étais content et tout, et merci à tous… voilà, c’est fini…
http://www.targaflorio-1906-1977.it/
http://www.targaflorio.info/